jueves, 16 de enero de 2014

LE SAHARA DANS LES ROMANS MAROCAINS FRANCOPHONES



L’AUTONOMIE DU SAHARA  SOUS SOUVERAINETÉ
 MAROCAINE DANS LES ROMANS MAROCAINS
D’EXPRESSION FRANÇAISE

      Certes, l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine était déjà implicitement inscrite dans les arcanes des romans marocains d’expression française (les RMEF), comme dans les annales historiques, politiques et démocratiques du Maroc moderne. "Les circonstances de l’époque 1984 dominées par la question des provinces sahariennes récupérées [par le Maroc], notent Abdelaziz Jazouli et Mustapha Naimi, sont présentes, mais ne sont pas les seules à peser sur les choix opérés en faveur d’une régionalisation globale [un statut d’autonomie au Sahara]. Celles-ci, à y avoir de près, s’impose à toutes les parties du territoire national avec plus ou moins d’acuité.""LA RÉGION: ET SI LE PASSÉ RÉPONDAIT DE L’AVENIR ? ", Maroc Europe, Nº4, Rabat, Ed. La Porte, 1993, p.20. C’est ce dont témoignent les quatre RMEF: "L’œil et la nuit" d’Abdellatif Laâbi, Ed. Atlantes, 1969; "La prière de l’absent" de Tahar Ben Jelloun, Paris, Ed.du Seuil, 1981; "Une enquête au pays", Paris, de Driss Chraîbi, Ed. du Seuil, 1982; "Légende et vie d’Agoun’chich" de Mohammed Khaïr-Eddine, Paris, Ed. du Seuil, 1984. Nous le décrypterons en l’occurrence à travers: I) L’historicité génératrice de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, II) L’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RMEF.

         I- L’historicité génératrice de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine:

          Pour mieux saisir l’adéquation et la légitimité historique du plan  d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, il faudrait examiner cela  dans la double perspective: l’historicité de l’autonomie du Sahara des origines à nos jours et l’historicité de l’autonomie du Sahara de nos jours sous souveraineté marocaine.

         I.1- L’historicité de l’autonomie du Sahara des origines à nos jours sous souveraineté marocaine:
         
        A propos d’une étude des origines et de l’aboutissement incontournable du conflit du Sahara, dans le cadre du plan d’autonomie élargie sous souveraineté marocaine, projet salutaire initié actuellement par le Maroc auprès de l’ONU et  faisant l’objet des pourparlers ardus de Manhasset, près de New York (USA), Jazouli et Naimi soulignent précisent pratiquement: "Le projet d’élaboration  de la région saharienne [le projet d’autonomie au Sahara marocain] ne peut que reposer sur le choix du modèle [local et international] de référence. Nous remarquons à cet égard, que la catégorie de formation spatiale sahraouie [références toponymiques collectives et personnelles], malgré son importance pour l’étude des origines [historicités originelle et de nos jours] et de l’aboutissement inévitable du conflit du Sahara, n’a pas donné lieu à des études renouvelant et affinant le concept. Ici, la référence se porte sur un espace géoéconomique ayant subi les séquelles de la présence [coloniale] franco-espagnole et où seul un développement spécifique [le plan d’autonomie élargie] est de nature à renforcer le développement spatiale [saharien]." Op.cit, p.30. Du point de vue géo-historique, ces deux auteurs relèvent les frontières  originelles du Maroc, sous le roi Hassan Ier   [1830-1894], démembrées par le colonialisme franco-espagnol (1844-1975):
        "Ordonnant à son représentant à Tanger de répondre au gouvernement espagnol qui lui demandait quelles étaient les frontières du Royaume dans le sud, Moulay Hassan [Ier] écrit: « Nous sommes informés du tracé de nos frontières dans ces régions et elles s’établissent comme suit : d’un côté nous sommes limitrophes du Siège indépendant, c’est-à-dire de l’Egypte, de l’autre du Soudan et du dernier côté de Maghnia. Avec notre réponse, vous trouverez un schéma  afin que vous soyez sur vos gardes." – Op.cit., p.38. Par ailleurs, ces derniers dévoilent une organisation ethnique du Sahara marocain qui remonte à l’époque almoravide [1055-1147] en relatant:
        "De par leur modes de vie diversifiés, les Sahraouis saturent l’espace de production pastorale, d’agriculture et de transit qui commence avec le Wad Nun et le Bani au Nord pour s’achever politiquement aux frontières de l’actuelle Mauritanie [référence toponymique collective] (…). Dans un premier temps relevons que le mode d’affiliation au fond ethnique ancien n’exclut de toutes les tribus de cet espace que les Awlad Dlaym, M’quiliens d’origine, installés dans le Tiris, depuis le XIIIe siècle. Les Surfa Filala [la dynastie alaouite] constituent un lignage bien distingué des tribus maraboutiques d’origines imazighen, essentiellement issues du XVIIe siècle (…). L’organisation et la défense des routes caravanières nécessitent outre le contrôle de l’espace, un système d’alliance [une référence toponymique collective]. C’est par la nécessité de ce  contrôle que l’ensemble confédéral Takna s’est constitué depuis les Murabitun Ve/ XIe siècle (…). On voit que le Wad Nun, Bani et As-Saggya Al Hamra désigne tout bonnement le pays des Takna [une référence toponymique personnelle] (…).
        C’est là une conception adéquate du droit collectif ultime subdivision interne d’un système de gestion des ressources et de l’espace [une référence toponymique collective]. Le passage à travers différents ordres successifs de segmentation aux groupes politiques de base [une référence toponymique personnelle] et à leurs fractions permet de concevoir la correspondance à tous les niveaux entre segmentation tribale [une référence toponymique collective] et segmentation territoriale [autonomie élargie] "  – Op.cit., p.26.
        Parallèlement, l’idéologie séparatiste voit le jour au Sahara dans une action contrôlée par l’Espagne, en 1973. "La présence franco-espagnole sur le pays Takna [le Sahara marocain] accentue l’individualisation d’As-Saggya Al Hamra évacuée en partie par ses maîtres [ses habitants excédés] des siècles précédents (…). Plus tard, au fort des débuts des années 1970, la stratégie séparatiste engage un ensemble de relations, essentiellement avec l’Espagne, qui se déroule à partir de son propre système d’interprétation [colonial] et suscite une manipulation du discours de légitimation [séparatiste]. C’est en effet dans les actions politiques et leur enchaînement contrôlé par l’Espagne [puis par l’Algérie, etc.] que pourrait se vérifier le plus clairement l’idéologie séparatiste [du Polisario] et ses conséquences spécifiques [sur l’UMA]." - Op.cit., p.29. 
        Ensuite, de la même façon que le représentant personnel du SG de l’ONU M. Peter Van Walsum, déclarant dans son rapport au CS, le 24 avril 2008,  que l’indépendance du Sahara "n’est pas réaliste",  A. Jazouli et M. Naimi avaient conclu à l’impossibilité de l’indépendance du Sahara dans le sillage séparatiste mythique du Front Polisario et soutenu par l’Algérie, etc. "Il est donc impossible au F. Polisario, jugent-ils, de casser l’articulation entre As-Saggya Al Hamra, Wad Nun (le Sahara) et Bani occidental [l’Anti-Atlas]. Le mythe séparatiste construit un modèle étatique [la RASD fantoche] qui ne peut être que fictif." – Ibid. Ainsi aborderions-nous d’un point de vue documentaire: l’historicité de l’autonomie du Sahara des origines à nos jours sous souveraineté marocaine et l’historicité de l’autonomie du Sahara de nos jours sous souveraineté marocaine.
    
       I.2 - L’historicité de l’autonomie du Sahara de  nos jours  sous souveraineté marocaine:
      
       Le constat du sort inhumain imposé par le Polisario et ses conjurateurs aux séquestrés marocains sahraouis dans les camps algériens de Tindouf ne cesse d’interpeller la conscience des peuples du Maghreb et d’alarmer l’opinion internationale dans l’attente d’une solution politique réaliste, telle qu’un régime d’autonomie consensuel sous souveraineté marocaine, mettant fin à ce drame orchestrée par les dispensateurs de l’idéologie séparatiste dans la région. "Ceux, peu nombreux, il est vrai, qui ont pu voir les actualités de la télévision algérienne, évoque Michel Rousset, n’ont pu qu’être atterrés par le sort tragique de ces populations parquées [marocaines sahraouies séquestrées]  dans la région de Tindouf [en Algérie] ou dans celle des confins algéro-mauritaniens; leur seule raison d’être objective, est de constituer une masse de manœuvre ou de monnaie d’échange [au Polisario et consorts] dans un affrontement [interétatique camouflé] qui les dépasse et dont elles ne peuvent être que des victimes [ou des dupeurs dupés].
       C’est bien ce qu’a compris cet ancien ambassadeur du Polisario qui, après beaucoup d’autres responsables, a décidé de s’enfuir et a réussi dans son entreprise (voir Jeune Afrique, nº1405, du 9 décembre 1987); pour lui, le seul combat utile c’est celui du développement du Sahara;  et celui-ci se livre à Laâyoune, à Smara ; à Boujdour ou à Dakhla [plan d’autonomie élargie marocain], mais pas dans «les sables libérés [v. pancarte vide du Polisario]» où ne poussent que la haine et les canons!""Lettre de Rabat, Maroc Europe, Op.cit., p.222. De nos jours, M. Naimi considère suivant Paul Balta, la décentralisation et l’autonomie locale comme un véritable baromètre de la démocratie. L’UMA pourrait se renforcer et sa charte d’environnement et de développement pourrait concrétiser le plan d’actions prioritaires par une autonomie démocratique élargie. "En cette fin de XXe siècle, commente-t-il, l’autonomie locale [v. le Sahara] est indissociable de l’exercice des droits et des libertés de l’homme; c’est aujourd’hui un attribut et un baromètre de la démocratie." - "La Méditerranée réinventée", Maroc Europe, Op.cit., pp.290-291. En ce sens, l’initiative du Maroc pour un statut d’autonomie au Sahara sous souveraineté marocaine, en négociation sous l’égide de l’ONU, avec le Polisario (secondé de l’Algérie), confirme un tel choix de solution politique consensuelle du conflit factice qui bloque le processus de paix et de développement dans la région, depuis plus de trois décennies.
       Rappelons à cet égard le projet négociable d’un statut d’autonomie du Sahara, remis par le Maroc à l’ONU et accueilli favorablement par la communauté internationale, le 11 avril 2007. La nouvelle fut rapportée par MAP en ces termes: "L’ambassadeur Représentant du Maroc auprès des Nations Unies, M. El Mostafa Sahel, a remis, mercredi à New York, au Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon, le document portant « Initiative marocaine pour la négociation d’un statut  d’autonomie pour la région du Sahara» (…). Le Maroc considère que cette initiative offre « une chance pour la paix et des perspectives prometteuses pour un avenir meilleur, basé sur la stabilité, la sécurité, la démocratie et la prospérité de l’ensemble des pays du Maghreb [l’UMA]», (…) affirmant que le Royaume considère que «la dynamique engendrée par cette initiative offre une chance historique pour régler définitivement ce différend qui n’a que trop duré." "Le projet marocain d’autonomie du Sahara remis à l’ONU", www.yabiladi.com, p.1. En témoigne l’état crédible, selon MAP, du développement des provinces du Sud par le Maroc, depuis 1975. Pour ce qui est des droits économiques, sociaux et culturels, M. Sahel relève [en réponse la polémique stérile adverse] que « le Royaume a consenti des efforts colossaux dans les infrastructures et dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du logement ».  -  "Sahara: Une polémique stérile", L’Opinion, Vendredi 11 Avril 2008, p.3. 
      Inscrit en filigrane dans les romans marocains d’expression française (les RMEF), une telle initiative unioniste, géo-historique et démocratique ne peut nullement nous surprendre.  Or, tel que l’explique Guy Scarpetta, il existe une fonction informative capitale des romans de nos jours: "On ne voit guère pourquoi nous irions chercher dans des romans des informations sur l’histoire de notre temps que nous pouvons trouver, par exemple, dans la lecture des journaux… Mais surtout parce que ceci [le roman], peu à peu, s’est imposé: la fonction capitale du roman moderne [v. les RMEF], ce n’est pas d’ « illustrer» par un récit une conception du monde ou de l’histoire déjà élaborée; mais plutôt de révéler, par ses voies spécifiques, « ce que seul le roman peut dire »…""Ce que seuls les romans peuvent dire", LE MONDE DIPLOMATIQUE, Mars 2003, p.30. D’où:
        
        II- L’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RMEF:

        Parallèlement, les RMEF manifestent de leur côté,  sur le plan référentiel (références toponymiques collective et personnelle) et spatio-temporel (géo-historique) la dynamique du projet d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, arrivée au quatrième round des négociations entre le Maroc et le Polisario (secondé par l’Algérie), tenu du 11 au 13 mars 2008, à Manhasset, entre le Maroc et le Polisario, processus ayant acquis l’unanimité du CS de l’ONU. Dans une optique romanesque, Abderrahman Tenkoul écrit: "Francastel  avait raison de remarquer qu’il n’y a pas  de « représentation » plastique de l’espace [v. le Sahara marocain] qui s’écarte d’une  appréciation intellectuelle et sociale des valeurs [l’idéologie unioniste marocaine du statut négociable d’autonomie au Sahara]». On peut en dire autant du genre romanesque [les RMEF] où l’espace [l’intégrité territoriale du Maroc] participe d’une organisation des valeurs [le patriotisme, le développement et la démocratie] d’une représentation idéologique de l’écrivain [la référence toponymique collective et personnelle au Sahara[.""Littérature Marocaine d’Ecriture Française", Casablanca, Ed. Afrique Orient, 1985, pp. 156-157. De ce fait, les RMEF préfiguraient implicitement, dès 1960-1984, la récupération et l’autonomie historique et démocratique du Sahara sous souveraineté marocaine. Or, cela s’y opère tantôt selon une référence toponymique collective (voire pseudo-institutionnelle), tantôt selon une référence toponymique personnelle.

       II.1- La référence toponymique collective de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RME:

        En ce qui concerne la référence toponymique collective de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RMEF, on pourrait citer les romans:  "L’oeil et la nuit" (1969) d’Abedellatif Laâbi (né en 1942) et "Légende et vie d’Agoun’chich" (1984) de Mohammed Khaîr-Eddine (1941-1995). Aussi relevons-nous notamment:
      
        A- "« Une cavalcade des Hilaliens et un royaume à délimiter » dans « L’oeil et la nuit » d’Abedellatif Laâbi":

        Dans le RMEF  "L’oeil et la nuit", Abedellatif Laâbi fait une référence toponymique collective à l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine par son allusion aux "Hilaliens" (v. les Awlad Dlaym, Ma‘quiliens) et au "Royaume" du Maroc "à délimiter", face aux hostilités séparatistes des ennemis de son intégrité territoriale : Polisario et conjurateurs. Il s’agit en fait de l’affiliation au fond ethnique sahraoui d’une part et l’autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara d’autre part. A. Jazouli et M. Naimi indiquent en ce sens: "De par leurs modes de vie diversifiés, les Sahraouis [marocains] saturent un espace de production pastorale, d’agriculture et de transit [commercial] qui commence avec le Wad Nun et le Bani au Nord [l’Anti-Atlas] pour s’achever politiquement aux frontières Nord de l’actuelle Mauritanie (…). Dans un premier temps relevons que le mode d’affiliation au fond ethnique ancien n’exclut de toutes les tribus de cet espace que les Awlad Dlaym, Ma‘quiliens d’origine, installés dans le Tiris depuis le XIIIe siècle." – Op.cit., pp.25-26.

       Par ailleurs, Larbi Mezzine précise quant au rapport historique des Hilaliens et des Ma‘quiliens au Sahara marocain: "Après avoir été, au XIIIe et  XIVe siècles, des sujets [citoyens marocains] soumis, pacifiques, vivant à l’état nomade et protégeant le commerce en en tirant profit, les Arabes Ma‘quil ont, à partir de la fin du XIVe siècle, commencé à exercer leur pression sur le sédentaires (…).
       A la fin du XVIe siècle, le cycle hilaliens [des Hilaliens] est clos après avoir abouti à l’installation des tribus Ma‘quil [les Awlad Dlaym] au Tafilalet [au Sahara], et à l’arabisation des populations des oasis du Sud-Est marocain. " "Le Tafilalet", Casablanca, Ed. Najah El Jadida, 1987, pp. 274-275. D’où cette référence toponymique collective dans le RMEF d’A. Laâbi:

       + "Une cavalcade de Hilaliens [devanciers des Awlad Dlaym, Ma‘quiliens] ayant la haine de la rosace et de l’arabesque [hostiles aux mœurs sédentaires].
          A mille miles la caravane aux prises avec l’enclume [l’idéologie séparatiste entre le marteau de l’enclume]. Les clowns hélant les arrière-gardes [les conjurateurs du Polisario]. La distance creusée entre nous [le conflit fomenté par le colonialisme]. Jonchée de masques [de contrevérités], tessons d’artillerie [dégâts militaristes et de mutilés], angulaires d’échafaudages [les chaniers de l’UMA bloquée].
        Bientôt sortiront les canins [les colonialistes et les conjurateurs du Polisario]. Un royaume [le Maroc] sera délimité [v. l’« Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie du Sahara »]. Des nombres [de citoyens marocains sahraouis] viendront grossir les nombres [de citoyens marocains]. Les sirènes cracheront la fin [du conflit factice dans la région].
        Tête d’enclave [Un prélude pour les presides].
        Atlas [le Maroc] soulevant la race [la marocanité du Sahara autonome]." (p.49).

        B- " « Les Aїt Ba Amrane et Al-Hiba contre Haїd Moys et les Espagnols »  dans « Légende et vie d’Agoun’chich » de Mohammed Khaîr-Eddine":

          En effet, la référence toponymique collective à l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine est également lisible dans le RMEF: "Légende et vie d’Agoun’chich" de Mohammed Khaîr-Eddine", par l’évocation de la résistance des Aїt Ba Amrane (en 1957) et du cheikh Ma al Aynayn (1830-1910) et son fils Ahmed Al-Hiba (m. en 1919) ayant défendu en vain (en 1910-1912) le roi Moulay Hafid (1875-1937) et tout le Maroc contre les colonisateurs franco-espagnols et leur collaborateur Haїd Moys confirme fictivement avant le terme le projet de « l’Initiative marocaine d’autonomie du Sahara », actuellement en pourparlers à Manhasset, entre le Maroc et le Polisario, secondé par l’Algérie et les partisans de l’idéologie séparatiste dans le monde. "Ami [Ma el Aїnine] de Moulay Hassan Ier (1830-1994), de Moulay Abd et Aziz [1978-1908], de Moulay Hafid  [1875-1937], rapporte Jean Wolf, personnalité d’airain (…), il défendit l’Islam à la fois en Mauritanie et au Maroc (qui reconnaissaient, grâce à lui, la même autorité chérifienne [le Trône alaouite]), lutta contre la « pénétration pacifique » du spécialiste des affaires maraboutiques, Xavier Coppolani, venu d’Algérie (…).
         
        L’année suivante, Ma el Aїnine essaye en vain de marcher sur Fès à la tête de ses hommes  aux voiles bleus [référence toponymique collective] pour venir au secours de Moulay Hafid en difficulté [référence toponymique personnelle], et, le 23 juin 1910, il est mis en déroute par les troupes du général Charles-Emile Moinier (…) Les yeux fixé à l’horizon incandescent [de Tiznit], il expire quelques semaines plus tard. Il laisse sa succession à son fils Ahmed el Hiba (…). Il [A. el Hiba] mourra à Kerdous le 23 juin 1919, passant le flambeau de la résistance à ses frères Rebboh et Niama, qui, (...) mèneront une guerre désespérée grâce à laquelle l’Anti-Atlas gardera fièrement son autonomie [v. Sahara] jusqu’en 1934." "L’Epopée d’Abd El Khaleq Torrès", Casablanca, Ed. Ediff-Balland, 1994, pp.97-98. Le RMEF de M. Khaîr-Eddine en relate:

         +  "Aїt Ba Amrane [de Sidi Ifni et du Sahara, en 1957], réputés invincibles, étaient d’excellents stratèges. Haїd Moys [traître à la patrie] donna aveuglément dans le traquenard qu’ils lui avaient tendu. Ils laissèrent approcher ses troupes, leur livrant même l’accès de leur montagne, véritable goulet d’étranglement au sud-ouest de Tiznit [référence toponymique collective], puis ils les encerclèrent et les taillèrent en pièces (…). Cet échec partiel ne gêna nullement les plans du colonisateur. Au contraire, il multiplia ses alliances avec d’autres caїds [référence toponymique personnelle]. Quelques mois plus tard, il bombarderait les villages et les souks de l’Anti-Atlas accrochés vulnérablement à la roche nue." (p.91). Ou encore:
 
        "Pourtant certains dissidents n’avaient encore déposé les armes. Le plus grand d’entre eux, le caїd Najam Lakhsassi, [référence toponymique personnelle] tentait de mettre sur pied une armée de libération (…). A vrai dire, il fondait tous ses espoirs sur une lutte armée de caractère révolutionnaire. Ne s’était-il pas opposé aux harkas du Glaoui [1875-1956] dans le Haouz et sur le plateau de Marrakech [référence toponymique collective] et n’avait-il pas été le chef de guerre d’Al-Hiba [référence toponymique personnelle] ?" (p.155).
    
          Du fait, la référence toponymique collective de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RME a pour pôle les « Hilaliens/ Ma‘quil-les Awlad Dlaym » dans le RMEF d’A. Laâbi et « les Aїt Ba Amrane/ les Ma el Aїnine » dans le RMEF de M. Khaїr-Eddine, luttant de façon quasi autonome contre l’occupation franco-espagnole du Maroc et pour la sauvegarde du trône alaouite (1905-1934).
        C- " « L’hymne du Polisario »  dans "L’enquête au pays " de Driss Chraїbi ":
        Par ailleurs, la référence toponymique collective pseudo institutionnelle de la contestation de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine est incarnée ironiquement dans le RMEF "L’enquête au pays" de Driss Chraїbi, qui  au lieu d’une référence toponymique collective unioniste, se réfère à une institution politique séparatiste « le Polisario » et à « son hymne» (postiche)  d’un Etat fantomatique fantoche  (la RASD),  blotti dans le giron algérien, sur un sol étranger: Tindouf. Or, comme le préconisent A. Jazouli et M. Naimi: "L’apparition d’un parti séparatiste pro-espagnol montre l’intérêt qu’il y avait à spécifier la nécessité d’un front rgaybi de libération [référence toponymique collective pseudo institutionnelle]. Nous pourrons ainsi repérer une stratégie proprement idéologique dès lors que sera élaboré sur le même modèle le F. Polisario [en 1973]. Un raisonnement cohérent concernant les objectifs de la pratique séparatiste en rupture avec les stratégies unionistes [référence toponymique collective], fonctionne comme dispositif de simulation comportant son efficace [démagogique] propre." - Op.cit., p.29. Aussi relève-t-on dans le RMEF de D. Chraїbi à ce sujet:
        + "Il [le paysan de l’Anti-Atlas] dit avec la voix de la destinée:"
           - La terre s’est secouée il y a quelques années [en 1960], là-bas, loin d’ici, dans une ville de la plaine et de la montagne. Son nom était Agadir, je crois bien, d’après ce que les nomades du Sahara [référence toponymique collective] ont raconté (…).
         C’est à cet instant-là qu’intervint l’inspecteur [de police Ali], comme un coup de feu (…). Il avait fait ses armes dans nombres de manifestations urbaines, en civil, et il savait comment manier le gourdin ou la barre de fer contre les forces de l’ordre. Rien de plus facile ensuite que de noyauter le groupe de meneurs pour les attirer dans un traquenard. Il connaissait toutes les ruelles de la médina, il y était né, y avait grandi, y avait appris sa vie d’homme. Il avait tout pour lui: un vocabulaire argotique capable de faire dresser les cheveux sur la tête d’un Marocain, un costume râpeux, une tête de miséreux. Il chantait [par vigilance sécuritaire] aussi bien l’Internationale en arabe que l’hymne  palestinien ou celui [de la RASD fantoche] du Polisario [référence toponymique pseudo institutionnelle]. (pp.120-121)       
        De la sorte, la référence toponymique collective à l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine se polarise ici autour de l’ethnie tribale: «les Hilaliens/ les Awlad Dlaym-Ma‘quil » dans le RMEF d’A. Laâbi, «Aїt Ba Amrane/ les Ma el Aїnine » et la référence toponymique pseudo institutionnelle dans le RMEF de M. Khaїr-Eddine autour de « les nomade du Sahara/ l’hymne du Polisario » dans le RMEF.

       II.2 - La référence toponymique personnelle de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RME:
      
        De plus, la référence toponymique personnelle de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RME, met en relief le poids des élites tribales, des notabilités et des leaders historiques locaux et nationaux et des monarques tant sur le plan sociopolitique qu’économique.
      "Cette façon d’envisager le projet régional [d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine], pensent Jazouli et Naimi, relativise  le poids des élites politiques (partis politiques) qui considèrent la structure des oppositions traditionnelles comme un exemple de coexistence tribale dans un cadre  de cohésion nationale en formation [en devenir] (…). Dans ce cas, les facteurs endogènes (les conflits entre notabilités locales [référence toponymique personnelle]), opèrent sous la forme d’exigences conflictuelles formulées envers le projet de région lui-même et l’administration centrale [référence toponymique pseudo institutionnelle] (…). La fonction politique des notabilités elle-même y est souvent confondue  avec les fonctions économiques et sociales. D’ailleurs, c’est toujours la typologie de cette confusion qui permettra de distinguer parmi ces notabilités entre assistés et valeurs sûres. La confusion des valeurs au niveau des institutions  renvoie en principe à des régimes de contrôle plus ou moins direct [le statut d’autonomie élargie]. "- Op.cit., pp.30-31. C’est aussi ce que révèle le RMEF de T. Ben Jelloun dans:

      + "«Ma el Aynayn un chérif en bons rapports avec la dynastie alaouite » dans « La prière de l’absent » de Tahar Ben Jelloun:
       
         Historiquement, Ma el Aynayn (1830-1910) fut un fidèle serviteur du trône alaouite et de la patrie marocaine. "En avril 1905, relate J. Wolf, Ma el Aїnine encercle le Français [Xavier Coppolani venu d’Algérie], qui est tué, à Tidjikja lors d’un engagement meurtrier. Approuvant hautement l’attitude patriotique de Haj Mohammed Torrès, il refuse, à son tour, à son tour avec vigueur le traité d’Agésiras et devient le seigneur incontesté du Sud saharien allant de la plaine du Sous jusqu’à Chenguitti (actuelle Mauritanie). Il déclare être un descendant de la dynastie Idrisside (…) et s’oppose à toute pénétration étrangère au Sahara occidentale [en 1909] (…). L’année suivante Aїnine, Ma el Aїnine essaye en vain de marcher sur Fès à la tête de ses hommes aux voiles bleus pour venir au secours de Moulay Hafid [le roi du Maroc] en difficulté, et, le 23 juin 1910, il est mis n déroute par les troupes du général Charles-Emile Moinier."  - Op.cit., p.98. Dans le RMEF de Ben Jelloun, son histoire est raconté à l’enfant par Yamna comme suit:

        + "Après le dîner, Yamna s’isola avec l’enfant et reprit l’histoire du saint cheїkh Ma al-Aynayn [référence toponymique personnelle]. Il l’écoutait à la lumière d’une bougie.
         Ma al-Aynayn était un chérif, un descendant de la noble famille du prophète. Préféré de son père, il prit très vite son indépendance et, à l’âge de vingt-huit ans, il décida d’aller en pèlerinage à la Mecque (…)!  
         Il s’est arrêté cependant à Marrakech et rendit visite à Sidi Mohammed [1909-1961], futur roi du Maroc. A Meknès, il fut reçu par le sultan Moulay Abderrahman [1789-1859], qui ordonna à son représentant à Tanger d’organiser dans les meilleures conditions le voyage en Orient du jeune cheїkh (…). Comme tu vois, il entretenait de bons rapports avec la dynastie alaouite (…). Ma -al-Aynayn tomba malade au moment du retour. Il séjourna à Alexandrie et ne revint à Tanger que cinq moi après. En rentrant à Saquiat el Hamra, il passa par l’oued Noun et Tindouf [le no man’s land actuel du Polisario en Algérie]." (pp.96-97).
        
         + "« Ma -al-Aynayn garde des frontières du royaume  de Moulay Hassan Ier et fondateur de Smara» dans « La prière de l’absent » de Tahar Ben Jelloun:
       
      Ma -al-Aynayn crée un lieu sédentaire pour tout le Sahara où vivent ses disciples comme une référence toponymique personnelle de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, dans les RME."Au Nord, rappelle Rita Aouad,  les guerres entre Rgueїbat et Tadjakants  aboutissent à la destruction de Tindouf prise en 1896, et à l’exode des Tadjakants, dispersés entre le Sud marocains et l’Afrique noire [référence toponymique collective]. Un des indispensables chaînons de cet itinéraire disparaît ainsi, que ne compense que très modestement la construction de Smara par Ma el Aїnin dix plus tôt [1886], trop tard  venue, étant donné le contexte économique, pour atteindre la prospérité de Tindouf. Quelques Tekna vont néanmoins fréquenter Smara, mais le climat tendu qui prévaut entre Tekna et Ahl Ma el Aїnin semble peu propice au développement d’une activité centrée sur la ville du Cheїkh [référence toponymique personnelle].""Les réseaux marocains en Afrique à l’époque coloniale", Maroc Europe, Op.cit., p.102. Cela reparaît dans le même RMEF de Ben Jelloun:

       + "Le cheїkh [Ma –al-Aynayn] savait ce qui menaçait son pays (…). Il soupçonnait les appétits des Chrétiens d’Espagne et de France et ne se faisait pas d’illusions sur leurs desseins.
          Il s’installa avec sa famille à Saquiat el Hamra, et fit bâtir une maison de pierres : « Dar el Hamra », qui devint une zaouia. Son pouvoir s’étendit et se renforça. Le sultan Moulay Hassan Ier [1830-1894] confia au cheїkh une responsabilité politique: la garde des frontières sud du royaume entre Dakhla et le cap Juby [Tarfaya], avec bien entendu tous les territoires qui les séparent [référence toponymique personnelle]. "(p.120) . Ou encore:
       
       + " Il [Ma - al-Aynayn] "rassembla ses enfants et leur dit : « …J’ai décidé de fonder une ville avec une mosquée pour les fidèles et un lieu pour les armes. Cette ville sera notre lieu, notre source et notre destin (…). »
      Il a fallu cinq années de travaux en plein désert pour construire la ville de Ma - al-Aynayn : Smara. Une ville élevée sur un lit de jonc (…). « Elle ne sera pas un lieu de sédentaires [répond-il à un guerrier reguibet], mais un une source et une étape pour les nomades qui viendront de Tindouf [alors sol marocain] où vivent nos disciples, de Tarfaya et de tout le Sahara. Et puis en face de Smara s’étend la route des caravanes qui relie l’oued Noun à Adrar et Tiris [référence toponymique collective]. Rassure les  Reguibet et transmets-leur mon salut [référence toponymique personnelle].» (pp.120-121). Ou enfin:

        + "«La tombe de Ma -al-Aynayn n’est pas à Smara mais à Tiznit» dans « La prière de l’absent » de Tahar Ben Jelloun:

       Pourtant, la référence toponymique personnelle de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, dans les RME, atteint son apothéose dans la tombe du cheїkh unioniste Ma al-Aynayn (m. en 1910), située à Tiznit et non dans la ville de  Smara qu’il avait lui-même fondée (1886). Dans cette perspective, J. Wolf observe prophétiquement:"A bout de forces, le surhomme [Ma al-Aynayn] épuisé [après  sa défaite face au général Moinier], qui avait surgi de l’immensité du Sahara [référence toponymique personnelle], et à qui la ferveur populaire avait donné affectueusement le surnom poétique de « sultan bleu » [référence toponymique collective], se réfugie dans la belle cité de Tiznit, aux portes de ce désert dont il a tant chéri les vagues pétrifiées, ces dunes aux remous immobiles, l’étendue rêveuse du sable, pure vision d’un mirage où il perçoit comme dans un rêve le survol des siècles disparus. Les yeux fixés sur l’horizon incandescent, il expire quelques semaines plus tard [1910]."  - Op.cit., p.98. Cela apparaît ans le RMEF de T. Ben Jelloun en ces termes:

       + "Abattu [par la défaite de 1910], désespéré, cheїkh Ma al-Aynayn voulait mourir au Sahara. Il s’installa dans un profond silence (…). Il mourut dans son sommeil, la nuit du vingt-troisième jour d’octobre, la dixième année de ce siècle (XXe siècle). Sa tombe n’est pas à Smara mais à Tiznit. Son fils, El Hiba [m. en1919], reprendra quelques plus tard la résistance. Il fut appelé, comme on dit, par les sables qui l’enroulèrent dans leurs dunes et le silence. "(p.193). 

 Concernant, la référence toponymique personnelle de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine dans les RME, il faut souligner sa polarisation autour de personnages historiques leaders populaires du «cheїkh Ma al-Aynayn/ son fils Ahmed al-Hiba, etc. » et des monarques du Maroc alors en lutte pour préservation l’intégrité territoriale du Maroc autour de « Moulay Hassan Ier, Moulay  Abd el Aziz, Moulay Hafid, Mohamed V, etc. ». 

 En conclusion, par-delà les documents de l’historicité génératrice de l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, de l’historicité de l’autonomie du Sahara de nos jours sous souveraineté marocaine, augurant implicitement de « l’Initiative du statut d’autonomie négociable du Sahara », initié par le Maroc à l’ONU et des pourparlers à Manhasset avec le Polisario, les RMEF d’A. Laâbi, de M. Khaїr-Eddine, de D. Chraїbi et de T. Ben Jelloun, par leurs historicités originelle et de nos jours, leurs références toponymiques collectives et personnelles affirment la solidité géo-historique, économique,  ethno-culturelle et politique d’une telle solution au conflit anachronique  et obsolète, artificiellement entretenu dans la région de l’UMA. "La forme que revêtira la région, constitutionnellement consacrée, affirment A. Jazouli et M. Naimi, est mise sur l’Agenda des pouvoirs publics [v. statut d’autonomie négociée à Manhasset, en 2008]. La recherche de cette forme est intéressante quant à l’institution régionale conçue comme collectivité décentralisée surtout que l’expérimentation débutera dans les provinces sahariennes récupérées [en 1975].
  La recherche du devenir semble largement tenir compte des acquis historiques [historicités originelle et actuelle] à partir d’un espace [références toponymiques collective et personnelle] que ne dicteront plus de simples considérations statistiques [mais humaines]." - "LA RÉGION : ET SI LE PASSÉ RÉPONDAIT DE L’AVENIR ?", Maroc Europe, Op.cit., p.20.

                                              Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED

          
         
         

domingo, 12 de enero de 2014

PTE ANTHOLOGIE DES CONTES DE TOUS LES CONTINENTS




Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED






PETITE ANTHOLOGIE
DES CONTES DE TOUS LES CONTINENTS



      



Tétouan
2013





PRÉFACE
   Dans «Petite anthologie de tous les continents», on ne pourrait prétendre en donner une représentation exhaustive dont le lecteur du monde pourrait se faire une idée complète, en ce début du troisième millénaire. Le choix de contes qui s’y trouvent inclus n’est dicté par aucune orientation préalable, ni discriminative et ne doit son existence qu’au hasard de la rencontre et au souci d’un bref témoignage littéraire d’un contage oral en voie d’extinction et d’un contage écrit en voie de substitution scripturaire ou de création contemporaine novatrice ou cristallisatrice en devenir.     

    Dans cette optique, Monique Leclerc écrit : «Comment expliquer l’existence de contes semblables dans tous les pays du monde? Propp, qui déjà a abordé ce problème dans Morphologie du conte (1928), le traite à travers une vaste enquête historique ethnographique, mythologique, dans les Racines historiques du conte merveilleux.

    En confrontant les contes aux institutions sociales du passé, il conteste la coïncidence qui existe entre les motifs permanents des contes et les rites des sociétés primitives. Le conte merveilleux se rattacherait, génétiquement  d’initiation, rite essentiel des cultures archaïques, lié aux conceptions de l’au-delà et aux «pérégrinations» dans l’autre monde. Un rapport entre le conte et les religions a déjà été envisagé depuis longtemps, mais Propp établit une comparaison extrêmement riche et complexe entre le matériel du conte et le matériel du rite.

    L’analyse porte sur des centaines de contes de tous les pays allant de la Russie à la Nouvelle Zélande, donnant une grande importance aux récits et mythes amérindiens, africains, océaniens,, englobant la mythologie de l’Egypte ancienne, de la Grèce, de l’Inde… ainsi que des contes esquimaux ou scandinaves.»  - «Les contes : publications récentes», in «Le Français aujourd’hui», n°68, décembre 1984, p.74.

    Espérons que cette modeste initiative de cette anthologie limitée concernant les contes d’Afrique, d’Asie, d’Europe, d’Océanie et d’Amérique,  puisse être suivie d’autres, versant dans le sens d’une meilleure connaissance de notre humanité planétaire passée, présente et future.

                                            Dr. Mohammed SOSSE ALAOUI



















(1)

CONTES D’AFRIQUE :

Haute-Volta :
Burkina Faso
Sénégal
Mali
Maroc
Tunisie







La femme qui fondait au soleil
(Conte de la Haute-Volta : Burkina Faso)

      «C’est une femme qui ne pouvait pas avoir d’enfant. Alors un jour, elle partit s’asseoir au bord d’un puits et se mit à pleurer.
      Le puits lui demanda pourquoi elle pleurait. Elle lui expliqua. Alors le puits lui donna une graine de karité et lui dit d’aller la mettre dans un canari, dans une semaine elle aurait des enfants.
       Mais il fallait faire attention, car si elle mettait cet enfant au soleil, il fondrait. La femme remercia le puits et exécuta son conseil.
       Une semaine passa et…  la femme eut une fille. Elle grandit et elle était si jolie que tous les enfants du village en tombèrent amoureux.
       Un jour, un jeune garçon du village demanda la main de la jeune fille à sa mère. La mère refusa. Mais le garçon insista tellement que la mère, finalement lui céda, à une condition, il ne fallait jamais la mettre au soleil, sinon elle fondrait.
       Comme elle était trop fragile, elle ne pouvait pas faire de travaux. Alors une co-épouse, jalouse, envoya la jeune fille étaler du mil sur la terrasse. Et voilà qu’elle commença à fondre… fondre… fondre.
       Son mari, ayant des soupçons, rentra. Et il eut juste le temps de la sauver. Le lendemain, il repartit à la chasse et… pendant ce temps, la co-épouse demanda à la jeune fille de monter étaler le mil sur la terrasse. La jeune fille commença à fondre. Elle fondit, fondit…  Et le mari arriva trop tard. La jeune fille était morte!
      Il ne restait plus qu’une tache d’huile sur le sol, seule trace de la jeune fille. » -

                                   D’après François Ruy-Vidal,
                            «Le Français aujourd’hui - 68» (Edit. C.N.L.)


Le cœur du  baobab
(Conte du Sénégal)

       Lorsqu’elle entre dans la case de sa mère, Mariam a le cœur qui lui fait mal, tant il cogne dans sa poitrine. La lampe à pétrole, posée par terre à côté d’une malle, éclaire l silhouette de sa mère, assise sur le lit, face au mur et tournant le dos à la porte. Entendant du bruit derrière elle, cette dernière se retourne et essuie son visage. Binta a les yeux rouges à force d’avoir pleuré.
      Se forçant à sourire, elle invite sa fille à s’asseoir. Elle va farfouiller dans la cantine en fer au pied de son lit et en extirpe un morceau de tissu soigneusement plié. C’est un coupon de wax vert à motifs bordeaux que Mariam n’a jamais vu. Binta s’assied à côté d’elle, pose le coupon sur ses genoux et se met à le lisser en parlant.
        « - sais-tu pourquoi les troncs de baobabs sont si gros, ma fille ? » lui demande-t-elle d’une voix enrouée.
      Mariam qui a baissé la tête, lève son regard triste vers sa mère et secoue lentement la tête.
     « - Les baobabs ont un tronc très gros parce qu’ils contiennent des histoires et des secrets. Le baobab qui est à l’entrée de notre village est énorme parce qu’il renferme dans son tronc toute la mémoire de ce lieu depuis sa création. Il connaît l’histoire de Sidia, qu’on croyait mort dans la brousse et qui réapparut deux mois plus tard, celle d’Amadou qui trouva un matin son vélo orné d’un gros nœud rouge devant sa case, celle de Khady qui épousa un djinn, celle d’Ousmane qui captura un caïman à mains nues et toutes les autres jusqu’à celle du fondateur du village.»
       Binta reprend son souffle et poursuit :
        « Notre baobab est généreux, tu sais? Il est prêt à partager son savoir avec qui veut bien l’écouter. Alors j’ai glissé ce coupon de tissu entre ses racines et je l’ai laissé là toute une nuit, pour qu’il recueille tous ces secrets et toutes ces histoires. C’est mon cadeau pour l’enfant dans ton ventre. Quand tu l’envelopperas dedans, ce pagne lui contera les histoires du village. Ton petit connaîtra les siens, ton petit saura d’où il vient. Et peut-être… Peut-être que ce pagne lui parlera de moi, aussi.»
      Sa voie se brise sur ces derniers mos. Elle tend le tissu à sa fille et se remet à pleurer. Parce que Mariam s’en va. Sa fille unique quitte le village ce soir. Elle part pour Dakar rejoindre Moktar, le futur père du bébé, l’homme qu’elle a toujours aimé, l’homme à qui son père a refusé sa main. Pourtant Moktar a réussi, Moktar a fait son chemin dans la vie, Moktar est un bon parti. Mais  il est descendant de forgeron et pour le père de Mariam, chef du village et héritier d’une lignée de notables, il est indigne de sa famille.
        Maria s’en va. C’est sa mère qui lui a suggéré, le jour où Mariam lui avait avoué qu’elle attendait un bébé. « Va-t’en le rejoindre!» lui avait-elle dit. « J’ai de quoi payer ton voyage, va donc le rejoindre!» Mariam avait pleuré. Et ce soir donc, Mariam sanglote dans les bras de sa mère. Mariam s’en va. Elle qui n’a jamais quitté son village, elle qui n’a jamais désobéi à son père, elle qui ne s’est jamais éloignée de sa mère va prendre le bus pour la capitale. Elle ne reviendra pas. Elle sait bien qu’on ne lui pardonnera pas. Elle sait bien que l’honneur n’a pas de prix.
      Mariam s’en va et ça lui déchire le cœur de quitter sa mère. Sa mère qui n’a qu’elle dans la vie, sa mère qui est la risée de ses coépouses, celle qu’on blâmera quand on découvrira la fuite de Mariam.  C’est toujours les mères qui paient le prix des actions de leurs enfants. Mariam s’agrippe à sa mère et laisse échapper une plainte sourde. Binta la serre contre elle et lui chantonne une berceuse en lui caressant les cheveux. Sa voix tremble mais chante jusqu’au bout. Puis elle s’écarte un peu, essuie les joues de sa fille et cherche son regard.
      Elle égrène une prière puis des vœux à haute voix pour sa fille qui répond «amin» à chacun d’entre eux. Quand elle a fini, elle lui dans un souffle qu’elle l’aime qu’elle veut qu’elle soit heureuse. Puis elle se penche sous son lit et en retire un petit sac qui contient tous ses économies. Refermant les doigts de sa fille dessus, elle lui sourit. Elle caresse son ventre et lui dit : «J’espère que ce sera une fille !»
      Mariam a les yeux douloureux. Elle regarde attentivement sa mère, elle enregistre ses rides, ses cheveux blancs que ne cache pas bien un foulard posé de travers sur sa tête, ses gris-gris pris dans tresses plates, la brillance de ses yeux, son sourire fatigué et ses mains noueuses. Elle promet de lui écrire, elle promet de la faire venir  Dakar, quand elle sera installée. Elle promet d’utiliser le pagne et elle remercie encore.
    Binta se lève, se dirige vers un coin de sa case et revient donner à sa fille un paquet qui contient de la nourriture et une grande tasse en plastique munie d’un couvercle, qui renferme du lait caillé. « Pour le voyage!» lui dit-elle. Puis elle soupire, va vers la porte, écarte le rideau qui barre l’entrée de sa case et regarde à l’extérieur. Il fit nuit noir et la voie est libre. Elle fait signe à sa fille qui la rejoint, l’embrasse longuement sur le font, la serre encore très fort et la pousse en murmurant : «Va, maintenant!» 
     Marian s’en va. Elle serre le pagne de sa mère contre elle, saisit son baluchon qu’elle avait posé près de la porte, puis se coule dans l’obscurité. Elle les jambes raides. Elle contourne la case de sa mère, jette un regard par la petite fenêtre qui donne sur le verger derrière la case et voit sa mère aller se rasseoir sur son lit, les yeux dans le vague, les larmes coulant doucement sur ses joues. Son cœur se serre à l’idée de renoncer lui traverse l’esprit. Mais elle remarque que sa mère sourit aussi.
    Alors elle s’en va, le cœur et le ventre pleins d’espoir et de promesses. Elle pense au bébé qu’elle porte, elle pense à Moktar qui l’attend, elle pense à sa vie à Dakar et elle s’interdit de pleurer. Elle ne se retourne qu’une fois, pour regarder la majestueux baobab qu’elle devine dans le noir. Puis elle hâte le pas et rejoint la route loin des regards.»

                                                        «Le cœur du  baobab»
                                                                       www.tasticottine.fr
  


Le prix de la méchanceté
(Conte du Mali)

    Il était une fois un homme qui s’appelait Kélénako. Dieu avait fait de lui un homme riche : il possédait en grand nombre des ânes, des vaches, des moutons et des chèvres. Il avait également d’immenses réserves de nourriture, au point qu’il ne savait pas quoi en faire. Il n’avait qu’une seule sœur, Lafili, qui avait épousé un homme d’un autre village. Dans ce village, appelé Nianibougou, Lafili, son mari et leurs enfants vivaient misérablement et souffraient souvent de la faim.
     Un jour, Lafili décida de se rendre chez son grand-frère pour lui demander un peu de mil. En effet, cela faisait trois jours que ses enfants n’avaient presque rien mangé. Lafili marcha pendant quatre jours, accompagnée de son plus jeune fils. Arrivée chez son frère, elle fit les salutations d’usage, puis lui dit :
     - Grand frère Kélénako, me voilà aujourd’hui devant toi. Je ne suis pas en paix, je suis malheureuse. Je n’ai plus rien à donner à manger à tes neveux. Nos proverbes disent : « Que l’on trouve du bois ou que l’on n’en trouve pas, tout le monde sait que c’est dans la brousse qu’on doit le chercher». On dit aussi que «Quand les yeux tournent de droite à gauche dans leurs orbites, c’est qu’ils cherchent un visage qui leur serait familier». Notre grand-père disait enfin : «Mieux vaut se faire tuer par sa propre vache que par celle d’autrui». Je suis venue pour te demander un peu de mil.

     A ces mots, les yeux de Kélénako rougirent comme du sang. Il répondit :
     - Lafili, tu es venue ici, c’est normal. Tu as des problèmes, c’est certain. Quant aux miens, je ne peux même pas les raconter. Je n’ai chez moi aucun grain de mil, si petit soit-il! La nuit passée, nous nous sommes couchés sans rien manger. Il ne faut pas m’en vouloir mais je ne peux vraiment rien pour toi. Il ne faut même pas traîner par ici. Le cœur triste, Lafili retourna sur ses pas en compagnie de son enfant.
     Immédiatement après son départ, Kélénako se leva et éclata de rire. Il rit beaucoup. Il rit tellement qu’il en pleura. Il s’approcha de ses greniers de mil et s’exclama :
    - Eh ! Moi Kélénako ! Que je suis heureux ! Un grenier, deux greniers, trois greniers quatre greniers, cinq greniers… Eh !! Impossible de tous les compter. Ils sont tous remplis de bon mil. Ce n’est à personne d’autre qu’à moi! Je suis béni ! C’est là et ça ne finira jamais ! Ma petite sœur est venue me demander du mil. Je lui ai juré n’avoir aucun grain chez moi. Je l’ai bien eu! C’est ça que j’aime faire : être méchant avec les gens. Pour être vraiment méchant, il faut commencer par l’être sans réserve avec sa famille. Comme cela, on n’hésite même plus avec les autres. Pour se faire craindre par ses semblables, il ne faut vraiment pas hésiter à aller jusqu’à gifler un cadavre sous leurs yeux.
       Sur ces mots, Kélénako se faufila entre ses greniers en riant aux éclats. Tout en se promenant, il continua à faire l’éloge de la méchanceté. Soudain, il sentit une vive douleur à sa colonne vertébrale. Il eut l’impression que son corps s’étirait petit à petit. Horrifié, il constata que ses membres inférieurs s’allongeaient. Tout son cops se mit à le faire souffrir et la douleur devint vite insupportable. Il poussa un hurlement et toute sa famille accourut vers lui.
     Alors, sous les yeux de ses femmes et de ses enfants, Kélénako se métamorphosa en un gros serpent. Seule sa tête resta intacte. Il s’adressa alors à sa famille :
     - Allez me cacher dans ma case. Faites tout pour que mes ennemis ne sachent pas que je me suis métamorphosé. Que s’est-il passé ? Je vais vous le raconter… Ma petite sœur vient de partir à l’instant. Elle m’a supplié de lui donner un peu de mil et je l’ai chassée en lui disant que je n’avais rien. Mes enfants, qu’aucun d’entre vous ne fasse plus jamais du mal à une de ses sœurs.
    Jusqu’à aujourd’hui, les bambaras ont une grande considération pour leurs sœurs. Tout le monde sait que la méchanceté ne reste jamais impunie.

                                         «Le prix de la méchanceté»
                                                       www.donniyakadi.over-blog.com
  


Petite massue !... fais ton travail !
(Conte du Maroc)

    Dans une misérable cabane vivait un pauvre bûcheron chargé d’une nombreuse famille. Dès l’aube, il partait travailler dans les bois. Au crépuscule, on le voyait revenir chargé de fagots. Mais tout cet effort ne lui permettait pas de sortir de la pauvreté, malgré le courage de son épouse qui l’aidait de son mieux à faire vivre leurs enfants.
     Peu à peu les forces du bûcheron déclinaient avec les années. Il n’osait plus s’attaquer aux arbres robustes à fibre serrée et recherchait de préférence les vieux arbres à contexture plus lâche où sa hache fatiguée rencontrait moins de résistance.
     En ce temps-là, il avait découvert au sein de la forêt un très vieux chêne aux rameaux innombrables qui était d’une attaque très commode pour lui. Il y retournait depuis plusieurs jours abattant branche après branche.
      Mais un matin, comme il était en train de s’acharner avec sa cognée contre cet arbre, faisant retentir toute la forêt de ses «hans» sonores, voici que surgit de l’arbre un djinn au regard courroucé qui le terrifia :
       «Qu’est ceci? dit le djinn. Pourquoi t’en prends-tu ainsi à ma maison ? Tous les jours tu viens mettre ta hache sur une de tes branches. Bientôt il ne restera plus de refuge que dans les racines. Qu’est-ce que je t’ai fait?
         - Pardonnez-moi, Monseigneur, dit le bûcheron effrayé. Je ne savais pas vous faire de mal. Si j’ai choisi votre arbre, c’est qu’il est âgé et tendre. Je suis usé par le travail. Mes forces m’abandonnent. Et mes enfants sont encore nombreux  qui je dois la nourriture.
       - C’est bon, dit le djinn. Je vais te faire un cadeau. Mais, après cela, ne reviens plus m’ennuyer. Prends ce moulin. Dis lui : «Moulin, fais ton travail !...» Il te donnera de la semoule. Tu la vendras. Avec le produit de cette vente, tu t’achèteras tout ce qui sera nécessaire à ta femme dans le secret quant aux dons merveilleux de ce moulin auxquels, à vrai dire, il ne croyait pas encore lui-même. Sa femme était aussi sceptique que lui.
          Il posa le moulin à terre sur le drap. Puis lui dit :
          «Moulin, fais ton travail !...»
           Et bientôt le drap fut recouvert d’une montagne de semoule. Les pauvres gens étaient émerveillés. Le bûcheron remplit plusieurs sacs de semoule de pain et de provisions diverses pour la famille.
          Le lendemain, il recommença. Avec le produit de la vente de la nouvelle semoule, il acheta des vêtements pour ses petits, de la vaisselle, des couvertures, etc.
          De jour en jour, leur pauvre maisonnette fut métamorphosée : ses meubles devinrent confortables. Les enfants étaient bien nourris. Ils grandissaient et embellissaient. C’était le bonheur pour tous.
          Or, il arriva qu’en absence du bûcheron, une voisine vint rendre visite à sa femme. Elle s’étonnait de la transformation de ses amis et de leur changement de mode de vie. Curieuse, elle questionna la bûcheronne :
          «Nous sommes heureux de vous voir actuellement tous bien habillés et florissants alors que vous étiez si misérables. Mais que vous est-il donc arrivé? Un héritage?
          - Non. Nous n’avons fait d’héritage.
          - Pourtant votre mari vend chaque jour beaucoup de semoule sur le marché.
          - C’est exact.
          - Où la prend-il?
          - C’est le moulin qui la lui donne.
          - Mais d’où sort-il le blé pour le moulin?
          Acculée, la bûcheronne finit par livrer son secret.
Il suffisait de dire au moulin : «Moulin, fais ton travail !...» et il donnait de la semoule jusqu’à ce qu’on l’arrête.
         La voisine contempla l’instrument, fit un rapport à son mari et lui expliqua son plan pour que la richesse vienne aussi chez eux. Il suffisait qu’il aille au village, qu’il commande un moulin semblable, le rapporte chez lui et emprunte une petite somme pour faire un grand repas.
         A ce repas l’astucieuse voisine invita beaucoup de monde dont le ménage du bûcheron. Toutefois, elle dit à la bûcheronne :
          «En vue de la préparation de cette fête, ne pourriez-vous pas me prêter votre moulin ? Je vous le rendrai le soir même.»
           La bûcheronne ne se fit pas prier. Et pendant que tout le monde se rassasiait de couscous et de gâteaux de semoule au miel, la voisine faisait la substitution des moulins, de telle sorte que, le soir, la bûcheronne ne remporta que la sosie de son moulin.
         Lorsqu’au lendemain, le bûcheron voulut faire de la semoule pour la vendre au marché, il commanda à son moulin :
          «Moulin, fais ton travail !...»
          Mais le moulin resta inerte.
           Le bûcheron demanda des explications à sa femme qui lui dit :
           «Ce moulin a travaillé quelque temps. Actuellement il ne marche plus. Sans doute, le djinn lui avait-il donné une puissance temporaire. Il est arrivé à son terme.»
          Le ménage retomba bien vite dans la misère. On vendit les meubles. On vendit la vaisselle. Finalement, le bûcheron prit son courage à deux mains, décrocha sa vieille hache et reprit le chemin de la forêt. Là, il s’attaqua de nouveau au vieil arbre où habitait le djinn. Celui-ci, furieux, surgit :
     «Encore toi! Je t’avais pourtant donné de quoi vivre!»
      - Monseigneur, votre moulin ne marche plus… Il a travaillé jusqu’à son terme. Maintenant, c’est fini.
      - As-tu bien gardé mon secret?
      - Oui, Monseigneur.
      - Même avec ta femme?
      - Ce n’était pas possible, Monseigneur.
      - Eh, bien, ta femme a dévoilé ton secret et on a changé ton moulin. Interroge ta femme. Invite qu’elle t’indiquera à venir manger le couscous chez toi. S’il n’avoue pas le vol, je te fais encore cadeau de cette petite massue. Tu n’auras qu’à lui dire :
       « Petite massue ! Fais ton métier…»
       « Quant à toi, pars et ne reviens plus me déranger!»
       Le bûcheron rentra chez lui. Il demanda à sa femme si elle avait prêté le moulin. Elle avoua l’avoir confié quelques heures à sa voisine pour l’aider à préparer sa réception. Le bûcheron dit alors :
      «Nous allons rendre cette invitation. Va inviter les voisins ainsi que d’autres amis pour éviter qu’ils aient quelque défiance.»
      Quand les voisins arrivèrent, on les distribua dans deux pièces différentes, les voleurs restant dans la pièce où se trouvaient le maître et la maîtresse de céans.
      On servit un magnifique couscous assorti de légumes et de viande. Au moment d’attaquer le plat, le bûcheron mit sa petite massue sur le sommet du cône de semoule et apostropha ses voisins :
    «Nous vous avons prêté notre moulin. Mais vous nous l’avez échangé avec un autre qui ne marche pas…»
     Les voisins jurèrent en prenant le ciel et la terre à témoins qu’ils n’avaient jamais fait chose pareille!
     Alors le bûcheron dit simplement :
     «Petite massue !... Fais ton métier !...»
      Et la petite massue donna aux voisins une volée de coups qui les mit en sang. Finalement, ils se levèrent et s’enfuirent. Mais la massue les suivit jusque chez eux. Le bûcheron leur cria :
      «Rendez le moulin, sinon il vous frappera jusqu’à la mort !...»
       Tout honteux, les coupables rapportèrent le moulin.
        Et le vieux bûcheron put continuer à faire vivre sa famille en paix, tandis que le djinn s’épanouissait dans son vieux chêne. 

                                              D’après J. Scelles Mille
                         «Deux grains de grenade : Contes du Maghreb»
                                          (Edit. Maisonneuve Larose)


 L’aveugle et la mandoline
(Conte de Tunisie)

      Il y avait une fois un aveugle qui jouait admirablement de la mandoline. La musique était son gagne-pain. Qu’eût-il fait sans son instrument ? Il organisait dans sa petite chambre des soirées de thé pour la jeunesse. Il connaissait d’innombrables airs et d’ailleurs n’avait pas de difficultés à en improviser de nouveaux. Tandis qu’il jouait, les jeunes gens dansaient. Puis on buvait. Quelques feuilles de thé, ce n’est pas onéreux et l’eau est gratuite. On bavardait, on chantait, puis en partant, ceux qui le pouvaient laissaient sur son petit plateau de cuivre quelque menue monnaie qui suffisaient à l’aveugle pour acheter son pain, quelques épices et le peu de charbon nécessaire à son canoun (petit fourneau de terre).
     Un jour, les jeunes, qui ont toujours le goût de l’aventure, entendirent parler d’un château hanté. Ils s’exaltèrent sur le projet d’y emmener  l’aveugle, puisque celui-ci ne saurait rien de l’endroit où on l’attirerait et verrait rien certainement pas les fantômes. Ils s’amusaient cruellement à la pensée d’infirme ainsi aux prises avec les revenants.
     Ils préparèrent quelques gâteaux et quelques victuailles et allèrent de concert trouver le musicien :
     «Ya Baba ! Nous sommes invités à une grande soirée. Veux-tu venir avec nous pour jouer de ta mandoline? Il y aura un bon repas! Tu feras ton thé. Tu mettras ton plateau et nous te garantissons une belle recette !»
       L’aveugle accepta. On l’amena (Dieu sait où les aveugles peuvent être amenés!).
       Les garçons avaient invités des camarades pour grossir le nombre des figurants de la fête et s’amuser avec eux de la bonne farce faite à l’infirme.
       Celui-ci, bien innocent, joua de son mieux. Mais, sans qu’il s’en aperçoive, vers minuit moins dix, les gars s’en allèrent sur la pointe des pieds. Car les fantômes avaient l’habitude de se présenter à l’heure précise de minuit.
       L’infirme, n’entendant plus rien, constata qu’il restait seul et – sans plus se soucier – se drapa dans son burnous, mit sa mandoline par terre, posa sa tête dessus et s’endormit.
     Or, voici qu’à l’heure fatale, une bande de sept femmes en grand voile blanc pénétra dans la salle où dormait l’aveugle. Elles le réveillèrent.
      «Tu es musicien ! dirent les sept sœurs. Continue à jouer, car nous aimerions danser!»
       L’aveugle sentit le parfum qui se dégageait d’elles. Il se mit à attaquer sa mandoline. Et il entendait le bruit cadencé que faisaient les bracelets (Kholkhols) qu’elles portaient aux pieds, d’accord avec les temps de la musique.
      «Puisque tu sais si bien jouer, nechkou ‘alik» (Coutume de placer des pièces d’or au milieu du front des musiciens ou des danseurs pour les récompenser).
      L’aveugle se sentait toucher au front et entendait tomber dans son plateau ce que les danseuses y jetaient.
       A l’aurore, les sept sœurs lui dirent :
       «Reste dans le bien ! Tu nous as bien fait danser !»
       Et l’une après l’autre, elles  se retirèrent.
       L’aveugle palpa alors le contenu de son plateau. C’était des épluchures d’orange. Il sourit avec indulgence et se remit à dormir.
        Mais, au matin, lorsqu’il voulut prendre son plateau sous son bras pour s’en retourner, il était très lourd car les peaux d’orange s’étaient transformées en louis d’or.
        Les jeunes garnements, curieux, arrivèrent :
        «Ya Baba ! Comment as-tu passé la nuit?
        - Je n’ai jamais eu une nuit pareille! De belles femmes chargées de bijoux m’ont rendu visite. Elles ont dansé au son de m mandoline toute la nuit…
Et maintenant, ma fortune est faite. Je n’ai plus besoin de vous…»
                        «Deux grains de grenade : Contes du Maghreb»
                                              (Edit. Maisonneuve Larose)
                                            






















(2)

CONTES D’EUROPE :

France
Allemagne
Finlande
Kirghizstan
Lituanie
Russie-Caucase
Danemark









Les trois petits champs  de la vieille
(Conte de France)

    C’était, il y a quelques années, vers la fin juin, dans un petit hameau du Jura, en pleine montagne perdue. Une route acceptable y conduisait, puisque j’arrivais en automobile. Je n’avais rencontrais personne depuis une heure. Enfin, je m’arrêtai pour trouver de l’eau près d’un de quatre ou cinq maisons, et j’entrai dans la première, légèrement isolée des autres.
     C’était une chétive bicoque. Au fond, j’aperçus, dans un grand fauteuil, une bonne vieille femme, l’air solide encore, avec un jolie sourire sur la bouche et dans les yeux. Elle me dit bonjour, sitôt que j’entrai, sans faire un pas à m rencontre. Je lui demandai la permission de puiser de l’eau dans sa cour ; la paysanne me désigna le seau dans un coin, je remplis mon radiateur et vins remettre en place tout ce que j’avais dérangé.
    Alors la vieille dit, en souriant :
    - Il n’avait pas trop chaud, votre cheval ?
    Je crus qu’elle plaisantait.
    - Ce n’est pas un cheval ! Mais une automobile, il leur arrive aussi d’avoir soif.
    - Une automobile ! Ah ! mon Dieu ! et à ma porte?... Moi qui n’en ai jamais vu !
     Je me mis à rire doucement.
     - Venez voir la mienne !
     - Hélas ! mon pauvre monsieur, ça ne se voit donc pas que je suis infirme ? Voilà dix ans que ça m’a prise et que je suis dans ce fauteuil. C’est une paralysie, bien sûr, et je ne bougerai plus jamais.
        J’apprends que son mari – encore solide mais vieux – travaille quand même de l’aube au soir, dans leurs champs. Elle dit : «Là-haut», parce qu’ils sont à demi-flanc de la montagne, à deux lieues du hameau. Voilà dix ans qu’elle ne les a pas vus. Elle sait qu’elle mourra bientôt sans leur avoir dit adieu.
      Alors une idée me prend. Avec ma voiture, je vais la conduire là-haut. Je la décide. J’appelle un voisin pour qu’il l’aide. C’est qu’elle est un peu grosse, et lourde ! Bien doucement, bien tendrement, nous la soulevons ; la voilà dans l’automobile, à côté de moi. Nous partons lentement pour qu’elle n’ait pas froid, malgré la couverture dont je l’ai enveloppée.
        La vieille regarde de toute son âme. Pensez que, même à un kilomètre de sa chaumière, ça devient pour elle, qui n’est pas sortie depuis dix ans, quelque chose de plus beau que les Amériques ! Elle me dit le chemin d’une voix qui tremble. La route monte, enjambe le vallon. Le voici l’autre flanc de la montagne et rois petits champs – si petits qu’on les traverserait en trois bons -, l’un déjà vert, l’autre encore couleur de terre, et le troisième avec des arbres. J’ai compris : ce sont eux, c’est là-haut…
        Les champs étaient déserts, le vieux qui les travaillait était déjà parti à l’approche de l’ombre. Mais il avait dû prendre un sentier à travers les labours ; nous ne l’avions pas rencontré.
         Quand il fallut regagner le village, la paralytique eut un geste d’adieu. Elle approcha de ses lèvres pâles sa main tremblante ; elle envoya un baiser à ce petit coin du monde qui avait été l’univers de toute sa vie.

                                                         Pierre Frondaie
                                    «Contes réels et fantaisistes» (édit. Plon)



Le lion évadé
(Conte de France)

         «Dites donc, monsieur, vous n’auriez pas rencontré un lion ? » Lucien fut obligé de s’arrêter. Un lion ? quel lion ? Il répondit avec arrogance.
         - Je ne sais pas du tout ce que vous voulez dire. »
         Les trois hommes s’expliquèrent. Qu’est-ce que Lucien entendit donc? Ils n’étaient des Apaches, comme il l’avait cru, mais le propriétaire, le dompteur et le valet d’une ménagerie… Ils possédaient un lion. Ils avaient par négligence laissé la porte de sa cage ouverte : il s’était échappé. Ils en étaient étonnés eux-mêmes.
        Lucien ne put que leur conter son histoire du  gros chien jaune. La bête l’avait reniflé et s’était enfuie.
        D’un commun accord, les trois hommes s’écrièrent :
        «Ça doit être lui, il aura peur.»
         Ils se dirigèrent tous les quatre dans la direction par où la bête s’était enfuie. Ils eurent de la chance. Au bout d’une rue, ils aperçurent dans le lointain une grosse masse noire montée sur quatre pattes et qui venait à eux. L’un des hommes dit :
          «Mettons-nous sous une porte cochère, parce que, s’il nous aperçoit, il va se sauver.»
          Un autre eut une idée plus heureuse encore :
           Qu’un de vous vienne avec moi ; nous allons gagner par détour le bout de la rue où nous sommes et nous prendrons la bête par derrière. Restez où vous êtes, vous le tenez par devant.»
          Il ne fallut pas trop longtemps. Les chasseurs étaient divisés en deux groupes. L’instant vint où le lion fut entre eux. Ce fut un instant tragique.
         Aucune porte n’était ouverte pour que l’animal pût s’y glisser. De quelque côté qu’il se dirigeât, il se heurtait à ses chasseurs. Il essayait bien de s’enfuir en rasant les murs, de se couler par u  intervalle, mais l’homme auprès duquel il passait alors, imitant le bruit de quelqu’un éternue, faisait : «Vchou!» Le lion avait peur, revenait sur ses pas et ne savait plus que devenir. De quelque côté qu’il fît front, il entendait ce bruit : «Vchou!!!»
         Les deux groupes se rapprochèrent, l’animal fut cerné. Le dompteur le prit solidement par la crinière. Lucien, qui n’éprouvait plus aucun sentiment de crainte, s’essaya lui aussi, à faire « Vchou!». Mais le dompteur se fâcha et lui dit :
        «Vous allez l’effrayer et me le faire lâcher!»
         Le plus difficile, ce fut d’entraîner le lion dans la direction de sa cage. Il était fort résistant!…
         On se comporta vis-à-vis du lion comme on le fait à l’égard d’un âne rétif. Un homme marchait au-devant de lui, en lui tendant une poignée de nourriture. Il lui suivait, attiré par la gourmandise.
         On arriva avec bonheur à l’entrée de la ménagerie. Les quatre hommes pénétrèrent à l’intérieur. L’hyène et l’ours blanc dormaient. La porte de la cage au lion était ouverte. Le valet, d’un geste large, y jeta son morceau de pain. Le lion fit un bond, sauta dessus et, comme il le saisissait entre ses griffes puissantes, poussa un rugissement terrible avant de le dévorer.
         Ils n’eurent d’ennui qu’avec le chien de garde, qui aboya avec férocité en apercevant Lucien qu’il ne connaissait pas. Grâce à Dieu, il était enchaîné. L’un des hommes dit :
         - «Heureusement que ce n’est pas celui-là qui s’est échappé. Il aurait certainement mordu quelqu’un.» 

                                                                 Ch.-Louis Philippe
                                             «Les Contes du Matin» (Ed. Gallimard)


Le Calife Cigogne
(Conte d’Allemagne)

       Un beau jour, le Calife Kasside et son vizir achètent chez un marchand ambulant une tabatière pleine d’une poudre mystérieuse munie d’une notice écrite en latin. Le savant Sélim lit cette notice où il est dit que quiconque ayant prisé cette poudre et prononcé mutabor serait transformé en un animal de son choix. Mais il ne faut pas rire après la transformation, sinon le mot serait oublié et il sera impossible de redevenir un homme. Le Calife et son vizir se transformèrent en cigognes ; leur première rencontre avec d’autres cigognes le fait rire. Le mot est oublié.
      Les deux cigognes, le calife te le vizir, sont condamnés à rester pour toujours des oiseaux. Volant au-dessus de Bagdad, ils voient une cohue dans les rues et entendent des cris qui annoncent que le pouvoir est pris par un certain Mirza. Ce dernier est le fils du magicien Kachnour, lui-même le pire ennemi de Kasside.  Les cigognes s’envolent alors vers le tombeau du prophète pour y trouver libération du sortilège. En chemin, ils font halte dans des ruines pour passer la nuit. Là, ils rencontrent une chouette qui parle la langue des hommes et qui leur raconte son histoire.
        Elle était la fille unique du roi des Indes. Le magicien Kachnour qui l’avait vainement demandée en mariage pour son fils Mirza, après s’être introduit dans le palais travesti en nègre, donna à la princesse une boisson magique qui la transforma en chouette, ensuite il transporta jusqu’à ces ruines en lui disant qu’elle resterait chouette jusqu’à ce que quelqu’un consente à l’épouser. D’autre part, elle avait ouï dans son enfance une prédiction selon laquelle le bonheur lui serait apporté par les cigognes.
        Elle propose au calife de lui indiquer le moyen de se libérer du sortilège à condition qu’il promette de l’épouser. Après quelques hésitations, le calife consent et la chouette l’amène dans la chambre où se réunissent les magiciens. Là le calife surprend le récit de Kachnour dans lequel il a réussi à tromper le calife. Cette conversation redonne au calife le mot oublié : «mutabor». Le calife et le vizir redeviennent des hommes, la chouette aussi, aussi, tous rentrent à Bagdad où ils se vengent de Mirza et Kachnour.
                                                    Wilhelm Hauff
                             «Le Calife Cigogne», in Contes historiques,
                             Lichtenstein (1826), www.wikipedia.org  


 Histoire du chien
(Conte de Finlande)
      
     Il y a de cela bien, bien longtemps, si longtemps que j’i oublié quand, le chien vivait seul dans les bois et non dans les maisons comme maintenant.
      Un beau jour, il en eut assez de vivre ainsi et, pour s’ennuyer moins, se mit à la recherche d’un compagnon.
       Il se promena longtemps sans rencontrer personne ; et voilà que tout à coup, entre deux arbres, il aperçut un lièvre qui fuyait.
        - Hé ! petit lièvre, cria le chien. Ne te sauve pas et écoute-moi! Ne veux-tu pas que nous vivions ensemble ? Ce serait bien plus amusant…
        - Ma foi, dit le lièvre, pourquoi pas? Essayons!
        Ils choisissent un joli petit coin dans la forêt et s’y installent.
        La nuit venue, ils se couchent. Le petit lièvre s’endort tout de suite, mais le chien reste éveillé ; il y a des feuilles qui tombent, des branches qui craquent, des oiseaux de nuit qui passent… et chaque fois il aboie.
        Le petit lièvre ne peut pad dormir. Il se fâche et dit au chien :
         - Cesseras-tu d’aboyer, à la fin ? Si jamais le loup t’entendait, il viendrait nous dévorer tous les deux…
       Le chien cesse d’aboyer et réfléchit :
       - Il n’est pas fameux, mon compagnon… Il est peureux… Le loup vaudrait peut-être mieux, puisqu’il fait peur au lièvre…
      Et le chien, laissant là le petit lièvre, s’en alla à la recherche du loup.
      Il chercha longtemps et, tout à coup, il l’aperçut qui sortait d’un taillis.
      - Hé ! Loup gris, museau pointu ! cria le chien. Ecoute-moi. Ne veux-tu pas que nous vivions ensemble? Ce serait bien plus amusant…
      - Ma foi, dit le loup, pourquoi pas? Essayons!
      Le soir venu, ils s’installent pour dormir. Mais au beau milieu de la nuit, le chien réveillé par un bruit se met à aboyer.
      Effrayé, le loup se réveille à son tour :
      - Tais-toi donc, dit-il au chien. Si jamais l’ours t’entendait, il nous dévorerait tous les deux…
      - Çà, pense le chien, il n’est pas beaucoup plus courageux que le lièvre… Il a peur de l’ours qui est certainement plus fort que lui!
       Et le chien, laissant là le loup, s’en alla à la recherche de l’ours.
       Il le chercha longtemps, parmi les arbres, les taillis, les rochers. Et voici que soudain, il se trouva nez à nez avec lui.
       C’était un gros ours brun et qui n’avait l’air commode.
        - Hé ! Ours brun, ours griffu! Ecoute-moi. Ne veux-tu pas que nous vivions ensemble? Ce serait bien plus amusant…
        - Ma foi, pourquoi pas? grommela l’ours. Essayons!
       Ils se promenèrent toute la journée et, le soir venu, ils se couchent. A peine l’ours est-il endormi que le chien se met à aboyer.
        Réveillé en sursaut, l’ours tremble de frayeur.
        - Mais tais-toi donc, dit-il furieux, au chien. Si jamais l’homme t’entendait, il viendrait nous tuer…
        - Eh bien, pense le chien, celui-là ne vaut pas mieux que les autres… Il a peur de l’homme…
        En plantant là l’ours qui s’était rendormi, il partit à la recherche de l’homme.
        Mais il eut beau chercher dans la forêt entière, il n’en trouva pas. Il sortit sur la lisière et s’assit pour se reposer.
        Et il vit un homme qui s’avançait vers lui, un bûcheron qui s’en venait couper du bois.
        Quand le bûcheron fut tout près de lui, le chien parla :
        - Ecoute-moi, Homme, toi qui fait peur à l’ours, qui peur au loup, qui fait peur au lièvre… Neveux-tu as me prendre pour compagnon?
      - Et pourquoi pas? Dit l’homme. Viens avec moi, nous verrons…
      Et l’homme emmena le chien dans sa maison.
      Le soir, l’homme se coucha et s’endormit.
      Au milieu de la nuit, le chien se mit à aboyer. L’homme ne bougea pas. Le chien aboya plus fort. Alors l’homme se réveilla et lui cria :
        - Hé ! brave chien ! Mange si tu as faim, bois si tu as soif, mais laisse-moi dormir tranquille, s’il te plaît!
        - Il n’a donc peur de rien, pensa le chien qui se tut.
        Il mangea but et s’endormit à son tour.
        Depuis ce temps-là, le chien est resté le compagnon de l’homme.
                                                            


C’était un loup si bête
(Conte du Kirghizstan)

         Il avait très faim, ce loup… et il partit chercher quelque chose à manger.
        Chemin faisant, il rencontra une chèvre. Le loup s’arrêta et lui dit :
         - Chèvre, chèvre, je vais te manger!
         Et la chèvre répondit :
         - Mais ne vois-tu donc pas, bon loup, que je suis maigre comme un clou? Tu n’y songes pas ! Attends plutôt que je fasse un saut jusqu’à la maison, et je te ramènerai deux chevreaux ! Cela fera bien mieux ton affaire!
         Le loup consentit et la chèvre s’enfuit.
         Il attendit longtemps, longtemps… Puis, perdant patience, il reprit son chemin.
         Et voilà qu’il rencontra un mouton.
         Le loup en fut content, et lui cria :
         - Où cours-tu donc, mouton ? Arrête-toi, je vais te manger !
         Et le mouton répondit :
         - Ne pourrais-tu choisir quelqu’un d’autre pour ton repas ? Ne sais-tu pas que je suis le meilleur danseur du monde ? Il serait vraiment dommage que je périsse…
         Tu sais réellement danser ? s’étonna le loup.
         - Comment donc, seigneur loup. Je vais te le prouver à l’instant, répondit le mouton.
         Et il se mit à tournoyer et à décrire des cercles de plus en lus grands, si bien qu’à la fin il disparut.
          Le loup fut fâché de s’être laissé encore prendre et continua son chemin.
          Et voilà qu’il rencontra un cheval. Le loup courut à lui et lui dit :
          - Cheval, je te mange sur le champ !
          Et le cheval répondit :
          - D’accord, d’accord… mais il faut que tu te renseignes d’abord pour si tu as vraiment le droit de me manger…
         - Comment ça ? demanda le loup.
         - Sais-tu lire ? demanda le cheval.
         - Mais bien sûr, dit le loup.
         - Alors, dit le cheval, c’est très simple. Passe derrière moi et tu verras un écriteau sur lequel il est écrit si tu as le droit de me manger ou non…
         Le loup passa donc derrière le cheval, qui lui décocha un tel coup de pied sur la tête qu’il en resta étourdi pour le restant de sa vie.
                                                          

    
Les trois cognées
(Conte de Lituanie)

       Il y a de cela bien, bien longtemps, vivait un pauvre bûcheron qui du matin au soir coupait du bois dans la forêt.
       Un jour qu’il travaillait au bord d’une rivière et qu’il tapait de toutes ses forces contre le tronc d’un chêne, le fer de sa cognée se détacha brusquement du manche et plouf! tomba dans l’eau.
        Et voilà le pauvre bûcheron qui se lamente.
        - Cognée, ma vieille cognée ! Que ferais-je désormais sans toi ? Tu étais mon gagne-pain, tu étais mon soutien… Nous avons coupé tant d’arbres ensemble… Comment te repêcher ?
         Pendant qu’il se désolait ainsi, avait surgi, on ne sait d’où, un petit vieux à la longue barbe blanche.
        - Qu’as-tu à gémir bûcheron ? demanda le petit vieux.
        - Ma cognée est tombée dans l’eau, répondit le bûcheron. Je suis bien trop pauvre pour en racheter une autre… Avec quoi gagnerai-je mon pain et celui de mes enfants, à présent ?
       - N’est-ce que cela ? dit le vieillard. Attends, ne pleure plus, je vais te rendre ton trésor.
       Il enleva sa veste, longea dans la rivière et réapparut presque aussitôt.
       - Voilà ta cognée, cria-t-il en brandissant une étincelante cognée d’or.
       - Mais non, ce n’est pas là ma cognée, dit le bûcheron.
       Le petit vieux replongea et réapparut aussitôt. Cette fois-ci il brandissait une cognée d’argent.
       - Est-ce celle-là ? cria-t-il.
        - Hélas, dit le bûcheron, celle-là non plus n’est pas la mienne.
        Une troisième fois, le petit vieux plongea.
        Quand il revint à la surface, il tenait à la main la vieille cognée de fer du pauvre bûcheron.
        - Ah ! se mit à dire ce dernier. Quel bonheur! Tu l’as trouvée, ma vieille cognée ! Merci, petit vieux, merci ! et que le Ciel te bénisse!
        Et prenant la cognée, il se préparait à renter chez lui lorsque le petit vieux le rappela.
        - Tu es un honnête, un brave bûcheron, lui dit-il, et pour ta récompense, je te donne aussi les cognées d’or et d’argent. Va en paix et sois heureux!
        Vous imaginez la joie du bûcheron !
         Rentré dans son village, il raconta à tout le monde sa merveilleuse aventure et venait qui voulait admirer les cognées d’or et d’argent.
          Mais son voisin, son riche et avare voisin se dit :
          - Après tout, pourquoi n’irais-je pas, moi aussi ?
          Et le voilà qui va dans la forêt, au bord de la rivière, et cogne, je te cogne, fait semblant d’abattre un arbre avec une vieille cognée de fer rouillée.
           Au bout d’un instant, il la laisse glisser dans l’eau.
           Et de se désoler, et de se lamenter…
           Le petit vieux parut aussitôt.
           - Qu’as-tu, bûcheron, à gémir ainsi ?
           - Ma cognée, ma belle cognée est tombée dans l’eau… répondit l’avare.
          - N’est-ce que cela ? dit le petit vieux. Attends je vais te la retrouver.
          Il enleva sa veste, plongea dans la rivière et réapparut aussitôt, tenant la vieille cognée à la main.
          - Voilà ta cognée ! cria-t-il.
          - Ce n’est pas la mienne, ce n’est pas la mienne, répondit le rusé paysan.
          Le petit vieux replongea et revint cette fois avec une cognée d’argent.
          - Est-ce celle-ci ? cria-t-il.
          - Non, non, ce n’est pas la mienne, répondit l’avide paysan.
          Le petit vieux replongea une troisième fois et revint aussitôt à la surface. Il tenait à la main une cognée d’or.
          - Ah ! s’écria le malhonnête paysan, cette fois-ci je la reconnais, c’est la mienne, c’est ma belle cognée !
          - Ah ! vraiment, dit le vieillard, eh attrape-la donc !
          El la cognée vint siffler aux oreilles du paysan. Mais hop ! avant qu’il ait eu le temps de la saisir, elle retomba dans l’eau où elle disparut avec le petit vieux.
           Le mauvais paysan eut beau appeler et se lamenter, personne ne lui répondit plus.
           Il s’assit alors au bord de l’eau dans l’espoir de voir réapparaître le petit vieillard à la barbe blanche…
           Mais probablement y est-il encore… Ne l’avez-vous jamais vu?

    
Un homme avisé 
(Conte de Russie-Caucase)

     Un jour, un chamelier perdit un des chameaux de sa caravane. Il partit à sa recherche. Courant à travers la steppe, il rejoignit un homme monté sur un cheval.
      Ils se saluèrent, s’offrirent du tabac et fumèrent.
      - J’ai perdu mon chameau, se plaignit le chamelier. Ne l’aurais-tu pas rencontré ?
      - C’est un chameau borgne de l’œil gauche, n’est-il pas vrai ? auquel il manque les dents de devant ?
      - C’est vrai, c’est vrai ! se réjouit le bonhomme. Où est-il ?
      Comment veux-tu que je le sache ? J’ai tout juste vu sa trace hier…
      Mais le propriétaire du chameau ne le crut pas, l’accusa d’avoir volé l’animal et le traîna devant le juge.
      - Que peux-tu pour ta défense ? demanda le juge.
      Et le cavalier répondit :
       - Je ne puis rien dire pour ma défense, mais je puis encore ajouter quelque chose à mes observations !
       Eh bien, parle ! dit le juge.
        - Sur un des côté de son chargement était attaché un seau de miel… Sur l’autre, il avait du grain.
        - Vous voyez bien ! C’est lui le voleur ! s’écria le chamelier.
        Le juge en était persuadé, lui aussi. Il demanda cependant à l’accusé :
        - Tu l’as vu ce chameau ?
        - Non, répondit l’accusé.
       - Alors comment peux-tu savoir tout cela ?demanda le juge.
       - Le chameau est borgne de l’œil gauche, oui, parce qu’il ne broutait l’herbe que sur le côté droit du sentier.
       - Et comment sais-tu, alors, qu’ils lui manquent les dents du devant ?
        - Parce qu’en broutant l’herbe, il laissait toujours, au milieu, des touffes de ses chardons préférés.
        - C’est juste. Mais comment sais-tu qu’il portait du miel et du grain ?
        - C’est bien simple ! d’un côté du sentier des mouches étaient posées sur les gouttes de miel et de l’autre sautillaient des moineaux qui picoraient des grains de blé.
        - C’est ma foi vrai ! s’écrièrent ensemble le juge et le propriétaire du chameau perdu.
        Et le cavalier put reprendre tranquillement son chemin.

                                                     D’après Natha Caputo
                                      «Contes des quatre vents» (Edit. Nathan)

 
La petite fille aux allumettes
(Conte du Danemark)

      C’était le soir du dernier jour de l’année, le soir approchait, il faisait effroyablement froid ; il neigeait depuis le matin ; il faisait déjà sombre. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite  fille marchait dans la rue : elle n’avait rien sur la tête, elle était pieds nus. Lorsqu’elle était sortie de chez elle le matin, elle avait eu de vieilles pantoufles beaucoup trop grande pour elle. Aussi les perdit-elle lorsqu’elle eut à se sauver devant une file de voitures ;  les voitures passées, elle chercha après ses chaussures ; un méchant gamin s’enfuyait emportant en riant l’une des pantoufles ; l’autre avait été entièrement écrasée.
      Voilà la malheureuse enfant n’ayant plus rien pour abriter ses petits petons. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes : elle en tenait à la main un paquet. Mais, ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde était affairé ; par cet affreux temps, personne ne s’arrêtait pour considérer l’air suppliant de la petite qui faisait pitié. La journée finissait, et elle n’avait pas encore vendu un seul paquet d’allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue. Des flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde.
      Enfin, après avoir une dernière fois offert en vain son paquet d’allumettes, l’enfant aperçoit une encoignure entre deux maisons, dont l’une dépassait un peu l’autre. Harassée, elle s’y assied et s’y blottit, tirant à elle ses petits pieds : mais elle grelotte et frissonne encore plus qu’avant et cependant elle n’ose rentrer chez elle. Elle n’y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son père la battrait.
     L’enfant avait ses petites menottes toutes transies. « Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes doigts?» C’est ce qu’elle fit. Quelle flamme merveilleuse c’était ! Il sembla tout à coup à la petite fille qu’elle se trouvait devant un grand poêle en fonte, décoré d’ornement en cuivre. La petite allait étendre ses pieds pour les réchauffer, lorsque la petite flamme s’éteignit brusquement : le poêle disparut, et l’enfant restait là, tenant en main un petit morceau de bois à moitié brûlé.
      Elle frotta une seconde allumette : la lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente. Derrière, la table était mise : elle était couverte d’une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s’étalait une magnifique oie rôtie, entourée de compote de pommes : voilà que la bête se met en mouvement et, avec un couteau et une fourchette fixés dans sa poitrine elle était couverte, vient se présenter devant la petite fille. Et puis, plus rien : la flamme s’éteint. L’enfant prend une troisième allumette, et elle se voit transportée près d’un arbre de Noël, splendide. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs : de tous côtés, pendait une foule de merveilles. La petite étendit la main pour saisir la moins belle : l’allumette s’éteint. L’arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des étoiles : il y en a une qui se détache et qui descend vers la terre, laissant une traînée de feu.
      «Voilà quelqu’un qui va mourir» se dit la petite. Sa vieille grand-mère, la seule qui l’avait aimée et chérie, et qui était morte il n’y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu’on voit une étoile qui file, d’un autre côté  une monte vers le paradis. Elle frotta encore une allumette : une grande clarté se répandit et, devant l’enfant, se tenait la vieille grand-mère.
       - Grand-mère, s’écria la petite, grand-mère, emmène-moi. Oh ! tu vas me quitter quand l’allumette sera éteinte : tu t’évanouira comme le poêle si chaud, le superbe rôti d’oie, le splendide arbre de Noël. Reste, je te prie, emporte-moi. Et l’enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mère, le plus longtemps possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n’y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin : c’était devant le trône de Dieu.
      Le lendemain matin, cependant, les passants trouvèrent dans l’encoignure le corps de la petite ; ses joues étaient rouges, elle semblait sourire ; elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d’autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d’un paquet d’allumettes.
       - Quelle sottise ! dit un sans-cœur. Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ? D’autres versèrent des larmes sur l’enfant ; c’est qu’ils ne savaient pas toutes les belles choses qu’elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c’est qu’ils ignoraient que, si avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère, la plus douce félicité.

                                                 Hans Christian Anderson
                                            «La petite fille aux allumettes»
                                                    www.anglaisfacie.com


















(3)

CONTES D’ASIE :

Arabie
Japon
Chine
Inde











Hind et Bchr
(Conte d’Arabie)

     Il était un jeune nommé Bchr qui fréquentait souvent le Prophète. Il appartenait à la tribu Bany Ossd ben Abd al-Azy. Lors de ses allers et retours, il passait par Juhayna : un jour, une fille (…) nommée Hind le regarda et l’aima. Hind était la fille de Fahd et avait un mari nommé Sa’ad ben Saïd. Hind avait une grande part de beauté. Les sept premières lettres échangées avant le moment où Bchr pénètre dans la maison d’Hind grâce à la ruse de la vieille rebouteuse Djanoub. Aussi, est-ce en larmes que Bchr, contrit, raconte son aventure à son juge: «Par Dieu, oh messager de Dieu, je n’ai plus menti depuis que j’ai cru en vous et je n’ai pas commis l’adultère depuis que j’ai juré qu’il n’y a de Dieu que Dieu». Apprenant l’attitude de Bchr, le mari d’Hind s’écrit : «Dieu merci ! Il y a encore dans le pays de Mahomet quelqu’un qui ressemble à l’ami Joseph que la femme de l’Excellence sollicita de sa personne et qu’il refusa tout net, en répétant : Je crains le Dieu des mondes». Plus tard, le divorce d’Hind influence Bchr. Hind, vexée d’avoir été par lui obligée de se justifier devant le prophète se nourrit de colère contre Bchr. L’amour entré dans son cœur, Bchr perd l’appétit et meurt, suivi d’Hind en quelques mois. Une fois les amants mis en terre, il pousse sur leurs tombes des arbustes, toujours forts et vigoureux, qui s’enlaçant couvrent les tombeaux d’une ombre protectrice.
                                      D’après Waël Rabadi
                       «Portraits croisés d’amoureux légendaires :     
                             Tristan et Iseult et Hind et Bchr : étude    
                             comparée de deux récits médiévaux»    
                                                       www.journals.yu.edu.jo


     Sindibad à l’île des monstres
(Conte d’Arabie)
   Sindibad le marin fut un riche parmi les riches de Bagdad dont la réputation était si grande au temps du calife Haroun a-Rachid. Il était célèbre par ses  voyages au cours desquels il s’exposa à tant de périls et de risques et rencontra tant d’horreurs. Sindibad dit : «Après avoir passé une durée l’esprit tranquille et le cœur reposé des peines de la m«L’origine des contes populaires», Op.cit., p.3.

er, des périls et des risques, mon âme aspira au voyage et au grand profit. J’achetai beaucoup de marchandises et louai avec un groupe de négociant un bateau qui mit les voiles vers le large.

   Nous naviguions d’une mer à l’autre, d’un pays à l’autre, admirant, vendant  et achetant, jusqu’à ce qu’un vent violent souffla et nous fit perdre la voie. Nous errâmes dans la mer, sans savoir quelle direction prendre. Nous aperçûmes au loin une grande île. Nous ne pûmes y arriver et que le capitaine du vaisseau la voit qu’une lame frappa l’avant du bateau qui replia les voiles et nous cria : «O passagers du bateau ! Nous sommes finis ; les destinées nous ont jetés dans l’îles des nains sauvages!».

     Le capitaine n’eut pas le temps de finir sa parole que nous fûmes encerclés par ces nains semblables à des singes dont la taille ne dépassait pas deux pieds (…). Ils dirigèrent rapidement le bateau vers la côte de l’île, nous y fîmes descendre, après avoir rompu les cordes de leurs dents; puis ils s’emparèrent du navire et mirent les voiles vers un lieu inconnu, en nous nous laissant dans l’embarras. Nous marchâmes dans l’île en mangeant de ses fruits et ses herbes, et bûmes de ses ruisseaux. Nous y aperçûmes un grand et haut palais dont la porte était fermée. Nous nous sommes entraidés pour l’ouvrir et nous y pénétrâmes et nous trouvâmes dans sa cour un amas d’ossement humains. Cela nous affligea et nous terrorisa.

    Nous persistâmes ainsi toute la journée ; au coucher du soleil, la terre tremble sous nos pieds et nous entendîmes un écho dans l’air. Puis un géant entra dans le palais, au visage énorme, à la taille aussi haute qu’un grand palmier, et aux yeux comme rougeoyant des flammes (…). Il me tâta comme un boucher tâtant l’agneau à égorger et me trouva faible et chétif. Il prit un autre homme (…) et le rejeta. Ensuite, ce fut le tour du capitaine du bateau, qui fut gras et large d’épaules, très costaud. Le géant prit une broche, le transperça, le mit à rôtir sur un grand feu. Une fois cuit, il le mangea en le déchiquetant de ses griffes et en jetant ses os autour de lui et s’endormit (…).

     Après sa sortie, nous nous mîmes d’accord pour bâtir une barque (…) et décidâmes de tuer ce grand monstre. Le géant revint au palais, dîna en dévorant l’un d’entre nous et s’endormit en ronflant. Nous mîmes deux broches au feu jusqu’à ce qu’elles devinssent rouges comme des braises et nous les lui enfoncèrent de toutes nos forces dans les yeux. Il hurla de douleur (…). Nous accourûmes vers la barque. Nous le poussâmes vers la mer, et montâmes dedans. (…) Mais Non loin de là, nous fûmes assaillis par un groupe de ses semblables qui nous jetaient de gros rochers. La plupart d’entre nous y périr et n’en restaient que trois, moi et deux autres. 

                              «Al Qirâatu al Musawaratu, t.2»,
                            (Edit. Maktabat al Wahda al Arabiyya)


Le jugement du magistrat Oôka
                        (Conte du Japon)
       Il était une fois, à l’époque des Tokugawa, un plâtrier qui laisse tomber dans la rue sa bourse qui contenait trois ryô (unité monétaire de l’époque), son sceau et une note de paiement. Un charpentier la ramasse. Le voici bien ennuyé. Il aimerait rendre à son propriétaire cette bourse car trois ryô constituaient à ses yeux une petite fortune et il se disait que la personne qui les avait perdus devait être malheureuse. Aussi se résolut-il à lire la note de paiement afin d’y découvrir l’adresse du propriétaire.
      Il se rend non sans peine à la maison du plâtrier et là, contre toute attente, ce dernier refuse de reprendre la bourse tout en acceptant les autres objets. «La somme de trois ryô», dit-il, «m’a quitté de son plein gré pour entrer dans votre main. Je n’aimerai pas reprendre une somme aussi ingrate. Elle est à vous.» De telles paroles firent l’effet d’une insulte et le charpentier se met en colère. Il avait fait l’effort de venir jusqu’au plâtrier pour lui rendre pour lui rendre son bien et le voici objet de brimade. «Non ! répondit-il, «je ne veux pas de cette bourse». Les voisins interviennent alors et proposent de porter l’affaire devant le juge Oôka.
     Ayant entendu les arguments des plaignants, le juge décida de confisquer la somme puis alloua à chacun deux ryô. Devant l’assemblée des voisins et amis, il expliqua ainsi sa décision : «Je suis heureux de trouver des personnes aussi honnêtes que vous. Pour vous récompenser j’ai rendu la décision que je voudrai intituler « trois les trois perdent un ryô». Plâtrier ! Vous avez perdu un ryô parce que si vous n’aviez perdu votre bourse vous auriez gardé vos trois ryô. Charpentier, vous avez aussi perdu un ryô car si vous aviez accepté l’offre du plâtrier vous auriez gagné trois ryô. Et moi aussi j’ai perdu un ryô, celui que j’ai ajouté pour vous en distribuer deux chacun».
       Dans ce jugement, il n’y ni gagnant ni perdant – du moins si nous selon notre logique occidentale – Tous doivent sacrifier quelque chose pour le rétablissement de la paix. Même le juge. C’est l’idéal de la vie sociale que de ne donner naissance à aucun conflit. S’il s’en produit un par malheur, les intéressés doivent s’efforcer de parvenir à un accord volontaire.

                                               D’après Philippe Deval
                   «Un jugement attribué à un magistrat nommé Oôka»
                               «LE CHOC DES CULTURES» (Edit. Eska)


A la recherche du soleil
                        (Conte de Chine)
     Autrefois, nous, les Zhuangs, nous savions que dans le ciel, il y avait le soleil qui se levait à l’est, et que tous les êtres vivants ne pouvaient vivre ni se multiplier sans lui. Mais ses rayons n’arrivaient pas jusqu’à nous !
     En ce temps-là, nous vivions jour et nuit, plongés dans les ténèbres absolues, privés de chaleur et de lumière ; les pays était infesté d’animaux sauvages : tigres, panthères, chacals et loups qui prélevaient sur nous un lourd tribut. Combien d’hommes dans une telle obscurité étaient dévorés par ces bêtes féroces ? un nombre incalculable. Seul le soleil aurait permis de les exterminer. Aussi, pensa-t-on à envoyer quelqu’un le chercher.
     A cette nouvelle, un grand tumulte s’éleva, chacun voulait avoir l’honneur de cette mission.
      Ce fut d’abord un vieillard de plus de soixante ans qui sortit de la foule :
      - J’irai, dit-il, comme je suis vieux, je ne suis plus bon à grand-chose pour le travail des champs, mais je peux encore marcher, vous pouvez me confier cette mission.
      Mais un homme robuste, d’âge moyen, se fraya un chemin au milieu de la foule et s’adressa au vieillard :
       - Vous ne pouvez y aller ! moi je suis très solide, je peux faire facilement cent soixante lis [cinq cent mètres] par jour, j’arriverai très vite au soleil.
       Après celui-ci, beaucoup d’autres jeunes gens pleins de santé demandèrent aussi la faveur d’accomplir cette mission ; chacun donnait ses raisons et tous assuraient qu’ils seraient promptement de retour.
        Alors, un petit garçon d’environ dix ans éleva la voix :
        - Je vous dis «non» à tous, moi ; les grands-pères, les oncles, les tantes, les frères et les sœurs aînés ne peuvent pas parti ; vous semblez tous oublier que le soleil est loin, très loin de nous. Pour y arriver, quarante ou cinquante ans ne suffiraient même pas, il faut compter quatre-vingts à quatre-vingt-dix ans peut-être. Moi je suis jeune, il est clair que je suis le seul qui puisse faire ce voyage, et j’ai de grandes chances d’y parvenir.
        Aussitôt qu’il eut finit de parler, une vive discussion s’ensuivit :
       - L’enfant a raison.
       - Il est fort et plein de santé.
       - Nous devons le laisser aller.
       - Il est très intelligent.
       - Silence ! vous tous ! cria une jeune femme enceinte nommée Male, âgée d’environ vingt ans, en agitant la main au-dessus de sa tête. Tous alors firent silence. Elle continua :
      - Cet enfant a bel et bien raison, le soleil est très très loin de nous, je ne crois qu’on puisse y arriver dans quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans. D’ailleurs, quand on a quatre-vingts ans, on éprouve des difficultés pour marcher. Il vaut mieux que me laissiez y aller, parce que je suis jeune et forte, ni les montagnes aux cimes les plus élevées, ni les serpents, ni les bêtes sauvages ne me font peur. En plus de cela, je porte un enfant dans mon sein, si je ne peux pas arriver au but de mon voyage, mon enfant pourra continuer.
        Tout le monde applaudit à ces paroles. On décida de la laisser partir et lui recommanda d’allumer un grand feu aussitôt qu’elle serait arrivée au soleil. Alors elle se mit en route et marcha toujours vers l’est. Huit mois après, elle mit au monde un gros garçon ; puis, avec lui, elle reprit la route.
       Elle marcha, marcha, marcha toujours pendant soixante-dix ans, elle était alors épuisée qu’elle ne pouvait plus se traîner. Elle s’arrêta chez un paysan et dit à son fils de continuer la route tout seul.
       Pendant ces soixante-dix ans, mère et fils avaient escaladé des milliers de hautes montagnes, traversé des milliers de grands fleuves, et rencontré des milliers de serpents venimeux et d’animaux sauvages. Ils éprouvèrent en route toutes sortes de souffrances et de privations, et en maintes occasions, ils risquèrent leur vie, mais ils réussirent à passer à travers tous les dangers. Grâce à leur robuste constitution, ils purent gravir les montagnes les plus escarpées et lutter contre les animaux sauvages. D’ailleurs, partout sur leur passage, ils rencontrèrent de braves gens qui, ayant su qu’ils allaient chercher le soleil, étaient désireux de les aider : ils les guidaient dans les montagnes, leur faisaient passer de grands fleuves par bateau, leur donnaient des vêtements et des chaussures, et préparaient leurs repas.
        Après le départ de Male, chaque matin, de bonne heure, au pays, les gens s’empressaient de regarder vers l’est pour voir si le signal s’allumait dans le ciel. Mis dix ans s’étaient écoulés sans qu’ils aient rien pu voir. Ils regardèrent encore pendant dix ans sans rien voir. Trente, quarante… puis soixante-dix ans, toujours rien ! Tout était comme autrefois ; pas de lumière, pas de chaleur, le pays était toujours plongé dans l’obscurité et peuple de tigres, de panthères, de chacals et de loups.
       On pensa que Male était morte en route, on renonça à tout espoir.
       Ce fut le dernier jour de 99ème année, un instant avant le lever du soleil, qu’on vit soudain un grand feu brûler à l’est teintant le ciel d’un rouge de sang. Presqu’en même temps, un soleil brillant se leva dardant ses rayons d’or dans tous les coins du pays. Les tigres, les panthères, les chacals et les loups, qui avaient fait tant de ravages pendant des siècles et des siècles, furent exterminés.
      Depuis ce jour, en souvenir de Male et de son fils, nous les Zhuangs, nous allons travailler dans les champs quand le ciel commence à rougir à l’est et ne rentrons que quand le soleil se couche à l’ouest.
                                           «A LA RECHERCHE DU SOLEIL, CONTES
                                                  POPULAIRES CHINOIS » (Edit. En
                                                      Langues étrangères, Beijing)                     
         

Compassion
(Conte de l’Inde)

    Râmânuja, l’un des grands maîtres du Védânta, était généreux. Il regardait tous les humains pareillement, offrait à tous son attention, aux hommes comme aux femmes quelque soit leur caste. Il était même chaleureux à l’égard des hors-caste. Il scandalisait les gens de son temps.
      Au temps où il cherchait encore sa voie, il approcha un maître et le pria de l’initier. Il lui offrit une noix de coco. Le maître, reconnaissant une grande âme, prit la noix, la fendit d’un coup sec. Ainsi fut-il dit sans parole que son mental était brisé et que son égo pouvait s’écouler.
      Puis il murmura à l’oreille du disciple le mantra sacré.
      - Répète-le avec tendresse, avec intelligence bien sûr, avec abandon et passion, avec détachement surtout. Ce mantra est d’une grande puissance, il te libérera sans faute de l’ignorance. Répète-le en secret, garde-le au fond de ton cœur, ne le communique à personne.
       - Pourquoi donc ne puis-je le dire à haute voix, devant les gens ?
       - Si tu le divulgue, il libérera celui qui l’aura entendu, mais toi tu continueras à errer dans ce monde, plein d’ignorance et de douleur.
      Râmânuja quitta le maître, grimpa aussitôt sur le toit du temple le plus haut. De là, il appela la population d’une voix forte :
       - Venez et écoutez bien : le maître m’a donné le plus puissant mantra qui sauve assurément celui auquel il est transmis. Entendez-le, répétez-le : « Aum namo narayana.» Vous l’avez bien entendu ? « Aum namo narayana. Aum namo narayana!»
       Le maître aussi l’avait entendu, évidemment. Il fit appeler Râmânuja. Le disciple vint sans tarder.
       - Pourquoi malgré mon avertissement, as-tu divulgué ce précieux mantra sur la place publique ? lui demanda-t-il, effaré.
       - Je suis prêt à vivre encore mille vies d’ignorance et de douleur si ceux que je vois là, devant moi sur la place, sont tous sauvés dès cette vie, répondit paisiblement le disciple.

                                                      Martine Quentrric-Séguy
                                        «Compassion», «Contes sages de l’Inde»
                                                          www.indereunion.net








(4)

CONTES D’OCÉANIE :

Australie
Nouvelle Zélande
Iles Fidji













Le retour des fleurs
(Conte d’Australie)

     Comme il ne pouvait plus supporter les hommes et leur méchanceté, le plus puissant de tous les sorciers avait décidé de quitter son pays et de se réfugier tout au sommet de la plus haute des hautes montagnes. Aussitôt dit, aussitôt fait… Il s’en alla.
     Un grand malheur s’abattit sur la nature ; toutes les fleurs, celles des bois, celles des prairies, celles collines, celles des bords de mer, celles du long des rivières et celles des lacs moururent instantanément. Il n’y en eut pas une seule qui survécut. Le pays, jadis si beau et si fleuri devint rapidement un désert. Tous les animaux, les oiseaux, les papillons, les insectes s’enfuirent après la mort des fleurs. Pour voir les fleurs, les habitants ne pouvaient user que de leur imagination. Mais les enfants, qui n’avaient jamais connu ces merveilles, ne voulaient pas croire les anciens.
     - Vous ne racontez que des histoires, leur disaient-ils et ils s’en allaient dans le décor  triste d’un pays sans fleurs.
    Parmi tous ces enfants, il en était qui ne pouvait imaginer que tout eut disparu pour toujours. Lorsque sa mère, lassée de raconter l’ancien temps, se taisait, il réclamait encore et encore d’autres histoires car il aimait entendre parler de la beauté des fleurs.
     Il pensait que lorsqu’il serait homme, il partirait à la recherche du grand sorcier et lui demanderait de redonner de la couleur au pays.
    Les années passèrent.
    Un jour, il fut grand. Son amour des fleurs avait grandi avec lui. Il s’en alla donc trouver sa mère et lui dit :
     - Mère, je vais m’en aller à la recherche du grand sorcier et lui demander de nous rendre les fleurs.
     Sa mère le regarda avec des yeux remplis d’effroi.
     - Mais fils ! s’écria-t-elle, tout ce que je t’ai raconté n’était que des histoires. Il ne faut jamais croire aux histoires. Je te disais ce que ma mère me racontait parce qu’elle l’avait entendu raconter par sa mère qui le tenait de sa mère. Malheur à toi ! Les fleurs n’ont probablement jamais existé. Tu aurais beau marcher mille ans, jamais tu ne trouverais le sorcier qui vit tout en haut de la plus montagne.
     Mais le fils ne l’écouta même pas, il prit son baluchon et s’en alla. Les gens du pays qui le voyaient passer se moquaient de lui :
     - Ce garçon est fou ! disaient-ils. In n’y a que les fous qui croient aux histoires.
     Le jeune homme se dirigea vers le nord. Il marcha longtemps, longtemps, longtemps et arriva au pied d’une montagne, si haute, si haute que son sommet était invisible.
      Il tourna autour de la montagne, mais ne vit aucun sentier, seulement de la roche et des cailloux.  Il tourna encore et encore. Las de tourner, il se dit :
      - «Il faudra bien que je découvre un chemin. Le sorcier a dû le prendre pour atteindre le sommet.»
       Il inspecta avec attention les rochers et finit par découvrir une petite marche. En regardant de plus près, il aperçut une autre petite marche et puis encore une autre. Lorsqu’il leva les yeux vers le sommet de la montagne, il aperçut un escalier et il se mit à grimper sans jamais regarder en bas pour ne pas avoir le vertige.
        A la fin du premier jour, il s’arrêta sur une terrasse. Le sommet de la montagne n’était pas visible. Il en fit de même le deuxième, puis le troisième, puis le quatrième, puis le cinquième, puis le sixième jour. Il commençait à se décourager quand, au soir du septième jour, il aperçut enfin le sommet. A force de courage et malgré la fatigue accumulée depuis 7 jours, il parvint à l’atteindre juste au moment où le soleil avait complètement disparu et que la nuit avait recouvert le monstre de pierre. Arrivé tout en haut, il aperçut une source. Il se pencha pour y boire un peu d’eau. Au premier contact de l’eau sur ses lèvres, toute sa fatigue s’évapora. Il se sentit fort et heureux comme jamais dans sa vie. Tout à coup, derrière lui, il entendit une voix  qui lui demanda ce qu’il était venu chercher sur la plus haute des hautes montagnes.
       - Je suis venu, dit-il, pour rencontrer le grand sorcier et lui demander de nous rendre des fleurs et des insectes. Un pays sans fleurs, sans oiseaux et sans abeilles, est triste à mourir. Seule la beauté peut rendre les gens bons et je suis certains que les gens de mon pays cesseraient d’être méchants, si le sorcier leur redonnait les fleurs.
       Alors, le jeune homme se sentit soulevé par des mains invisibles. Il fut transporté délicatement vers le pays des fleurs éternelles Les mains invisibles le déposèrent sur le sol au milieu d’un tapis de fleurs multicolores. Le jeune homme ne pouvait en croire ses yeux. Il y en avait tant et jamais il n’avait imaginé que les fleurs puissent être aussi belles ! Dans l’air, un délicieux parfum flottait et les rayons du soleil dansaient sur le sol multicolore comme des milliers et milliers d’arcs-en-ciel. La joie du jeune fut si grande, qu’il se mit à pleurer.
     La voix lui dit de cueillir les fleurs qu’il préférait. Il s’exécuta et en cueillit de toutes les couleurs. Quand il en eut plein les mains charges, les mains invisibles le reconduisirent au sommet de la montagne.
     Alors, la voix lui dit :
     - Rapporte ces fleurs dans ton pays. Désormais, grâce à toi, ton pays ne sera plus jamais sans fleurs. Il y en aura pour toutes les régions. Le vent du nord, de l’est, du sud et de l’ouest leur apporteront la pluie qui sera leur nourriture, et les abeilles vous donneront du miel qu’elles cherchent dans les fleurs.
     Le jeune homme remercia et commença aussitôt la descente de la montagne qui, malgré la quantité de fleurs qu’il portait, lui parut bien plus facile que la montée.
      Quand il revint dans son pays, les habitants, en apercevant les fleurs et en respirant leur parfum, ne voulurent pas croire à leur bonheur. Puis, quand ils surent qu’ils ne rêvaient pas, ils dirent :
       - Ah ! nous savions bien que les fleurs existaient et que ce n’étaient des histoires inventés par nos ancêtres.
      Et leur pays redevint un grand jardin. Sur les collines, dans les vallées, près des rivières, des lacs et de la mer, dans les bois, dans les champs et dans toutes les prairies, les fleurs crûrent et se multiplièrent. Tantôt c’était le vent du nord qui amenait la pluie, tantôt le vent du sud, de l’est ou de l’ouest. Les oiseaux revinrent, ainsi que les papillons et tous les insectes, et surtout les abeilles. Désormais, les gens purent manger du miel, et la joie revint sur terre.
      Quand les hommes virent leur terre transformée grâce au jeune homme qui avait osé ce que personne n’avait cru possible, ils lui demandèrent d’être leur roi. Il accepta et il devint un roi bon, courageux et intelligent.
      - Rappelons-nous, disait-il, que c’était la méchanceté des hommes qui avait entraîné la disparition des fleurs de notre pays.
       Et, comme personne ne voulait recommencer à habiter un désert et à être privé du miel, chacun s’efforça désormais d’être aussi bon que possible pour ne pas fâcher le grand sorcier.

                            «Le retour des fleurs»
                                                      www.feeclochette.chez.com
        

La création de la nouvelle Zélande
(Conte de la Nouvelle Zélande)

  Maui était un demi-dieu. Un jour, avant de partir à la pêche, il déclare à sa famille : « Je vais attraper un poisson tellement grand que nous ne pourrons pas le manger en une seule fois ». Il partit pêcher avec son frère et alors qu’ils furent au milieu de l’océan, Maui jeta son hameçon magique. Au bout d’un moment, il sentit une grosse prise au bout de la ligne. La traction était trop forte pour qu’il s’agisse d’un simple poisson, et Maui appela son frère à l’aide. Après qu’ils aient beaucoup peiné et tiré, ils virent sortir le poisson de Maui, c’était l’île du Nord de la Nouvelle Zélande (que l’on appelle aussi «le poisson de Maui ».)
      Une fois que Maui et son frère eurent réussi à hisser le poisson hors de des flots, Maui bondit dessus et entreprit de le mettre  à mort. Les coups donnés par Maui et son frère au «poisson» sont à l’origine des nombreuses chaînes montagneuses de l’Ile du Nord. Le canoë de Maui est devenu l’Ile du Sud. L’île Stewart, tout en bas de la Nouvelle Zélande, porte le nom de «l’ancre de Maui» : c’est l’ancre qui retenu le canoë de Maui pendant qu’il tirait le poisson géant.

                «La création de la nouvelle Zélande»
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Les aventures de Wandamu et Vanda
(Conte des Îles Fidji)

       Il était une fois deux tribus du nord-est  des Îles Fidji dont les dieux respectifs étaient Wandamu et Vanda. Vanda vint un jour demander à la tribu voisine quelques plants d’ignames. Vanda accepta volontiers de lui rendre service, mais avant de lui donner les ignames, il les avait fait cuire, puis il les avait enveloppées. Arrivé chez lui, Wandamu défit le paquet et s’aperçu qu’il avait été trompé.
      Mais un jour, Vanda à son tour vint à manquer de bananes, et il alla en demander chez son voisin. Alors le dieu Nandaranga (Wandamu) lui apporta des boutures de bananes sauvages (variété de qualité inférieure). Dès son retour, Vanda les planta, mais lorsqu’elles poussèrent, il s’aperçut qu’elles ne donnaient pas de vraies bananes. Depuis ce temps, lorsque les descendants de Wandamu rendent visite aux petits-fils de Vanda, ceux-ci leur servent des ignames, de ceux-là mêmes qui avaient permis à Vanda de berner son ami.

                                           D’après A. M. Hocart
                          «Les aventures de Wandamu et Vanda»
                        «LE MYTHE SORCIER et autres essais»
                                                 (Edit. Payot)
                                                      























(4)

CONTES DES ANTILLES :

La Désirade
Guadeloupe
Martinique

                                    










 Céloute
(Conte de la Désirade)

      Céloute était le dernier né d’une famille de 13 ans, ce qui lui valut son nom. La maman était si pauvre qu’elle l’enveloppa dans des feuilles de balisiers, puis lui accrocha au cou un talisman : «Epi sa, ou ké bat’ Santan» dit-elle.
      La marraine, une riche dame patronesse demanda  l’enfant. Elle avait beaucoup de filleuls – par esprit de charité disait-elle – et ils vivaient tous sur une habitation à 3 pitons et 2 savanes, à l’est de la mer. De temps en temps, elle les quittait pour aller à «l’ilett» rendre visite à son mari. Et chaque fois, elle emmenait un enfant, pour qu’il apprît à travailler. Céloute n’en n’avait jamais vu aucun revenir.
     La marraine avait soin qu’ils fussent toujours bien nourris et ils vivaient librement. Chaque matin, il passait la rivière pour se rendre dans la savane et raire les vaches. Une heure après, on leur servait du chocolat brûlant parfumé de cannelle. On tuait souvent le cabri, et toujours le cochon à Noël. Les enfants partaient fouiller les choux caraïbes, les ignames et en remplissaient de larges paniers.
      On faisait cuire tout cela et on le mangeait avec de la viande salée ou de la morue. Ils partaient à la pêche, relevaient les nasses remplies de poissons, de langoustes et d’oursins. C’est que Céloute fit la connaissance d’un bébé requin et ils devinrent de grands amis : ils faisaient ensemble des parties de nage et le requin lui apprenait les courants.
       Mais malgré cette liberté, Céloute n’était pas heureux : il n’aimait pas sa marraine. Et elle lui inspirait de la répulsion et il ne se sentait pas à l’aise lorsqu’elle partait loin. Il ne comprenait pas.
        Un jour qu’elle avait été à «l’ilett», elle lui apporta un de ces matétés crabes qui faisait les délices de Céloute. Ça sentait le piment et avait ce goût sucré-salé qui faisait qu’on n’est jamais rassasié. Céloute suçait la pince lorsqu’il s’aperçu qu’elle était étrange. Il regarda : … Horreur ! C’était un doigt ! Soudain, il comprit : Marraine, c’était la diablesse et les enfants qu’elle mène à l’îlet, elle les tue et elle les mange! 
       Maintenant, Céloute avait son plan et en parla au requin : ils décidèrent d’aller à l’îlet. Un matin, il se cacha près de l’anse aux palétuviers où sa marraine garait son canot. La marraine arriva. Elle portait une grande robe blanche et sa tête attachée d’un madras blanc, le vrai costume de la diablesse. Quand elle se déchaussa, Céloute vit qu’elle avait un pied de bouc. Elle poussa le canot à la mer, sauta dedans, prit un fouet et le fouetta en criant : «Taiaut! Kigilié!» et le canot bondit sur les vagues. Céloute plongea derrière, à cheval sur le requin et la suivit jusqu’aux abords de l’îlet. Il la vit arriver à l’anse et jeter le fouet à un dragon vert. Alors accourut un géant noir, qui fumait une pipe. Au fond du canot était un sac et dans ce sac, ligoté pour être mangé, un des filleuls de la marraine.
      Lorsque la marraine revint, elle s’endormit d’un sommeil de plomb et Céloute profita pour réveiller ses petits camarades endormis : «Z’enfant ! doubout ! lévé!» Tous quittèrent la maison et Céloute les mena près du palétuvier où le requin les attendait Céloute embarqua ses camarades, saisit le fouet et il cria « Taiaut! Kigilé!»
       Le requin ouvrait la route et bientôt, ils aperçurent l’îlet avec ses falaises noires à pic, ses rochers en forme de monstres et la plage bordée de cocotiers. Sur l’îlet, se détachait une silhouette qui allait et venait intriguée : c’était le mari de la diablesse, le géant noir. Pour mieux voir, il grimpa sur la falaise. Son pied glissa, il s’écroula et s’écrasa contre les rochers.
       Pendant ce temps, la marraine se réveillait. Elle constat la disparition des enfants et courut à la plage : son canot aussi avait disparu. Elle poussa un cri de rage, se précipita sur le canot des enfants et mit les voiles. Elle était tellement en colère qu’elle ne pensa pas aux brisants et, juste devant l’îlet la barque se fendit en deux et la diablesse plongea. Depuis ce jour, juste à cet endroit, un gouffre bouillonne et le géant, transformé en statue de pierre, est condamné à l’entendre gémir éternellement.
       Restait le dragon vert. A sa place était un beau jeune homme que la mort de la diablesse avait délivré. Il accueillit les enfants et ceux-ci revinrent chercher leurs parents. Ils s’installèrent dans l’île, y construisirent des cases, une église, une école, des rhumeries.
      On réserva pour le requin un bassin sur la côte. Il vient s’y reposer de ses longs voyages et rapport des nouvelles. Grâce à lui, on apprit qu’il y avait des malades abandonnés de tous parce qu’ils étaient recouverts de plaies. Les habitants furent d’accord pour les soulager et donnèrent un coin de l’île. Depuis, ils y vivent en paix au lieu-dit le «le coin des lépreux». Cette île, vous la connaissez : c’est la Désirade ! Yé krik!
                                     «Céloute»
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Le quimboiseur (guérisseur) de bonsiro
(Conte de la Guadeloupe)
  
       Les Guadakériens à cette belle époque étant naturellement et tout bonnement sportifs, les activités physiques faisaient tilili 
(pullulaient). Les automobiles ne fourmillant pas, la marche était naturelle. L’escrime était au bâton. Les voisins en désaccord pratiquaient la boxe. Le sauvé-vaillant, le chatou et le koévalin étaient des danses de lutte pratiquées dans les veillées. La natation était obligatoire dans l’espoir d’atteindre la ligne droite mystérieuse qu’est l’horizon. Les cyclistes n’avaient de vélodrome. Leurs sprints s’exerçaient dans les mornes. Les grimpeurs sans gaule étaient obligés d’escalader les arbres pour cueillir les fruits. Les moteurs étaient rares, les pêcheurs ramaient leurs canots. Damida assistait l’entrée des bals qu’organisaient les clubs Racine, Crête-noire et bien sûr Coquerico de la Belle-Terre, au cours desquels on liait connaissance avec des joueurs de ping-pong, de handball, de volley-ball, des basketteurs, des sauteurs, des lanceurs, bien sûr des footballeurs, des coureurs. Ah ! Pour coureurs, ils étaient tous coureurs.
      Le très désiré devin de Bonsiro ne courait pas, on lui courait après. Certains capitaines d’équipes de football l’appelaient à la rescousse, afin que leur équipe marque le plus de buts possibles. On le surnommait «mètagô» (maître de buts). Il faisait aussi la pluie et beau temps parmi le personnel des hôpitaux et la gent administrative qui ne voulaient perdre leur place au soleil. Et M. Éric par ci et M. Éric par là.
     - Qu’est-ce qu’il est fort ! C’est grâce à lui que le directeur de l’hôpital ne m’a pas mis à la porte. Et maintenant personne ne me sortira de là. C’est moi qui vous dis ça. M. Éric est mon syndicat (mon ami), avait avoué Amie Laurencette la commère d’Huguette, la maman de Damida.
     Le magicien avait le don de bilocation, de disparaître et d’apparaître frap! sans crier gare. Amie Sita sa fiancée, une belle câpresse aux longs cheveux lissés à l’huile carapate, tressés de cadenettes, gracieuse, gaie et pleine d’humour séjournait souvent dans la famille de Damida. Son adresse était de faire semblant de ne pas remarquer l’engouement intéressé des femmes pour son promis qu’elle affectionnait profondément sans se poser de questions, dans la fidélité et la  confiance des jeunes femmes bien éduquées de la campagne Guadakérienne. Leurs villégiatures chez Huguette ramenaient la bonne entente au foyer. Le beau-père de Damida qui craignait M. Éric comme le diable a peur de l’eau bénite, lui faisait belle figure et rangeait son fameux fouet.
      La distinction du menti-menteur se puisait dans son art de vivre. À la prière d’Huguette d’aller voir la maîtresse, M. Éric, le visage lissement rasé eu égard des baisers féminins qu’il recevait, parfumé d’une eau de lavande qu’il disait être un sent-bon qui procure l’harmonie, ses bésicles en or bien à cheval sur son nez, très élégant dans son costume trois pièces bleu marine couleur sérieuse, bien taillé par Guillaume Salisse dit Vétina, le tailleur pour hommes et femmes de la ville, sa cravate fleur d’Elysée impeccablement nouée autour du col de sa chemise immaculée, assortie à ses dents, son feutre havane légèrement posé sur une oreille, ses chaussures vernies noires fabriquées sur mesure par le cordonnier Papa Henri, bien lacées et sa serviette en peau de vache qui ne le quittait pas, tenue fermement tenue à la main, il sublimait l’élégance et la courtoisie. «L’habit ne fait pas le moine, mais il différencie le moine et le pêcheur», était une de ses devises.
      Il se glissa sur la banquette arrière de son Aronde Simca 9, conduite par son chauffeur Camille, le frère de sa fiancée Amie Sita. Sans passer par la directrice, il se présenta directement dans la classe. La maîtresse, les formes ondoyantes assorties à d’alliciants gros tétés dans sa robe fleurie à bretelles, toute surprise, examina de front le représentant paternel des pieds à la tête et soupira :
       - Enfin un parent de Marcellin.
       - Oui ! Bonjour ! C’est bien au sujet de Damida Marcellin!  Votre teint de pêche est d’une délicatesse… Mademoiselle ?
       - Oui ! Mademoiselle ! Je ne suis pas mariée. Êtes-vous le père de Marcellin ? susurra la Bodari, les paupières nitictantes.
       - Oh ! Mademoiselle ! s’empressa de dire le dandy. Je suis aussi libre que vous. Je suis tout simplement un grand ami de la famille et je ne regrette pas du tout de remplacer la mère de Damida à qui je rends ce petit service qui m’est à vous voir, un grand plaisir Mademoiselle.
       - Oh ! Macellin n’est pas bien méchante.
      - Je disais que la délicatesse de votre teint m’incite au toucher… avec les yeux bien sûr. Me revoilà tout petit. Je retournerai volontiers sur les bancs uniquement pour me cacher sous votre table et sentir votre peau.
     - Hi, hi, hi, minaudait la Bodari, tandis que le fringant ajustait ses lunette cerclées d’or pour mieux centrer ces yeux pétillants de séduction dardés sur la coquette.
      Ils conversèrent longtemps de tout et de rien, jusqu’à oublier les prétendus méfaits de la petite fille. Le magnétisme de Merlin  de Guadakéra eut son bel effet. À partir de ce jour, jamais la jeune enseignante n’utilisa sa règle dans la classe et M. Éric rentrait dans l’histoire de Damida.

            «Le quimboiseur (guérisseur) de bonsiro»
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 Ti Pocame
(Conte de la Martinique)

      Ti Pocame était un gentil petit garçon qui vivait chez sa Tante car il était orphelin. Sa Tante ne l’aimait pas du tout et lui préférait ses deux fils qu’elle entourait d’attentions particulières au détriment de Ti Pocame. Pour eux, les jolis habits, bien empesés et pour Ti Pocame, les vieux haillons ; pour eux, les bons morceaux de viande et pour Ti Pocame les os ; pour, les douceurs (bonbons, pain doux et pilibos) ; pour Ti Pocame toutes les corvées (aller chercher l’eau à la rivière, nourrir le cochon et les poules, éplucher les légumes…). Souvent, elle punissait injustement et le menaçait de le donner au diable, ce qui le faisait trembler d’effroi.
        Mais Ti Pocame était courageux et il ne se plaignait jamais. Il songeait souvent à sa chère marraine chez qui il aimerait bien partir vivre un jour. Un soir, alors qu’ils étaient à table, la Tante ordonna à Ti Pocame d’aller cueillir un piment afin de relever le repas. Il faisait nuit noire et tout de suite, Ti Pocame pensa :
        - C’est ce soir que ma Tante m’en voie au diable !
        Avant de sortir, il prit soin de glisser dans sa poche les sept pépins d’orange qui portent chance, que sa Marraine lui avait donnés pour ses étrennes. Arrivé dehors, la nuit l’enveloppa tout entier. Il prit garde à faire le moins de bruit possible afin que le diable ne le remarquât point. Soudain, il vit une petite lumière comme celle d’une luciole à la différence que celle-ci se à foncer sur Ti Pocame.
          - Le diable ! pensa-t-il.
          Et sans réfléchir, comme par instinct, il lança les pépins d’orange à terre et se mit à chanter :
          Pié zorange, lévé, lévé
          Gro-diable’la lé mangé mwen !
         
           Oranger, pousse, pousse
           Le gros diable veut me manger !
           C’est alors qu’un oranger sortit de terre et se mit à grandir, grandir, grandir devant Ti Pocame ravi, mais un peu surpris. La boule de feu était toujours là, menaçant Ti Pocame.
           Pié zorange, poussé branch, poussé branch
           Gro-diable’la lé mangé mwen !              
          
           Oranger, sors tes branches, sors tes branches
           Le gros diable veut me manger !
Et les branches de l’arbre se mirent à pousser, pousser. Ti Pocame sauta sur l’une d’elles et grimpa vers le sommet de l’arbre afin de se mettre à l’abri de la boule de feu qui approchait toujours, encore plus menaçante.
           Pié zorange, baille flé, baille flé
            Gro-diable’la lé mangé mwen !
         
           Oranger, fleuris, fleuris
           Le gros diable veut me manger !
           Des milliers de fleurs odorantes apparurent sur chaque branche à la grande joie de Ti Pocame. Mais à ce moment la grosse boule de feu éclata et un vilain diable apparut, tout pointu avec de longues griffes au bout de chaque doigt. Il hurlait en gesticulant :
          - Ti Pocame, je vais t’attraper et je te mangerai tout cru !
           Ti Pocame ne perdit pas courage. Il se mit à chanter de plus bel :
           Pié zorange, baille zorange, baille zorange
           Gro-diable’la lé mangé mwen !
         
           Oranger, donne des oranges, donne des oranges
           Le gros diable veut me manger !
           De belles oranges bien grosses remplacèrent les fleurs. Ti Pocame les cueillit et les envoya sur le diable. Il le bombarda surtout que les oranges étaient inépuisables : dès qu’il en cueillit une, une autre apparaissait à la place. La bataille dura toute la nuit. Ti Pocame était très adroit et chacune de ses oranges atteignait le diable qui, lorsque le jour pointa, se trouva enseveli sous les oranges magiques. Lorsque le premier rayon du soleil brilla, la terre s’ouvrit et le diable y disparut.
         Ti Pocame sauta de son arbre sauveur qui lui aussi disparut à son tour. Il retrouva dans le fond de sa poche les sept pépins d’orange. Il songea à sa chère Marraine et décida d’aller vivre chez elle. Ti Pocame se mit donc en route, certain que les sept pépins d’orange le protégeront de tous les dangers.

                                         «Ti Pocame Ti Pocame»
                                       www.antanlontan.perso.infonie.fr
       

 

















(5)

CONTES DES DEUX AMÉRIQUES :

Les États-Unis
Le Canada
                                                 Le Mexique
La Guyane
Le Brésil
Le Venezuela

                                    

                                    








Boulettes de papier
(Conte de Winesburg-États-Unis)

       C’était un vieillard à barbe blanche, avec un nez et des mains énormes. Bien avant l’époque où nous fîmes connaissance, il exerçait la médecine et faisait traîner sa voiture de maison en maison, à travers les rues de Winesburg, par un mauvais cheval blanc. Un peu plus tard, il épousa une jeune fille qui avait de l’argent. Elle avait hérité à la mort de son père d’une grande ferme aux terrains fertiles. Cette jeune fille était calme, grande et brune. Beaucoup de gens la trouvait belle. Tout le monde à Winesburg se demandait pourquoi elle avait épousé le docteur. Dans l’année qui suivit le mariage, elle mourut.
      Les articulations des mains du docteur étaient extraordinairement larges. Quand ses mains se fermaient, elles avaient l’air d’un paquet de boules de bois brut, grosses comme des noix et liées par des baguettes d’acier. Il fumait une pipe de terre cuite et, de puis la mort de sa femme, se tenait toute la journée dans son bureau solitaire, assis près d’une fenêtre couverte de toiles d’araignée. Il n’ouvrait jamais cette fenêtre. Un jour d’août où il faisait très chaud, il essaya de l’ouvrir, mais elle résista. Après quoi, Il n’y songea plus.
     Winesburg finit par oublier le vieillard. Il y avait cependant chez le docteur Reefy les germes d’une très noble personnalité. Seul dans son bureau qui sentait le moisi, au premier étage de l’immeuble Heffner, au-dessus du dépôt de tissus parisiens, il travaillait sans relâche à construire quelque chose qu’il détruisait ensuite. Il érigeait de petites pyramides de vérité et, après les avoir érigées, les démolissait, afin de pouvoir s’en servir pour bâtir d’autres pyramides.
      Le docteur Reefy était un homme de haute taille, qui portait le même complet depuis dix ans. Les manches en étaient élimées, de petits trous apparaissaient aux genoux et aux coudes. Dans son bureau, il revêtait une sorte de cache-poussière, avec d’énormes poches où il fourrait continuellement des morceaux de papier. Au bout de quelques semaines, les morceaux de papier devenaient de petites boulettes serrées et dures, et quand ses poches en étaient remplies, il les vidait sur le plancher. Depuis dix ans, il n’avait qu’un seul ami nommé John Spaniard, qui possédait une pépinière. Quelquefois, pour plaisanter, le vieux docteur Reefy sortait de ses poches une poignée de boulettes et les lançait à l’homme de la pépinière : «C’est pour confondre toutes vos idées, vieux blagueur sentimental », criait-il, secoué par un éclat de rire.
     L’histoire du docteur Reefy et de ses amours avec la grande jeune fille brune qui devint sa femme et lui laissa de l’argent est très curieuse. Elle a beaucoup de saveur, comme les petites pommes ridées qui poussent à Winesburg. En automne, on se promène dans les vergers au sol durci par le gel. Les pommes ont toutes été cueillies. Elles ont été mises en baril et expédiées par mer à de grandes villes, où elles seront mangées dans des appartements remplis de livres, de revues, de meubles et de gens. Sur les arbres, il ne reste plus que quelques pommes ratatinées, que les cueilleurs ont dédaignées. Elles ressemblent aux jointures du docteur Reefy. Mais quand on les grignote, on les trouve délicieuses. Toute la saveur de la pomme semble s’être concentrée dans un petit rond au flanc du fruit. On court d’un arbre à l’autre sur le sol gelé, en cueillant de vieilles pommes ridées, dont on remplit ses poches. Un petit nombre de personnes seulement connaissent la douceur des fruits ratatinés.
      La jeune fille brune et le docteur Reefy commencent leur relation d’amour un après-midi d’été. Ils avaient alors quarante-cinq ans et avait déjà commencé à remplir ses poches de bouts de papier, qui devenaient des boulettes dures et puis qui étaient jetés. Il avait pris cette habitude aux heures où il s’en allait  dans sa carriole, derrière la haridelle grise, et suivait lentement des routes de campagne. Sur les papiers étaient écrites des pensées – des fins de pensées, des commencements de pensées.
       Une par une, l’esprit du docteur Reefy les avait forgées. Lorsqu’elles étaient assez nombreuses, il en tirait une vérité, qui atteignait dans son cerveau des proportions gigantesques. Cette vérité lui voilait l’univers, puis elle s’évanouissait  pour de nouveau place aux petites pensées.
       La grande jeune fille était venue consulter le docteur Reefy parce qu’elle allait avoir un enfant et qu’elle avait très peur. Elle se trouvait dans cet état à la suite de curieuses circonstances.
       Les riches arpents de terre dont elle avait hérité à la mort de ses parents lui avaient attiré tout un défilé de prétendants. Pendant plus d’un an, elle reçut ces hommes presque chaque soir.
        Sauf deux, tous étaient pareils. Tous lui parlaient d’amour, en mettant dans leurs yeux et dans leurs voix une espèce d’ardeur exagérée, dès qu’ils se trouvaient près d’elle. Les deux prétendants qui faisaient exception ne se ressemblaient pas. L’un, svelte jeune homme aux mains blanches, fils d’un bijoutier de Winesburg, parlait constamment de pureté virginale. En présence de la jeune fille, il n’abandonnait jamais ce sujet. L’autre, garçon aux cheveux noirs et aux grandes oreilles, ne disait rien, mais s’arrangeait toujours pour l’attirer dans un coin sombre et l’embrasser.
        Pendant quelque temps, la grande brune crut qu’elle épouserait le fils du bijoutier. Des heures de suite, elle l’écoutait en silence, mais il finit par l’effrayer.
        Elle se mit à penser que, sous ces beaux discours de pureté virginale, se cachait en lui un désir plus violent que chez les autres. Quand il parlait, elle avait à certains moments l’impression qu’il la tenait prisonnière entre ses mains Elle se l’imaginait tournant lentement un corps de jeune fille dans ses mains blanches et le dévorant des yeux. La nuit, elle rêva qu’elle l’avait mordue en pleine chair et que ses mâchoires étaient mouillées. Après avoir fait trois fois le même rêve, elle se donna à celui qui ne parlait pas, mais qui à l’heure de la passion, la mordit vraiment à l’épaule, si fort que la marque des dents restèrent visibles pendant plusieurs jours.
      Lorsque la grande jeune fille brune eut fait connaissance du docteur Reefy, il lui sembla qu’elle ne pourrait jamais quitter ce dernier. Elle était entrée dans son bureau un matin, et n’avait eu besoin de rien lui dire, car il avait paru deviner aussitôt ce qui était arrivé.
     Il y avait dans le bureau du docteur une autre cliente, dont le mari tenait la librairie de Winesburg. Comme la plupart des anciens médecins de campagne, le docteur Reefy savait arracher les dents. La femme qui attendait pressait en gémissant un mouchoir contre sa bouche. Son mari l’avait accompagnée. Ils poussèrent tous deux un cri lorsque la dent céda et que le sang jaillit sur la robe blanche de la femme. La grande jeune fille brune n’y fit pas attention. Quand le couple fut parti, le docteur sourit : «Je vous emmènerai promener en voiture dans la campagne», dit-il.
       Pendant plusieurs semaines, la grande jeune fille brune et le docteur passèrent presque toutes leurs journées ensemble. La cause qui avait amené cette nouvelle cliente disparut à la suite d’une maladie, mais la jeune fille ressemblait aux gens qui ont découvert la douceur des pommes ridées, elle ne pouvait plus fixer son esprit sur le fruit rond et parfait que l’on mange dans les appartements  des villes. A l’automne de cette même année, elle épousa le docteur Reefy, mais au printemps suivant, elle mourut. Pendant l’hiver, il lui avait lu toutes les pensées sans que ni tête qu’il griffonnait sur des bout de papier. Après les lui avoir lues, il se mettait à rire et les enfonçait dans ses poches, pour en faire de petites boulettes serrées.
                                                  
                                                  Sherwood Andersion
                                    «Winesburg-en Ohio». (Edit. Gallimard)
                  

Le dernier Nabab
(Conte de New York-États-Unis)

       Nous déjeunâmes le lendemain au Bev Brown Derby, restaurant plein de langueur, fréquenté pour sa cuisine par des clients qui avaient toujours l’air prêt à se coucher. Il y a une peu d’animation au moment du déjeuner, au moment où les femmes montent un spectacle pendant les cinq premières minutes où elles mangent, mais nous formions une trilogie bien tiède. J’aurais dû satisfaire tout de suite ma curiosité. Martha Dodd était une fille des champs, qui n’avait jamais tout à fait compris ce qui lui était arrivé et qui n’avait rien à montrer à ce sujet qu’un regard délavé dans les yeux. Elle continue à croire que la vie qu’elle avait connue était la réalité et elle passait son temps à attendre.
      «J’avais une situation magnifique en 1928, nous-elle – trente arpents, avec un terrain de golfe miniature, une piscine et une vue splendide. Tout le printemps, j’avais le cul dans les pâquerettes.»
      Je finis par lui demander de venir voir mon père. C’était une simple pénitence pour expier un «sentiment confus» et en avoir honte. On ne confond pas les sentiments à Hollywood – on n’y verrait plus clair. Tout le monde comprend, et le climat vous démolit. Un sentiment confus est un gaspillage évident.
     Jane nous quitta à la porte du studio, dégoûté de ma lâcheté. Martha avait monté sa carrière jusqu’à son paroxysme, pas un très haut paroxysme, à cause des sept années d’abandon, mais une sorte d’approbation nerveuse, et j’allai parler fermement à mon père. Ils n’avaient rien fait pour des gens comme Martha, qui leur avait fait tellement d’argent à l’époque. Ils les laissaient glisser dans une misère colmatée par des extras – ç’aurait été plus gentil de les expédier en dehors de la ville. Et mon père qui était si fier de moi        cet été-là.
     Je devais l’empêcher de dire à tout le monde comment j’avais été élevée de façon à devenir un si parfait bijou. Et Bennington – oh ! quelle élite – on Dieu, mon cœur. Je lui assurai qu’il avait la proportion habituelle de tire-au-flanc et des souillons-nés délicatement dissimulés par les prodigues noceurs de la Cinquième Avenue, mais mon père s’était démené jusqu’à être pratiquement un ancien élève. «Tu as eu tout ce que tu voulais», avait-il coutume de dire avec joie. Tout comprenait grosso modo les deux années de Florence où je réussis en dépit des gros paris engagés à être la seule vierge de l’école, et les débuts dans le monde, à Boston, Massachusetts. J’étais une fleur authentique de la vielle et belle aristocratie marchande.
     Je savais donc qu’il ferait quelque chose pour Martha Dodd et en entrant dans son bureau, j’avais de grands projets charitables aussi à l’égard de Johnny  Swanson, le cow-boy, et d’Evelyn Brent, et toutes sortes de fleurs jetées au panier. Mon père était un homme charmant et sympathique – sauf cette fois où je l’avais vu par hasard à New York – et il y avait quelque chose de touchant dans le fait qu’il était mon père. Après tout, il était mon père – il ferait n’importe quoi dans le monde pour mes beaux yeux.
      Seule, Rosemary Schmiel se trouvait dans le premier bureau et elle parlait au téléphone de Birdy Peters. Elle me fit signe de m’asseoir, mais j’étais pleine de mes projets et je dis à Martha de ne pas s’en faire ; j’appuyai sur le déclic sous le bureau de Rosemary et me dirigeai vers la porte ouverte.
      «Votre père a une conférence, cria Rosemary. Pas une conférence, mais je dois…»
       A ce moment, j’avais traversé la porte, un petit vestibule et une autre porte et je surpris mon père en manches de chemise, en nage et essayant d’ouvrir une fenêtre. Il faisait chaud, mais je ne m’étais pas rendu compte qu’il faisait si chaud et j’ai cru qu’il était malade.
      « Non, je vais bien ! dit-il. Qu’est-ce qu’il y a?»           
       Je lui expliquai. Je lui racontai toute la théorie des gens comme Martha Dodd, en marchant de long en large dans son bureau. Comment pourrait-il les utiliser et leur assurer un emploi régulier? Il parut considérer ce que je disais avec un grand intérêt, il approuvait et tombait d’accord, et je me sentais plus proche de lui que je ne l’avais été depuis longtemps. Je vins près de lui et l’embrassai sur la joue. Il tremblait et sa chemise était trempée.
      « Tu n’es pas bien, dis-je ou tu es dans toutes tes états.
       - Non, pas du tout.
       - Qu’est-ce que c’est ?
       - Oh ! c’est Monroe, dit-il. Ce diable de petit Jésus de Vine Street ! Il me hante jour et nuit!
       - Qu’est-ce qui s’est passé ? demandai-je, beaucoup plus froide.
       Oh ! il s’assied comme un diable de petit prêtre ou de rabbin et il raconte ce qu’il va faire et ce qu’il ne va pas faire. Je ne peux pas t’expliquer – je suis à moiti é fou. Pourquoi ne t’en vas-tu pas?
       - Je ne veux pas que tu te mettes dans ces états.
      - Va-t’en, je te dis ! Je reniflai, mais il ne buvait jamais.
      - Va te brosser les cheveux, dis-je. Je veux que tu voies Martha Dodd.
      - Ici ! Je ne pourrai jamais m’en débarrasser.
      - Dehors, alors. Va d’abord te débarbouiller. Mets une autre chemise.»                                                                                              
       Avec un geste de désespoir emphatique, il alla dans la petite salle de bains voisine. Il faisait chaud dans le bureau comme s’il avait été fermé pendant des heures et c’était peut-être ce qui le rendait malade ; c’est pourquoi j’ouvris deux fenêtres de plus.
       « Va-t’en », cria mon père de derrière la porte fermée de la salle de bains. « Je vais aller là-bas.
       - Sois gentil avec elle, dis-je. Pas de charité.»
        Comme si Martha intercédait pour elle, un long et faible gémissement sortit de quelque part dans la pièce. Je fus surprise – puis pétrifiée quand il recommença, non pas de la salle de bains où se trouvait mon père ; non pas de l’extérieur, mais d’un placard dans le mur en face de moi. Comment  fus-je assez brave, je ne sais, je courus l’ouvrir, et la secrétaire de mon père, Birdy Peters, en dégringola toute nue – tout comme un cadavre dans un film. Avec elle une bouffée d’air étouffant, de refermé. Elle tomba sur le côté sur le plancher, une main encore agrippée à ses habits et elle resta sur le plancher, trempée de sueur, juste au moment où mon père sortait de la salle de bains.  Je pouvais le sentir derrière moi, et sans avoir besoin de me retourner, je sais quelle tête il faisait, car ce n’était pas la première fois que je le surprenais.
       «Couvrez-la » criai-je, la couvrant moi-même avec un tais qui était sur le sofa. « Couvrez-la donc!»
         Je quittai le bureau. Rosemary Schmiel vit mon visage en sortant et répondit par une impression de terreur. Je ne la revis jamais ni Birdy Peters. Quand je sortis avec Martha, celle-ci me demanda : «Qu’est-ce qui se passe, chérie ?» - et comme je ne répondais pas : « Vous avez fait tout ce que vous avez pu. C’était probablement un mauvais moment. Je vais vous dire ce qu’il faut faire. Je vais vous emmener chez une Anglaise très gentille. Est-ce que vous avez vu la jeune femme qui était à notre table l’autre soir et avec qui Stahr a dansé?»
       Et c’est ainsi qu’au prix d’une petite plongée dans les égouts de la famille, j’obtins ce que je voulais.
                                                      
                                                        F. Scott Fitzgerald
                                «Le dernier Nabab» (Edit. Gallimard)
                      

Terrebonne
(Conte du Québec-Canada)

      Paris ne s’est pas fait en jour, Terrebonne non plus. Or, donc, Terrebonne qui est aujourd’hui un beau et grand village, étendu de tout son long sur la côte de la rivière Jésus, n’était, au dernier siècle, qu’un tout petit enfant qui s’essayait en jouant à grimper sur la côte.
      Il y avait dans ce petit village une petite maison, dont l’emplacement se trouve aujourd’hui au pied de la côte, au beau milieu de Terrebonne. Cette maison se trouvait à la fourche des quatre  chemins, circonstance importante quand on sait que c’est toujours là que se fait cet effrayant contrat : la vente de la poule noire. Le ciel est beau mais la terre bien triste.
      L’automne l’avait jonché de feuilles mortes, et les pluies l’avaient recouverte d’une hideuse couche de boue. Pourtant il n’y avait pas de mauvais temps, quand il s’agit de chômer une des fêtes canadiennes aussi vieilles que la première croix plantée sur notre sol.
      Or, c’était la sainte-Catherine, ce jour de jouissance nationale ; c’était la fête de cette sainte dont le nom seul apporte le sourire sur les lèvres des Canadiens.
      Terrebonne était alors, comme il l’est encore, essentiellement français, de sorte que tout ce qu’il y avait de gai s’était donné rendez-vous à la fourche des quatre chemins.
      La toilette était au grand complet ; de beaux grands garçons à la tournure cavalière, et des jeunes filles charmantes (comme il y en a encore à Terrebonne).
      Quand tout ce jeune monde fut disposé dans un local de vingt pieds carrés, c’était charmant à voir ; toutes ces têtes qui s’agitaient, ces pieds qui trépignaient, ces sourires, ces œillades, ces petits mots jetés négligemment dans l’oreille d’une voisine en passant, tout cela formait le plus joli coup d’œil.
      Après qu’on se fut donné force poignées de main, et peut-être quelques baisers,… ce dont l chronique toujours discrète ne dit rien… quand les jeunes filles eurent bien babillé, et se furent débarrassées de leurs manteaux, quelque chose frappa d’abord tous les jeunes gens à leur en faire venir l’eau à la bouche : une forte odeur de sucre était répandue dans la maison.
    Dans un coin, il y avait une cheminée que réchauffait un bon feu ; sur ce feu, était disposées méthodiquement deux grandes poêles à frire, qui contenaient, ce que tout le monde a deviné, de la mélasse ; car que faire à la Sainte-Catherine, si l’on ne fait pas de la tire ? La liqueur s’élevé à gros bouillons au-dessus des poêles, pour annoncer que tout serait bientôt prêt. Tous les yeux étincelèrent de joie.
     Après quelques minutes d’attente, employées à se prémunir contre les dangers qu’allait courir la toilette, le sucre fut apporté à l’appartement. Il n’y a pas besoin de dire que ce fut une fureur ; tout le monde se jetait dessus, en arrachait les morceaux des mains de ses voisins, avec des éclats de rire fous ; tout l’appartement fut métamorphosé en une manufacture de tire. Il y en avait partout, au plancher d’en haut comme à celui d’en bas ; l’appartement en était saturé.
    Puis les lignes se formèrent, on joua à la seine avec de longues cordes  de tire qui pêchaient les gens par le visage, chacun se permettait de dorer  le visage de son voisin ; tout le monde était sucré, barbouillé, tatoué, de la façon la plus pittoresque.
    C’était un brouhaha dans la maison à ne plus entendre, un tintamarre à devenir sourd. Une chose pouvait ralentir l’entrain et, pour un instant du moins, donner un peu de répit, c’était la musique, ce charme qui entraîne tous les êtres vivants, quelques grossiers que soient ses accords.
      Mais ici le roi des instruments venait de résonner. Un jeune blondin, à figure prétentieuse, assis dans un coin, promenait à tour de bras son archet sur son violon, en battant la mesure à grands coups de pied. Tout le monde se mit à fredonner et à sautiller : la tire était vaincue. Les souliers volent d’un bout à l’autre de la chambre sans qu’on les voit partir, les gilets en font autant : c’était un enchantement, un sort.
       Deux couples entre en danse, et entament une gigue furieuse, chacun de leur côté. Les sauts, les gambades, les saluts, les demi-tours à droite et à gauche, c’était un vrai tourbillon, c’était comme la chanson ; sens dessus dessous, sens devant derrière. À la gigue succédèrent la contredanse, la plongeuse, le triomphe, toutes danses animées, vives, gaies. Tout le monde était transporté.
      Danseurs et danseuses, hors d’eux-mêmes, sautaient, frottaient, piétinaient à en perdre la tête. Au moment où la danse était le plus animée, on entend tout à coup frapper à la porte : ta, ta, ta.
     - Ouvrez, dit un des danseurs.
     Un monsieur, vêtu en noir des pieds jusqu’à la tête, à la figure belle et intéressante, à la tournure distinguée, entre dans la maison. Chacun des assistants, avec cette politesse hospitalière, caractère national des Canadiens, s’empresse autour du nouveau venu; mille politesses lui sont prodiguées, et on lui présente un siège qu’il accepte.
      Les gens furent un peu surpris ; mais la politesse, l’hospitalité vraie et cordiale chez nos habitants, fait tellement partie de leurs mœurs, que l’étonnement fut de courte durée.
       La danse recommença de plus belle. L’étranger émerveillé regardait avec intérêt cette gaîté franche, si naïve, si expansive. Après quelques minutes, le monsieur étranger fut poliment invité à danser; il ne se le fit pas répéter et accepta l’offre de la meilleure grâce du monde. Il choisit parmi les jeunes filles une des plus jolies, et la promena tambour battant dans tout l’appartement.
     Tout le monde admirait la grâce et bonhomie de l’étranger, quand tout à coup la danseuse pousse un cri qui fait tressaillir tous les assistants et s’évanouit. La main de son partenaire avait violemment pressé la sienne. On la transporte dans une chambre, où les soins lui sont prodigués. La danse fut interrompue, tous les assistants commencèrent à regarder le monsieur avec soupçon.
       Le plaisir avait fait place à l’inquiétude. Un des jeunes gens s’avance vers l’étranger et lui demande son nom. Pas de réponse. Tout le monde se regarde avec étonnement : quel est cet homme singulier ? La demande réitérée ne reçoit pas plus de réponse, même mutisme. L’étranger paraissait cloué à son siège, sans mouvement aucun ; seulement, ses yeux commençaient à devenir plus brillants. Les jeunes gens tinrent conseil, et on résolut de le faire sortir. L’un d’eux lui dit tranquillement : Monsieur, nommez-vous, ou sortez.
      Pas de réponse.
      Les jeunes filles effrayées se retirèrent dans un coin de l’appartement, attendant avec anxiété le dénouement de cette scène extraordinaire.
      - Nommez-vous, ou sortez, répéta un des jeunes gens.
      Pas de réponse. Un silence morne régna pendant quelques secondes. Tous restèrent indécis, presque terrifiés, en voyant cet homme impassible qui ne bougeait pas. Un des plus résolus dit aux autres :
      - C’est la dernière fois, il faut qu’il sorte.
      Chacun hésite à s’approcher le premier. L’étranger ne bouge pas davantage ; seulement ses yeux deviennent de plus en plus brillants et lancent des éclairs ; tous les assistants sont éblouis ; personne ne peut soutenir son regard de feu.
      - Sortez, sortez.
      Pas de réponse.
      - Eh bien ! il faut le sortir, dit l’un d’eux. Plusieurs s’approchent de lui en même temps, et le saisissent, l’un par le bras, l’autre par le revers de son habit. Ils font un violent et inutile effort ;  il reste ferme et inébranlable sur sa chaise, comme une masse de plomb.
     Ses yeux deviennent plus ardents, toute sa figure s’enflamme graduellement ; en même temps une violente commotion se fait sentir, la maison tremble.
      - C’est le diable ! crie d’une voix perçante le joueur de violon, qui lance son instrument sur le parquet.
      - C’est le diable ! c’est le diable, répète tout le monde.
      Impossible de peindre la frayeur, le trouble, la confusion ; portes, châssis, tout vole en éclat sous les coups des fuyards ; des cris déchirants se font entendre de tous côtés. Il n’y a pas assez d’ouverture pour recevoir à la fois tout ce monde qui se heurte, se presse, s’essouffle.  
       Les lambeaux de gilets et de robes restent accrochés aux portes et aux châssis. Les blessures, les meurtrissures font pousser des gémissements. À droite, à gauche, les jeunes filles tombent évanouies. Les plus alertes fuient à toutes jambes, en criant partout : le diable ! le diable ! et réveillent tout le village avec ces lugubres mots. Tous les habitants se lèvent ; on sort, on s’informe. Quand le fort de la terreur fut passé, que quelques-uns eurent recouvré leurs esprits, ils racontent ce qu’ils ont vu.
       - Allons trouver M. le curé, dit une voix ; - allons le trouver, répètent les autres.
       Ils arrivent au presbytère, et trouvent le curé debout sur le seuil de sa porte, pâle, défait, ne sachant que penser. On lui raconte l’effrayant événement dans tous ses détails ; c’est le diable, lui dit-on, c’est le diable.
      Quand le curé eut bien pris ses informations : - J’y vais aller, dit-il, attendez-moi un instant.
      Le curé rentre dans son presbytère, se dirige vers sa bibliothèque, et y prend un petit livre à reliure rouge, le petit livre mystérieux, le Petit-Albert. Il revient après quelques minutes, et tous se dirigent vers la maison, non sans trembler. Le curé s’arrête à quelques pas, et fait signe à ses gens de plus s’avancer. Une clarté éblouissante était répandue dans la maison, on eût dit que l’incendie exerçait ses ravages. Le curé regarde dans la maison, et aperçoit un homme de feu assis sur une chaise toujours à la même place, immobile.
      Surmontant la frayeur qui le gagnait malgré lui, il ouvre le Petit Albert et en lit à haute voix quelques passages… l’homme de feu ne bouge pas. Il recommence à lire, accompagnant sa lecture de signes mystérieux, l’homme de feu s’agite violemment sur son siège. Le curé lit encore quelques mots, puis il dit à haute voix : au nom du Christ sortez d’ici !
     Tout à coup la maison reçoit une violente secousse, le sol tremble sous leurs pas. Un tourbillon de feu passa à travers un pignon de la maison. Tous s’enfuirent en poussant des cris effrayants. Le diable était parti, emportant avec lui un des pans de la maison, que l’on n’a jamais pu retrouver. Le curé s’en retourna tranquillement à son presbytère, le Petit-Albert sous le bras.
             
                                                             Charles Laberge
                                 «Terrebonne»
                                                              www.grandquebec.com
                      

Kagsagsuk, l’orphelin
(Conte du Nunavut-Canda)

     Il était une fois un pauvre orphelin qui vivait parmi des hommes durs dans le Nord du Canada, un endroit qui s’appelle aujourd’hui Nunavut. Son nom était Kagsagsuk. Il habitait avec sa vieille mère adoptive dans une misérable cabane, à côté du portail d’une grande maison où il n’avait pas le droit d’enter. A vrai dire, Kagsagsuk n’osait même pas pénétrer dans la cabane et il restait couché sur le seuil, cherchant une place chaude parmi les chiens. Lorsque, le matin, les hommes de la grande maison éveillaient leurs chiens avec des coups de cravache, le pauvre garçon en recevait aussi. Comme il avait mal, il criait : «Nah, nah, wa, wa, wa ! » et tous se moquaient de lui, parce qu’il se comportait comme un chien.  
     Lorsque les hommes de la grande maison se mettaient à manger toutes sortes d’aliments congelés, de la chair ou de la peau de morse, le petit Kagsagsuk les regardait avec envie dans son coin. De temps en temps, il le faisait venir, en le soulevant par ses narines. Ils lui jetaient quelques restes de viande congelée, mais sans lui donner de couteau pour le couper. Il était obligé  de se servir de ses dents, comme un chien ! Un jour, par cruauté et par bêtises, les hommes de la grande maison, lui arrachèrent une dent sur deux, sous prétexte qu’il mangeait de trop. La vie qui était déjà bien difficile devint insupportable pour Kagsagsuk.
       Sa mère adoptive qui était brave et bonne lui avait donné des souliers et une petite lance, pour qu’il puisse jouer dehors, devant la maison, avec les autres enfants. Mais ceux-ci le jetaient à terre, car il était resté petit et faible. Ils le roulaient dans la neige puis ils emplissaient ses habits, et le maltraitaient cruellement. Les fillettes aussi, lui jetaient de la neige et de la boue. Ainsi, le pauvre garçon était tourmenté de tous côtés.
      Avec le temps, il prit de l’âge et se risqua à s’éloigner davantage de la maison, jusque dans les montagnes. Il cherchait des lieux isolés et réfléchissait à l manière de devenir fort. Sa mère adoptive avait bien essayé de lui apprendre, mais Kagsagsuk, comme tous les enfants devait faire ses expériences tout seul.
      Un jour, il se plaça entre deux hautes montagnes et cria :
      -«Seigneur de la Force, viens à moi !  Seigneur de la Force, viens à moi !   Seigneur de la Force, montre-toi à moi!»

       Un grand ours parut.  Kagsagsuk fut tellement effrayé et qu’il se mit à courir, mais le monstre le rattrapa et le jeta à terre violemment. Il était incapable de se relever. Il entendit soudain craquer quelque chose, et aperçut une quantité d’os de chien marin, pareils aux osselets dont se servent les enfants pour jouer dans la cour de l’école. Les petits os tombaient de son corps comme l’eau tombe de la cascade. L’ours lui dit : «Ces petits os on empêché la croissance.» Il frotta sa queue autour du corps du garçon et, pour la seconde fois, de petits os s’en échappèrent. Il recommença une troisième, une quatrième et même une cinquième fois et à chaque opération, de petits os tombaient sur le sol. L’ours lui dit :
       - «Si tu veux devenir grand et fort, tous les jours tu dois venir t’exercer à la lutte avec moi.»
       Kagsagsuk s’en retourna chez lui, soulagé. Il courut, même, en faisant rouler des pierres sur la route. Lorsqu’il approcha de la maison, des fillettes crièrent :
       - «Voilà Kagsagsuk. Jetons-lui de la boue!» Et les garçons le frappèrent et le tourmentèrent comme auparavant. Lui se laissa faire et alla se coucher ; à son habitude, entre les chiens.
      Tous les jours, il rencontrait l’ours et s’astreignait chaque fois aux mêmes exercices. Chaque jour, il se sentait devenir plus fort. Il roulait maintenant de véritables blocs de rochers sur la route. Il devenait plus fort de jours en jours. Enfin, l’ours ne fut plus en mesure de le vaincre, et lui dit :
      -«C’est assez maintenant ! Nulle créature humaine ne pourra plus triompher de toi. Continue encore à t’en tenir à tes anciennes habitudes, mais, quand l’hiver sera venu et que la mer sera gelée, il sera temps de montrer ta force. Alors, trois ours puissants paraîtront, qui tomberont de ta main.»
     Un jour d’automne, les hommes de la grande maison rapportèrent sur l’eau un gros tronc d’arbre flottant, qu’ils attachèrent à quelques blocs de pierres sur la plage car il le trouvait bien trop lourd pour l’emporter immédiatement. A la nuit tombante, Kagsagsuk dit à sa mère adoptive :
      - « Donne-moi mes souliers, mère, afin que je puisse aller voir ce bois.
      Dès que tous furent couchés, il s’en fut vers la plage, délia les attaches, jeta le tronc sur ses épaules et le porta derrière la maison où il l’enfouit profondément dans le sol.
      Lorsqu’au matin, un des hommes sortit, il s’écria :
      - «Le bois est parti !» Les autres le rejoignirent et virent que les attaches avaient été rompues et ils étaient très surpris, car le bois avait disparu et cependant ni les flots ni le vent n’avaient pu l’emporter. Mais, une vieille femme, qui passait là par hasard, dit soudain :
      «Voyez donc, le tronc est là !» Tous accoururent, poussèrent de grands cris, s’exclamèrent : -«Certes, il doit y avoir parmi nous un homme d’une force exceptionnelle!» Et chacun d’eux se rengorgea pour faire croire que c’étai lui.
       Au début de l’hiver, Kagsagsuk fut encore plus maltraité que par le passé par les habitants de la grande maison, voisine de la cabane de sa mère. Mais lui ne modifia en rien sa manière de se comporter, il continuait à dormir parmi les chiens afin de ne pas éveiller de soupçon. Lorsque la mer fut toute recouverte de glace, la chasse au phoque fut interrompue et quand les jours redevinrent plus longs, des hommes accoururent annonçant qu’on avait aperçu trois ours polaires escalader un glacier. Personne n’osa sortir pour aller les combattre. L’heure d’agir était venue pour Kagsagsuk.
     - «Mère, dit-il, donne-moi mes souliers, je veux aller voir ces ours. Les hommes qui se trouvaient devant leur maison crièrent :   
     «Dans ce cas, rapporte-moi, du moins, une peau d’ours pour couverture, et une autre pour me coucher dessus.» Il prit les souliers, mit ses hardes sur son corps, et s’élança à la rencontre des ours. Les hommes, qui se trouvaient devant leur maison, crièrent :
      - «Quoi? N’est-ce point Kagsagsuk? Que peut-il bien vouloir faire? Qu’il retourne chez lui!» Et les jeunes filles dirent :
      - «Il est devenu fou!» Kagsagsuk se fraya un chemin à travers les habitants du village comme s’ils n’étaient qu’un tas de petits poissons. Il se mit à courir. Il était tellement léger que ses talons semblaient toucher sa nuque, et la neige en tourbillonnant étincelait de toutes les teintes de l’arc-en-ciel en se dispersant sous ses pas. Il monta tout en haut du glacier à la force de ses bras. Soudain, sans savoir d’où il venait, un ours énorme leva une patte vers lui. Kagsagsuk se tourna une fois sur lui-même, saisit l’animal par ses pattes de devant et le jeta contre le glacier, de sorte que les os s’y écrasèrent et le corps de l’ours tomba en bas, sur la glace, aux pieds des assistants, les villageois qui l’avaient suivi. Il leur cria :
     - «C’est là ma première capture! Enlevez-lui la peau et dépecez-le.» Les gens pensèrent :
     - «Le second ours le tuera sûrement!»
     Une fois encore, le spectacle se répéta, et le corps du second fut jeté sur la glace. Puis vint le troisième ours. Kagsagsuk le saisit par les pattes de devant, le fit tournoyer au-dessus de sa tête et en frappa l’un des hommes qui s’était approché de lui. Aussitôt Kagsagsuk  s’écria :
       - «Celui-ci s’est conduit cruellement et injustement avec moi!» Il frappa un second homme en hurlant :
       - «Celui-ci m’a traité encore plus mal, il m’a laissé avoir faim.» Puis il frappa un troisième, un quatrième, un cinquième homme et tous se mirent à fuir, saisis d’une épouvante sauvage.
      Mais il arriva derrière eux et alla vers sa mère adoptive, à qui il remit les deux peaux d’ours, en disant :
      -«Voici une peau pour ton lit et une autre pour t’en couvrir.» Puis il lui ordonna de dépecer la chair du troisième ours et de la faire cuire.
      Les habitants de la grande maison le prièrent d’entrer dans leur demeure. Mais il ne fit que jeter un regard par-dessus le seuil, selon son habitude, et dit :
       - Je n’entrerai pas, à moins que l’un de vous vienne me soulever par les narines, comme auparavant.» Personne n’osa plus le faire, maintenant; sa vieille mère adoptive s’approcha de lui et le fit. Tous étaient soudain très aimables avec lui. L’un dit :
      - «Approche-toi donc un peu plus!» L’autre :
      - «Ne te mets donc pas là-bas où le banc est nu. Il y a là une meilleure place pour Kagsagsuk». Mais lui refusa toutes ces invitations et prit place sur le banc de pierre. Quelques-uns lui dirent :
      - «Nous avons des souliers pour Kagsagsuk.» D’autres :
      - «Voici des pantalons pour lui.»  Et les jeunes filles rivalisaient à qui offrirait de lui coudre des vêtements. Un homme ordonna à l’une d’elles d’apporter de l’eau pour «notre cher Kagsagsuk ». Lorsque la jeune fille revint – c’était l’une de celles qui l’avaient le plus cruellement tourmenté et taquiné – il l’attira contre lui et la serra si fort qu’il l’écrasa. Alors, il dit :
      -«Il me semble qu’elle s’est écrasée». Mais les parents de la jeune fille dirent :
      - «Oh ! cela ne fait rien ! Elle ne valait d’ailleurs pas grand’chose. Et nous avons d’autres enfants encore.» Ensuite, quand les garçons entrèrent dans la salle, il les appela et leur fit de même. Il tua tous ceux qui l’avaient maltraité et tourmenté, et toujours, les parents disaient :  
    -«Oh ! cela ne fait rien ! ils ne valaient d’ailleurs pas grand’chose. Et nous avons d’autres enfants encore. Il ne faisaient que jouer!» Ainsi, Kagsagsuk continua à supprimer tous ceux qui l’avaient maltraité et il ne s’arrêta que lorsque tous furent tués de sa main.
     Quant à ceux qui avaient été bons pour lui, car comme partout il y en avait, il fut bon pour eux, lui aussi. Il répartit entre les affamés ce que les hommes de la grande maison avaient mis de côté pour l’hiver. Il s’occupa des pauvres et s’en alla loin sur la mer, dans son kayak, pour les servir. Il s’en alla vers le Sud, vers le Nord, vers l’Est, vers l’Ouest et accomplit de hauts faits. Aujourd’hui encore, on se montre les traces de ses actes héroïques – ce qui prouve que l’histoire de Kagsagsuk est vraie.     

                                    «Kagsagsuk, l’orphelin»
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 La sorcière triste
(Conte du Mexique)

     L’on raconte à la ferme dite El Centro, que dans le temps, il apparaissait des sorcières transformées en bêtes, qui attendaient que quelqu’un passe sur le chemin pour lui sucer le sang.
     C’est pour cela que personne ne sortait après le coucher du soleil. Il n’y avait qu’un homme qui n’y croyait pas; il vivait en bordure de la ferme avec son petit-fils de trois ans qui le suivait partout. Il n’était pas rare que les deux restent plusieurs jours à la montagne pour surveiller le bétail. Ils s’installaient à côté d’un arbre et, la nuit tombée, ils s’endormaient sans s’inquiéter ni de sorcières ni d’apparitions.
     Un jour, arrivés dans la forêt à la nuit tombante, l’enfant ne tarda pas à s’endormir. L’homme l’enveloppa dans une couverture et alla ensuite ramasser du bois. Il était déjà assez loin de l’arbre lorsqu’il entendit un fort cri de femme venant de l’endroit où se trouvait son petit fils. Il courut retrouver l’enfant. Dans l’arbre le plus près du garçon, il y avait une chouette aux yeux brillants et à l’aspect terrifiant. Quand il la vit, l’homme lui jeta une pierre pour l’effrayer, mais au lieu de cela, la bête s’approcha de l’enfant. Alors l’homme prit son petit-fils dans ses bras et se mit à prier en regardant la chouette droit dans les yeux. Et voilà que la chouette se tut et tomba de l’arbre.
    L’homme continua à prier ; la bête se roula par terre et finit par se transformer en une jeune fille qui habitait la ferme.
     - Je vous en supplie, ne dévoilez mon secret à personne, dit la  sorcière.
     - Seulement si tu promets de ne pas t’approcher de nous, répondit l’homme.
     L’homme ne révéla jamais le nom de la jeune fille, mais il raconta aux voisins qu’il avait vu une sorcière et que c’était une femme qu’ils connaissaient tous.
     Depuis ce moment-là, l’on entend de tristes lamentations de femme dans l’arbre ; l’on dit que c’est la sorcière qui pleure parce que quelqu’un connaît son secret.

                                  La sorcière triste
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Légende guyanaise
(Conte de Guyane)

     Il était une fois, il y a très longtemps, un jeune indien qui répondait au nom de Wayni. Membre de la tribu Wayanas, il vivait sur les bords du fleuve Maroni, en pleine forêt amazonienne. Malgré son jeune âge, Wayni était déjà un fin chasseur, qualité fort appréciable pour laquelle il était reconnu. Chassant toujours en solitaire comme le voulait la tradition, il ne revenait jamais sans quelque proie pour nourrir sa famille. Mais de tous les animaux qu’il chassait, les oiseaux avaient sa préférence. Non qu’il aimât les manger, leur chair n’avait pas de goût particulier, mais la technique de chasse, difficile tant ces animaux sont méfiants et rapides, était délicate. Pourtant, chasser les oiseaux, ou plutôt chasser ‘pour le plaisir’ n’était pas bien vu, et sa mère le mettait souvent en garde :
    - A force de chasser les oiseaux, il t’arrivera malheurs.
    Malgré l’abondance de la faune, la chasse était un art difficile dans cette forêt dense où le soleil avait beaucoup de mal à percer. Il faut dire qu’en ces temps très anciens où se déroule cette histoire, les oiseaux n’avaient aucune couleur, et la tristesse de leur plumage (ils étaient blancs, mais d’un blanc ‘triste’) le rendait presque invisibles.
     En quittant ce village ce matin-là, Wayni se dirige vers les berges du fleuve où est amarrée sa pirogue. Alors qu’il s’apprête à la rejoindre, une pierre de couleur, puis 2, puis 10, puis 20 attirent son attention sur la berge… Rouges, vertes, bleues, oranges, jaunes, violettes, elles sont toutes les unes plus resplendissantes que les autres. Wayni n’en croit pas ses yeux tellement elles sont éclatantes. Se penchant pour les ramasser, il en fait immédiatement un collier dont il se pare sans plus attendre.
      A peine a-t-il revêtu ses nouveaux atours qu’il est pris d’une étrange douleur. D’abord la poitrine, puis la douleur se diffuse très rapidement dans tout le corps. Bientôt, ses jambes ne le portent plus et s’enfoncent dans son tronc pour disparaître tout à fait. Ses membres se rétrécissent de même et le corps de Wayni n’est bientôt plus qu’un tronc qui s’allonge, s’allonge… Son cou et sa tête ne font bientôt plus qu’un tandis que son corps se couvre maintenant d’écailles multicolores, prenant des formes géométriques aux couleurs des pierres qu’il avait ramassées… La malédiction venait de frapper Wayni : il s’était transformé en un serpent multicolore de 8m de long, condamné à hanter le Maroni!
      Oui, vif comme l’éclair, le serpent dévorait tout ce qui osait s’aventurer sur le fleuve, qui était devenu son territoire. Poissons, animaux, oiseaux et mêmes les hommes, le serpent les tuait et les mangeait tous. Au fur et à mesure qu’il grossissait, son appétit devenait de plus en plus grand et les ravages qu’il causait terrorisaient la région.
      Après des mois de ravages, le chef du village décida enfin de réagir et fit appel à tous les animaux de la forêt.
     - Je vous ai réunis aujourd’hui, commença-t-il, pour mettre un terme aux ravages que causer le serpent multicolore. Je cherche plus courageux d’entre vous, celui qui sera capable de tuer le serpent. En récompense, la peau du serpent sera sa propriété.
     Si cette peau du serpent les faisait tous rêver, le risque était trop grand et chacun trouvait une excuse.
      - J’ai une famille à nourrir, s’excuse le maïpouri.
      - J’ai déjà chassé hier, poursuivit le pac.
      - Je ne travaille pas le dimanche ! se justifia le jaguar.
      - Il fait trop chaud pour travailler, continua le caïman.
      - Je ne sais as nage, s’exclame le cochon bois.
      Chacun se tirait d’affaire comme il pouvait… Le cormoran s’avança soudain devant le chef :
      - Je vais le tuer moi ! déclara-t-il devant la foule hilare.
      - Tu es bien petit ! répondit le chef, mais tu es courageux. Que les esprits te viennent en aide !
      S’il ne faisait en effet pas le poids face à ce monstre de serpent, le cormoran avait beaucoup de malice et d’audace.
      Prenant en son bec la flèche la plus effilée du village, l’oiseau s’éleva dans les airs et, repérant le serpent repu qui se reposait au fond du fleuve, plongea depuis 1000m d’altitude auxquels il était arrivé. La flèche en bec, il fondit comme une balle sur le serpent qu’il tua net, transperçant sa tête de part en part.
     Prenant la mesure de cet exploit, tous les animaux et les villageois sautèrent de joie. Le chef félicita chaleureusement le cormoran qui ne tarda pas à demander sa récompense… Mais le chef ne pouvait se faire à l’idée de voir  cette magnifique peau orner autre chose que son habitation : il essaya une dernière entourloupe :
     - Si tu veux vraiment, tu n’as qu’à la récupérer toi-même!  
     Les animaux partirent dans un rire que rien ne paraissait pouvoir arrêter, tant ils appréciaient la malice du chef. Nullement découragé, le cormoran remercia le chef d’un coup de sifflet majestueux, rassembla autour de lui tout ce que la jungle connaissait d’oiseaux. Du plus petit au plus grand, ils avaient tous répandu à l’appel. Le tableau aurait pu être superbe si l’uniformité de leur plumage blanc avait connu la couleur, jusqu’alors réservé aux fleurs et aux papillons.
    - Mes amis, commença le cormoran, je vous ai réunis pour que vous m’aidiez à récupérer la récompense qui m’est due. A nous tous, nous allons plonger et ramener la peau du serpent multicolore hors de l’eau. Ensuite nous la nous la partagerons parce que nous appartenons tous à la même famille. Celle des oiseaux !! En quelques secondes, la peau du serpent fut ramenée sur les berges du Maroni. Chacun des oiseaux découpa alors un morceau avec lequel il s’envola. Et c’est alors qu’une chose incroyable se produisit. La couleur de la peau du serpent devint tout à coup toute blanche tandis que le plumage des oiseaux se colorait de couleurs magnifiques, correspondant à celles du morceau de peau qu’ils avaient prélevé. C’est depuis ce jour, et depuis ce jour seulement que les oiseaux du Maroni portent les plumages colorés extraordinaires que nous leur connaissons… Mais c’est également depuis ce jour que les Indiens, furieux d’avoir vu cette peau leur échapper, se mirent à chasser des oiseaux, pour récupérer les plumes…
                                     
                                «Légende guyanaise»
                                                           www.ayabdl.free.fr
                        

    Juruva à la recherche du feu
(Conte du Brésil)
       
     Anaya, une petite fille joue avec son ami l’oiseau Juruva. De retour chez elle, sa mère lui demande d’aller chercher une braise chez la voisine, le feu s’étant éteint ! Mais le feu a disparu…
     Bouleversés par l’incroyable nouvelle «Le feu est mort», les villageois finissent par se réfugier dans la case commune, plongés dans l’obscurité et entourés d’ombres géantes.
     Les hommes doivent alors convoqués les esprits de la forêt. En route, l’un d’entre eux rencontre l’esprit de l’Eau, l’alligator, voilà sa réponse : «Je ne veux rien savoir de l’homme, il ne respecte pas le fleuve!». Le deuxième homme rencontre l’esprit de la Terre, le jaguar, il lui demande de l’aide. Voici sa réponse : «Je ne veux rien savoir de l’homme, il ne respecte pas la terre! ». Le troisième rencontre l’esprit de l’arbre, le singe, voici sa réponde : «Je ne veux rien savoir de l’homme, il ne respecte pas les arbres!».
    Ils rentrent ainsi tous bredouilles… Alors sans rien dire, à personne Anaya s’enfuit dans la forêt à la rencontre de son ami Juruva. «Pour toi, j’irai chercher le feu !» assure Juruva et grâce à l’orage, il retrouva le feu. Désormais, Juruva sera l’Oiseau sacré, les plumes de sa queue, d’où il avait coincé et ramené la braise porteront à jamais la marque de son exploit.

                                 D’après Hélène Kerillis et Florence Koenig
                              «Juruva à la recherche du feu»
                                            www.oeildailleurs.blogspot.com
                        

 Le Gaucho Pampa
(Conte de Buenos Aires-Argentine)
    
       Il était une fois… dans un lointain pays de l’Amérique, une petite statuette, c’était la petite statuette du «Gaucho Pampa ».
Le  «Gaucho Pampa», c’est l’homme de la « Pampa » du Sud. Cette petite statuette a eu un drôle de destin. Elle était une copie des dessins de «Florencio Molina Campos», un peintre qui dessina les pampas argentines et leurs gens. Elle naquit dans les mains d’un artisan argentin.
      Un jour, quelqu’un est arrivé près de la petite statuette du «Gaucho Pampa » et l’a prise tièdement dans ses mains pour lui faire commencer un long voyage. Une petite statuette du «Gaucho Pampa » commençait avec orgueil un long chemin, elle était heureuse de trouver dans son chemin de nouveaux paysages, des personnes, des lieux merveilleux. Elle serait offerte à quelqu’un pour son anniversaire : quel bonheur avait la petite statuette du «Gaucho Pampa», loin de ses pampas. Elle fut accueillie avec bonheur aussi, au milieu des mers de Caraïbes, si loin de son artisan, si loin de ses pampas.
    De là, elle arriva à sa nouvelle demeure, elle fut installée sur un bureau, ou sur une étagère, ou dans un tiroir, elle ne se souvient plus maintenant où. Elle continuait heureuse, elle avait l’orgueil des hommes du Sud, les Gauchos pampa, elle portait ses vêtements, debout, toujours froide. Quel bonheur!!!
    Mais… un jour, pauvre petite statuette du «Gaucho Pampa», elle termina au fond d’une poubelle, d’une poubelle de Fort de France. Qu’est-ce qui s’était passé ? Elle ne le comprenait pas, quelle tristesse au fond de cette poubelle de Fort de France, combien d’obscurité, quel destin pour une statuette du «Gaucho Pampa», copie des dessins du peintre Molina Campos. Inimaginable au début du voyage.
    Elle pensait à son pauvre destin, les «Gauchos Pampa» sont des hommes tristes, solitaires, qui chantent leurs vies avec les « payadas», qui galopent sur leurs chevaux à travers les prairies du Sud, qui n’ont pas de propriétaire ni de chef, ils «jouissent» de s’appartenir. Et dans ces pensées, était la petite statuette… Soudain… elle entendit des voix… au fond de la poubelle de Fort de France, évidemment, elle se trompait.
     Qui peut entendre des voix au fond d’une poubelle de Fort de France? Les poubelles de Fort de France ? C’est le néant, le noir, c’est la destruction définitive, c’est la fin le fond d’une poubelle de Fort de France. Mais… non, elle entendait des voix, la petite statuette du «Gauchos Pampa», il y vivait des petites lumières qui s’allumaient dans le fond de la poubelle de Fort de France. Alors, la petite statuette regarda, écouta et commença à parler.
     Qui êtes-vous, dit-elle, à deux petits porte-monnaie ? Quelle tristesse devez-vous avoir ici, vous aussi au fond d’une poubelle de Fort de France !!!!! Ah non, répondirent ensemble les porte-monnaie, nous avons un meilleur destin !!! Une mère «pauvre d’argent», nous trouvera, nous ramassera et nous offrira à ses enfants, nous seront pour eux, ses deux enfants, seulement ses deux enfants pourront changer notre chemin, nous seront seulement à eux.
      - Ah ! pensait l petite statuette, il y a de la discussion, ici au fond de cette poubelle de Fort de France.
      - Et, vous petit bijou? Qu’est-ce que vous faites ici, on dirait que vous avez brillé autrefois !!!
     - Oh ! moi, dit le petit bijou, c’est que j’aurais dû être gardé ou offert à quelqu’un sans brutalité, amis… j’ai terminé moi aussi, ici, dans le fond de Fort de France. Mais ne vous inquiétez pas, une fillette «pauvre d’argent», mais «riche de cœur», me trouvera !!! Elle me ramassera et me gardera, et… plus tard, quand la petite fille grandira, j’appartiendrai à «sa fille», et à la fille de celle qui aura su me ramasser.
     - Oh ! continuait à se dire la statuette du Gaucho pampa, ce n’est pas si mal ce fond de poubelle de Fort de France.
     - Et vous petite boîte argentée ?
     - Ah !!! Moi, je serai ramassée par celui n’a jamais eu un objet d’un certain luxe et je garnirai son étagère, je serai l’unique à le garnir !!!!
     - Mais… se disait la petite statuette du Gaucho pampa… Il y a de vie au fond de cette poubelle !! Ça commence même à briller !!!
     - Et vous, album de photos ? Qui vous ramassera ?
     - Oh !!! moi, je serai divisé, je me multiplierai, quelqu’un aura une photo d’un paysan du Nord du Chili, un autre aura une photo des Andes, un autre d’une petite indienne qui habite aux pieds des montagnes. Je régalerai les yeux et l’esprit de multiples personnes. C’était injuste de rester tout assemblé !!! C’était mon destin !!!
     - Et toi, petite statuette du Gaucho pampa, quel est ton destin ? Questionnèrent-ils tous en même temps !!!
    - Mon destin, c’est bien sûr celui du «Gaucho Pampa», je ne le sais pas, parcourir, parcourir, peut-être de nouveau, je tomberai au fond de cette poubelle de Fort de France, mais je ne saurai qu’il y a de la lumière au fond de cette poubelle… pour qui sait la voir.
                                                               Giselle Badin
                                                    «Le Gaucho Pampa»
                                                     www.la-mee.contestataire.over-blog.com