martes, 6 de enero de 2015

Contes anciens de la femme à Fès



        

                              Dr. SOSSE  ALAOUI MOHAMMED











                  Contes anciens de la femme

                                                           de Fès






                            

                                                1900-2015



                                                            Présentation
    En reprenant quelque peu Emile Dermenghem, nous dirons, d’entrée de jeu à ce recueil des ‘Contes anciens de la femme de Fès’, que nous restituerons quelques contes de la ville de Fès – mémorisés depuis la plus tendre enfance de mes parents, nés entre 1911 et 1929 et moi-même né en 1946 à Fès, et leur transcription en français -, visant à exprimer du dedans, directement et spontanément la condition de la femme marocaine, à la fois prise sur le vif et littérairement stylisée ici, suite aux  – ‘Contes fassis’, recueillis d’après la traduction orale et publiés par Mohammed El Fassi et Emile Dermenghem, Paris,  Editions d’Aujourd’hui, 1926/ PUF, 1975, p.12.
     Dans cette optique, la condition sociale de la femme de Fès n’est guère séparable de celle de ses compatriotes telle qu’elle est incarnée dans les contes populaires anciens, dont  elle est le plus souvent la conteuse surtout familiale et en même temps le protagoniste protéiforme d’un duel avec l’homme, où elle est tour à tour dupée et dupeuse, victime et bourreau.

         La condition de la femme marocaine dans les contes anciens  
         La condition de la femme marocaine relatée par les contes anciens de ce recueil rejoint dans ses grands traits thématiques une image d’Epinal universellement connue, depuis les ‘Mille et une Nuits’, de la femme arabe (donc de la femme marocaine), dont la séquestration et l’exclusion sociales passent pour proverbiales. “Les femmes arabes, s’interroge Sigrid Hunke, n’ont-elles pas de tout temps vécu dans la servitude, frustrées de tout droit et de toute liberté? Qui n’a entendu parler des harems grillagés où l’époux séquestre ses femmes et les surveille  jalousement? Des femmes que l’on marie sans se soucier de leur avis, que l’époux peut d’une simple phrase répudier quand bon lui semble et renvoyer à leur famille…!” – ‘Le soleil d’Allah brille sur l’Occident’, Paris, Ed. Albin Michel, 1963, p. 307. C’est aussi l’image à laquelle fait écho ce jugement incisif, issu d’un conte populaire ancien sur la dégradante condition de la femme marocaine d’hier et d’aujourd’hui, rapportée par Fatima Mernissi, dans ‘Qui l’emporte: la femme ou l’homme?’   “ Ce conte raconté par nos grands-mères à leurs enfants, écrit-elle, est merveilleux parce qu’il parle de leur beauté reniée, de leur grandeur bafouée, celle de l’épouse qu’on oublie d’apprécier… celle de la femme qui se donne tellement qu’on oublie de faire ses comptes avec elle…” – Casablanca, Ed. Banchara, 1983, p.5. Les femmes seraient donc les conteuses familiales majoritaires du conte populaire ancien à travers lequel elles  tentent symboliquement de refléter tant bien que mal leur condition humaine et sociale souvent précaire.
        La récitation du conte faite parfois  par  les femmes
       Près des grandes portes de la ville de Fès - comme Bab Guissa, Bab Ftouh, Bab Lhamra, Bab Makina, Bab Sagma, Bab Boujloud et Bab Lmahrouq – se tenaient jadis des cercles d’auditeurs exclusivement masculins (L’hlâïq, pluriel de l’halqa ou cercle) qu’animaient des lafdaouis (hommes orateurs-conteurs professionnels), mais dont le nombre se comptaient sur le bout des doigts de la main. Par contre, dans les familles, le nombre illimité des conteuses comprenaient presque toutes les femmes mûres du foyer, sans compter parfois les hommes – grands-mères, mères, vieilles tantes, servantes, etc., ou quelquefois les grands-pères, les pères, etc. - ex-auditeurs masculins des cercles (les hlâïq de lafdaoui). A cette différence près, c’est que le répertoire des conteuses amatrices familiales porte surtout sur les contes de la vie intimes d’initiation ou de mises en garde, celui des conteurs amateurs familiaux en particulier sur les légendes héroïques (chansons de geste) et les mythes religieux des prophètes et des saints d’Allah, Souverain Maître de l’Univers.
       Mais le plus souvent, la récitation du conte populaire ancien est faite  presque toujours par les vieilles femmes au foyer, pendant les veillées. “Ils (les contes de Fès), remarquent M. El Fasi et E. Dermenghem, forment un cycle spécial, sont racontés en famille, à la veillée, par des amateurs, presque toujours des femmes.” – Op.cit., p.13. Dans ce cadre, les contes que je transcris ici sont issus en grande partie de ma mémoire remontant à ma plus tendre enfance et à celle de mes parents et proches, nourrie de la récitation de la tante maternelle de ma mère (Lalla Fat’ma Alami, me tenant lieu de grand-mère), ma mère et autres conteuses et conteurs occasionnels (dont mon père et connaissances ultérieures de l’âge adulte). “Il s’agit, pour reprendre les dires des coauteurs de ‘Contes fassis’, d’un répertoire collectif courant : tous les fassis ont eu à  entendre durant leur jeunesse nourrie de ces contes comme les enfants français ont entendu ceux de Perrault et de ma Mère l’Oye.” – Ibidem.
      C’est pourquoi, le double mépris dont furent l’objet les femmes conteuses marocaines et leurs contes intimes, populaires, anciens  de la part des hommes n’était rien d’autre que le rejet de la contestation féminine de leur statut infantilisant - d’éternelle mineure et de ‘suppôt de Satan’ de filles d’Eve, cause du péché originel -, véhiculée de façon contradictoire par ces contes de la femme de Fès par excellence. “Enfin, soulignent M. El Fassi et coauteur, les hommes (marocains) méprisent ou affectent de mépriser, tout en les aimant au fond, ces histoires de vieilles femmes et récits à endormir les enfants, dont certains sont pourtant de toute beauté.” – Ibidem. C’est surtout par leur fonction socialisante que ces ‘Contes anciens de la femme de Fès’ prévalent, à notre humble avis, dans ce modeste recueil.
       La fonction socialisante du conte de la femme marocaine:
        En effet, les Contes anciens de la femme de Fès, réunis dans ce recueil, ont à la fois un caractère intime (vie privée de la femme et de l’homme mariés ou non), initiatique (vie des pratiques sociales) et préventif (mise en garde). “Si le mythe explique, dit un article de l’Université de Grenoble3, le conte exprime. Loin d’être un aspect accessoire de l’expression orale et littéraire d’une société, il est dans la société sans écriture (de culture orale) l’élément fondamental dans la transmission de certains caractères structuraux de la société.” - “La régénération dans le conte kabyle”, www.ugrenoble3.fr/ouamara/fichiers/contekabyle.html / mercredi 7 janvier 2004,  p.1.
         Les ‘Contes anciens de la femme de Fès’ ont de ce fait une fonction socialisante en analysant, en rêvant, en structurant et en reconstituant la société et en nous la faisant voir sur le mode de l’onirique. “La fonction socialisante du conte, écrit Bannour Abderrazak, apparaît aussi dans ce dialogue collectif (des contes anciens) qui s’instaure au niveau de la société. Il établit une liaison entre tous les membres (notamment les femmes et les hommes) de la société… Il est fin et moyen.  - Contes maghrébins, Paris, Ed. du CILF/ edicef, 1981, p.19.
        “De surcroît, les contes manifestent, selon At-Tayeb Houdaïfa, un système d’idées - force et de représentations de la femme. Ainsi l’image que les contes marocains donnent de la femme […]. Lesquels jouent parfois un rôle  de «mise en garde». Ce dernier cristallise dans "Harb n’sâ" (guerre des femmes contre les hommes), une série d’historiettes où la femme est montrée sous un jour peu reluisant (vision souvent masculine): légère, frivole, volage et capable de tous les subterfuges pour trahir son époux.” – “Contes et légendes ont animé les ruelles de Rabat”, ‘La Vie éco’, du 28/10/2005, p.2.  Mais, cela ne va pas sans rites dans leur récitation par la femme en famille au Maroc.               
        Les rites  du conte ancien de la femme marocaine
       La récitation (non sans quelques variantes) des contes anciens de la femme marocaine (notamment de Fès) est toujours précédée d’une formule rituelle d’ouverture (initiale) et suivie d’une formule rituelle de clôture (finale). “M. Eliade se pose à ce propos, la question de savoir «si le conte décrit un système de rites (de récitation) ressortissant à un stade précis de culture ou si son scénario initiatique est ‘imaginaire’ dans le sens qu’il n’est pas lié à un contexte historico-culturel, mais exprime plutôt un comportement anhistorique, archétypal, de la psyché (humaine)” – “La régénération dans le conte kabyle”, Op.cit., p.1. Or, d’après  M. El Fassi et coauteur, la formulette d’ouverture (ou initiale) des rites de la récitation des ‘Contes de la femme  marocaine’ à Fès est :
       " Kâne hattâ kâne, - hattâ kâne Allâh fkoul mkâne, - mâ takhouâ (mâ takhlâ) mannû lâ ard walâ mkâne, - hattâ kâne el-habeq wa es-sûsâne fahjar en-nebî ‘aîih aç-çalâtu wa es-salâm, - hattâ  kâne…"
        Il y avait et il y avait – et il y avait Allah en tout lieu – aucune terre et aucune place ne sont vides de Lui – et il y avait du basilic et du lys dans le giron du  Prophète (sur Lui la bénédiction et la paix de Dieu!) – et il y avait… un roi…une reine…etc. “Cette formule, notent les coauteurs, a évidemment pour but d’islamiser, de «monothéïser» en quelque sorte l’histoire (du conte) dont les héros seront souvent des génies, êtres surnaturels intermédiaires (entre les anges et les hommes), communs au paganisme et aux religions révélées, dont le culte exclusif serait de l’idolâtrie.” – in ‘Contes Fassis’, Op.cit., p.19.
       La formulette de clôture (ou finale) de la récitation des contes en question, selon mes propres souvenirs, est la suivante :
      " Mchât lakhrâfa ma’a lwâd,  wa mchînâ (bqîna hna) ma’a lajouad."
       Le conte est parti avec le torrent, - et nous sommes restés avec les êtres diligents. Ou encore selon M. El Fasi et coauteur:
       Khallinahoum tayaklou lahjar, ou jina naklou th-thamar".
       Nous les laissons (les bons génies) manger des pierres, - Et nous sommes venus manger des dattes.” – Op.cit., pp.19-20.
        Par ailleurs, la récitation des ‘Contes anciens de la femme marocaine’ ne doit pas se faire le jour, mais uniquement la nuit (ainsi que je l’ai entendu dire enfant par les miens), sinon la conteuse risquerait par malédiction d’avoir des enfants teigneux, borgnes, débiles ou difformes. “Le tabou, il est vrai, peut être levé parfois, rapportent les mêmes auteurs. A Fès, il faut pour pouvoir conter le jour, sans inconvénients, compter onze poutres au plafond. En outre, comme la menace est d’avoir des enfants teigneux, les vieilles femmes qui n’espèrent plus être mères, passent volontiers outre. Cette superstition tend d’ailleurs à disparaître. Il faut se garder de rien systématiser.” – Op.cit., pp.16,18.            

           En somme, les quarante ‘Contes anciens de la femme de Fès’, transcrits le plus fidèlement possible ici de l’arabe dialectal marocain en français, tentent surtout d’illustrer cette lutte séculaire et sans merci entre les sexes dans la culture populaire marocaine, conflit permanent dont la femme a, à son corps défendant, toujours fait les frais. “Dans la culture populaire (notamment le conte oral), dénonce justement F. Mernissi, la relation entre la raison (‘aql) et la déraison, la violence, le déchaînement des passions (ach-chahaouat) est inverse du rapport entre les sexes, tel qu’il est officialisé dans la culture dominante – la culture masculine, la culture du sacré , celle de l’écriture et de la loi (au Maroc), où la femme est la déraison (fitnah) et l’homme le dépositaire de la raison et de l’ordre, etc. […]. La guerre des sexes est déclarée!  ” – ‘Qui l’emporte: la femme ou l’homme?’, Op.cit., p.4.
                                                    L’auteur







                                                                    1

           La femme vertueuse dévoyée 

          Il y  avait une fois un homme qui allait partout vanter les vertus de sa femme .Il se passait pour l’époux le plus heureux et le plus comblé de son temps.
            Un jour, l’un de ses amis lui dit:
- Quand tu auras fini de raconter de pareilles sottises, tu viendras faire un tour quelque part avec moi.
Pour relever le défi, l’homme ne se le fit pas répéter deux fois. Aussitôt dit aussitôt fait, l’homme se dirigea avec son ami, le contradicteur, vers sa propre maison. Il se glissa dans un « tellis» (un sac de laine  traditionnel pour  le transport des céréales) et  porté sur le dos de son compère jusqu’à son domicile. L’ami frappa à la porte de la maison où il fut vite introduit. Il laissa le sac dans le corridor, dans un cagibi bien en vue, en un lieu d’où il pouvait voir sans être vu et suivre toute la scène qui allait se produire. Soudain, il vit à sa grande surprise, sa femme tombait dans les bras de son amant. Le thé agrémenté de gâteaux fut bientôt servi. Mais  comme convenu, celui-ci n’intervint pas et attendit le signal de son compagnon. Enfin, ce dernier pris un banjo et se mit à chanter la belle chanson d’amour que voici :
                       
                        O, sac de mélancolie
                        Rappelle  toi ce que
                        Je t’avais dit !
                        L’amour n’est qu’une
                        Illusion
                        Comme le rêve et
                        La trahison ...

     A ce moment - là , le mari surgit de sa cachette en disant :
    -En effet, l’amour n’est qu’une illusion, comme le rêve et la trahision !
A sa vue, la femme poussa un cri d’horreur et s’évanouit. Le mari alors fit venir deux « Adouls » (notaires en droit musulman) et la répudia.
      Et depuis ce jour, le malheureux époux  ne cessa de répéter à qui voulait l’entendre: «Et pourtant, elle avait l’air d’une bonne maîtresse de maison !...».
                                                            
                                                                               2

       La gargoulette

       
       Il était une fois un homme et une femme qui venaient  de se marier. Celui-ci avait un  coq et une gargoulette.
        La femme disait à son mari :
- O, mon homme!  J’ai peur du “glouglou” (gargouillis) de la  gargoulette et je ne peux pas m’approcher d’un coq sans voile.
         Le mari en fut ravi. Il remercia le ciel de lui avoir donné une aussi chaste et innocente compagne. Un jour, l’un de ses amis lui dit:
             - Tu ferais mieux de penser à ce que les femmes font la nuit, quand leurs maris dorment, mon cher compagnon!
        L’homme eut comme un soupçon et se promit de surveiller  sa femme. La nuit suivante fut une nuit de pleine lune. Il faisait semblant de dormir, lorsqu’il la vit se glisser hors du lit conjugal et se diriger, à  travers les escaliers obscurs, vers la terrasse de la maison. Alors, il la suivit à distance raisonnable, en prenant bien soin de ne pas se faire remarquer. Ils allèrent  ainsi, de terrasse en terrasse de la ville (médina), jusqu’au cimetière le plus proche. Ce fut alors qu’il comprit que sa femme était une sorcière, spécialisée dans la magie noire, qui faisait tomber la lune en roulant du couscous d’orge dans une “midouna   (cabas de doum), du plat de la main d’un mort, enterré le jour de la pleine lune. Il eut la chair de  poule et sentit une sueur froide dans le dos, en la voyant déterrer le cadavre d’un homme, déchirer son linceul blanc, désemboiter l’épaule et l’avant-bras de celui-ci et appuyer sa tête et son dos contre sa poitrine, après avoir disposé le couscous apprêté  à cet effet dans la midouna.                                                     
            Puis, toujours sous l’effet de la surprise, il vit sa propre femme, la servante de Satan, assise à même le sol, serrant d’une main le cadavre disloqué adossé contre son sein, et saisissant de l’autre la main du mort qu’elle maniait pour rouler la semoule d’orge servant à préparer le dit couscous magique. Certes, cette cuisine du diable devait lui procurer des pouvoirs magiques d’une puissance maléfique inquiétante.
            Enfin pris de panique, il revint  par le même chemin chez lui et attendit le retour de sa  perfide épouse. Au chant du coq et du muezzin annonçant le lever du soleil et la fin du règne nocturne des sorciers et des démons sur le monde des vivants, celle-ci réapparut. Du coup, elle aperçut son mari ,assis au milieu du patio avec le coq, la gargoulette et un plat de semoule d’orge en train de psalmodier, comme un fou au comble du délire :
            O, toi qui crains le glouglou de la gargoulette!                  
            Toi, qui te voiles  devant le coq!
            Saches-le bien malheureuse loufoque?
            Toute duperie te mets tôt ou tard sur la sellette !
           Alors, comme foudroyée par la violence de la surprise, la femme satanique tomba raide morte.
     - Allah nous protège du Malin! s’écria - t- il en guise de formule salvatrice.
     Et la nouvelle courut la ville comme un feu de paille: “ La chaste femme glouglou était en fait une vilaine sorcière.”.
             



                                                                       3   
Mariage selon la“hachouma” (la honte)

       On racontait qu’autrefois un homme avait épouésé une jeune fille selon la “hachouma” (coutume de la bonne tenue exclusive de tout ce qui est honteux). Or, celle-ci voulait que tout mariage entre gens de bonne naissance soit contracté au nom des deux futurs époux par les parents de ses derniers et en leur absence, voire souvent à leur insu et surtout sans qu’ils se soient vus ou connus auparavant. De la sorte, qualités et défauts de chacun d’eux demeuraient le lot du sort de cette bénédiction absolue, le plus souvent synonyme de malheur pour les mariés, d’échec à consommer au nom du “maktoub” (fatalité), loi surnaturelle parentale du hasard et de la nécessité. Après la cérémonie, les deux jeunes mariés s’étaient retrouvés seuls dans leur chambre nuptiale. Et comme ils ne s’étaient jamais rencontrés au préalable, ils furent si gênés et intimidés qu’aucun d’entre eux ne put parler à l’autre.
         
            Ils restèrent ainsi pétrifiés, assis face à face, rougissant les yeux baissés, jusqu’à l’appel du muezzin, annonçant la prière de l’aube. Ils n’osaient même pas toucher les mets délicieux qui les attendaient sur la table. En fait, ils seraient restés là indéfiniment immobiles et silencieux , si un voleur ne fut venu, à l’improviste, troubler ce curieux tête à tête du couple taciturne, engagé irrémédiablement dans une inconsolable obéissence. Il mangea gloutonnement tout ce qu’il y avait trouvé, sans que les deux mariés n’interviennent le moins du monde. Mais avant de partir, il se permit même d’accrocher un os de poulet à la barbe assez bien fournie du jeune époux, toujours paralysé par le credo de la “hachouma” (la honte de laisser voir ses défauts).

 

     Tout cela eut lieu sans que ni l’un ni l’autre ne réagisse,  ni par le geste ni par la parole. Mais soudain, un chien, entra par la porte laissée grande ouverte  par le voleur et flaira la table des époux. Du coup, les yeux de l’animal fixèrent l’os accroché à la barbe du mari et se pourlécha les babines, tandis que sa queue se mit à remuer de plaisir. Puis, il s’approcha du visage de l’homme immobile en grognant. L’homme et la femme pâlirent sans bouger. Le carnassier approcha encore sa gueule, la langue dehors sans hésiter vers sa proie, quand tout à coup, la jeune et timide mariée poussa un cri de terreur ,en agitant les bras en direction du caniche et en bégayant :
       - Winni. winni!...  Oooh!...  Metti, metti!...  Tale bite!...
      Elle était tout simplement bègue. Le jeune mari, qui était lui aussi atteint du même travers, lui répliqua d’un ton soulagé :  
              - Oooh, mon amoul!... Que n’as-tu paller depuis longtemps!... La “hachouma” ne nous aulait pas causé tant de contretemps!...                                                                                        
               Ayant alors révélé l’un à l’autre leur commun défaut, ils reconnurent sans plus tarder que c’était la faute au mariage coutumier et au credo traditionnel de la “hachouma”.
     Ce fut alors que commença pour eux leur véritable nuit de noces et le début de leur lune de miel. “C’était la faute de la hachouma!” se répétaient- ils en riant, chaque fois qu’ils se rappelaient plus tard  leurs souvenirs de  la première nuit de leur vie conjugale si fortement marquée par cette vieille coutume.


                                                                          4

Cœur - Insouciant

        Il y avait jadis un homme très riche, qui, après vingt ans de mariage, n’avait pas eu d’enfants. Il ne cessa de prier Allah, jours et nuits, de lui en donner qu’un jour sa femme tomba enceinte. Neuf mois après, celle-ci accoucha d’une petite fille si mignonne, si douce et si gracieuse qu’on dirait un ange.
        Le père fut tellement joyeux et si débordant de tendresse pour l’enfant qu’il la baptisa, le septième jour de sa naissance, en sacrifiant le mouton rituel consacrant tout nouveau-né musulman, “Qalb blâ ham” (Cœur - Insouciant). C’était du moins son plus grand espoir pour elle dans la vie. Il l’éleva dans la vertu, le bien-être et la divine science d’Allah, la préparant ainsi à faire face aux éventuelles  épreuves et adversités de la vie, des hommes et du monde.
           La petite fille avait ainsi grandi en pleine clémence, entourée de l’affection et de la tendresse de ses parents et de la sage bienveillance de sa vieille nourrice noire “Dada”. Elle fut bientôt en âge de se marier. Et les prétendants se multiplièrent à la Porte de la maison de ses riches parents. Mais aucun d’entre eux n’avait réussi à avoir l’assentiment de ses derniers et la main de la miraculeuse et insouciante créature, envoyée par Allah pour égayer les vieux jours de ses pieux et trop infatués parents. Enfin, un jeune homme, des plus envieux, fils unique d’une très riche famille se jura , après avoir entendu parler de Coeur-Insouciant, de  changer celle-ci en l’épousant en véritable «Cœur - Souciant» et vint traîtreusement la demander en mariage. Le père crut alors avoir trouvé à sa fille tant chérie le meilleur des partis de la ville. Mais tel le ne fut l’intention secrète de son mauvais gendre. En effet, celui-ci par pur orgueil s’était promis de faire de Cœur - Insouciant la plus malheureuse des femmes et des épouses. Il l’emmena, après les noces, dans une autre ville et l’enferma à double tour avec des provisions alimentaires d’une année entière dans une maison inconnue et partit en voyage sans même l’aviser.  
       Cœur - Insouciant attendit en vain dans la plus effroyable solitude le retour de son cruel et très perfide mari. Elle fut d’abord totalement désemparée et passa son temps à pleurer son mauvais sort. Puis, elle se reprit et songea à se donner une marionnette - mentor imaginaire de sa propre invention. Elle façonna surtout une tête à la coiffe et au visage d’une vieille femme  avec de l’argile et des chiffons et qu’elle surnomma “Tante - Jarre”. Elle lui faisait hocher la tête en tirant sur une longue ficelle en signe d’accord à travers la lucarne du grenier donnant sur le patio de la maison. Ainsi arriva-t-elle à monologuer avec elle-même grâce à «Tante - Jarre», la marionnette - mentor:
          - Tante - Jarre! Mon époux m’a abandonnée et je suis seule et enceinte sans aucune aide ou expérience pour me tirer d’affaire.
        Et de répondre en imitant la voix d’une sage vieille femme:
           - Courage ma fille! Aide-toi, Allah Le Miséricordieux t’aidera. Regarde ta chatte  mettre à bas ses petits  et ta poule couver ses oeufs, imite-les en mettant au monde ton propre enfant.
     - Tante - Jarre! Comment en prendrai-je soin avec mon ignorance et comment pourrai-je vaincre l’adversité du sort?
              - Rappelle-toi, ma fille, l’exemple de tes parents et celui de ta nourrice à ton égard et tu sauras bien faire . Raconte-moi tes soucis et arme-toi de patience et l’adversité du monde tôt ou tard tournera à ton avantage.
      Certes, neuf mois plus tard, elle mit au monde un beau petit garçon qu’elle nomma “Amal” (Espoir). Elle jardina dans le patio de la maison pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils, fit multiples couvées des oeufs de l’unique poule que lui laissa son mari et cousit des vêtements sur d’anciens habits encore en sa possession. Deux ans s’étaient écoulées quand l’impitoyable et inconscient mari revint de son voyage. Il ne crut pas ses yeux en retrouvant sa femme encore en vie avec un enfant en bas âge derrière les lourdes portes de la maison et de sa terrasse empoussiérées, couvertes rouille et de toiles d’araignées.
        Puis, ses yeux rencontrèrent la silhouette de Tante - Jarre à la lucarne du grenier. Croyant à une trahison de la part de sa miraculée épouse, il se précipita vers le grenier à l’assaut de son rival imaginaire, Tante - Jarre. Et la tête d’argile sauta sous le choc et vint rouler à ses pieds, laissant échapper un monstrueux tas de vers noirs pullulant et visqueux. Et la pure et angélique Cœur - Insouciant de s‘écrier en sanglotant:
            - Voilà ce qu’aurait pu contenir mon pauvre coeur comme soucis sans Tante - Jarre, ma marionnette - mentor…!        
      Alors tout en larmes et tout confus, l’écervelé mari implora à genoux le pardon de sa sainte épouse tout en lui avouant son vil  et égoïste projet, chose que toute sa vie il ne crut jamais pouvoir mériter. Il pria enfin Allah de lui pardonner sa vilenie d’avoir douté un jour de la sagesse divine qui inspira à son gendre l’idée d’avoir baptisé sa digne et parfaite épouse: “Qalb blâ ham” (Cœur - Insouciant), que rien ni nul au monde ne saurait transformer « Cœur - Souciant».



5

Honneur intact
      Il y avait autrefois, deux femmes soeurs de tempéraments et de moeurs entièrement contradictoires. Tandis que l’une, l’aînée, avait tendance à la débauche, à la duperie et à la vie de grand luxe, l’autre, la cadette, avait un penchant pour la vertu, l’honnêteté  et la vie simple et tranquille.
     C’est ainsi que l’aînée épousa malencontreusement un très riche négociant en tissus, à la fois très avare et le plus souvent absent de sa maison pour affaires. Elle se lia alors secrètement et suivant sa vilaine et jouisseuse nature à autant d’amants prodigues que ses caprices et ses dépenses folles en habits, bijoux, parfums, festivités et autres vanités que son insatiable désir d’avoir de la fortune lui dictait. La cadette accepta au contraire de partager la vie modeste d’un mari, pauvre, aimant, généreux, honnête et travailleur et attentif du mieux qu’il pût à tous ses désirs. Pourtant, elle n’était pas gaie  parfois de l’austère existence que lui faisait mener son pauvre et aimable mari.        
     Un jour excédée, elle se plaignit de son état, en l’ absence de son mari, à sa mauvaise soeur aînée qui  était venue lui rendre visite et se vanter de ses exploits lucratifs extra - conjugaux.
          - Mon mari me nourrit d’olives et de pain! Est-ce là, penses- tu donc  une vie heureuse, ma soeur?        
            - Fais alors comme moi, lui dit aussitôt cette dernière. Donne-toi des amants riches et généreux. Tu pourras ainsi secrètement compenser les insuffisances de ton ménage et même faire fortune en te payant la belle vie…
             - Jamais de la vie, lui répliqua-t-elle, l’air scandalisé. Plutôt mourir que de suivre la voie Satan, le malin! Je ne saurais comment m’y prendre, femme fidèle que je suis. 
       L’aînée repartie chez elle, la cadette, longtemps hésitante et partagée entre l’envie et  la tentation d’imiter sa grande soeur malhonnête, finit par se décider à en faire l’expérience à l’insu de son infortuné mari. Elle sortit de chez elle pendait que son mari était à son travail dans l’espoir de rencontrer l’amant capable de lui apporter le réconfort matériel qui lui manquait. Elle fut assez loin de son domicile lorsqu’elle se laissa aborder par le premier beau et élégant jeune homme qu’elle rencontra. Celui-ci l’invita chez lui. Elle n’hésita pas à le suivre croyant qu’elle allait lui donner richesse, mondanité et aisance. Mais au lieu de cela, elle se retrouva dans une vieille mansarde que le misérable gigolo sous-louait s’était loué à cet effet.                                                
           Alors que l’homme s’empressait de faire mille et une galanteries pour l’amadouer et lui faire oublier le misérable état du logis qui jurait entièrement avec son apparence extérieure. Au même instant, les yeux de la jeune soeur rencontrèrent sur une table une assiette pleine d’olives noires et une miche de pain. C’était le repas du jour du futur, amant sans aucun doute, songea-t-elle aussitôt.
      Ce fut alors comme un choc violent qui la ramena à la même réalité de sa vie vertueuse quotidienne avec son pauvre et honnête mari. Et avant que le triste gigolo ne se rendit compte de sa déception, elle se précipita hors de la maudite demeure, après lui avoir crié tremblante de dépit, de honte et de colère en plein visage:
          -  S’il n’y a que des olives contre des olives, que mon honneur demeure intact quoi qu’il arrive!



                                                                               6
 Les Sept Malheurs
        Il y avait longtemps de cela, deux hommes frères avaient le premier un fils unique et l’autre sept filles, mais pas de garçon. Or, par un viril orgueil démesuré, le père du fils unique ne cessait  d’afficher publiquement son grand  mépris et son  humiliation au père des sept filles, partout où il le rencontrait. Et chaque jour, même à la mosquée, il  le chassait de sa place parmi les fidèles autour de la chaire de la prédication en lui disant le plus onde:
      - Lève-toi, père des Sept Malheurs pour que s’assoie le père du Bonheur!
      Et chaque fois, le malheureux père des filles se retirait sans rien dire du lieu de son martyr et rentrait chez lui si humilié et si abattu que ses filles ne surent que faire pour le consoler. Enfin, un jour la benjamine de ses filles lui jura de le venger des humiliations que lui affligeait quotidiennement l’oncle misogyne impitoyable. Elle lui suggéra de lancer un défi à ce dernier dans le cadre d’un duel à vie, mettant à l’épreuve le fils unique et elle-même, dans le but de savoir lequel des deux réussirait le mieux dans la vie à l’avenir. Ainsi osa-t-il répondre au mépris et au sarcasme habituels de son méchant frère devant un groupe de témoins:
         - Puisque tu méprises tant mes filles, accepteras-tu sur l’honneur que ton fils unique se mesure à la plus jeune de mes enfants? Nous pourrons ainsi voir qui d’entre les deux réussira le mieux dans la vie.
       - Je relève le défi! lui répondit en ricanant le frère vaniteux,  encore plus  hargneux et plus dédaigneux que jamais. Nous verrons bien qui de tes Sept Malheurs Femelles ou du Bonheur Mâle, mon fils, aura le dernier mot dans la vie.
                   Aussitôt dit aussitôt fait, le frère vantard envoya son fils dans une caravane de commerce pour le Soudan. Mais celui-ci, trop gâté qu’il était, prit peur, abandonna tout et revint sans plus tarder, accompagné de son esclave noir à la maison paternel pour le restant de sa vie.
                 Quant à la benjamine du frère toujours honni à tort par son méchant frère, érudite précoce dans les sciences la religieuses, elle s’était déguisée en jeune docte musulman, ayant pour seuls vivres: une miche de pain de seigle et une poignée d’olives noires, le tout serré avec un exemplaire du Saint Coran dans un sac de doum, porté en bandoulière sur son épaule droit. Elle les mosquées des villages avoisinant la grande route jusqu’à celle de sa destination. Elle y psalmodiait le Coran de sa voix mélodieuse, lorsque le Fils du Roi qui passait par là l’entendit y entra, fit sa connaissance et l’engagea comme précepteur au palais royal.

               Le Prince fut d’emblée ébloui par le charme de sa voix, la beauté de son visage, l’étendue de son savoir et la spontanéité de son intelligence. Toutefois, il ne sut que penser de tant de beauté et de féminité que le costume masculin avait à cacher.
           - Qui êtes-vous? lui demanda-t-il.
        - Je suis "Sidi Ali Sbâni Envoûtant mon Coeur et mon Esprit, à la Démarche de Femmes et à la Parole d’Hommes!" lui répondit-elle sans le moindre trouble.
        Le jeune Prince ne fut pas moins étonné par la gravité qui se dégageait de la voix du précepteur et la délicatesse de son physique qui contrastait curieusement avec le reste de sa personne. Et devant tant de charme et de mystère, il ne sut retenir les battements de son coeur pour la curieuse personne. Le doute le rongeait et sa passion grandissait avec le temps. Il consulta alors sa vieille nourrice qui lui conseilla pour s’assurer du sexe de l’objet de sa secrète adoration, de l’inviter à un bain de vapeur.
       Alors de peur de se faire dévoiler, la malicieuse jeune fille obtint entre temps du Roi la permission d’aller voir les siens. Celui-ci la combla de présents,   l’accompagna d’une escorte et la laissa repartir chez elle. Ayant soupçonné la fuite devant l’épreuve, le prince obtint de son père à son tour l’autorisation d’aller rendre visite à la famille du précepteur et s’y rendit déguisé en voyageur. Il s’enquit dans le voisinage et apprit l’histoire deux frères en duel l’un à travers son fils unique gâté et l’autre à travers sa benjamine, devenue précepteur du roi.                                                                                                                   
                Il ne se le fit pas répéter deux fois et alla frapper à la porte de cette dernière. Il se présenta aussitôt au père de cette dernière et reconnut en la jeune fille qui leur servit le thé et les gâteaux "Sidi Ali Sbani Envoûtant mon Coeur et mon Esprit, à la Démarche de Femmes et à la Parole d’Hommes". Il demanda sa main à son père, après avoir obtenu le consentement du Roi. Le mariage du prince et de la benjamine fut célébré au palais royal, en présence de tous les grands dignitaires du pays. Et le frère misogyne dut reconnaître ses torts et la défaite de son Honneur Mâle devant la benjamine triomphante des Sept Malheurs Femelles de son frère, devenu gendre du Fils du Roi. Il sut, mais un peu tard, que la supériorité des hommes et des femmes, dans la vie du grand monde, dépend avant tout de leurs grands mérites.



                                                                                7

Lalla Khallala Khadra

      Il était une fois un père qui aimait sa fille Lalla Khalla Khadra plus que sa propre femme, la mère de cette dernière. Mais, la mère en fut terriblement jalouse et transformait leur vie commune en véritable enfer. En effet, leur fille était si bonne, si sage et si belle qu’on dirait un ange.
        Un jour excédé, le père prit alors la fuite avec sa fille. La nuit les surprit en rase campagne. De peur de la perdre pendant son sommeil, l’homme attacha le pied de sa fille au bout de son turban qu’il noua à son poignet avant de s’endormir. Tard dans la nuit, Lalla Khallala Khadra voulut aller faire ses besoins dans un buisson avoisinant, se détacha le pied et renoua le bout du turban à l’anse de la cruche d’eau dont ils buvaient. Peu après, le père se réveilla en sursaut. Ne l’ayant pas trouvée à ses côtés, il s’affola et tira de toutes ses forces sur le bout de son turban. Alors la cruche s’en vola en l’air au-dessus de sa tête et lui fracassa le crâne. Il en tomba raide mort sur le champ.
       De retour, Lalla Khallala Khadra poussa un cri d’horreur à la vue du cadavre défiguré de son propre père et tomba, de tout son long, évanouie. Lorsqu’elle revint à elle-même, le soleil s’était déjà levé. Toujours désemparée, elle pensait appeler à l’aide, mais il n’y avait âme qui vive dans la contrée. Elle pleura longtemps désespérément à chaudes larmes son mauvais sort et la fin tragique de son bon et aimable père. Enfin, elle se résolut à enterrer elle-même la dépouille mortelle de son malheureux père. Elle lui creusa une tombe du mieux qu’elle pût, l’y ensevelit de terre retournée et de pierres, lut quelques versets coraniques en dernier adieu à sa mémoire et reprit sa route à pied solitaire vers la ville la plus proche.
         Quelques heures plus tard, épuisée de désespoir, de chagrin et de fatigue, Lalla Khallala Khadra arriva dans une ville avoisinante. Dans une rue, elle se trouva devant la porte ouverte d’une maison et sans même réfléchir y pénétra. Or, c’était la demeure de sept frères célibataires qui avaient pour coutume quotidienne d’y laisser, à tour de rôle, l’un d’entre  eux pour faire le ménage et préparer le repas du jour. Elle se cacha dans un réduit du vestibule et profitait de l’absence de celui qui était de service du jour à faire la course au marché  pour faire le ménage, laver la vaisselle et préparer les meilleurs plats du jour à sa place. Les sept frères furent  tous d’abord ahuris puis intrigués par ce qui leur arrivait. Ils se croyaient victimes d’un diablesse ou d’un mauvais sortilège. Enfin, le plus jeune d’entre eux, moins crédule et plus audacieux, leur promit secrètement de se charger à sa façon de tirer au clair ce mystère.
             Le lendemain matin, il fit semblant de sortir de la maison en ouvrant et en claquant comme on devait s’y attendre la porte de sortie, mais au lieu de sortir, il s’esquiva sur la pointe des pieds pour aller se cacher dans la chambre la plus proche du vestibule. Un instant plus tard, il fut surprit par l’apparition de Lalla Khallala Khadra dans le patio de la demeure.      
           - Es-tu un humain ou un djinn? lui demanda-t-il, tout ébloui par sa jeunesse et son charme.
          Je suis un être humain comme toi m’appelle Lalla Khallala Khadra que le sort m’a conduite jusqu’à votre demeure, toi et tes frères. Puis, elle fit en pleurant le triste récit de sa malheureuse existence. Ses frères ne furent pas moins surpris et profondément touchés, en rentrant chez eux, par la présence  et l’étonnante histoire  de la belle et malheureuse jeune fille. Et chacun d’eux lui proposa, selon son gré, de l’épouser. Lalla Khallala Khadra n’eut pas de mal à les départager, puisqu’au fond de son coeur son choix était déjà fait. Mais par pudeur, il eut recours à une belle astuce. Elle leur proposa de  teindre l’index droit de chacun d’eux de henné et d’épouser celui d’entre eux qui aurait le teint le plus foncé au bout de sept jours. Pour arriver à ses fins, il teignit de henné simple les doigts des six premiers frères et de henné composé de jus de citron sucré. Elle épousa donc le cadet des sept frères et devint la belle soeur la plus respectée et la plus aimée et la plus dévouée de toute la famille.
           Mais, un malheureux hasard fit qu’un colporteur juif voyageur passa près de sa demeure en criant ses articles destinés aux femmes au foyer. Lalla Khallala Khadra lui en  acheta une bonne partie et la paya très généreusement. Au bout d’un certain temps, celle-ci était devenue une de ses meilleures clientes. Il apprit de ses voisines qu’elle s’appelait Lalla Khallala Khadra. Plus tard, il passa par la ville natale de cette dernière et cita devant une femme le nom de Lalla Khallala Khadra comme l’une de ses meilleures clientes. La femme reconnut tout de suite sa fille, le lui avoua et le pria de revenir la voir afin de e charger de remettre un cadeau à cette dernière contre bonne récompense. Elle le chargea alors de remettre  à son insu,  à sa fille une bague trempée de poison ensorcelé, en lui disant:
            -Tu lui diras de mettre cette bague, au nom de ma bénédiction, sous sa langue au moment de faire le ménage et son foyer conjugal ne sera que plus heureux et plus  prospère.              
             - Compte sur moi Lalla, je n’y manquerai pas et votre fille sera toujours ma meilleure cliente! lui dit celui-ci le plus naïvement du monde.
               Lalla Khallala Khadra remercia l’Israëlite et rentra dans la cuisine de sa maison et mit la bague sous langue pour commencer son ménage. Mais à peine l’eut-t-elle fait qu’elle tombât dans une raideur semblable à la mort. Le lendemain matin, le colporteur juif qui repassait devant la maison ne crut pas ses yeux en apprenant la nouvelle de la mort et des obsèques de la jeune femme. Aussitôt, il comprit qu’il était l’instrument d’un funeste stratagème et s’improvisa exorciste - guérisseur. Il se présenta au jeune mari de la défunte et lui promit, par la puissance d’Allah, de rendre sa femme tombée sous l’effet d’un mauvais sortilège à la vie. Ainsi avec l’accord de ce dernier, il joua au grand sorcier, gesticula, baragouina des paroles inintelligible, fit brûler des encens de son commerce et dit au mari: « Approche, ouvre la bouche de ton épouse et sors la bague de la marâtre qu’elle a sous la langue!» Le mari s’exécuta sur le champ sous le regard ébahi de ses frères et sortit la bague maléfique de la bouche de la femme morte. Et Lalla Khallala Khadra ouvrit les yeux en s’écriant:
        -Où suis-je, par Allah?
         -Tu es en vie parmi les tiens! lui le faux sorcier en lui faisant la                             mimique de ne rien révéler de ce qu’elle savait, puisque dans son sommeil mortuaire elle entendait tout sans pouvoir réagir.  
                Ce n’est que plus tard, après le départ du faux exorciste juif généreusement récompensé , que Lalla Khalla Khadra confia à son mari  le secret de ce qui était réellement  arrivé par la faute de son envieuse et égoïste mère. « Qu’Allah lui pardonne, l’envie est source de tous nos malheurs! lui dit celui-ci plein de sagesse et de compassion.».


                            8

                           Le fils de H’lima la gouvernante

     Il y avait autrefois une petite princesse très jolie, mais trop orgueilleuse et trop fière de sa personne et de son rang. Elle avait une gouvernante veuve nommée H’lima qui avait  un bébé que son défunt mari lui laissa peu après sa naissance.  Par on ne savait quel caprice, la petite  princesse n’éprouvait que mépris et répulsion pour le fils de sa gouvernante de condition sociale inférieure.
    Un jour, un oiseau divin se posa sur une branche du jardin du palais où la fillette du sultan jouait et lui dit de vive voix, avant de s’envoler et disparaître dans le ciel: « Lalla, fille du sultan!  Le fils de H’lima, tu  l’épouseras…La dot, tu la lui donneras… Effacer ce que Dieu a écrit tu ne pourras! »                                                                                                                                                                                                                 
      Alors piquée au vif dans son orgueil hautain, la petite fille du sultan lui répliqua pleine de dépit: « Le fils de H’lima ne m’épousera pas…La dot, je ne la lui donnerai pas…Ce que Dieu a écrit, par moi, s’effacera ! ». Et l’oiseau revenait chaque matin dans le jardin répéter à la fillette orgueilleuse son imperturbable  message auquel cette dernière donnait la même réplique irrévérencieuse  sans jamais en démordre.
      Alors, pour mettre fin au présage agaçant de l’oiseau  divin qu’elle prit pour un messager du diable, elle prit la terrible décision de faire disparaître le bébé,  l’objet haï de  cette détestable prédiction. Pour y arriver, elle envoya sa gouvernante faire une course hors du palais, s’empara subrepticement de l‘enfant , le mit dans un coffret de bois et le fit jeter à la mer par un de ses fidèles serviteurs . De retour, H’lima chercha  en vain son bébé. Elle pleura longtemps sa disparition et se résigna enfin à son sort.
     Par un heureux hasard, les flots  de la mer emportèrent le coffret du bébé vers une côte lointaine du pays où un pauvre pécheur sans enfants l’accueillit dans son filet, en croyant avoir mis la main sur un trésor envoyé du ciel pour le consoler lui et sa jeune épouse de leur misère. Mais, en découvrant le bébé vivant au fond du coffret, il crut avoir affaire à un miracle. Il confia de coeur joie l’enfant à sa femme qui l’adopta  aussitôt avec la même gaîté de coeur et beaucoup d’affection et l’éleva comme son propre enfant. Depuis ce jour, le pêcheur n’était plus dans le besoin. Son filet était toujours de poissons et sa famille, grâce à cet enfant béni, ne manqua plus de  rien et fit même quelques économies. Il promit donc de lui donner une bonne éducation et faire de lui, avec l’aide d’Allah, un grand savant  musulman.
Vingt ans plus tard, après avoir en suivi assidûment les cours des plus éminents maîtres et savants de la région et des villes avoisinantes, l’enfant était devenu un prodigieux jeune  docteur érudit dans les sciences coraniques, la théologie et le droit musulman,.Il enseignait déjà dans la mosquée du village et faisait office de jurisconsulte fort apprécié dans la contrée. Ses parents adoptifs en furent si heureux et si fiers que cela avait suscité la jalousie furieuse d’une riche vieille voisine, mère du plus inculte et du plus débauché des malappris du quartier. Un matin alors qu’il se dirigeait vers son office, celle-ci l’aborda en lui criant ignominieusement:
           - Espèce d’enfant trouvé qui porte l’habit d’un savant et te fais appeler fils du pêcheur !… Sais-tu au moins qui sont tes vrais parents?
           Interloqué, ne sachant que répondre à tant d’infamie, il rebroussa chemin et rentra voir sa mère adoptive dont il ignorait tout. Pour l’obliger à avouer, il lui demanda de lui servir une soupière  toute chaude de pâtes granulée pour soulager une douleur subite. Le moment venu, il lui trempa la main dedans jusqu’à ce qu’elle acceptât de tout lui dire. Une fois le récit terminé, il partit, malgré les larmes de ses parents adoptifs, à la recherche de ses vrais parents. Après plusieurs mois de marche demandant l’hospitalité de village en village, il arriva dans la capitale du royaume, pénétra dans la grande mosquée de la ville et y donna une grande conférence. En voyant l’attroupement des gens devant la mosquée, la gouvernante, qui passait par là, apprit la nouvelle d’un jeune et très brillant savant étranger qui y donnait une  grande conférence. Cela la  retarda et  l’obligea à en parler à la princesse. Par curiosité, elle se déguisa en mendiante pour aller  voir en sa compagnie le jeune savant. En le voyant à l’oeuvre, la princesse  en fut subitement follement éprise et avisa de son érudition et de son excellence le sultan.
Le lendemain, le sultan le fit venir au palais,  l’interrogea sur son savoir et fut émerveillé par son intelligence, sa droiture et l’étendue de sa science. La princesse qui assistait à l’entretien ne fut pas moins impressionnée par tant de perfection et de probité, chose que le souverain ne manqua pas de remarquer.
        - Désormais, tu ne me quitteras plus, lui dit-il. Tu seras mon conseiller personnel et l’époux de ma propre fille.
        Le sultan sortit. Resté  seul avec la princesse, le jeune conseiller lui dit:
        - Princesse!… Comment pourrais-je t’épouser, humble serviteur que je suis sans moyen de t’offrir une dot?
 - C’est moi-même qui t’en donnerai en cachette ! lui dit-elle  sans même réfléchir.
        Les noces eurent lieu sept jours plus tard. Une semaine après, l’oiseau divin, qui avait cessé d’apparaître, depuis l’arrivée du jeune inconnu, fit son apparition sur la même branche et dit à la jeune mariée: « Lalla, fille du sultan! Le fils de H’lima, tu l’as épousé … La dot, tu le lui as donnée…Ce que Dieu a écrit, tu n’as pu l’effacer!». 
      Or, pour s’en assurer, la princesse demanda à la gouvernante si elle avait une marque lui permettant de reconnaître son fils et sut d’elle qu’il avait une sorte de tache  rouge sous l’aisselle droit. Alors la princesse avoua son erreur  et demanda pardon à Dieu, à son mari et à sa nouvelle belle-mère d’avoir été si incrédule et si  cruelle dans le passé. Elle fit venir le pêcheur et sa femme pour vivre auprès d’elle, en tant parents adoptifs de son aimable et grand savant époux.



9
Passe ton chemin dans la pureté!
         Il y avait jadis deux soeurs physiquement très  jolies, mais moralement très différentes l’une de l’autre. L’aînée était très vilaine et très vicieuse et la cadette très pudique et très vertueuse. Un jour, l’aînée parvint, à force de le lui dire, à la persuader momentanément de la supériorité du vice sur la vertu. Alors, pour s’en convaincre, la prude se décida, ne ce laisse qu’une fois,  à en faire  l’expérience.
       Aussitôt dit aussitôt fait, elle sortit dans la rue et fit entrer un homme dans son domicile conjugal. Or au même instant, son mari frappa à la porte de la maison. Stupéfaite, elle ne sut que faire d’abord. Puis, elle l’idée toute naïve de le cacher dans le réduit à provisions de sa chambre à coucher. Elle ouvrit la porte d’entrée de la maison et affecta d’être sujette à crise de possession démoniaque en tombant comme une loque dans ses bras.                                          
       - Qu’as-tu ma femme!?… lui demandait sans arrêt son mari affolé en la transportant dans la chambre  à coucher.                                                                                                                                              
       -  Ooooooh!…Ooooooh!... Appelle ma soeur aînée qui s’y connaît! Répétait – elle, comme une possédée…Appelle ma soeur aînée qui s’y connaît!…
      Croyant réellement victime d’une possession démoniaque, l’homme courut en toute vitesse chercher sa belle-soeur qui habitait dans le  même quartier. Restée seule, la  prude malavisée ne pensa même  pas laisser partir le pseudo amant tremblant de peur au fond de sa cachette dans le réduit de la chambre. Elle ne se rendit compte de sa bêtise que lorsque son mari revint accompagnée de sa fourvoyante sœur aînée. Toutefois, elle se remit à jouer la possédée en gesticulant et en hurlant en direction de la cachette. Sa soeur qui comprit aussitôt la situation envoya le mari dupe chercher du sel et un brasero rougeoyant dans la cuisine. Elle sut de sa cadette ce qui s’était passé. Enfin, elle prit  un drap blanc, le tint par un bout et son beau-frère par l’autre en forme de paravent cachant  sa cadette le réduit et la sortie de la chambre au regard du pauvre mari terrorisé. Puis elle fit exploser une pincée de sel au feu en s’écriant comme une sorcière: «Ooooooh, toi qui est là, passe ton chemin dans ta pureté!… Passe ton chemin dans la pureté!…Oooooohooooo!…».
       L’homme prit furtivement le chemin de la sortie et disparut en claquant la grande porte de la maison derrière lui.
      - Qu’est-ce que c’est? demanda le pauvre mari horrifié.
      - Ce n’est que le mauvais esprit qui vient de quitter le corps de ma petite soeur…Que Dieu nous en protège! répondit la mauvaise soeur d’un ton rassurant.
      - Que Dieu nous en protège! répéta ce dernier entre les dents.
      C’était aussi la dernière parole de l’imprudente femme  repentie qui venait d’échapper à la plus fatale épreuve de sa vie.  

                                                                            10

Lalla Aïcha Fille du Menuisier
      Il était une fois trois hommes amis très intimement liés: un menuisier, un drapier et un fkih (un fakir).
      Un jour, le menuisier sculpta une statue représentant une si jolie jeune fille imaginaire qu’on  dirait une lune de beauté. Il la montra à ses deux amis intimes qui en furent aussi émerveillés et charmés que lui. Ils la surnommèrent Lalla Aïcha Fille du Menuisier. Mais, le menuisier leur rappela clairement qu’il n’en était que  le faux père et qu’il l’aurait épousée volontiers si elle était en chair et en os. 
     Alors, pour parfaire sa création, ces derniers lui promirent d’y apporter leurs parts personnelles. Le fkih, qui était aussi un grand fakir, se livra à une série de prières aussi ferventes et aussi  sincères que possible pour demander à Dieu donner un corps et une âme à la statue du menuisier. Enfin, Dieu exauça ses voeux et la statue devint  une parfaite  jeune fille en chair et en os. Ainsi se crut-il le plus méritant de tous pour l’épouser. De son côté, le drapier la para des plus beaux habits et des plus chers bijoux du pays. Il se crut de ce fait avoir le plus de mérite des trois  pour l’épouser.
       C’est depuis ce jour qu’une vive querelle opposa les trois hommes pour savoir lequel d’entre eux avait le plus grand mérite pour l’épouser. On les entendait dès lors dire  les uns les autres:
    -  Elle sera à moi, disait le menuisier, puisque c’est moi qui l’ai  faite de mes propres mains!…
    - Elle sera au contraire à moi, disait le fakir, puisque c’est grâce à mes prières adressées  à Allah qu’elle est un être  vivant en chair et en os!…                                                 
        -  Elle sera plutôt à, disait le drapier, puisque c’est  moi qui l’ai vêtue  et l’ai si richement parée des plus chics vêtements et des plus beaux bijoux du pays.
              Or, le fakir qui se sentait dans l’embarras  d’avoir oublié l’infinie bonté de Dieu et de s’être rendu complice d’un désir coupable  entendait en songe la nuit une voix céleste lui dire: “ O, pauvre pécheur!.. Mets un terme à la folle querelle qui t’oppose à tes amis par  amour  pour Lalla Aïcha Fille du Menuisier en la faisant juge de vos rivalités!…. Elle seule,  par la grâce d’Allah, vous rendra le jugement équitable!..”
     Le lendemain, il en fit part à ses amis et sut d’eux qu’ils avaient fait également le même songe. Ils se mirent tout de suite d’accord pour  se fier à  l’arbitrage de la divine créature. Et celle-ci de leur dire le plus  simplement du monde: “ Allah a créé Adam et Eve d’argile. Mais nul fils ou fille d’Adam ne peut être enfanté que par l’union sacrée d’un père et d’une mère. Allah l’a aussi prouvé à votre insu dans mon cas.”
         - Comment ça…? lui demanda le menuisier tout interloqué.
     - Sache, grâce à Dieu, que ton bois sculpté m’as servi de caillot inerte de sang paternel. Par conséquent, il vous est interdit selon la loi d’Allah d’épouser en tant que père  ta propre fille.
         - Et  moi, que serais-je pour toi ? lui demanda le fkih tout aussi intrigué par le premier jugement rendu par la divine créature.
    - En effet, poursuivit-elle, à la manière d’une mère,qui  m’aurais portée en son sein durant sa grossesse avant de m’enfanter, tu m’as portée au fond de ton coeur durant ta série de prières sincères,qui ont amené Allah à insuffler une âme au caillot inerte de mon corps de bois paternel et changer celui-ci en parfaite corps vivant maternel  en chair et en os que je suis. C’est pourquoi, ta part de mère dans ma véritable naissance t’interdit à jamais, selon la loi divine, d’épouser ta propre fille.
        - Et en ce qui me concerne? demanda le drapier complètement éberlué par ce qu’il venait d’entendre.
        - Toi, tu as tout l’air d’un véritable prétendant pourvoyeur de dot,  couvrant de cadeaux et d’égards sa fiancée en lui offrant de si beaux vêtements et de si chers bijoux. Tu ne fais, grâce à Dieu,  l’objet d’aucun interdit pour épouser Lalla Aïcha Fille du Menuisier.
          Entendant cette sentence, les trois hommes ne purent que convenir de sa justesse et s’y soumettre. Ce fut ainsi que la miraculeuse et divine Lalla Aïcha Fille du Menuisier épousa le drapier avec la bénédiction de Dieu et de ses deux amis, tenant lieux miraculeusement de véritables père et mère. Car Allah, le créateur de l’univers, peut  tout dans son infinie miséricorde.                          



                                           11

Lalla Farhouna Mert  (Epouse de) Farhoun
       Il était une fois une  belle veuve à la fleur de l’âge qui s’était jurée de demeurer toute  sa vie fidèle à la mémoire de son défunt époux et d’aller se recueillir chaque vendredi sur sa tombe. Elle y déposait une gerbe de basilic, se prosternait  longuement et  répétait régulièrement d’une voix plaintive: “A qui m’as-tu laissée… Ô, seigneur de mon foyer? … A qui m’as-tu abandonnée… sans père … ni mère… ni frère …  ni oncle …ni personne …pour s’occuper de moi?” Elle appelait en la circonstance un fkih (Psalmodieur du Coran) pour réciter quelques versets du Livre saint pour le repos de son âme et faisait l’aumône aux mendiants des alentours avant de rentrer toujours solitaire chez elle.
           Elle fut à maintes reprises demandée en mariage par plusieurs très beaux partis, mais elle leur avait opposé le même refus hautain et la même résignation héroïque.
         -  Non, je demeurai toute ma vie fidèle à la mémoire de  mon très cher disparu. Il n’y a pas un homme qui le vaille au monde!…
        Un jour, ce fut vendredi, elle eut affaire à un fkih pas comme les autres. Celui-ci s’en approcha sans y être invité, comme c’était la coutume, et l’interrogea sur un ton  mi-compatissant et mi-paternel:
       - Qui est le cher disparu, ma pauvre fille?
       - Mon pauvre mari… Ô, maître fkih! répondit la fidèle jeune veuve en poussant un profond soupir à fendre le coeur, sans même relever la tête. Veuillez lire quelques versets du saint Coran pour le repos de son âme!…
        Le nouveau fkih se mit alors à l’oeuvre dans le cadre de l’office rituel des morts. Mais au lieu du Livre saint, il improvisa la litanie suivante qu’il se mit à psalmodier sur le ton habituel d’un récitant du Coran et en la surnommant “Lalla Farhouna Mert Farhoun”(Dame Joyeuse Femme du Joyeux):
Au nom de Dieu Le Clément, Le
Miséricordieux! …
Ô, Lalla Farhouna Mert  Farhoun
Et Farhoun Dieu l’avait rappelé à lui
Si t’ n’as plus d’père j’suis ton  père
Si t’nas  plus d’ mère  j’suis ta mère
Si t’n’as plus de frère j’suis ton frère
Si t’n’as plus d’oncle j’suis ton oncle
Si t’n’as plus de mari j’suis ton mari
………..
         En entendant ces derniers mots, la jeune veuve fidèle s’exclama avec un long soupir de soulagement en lui répliquant comme par échos:
         - Assurément … maître! … Assurément !…          
         Et l’effet de cette opinion consentante se fit si bien entendre par leurs deux coeurs faussement éplorés que le jour même la fidèle veuve fut légitimement  marié  à ce faux fkih  en secondes noces. Du fait, comme on dit: “Croire à la fidélité des femmes, c’est croire à la fidélité du temps.” 


                                                                                 12

  La femme infantile

      Il y avait autrefois un homme et une femme stériles, mariés depuis vingt ans. Ils n’avaient pas d’enfants et n’étaient jamais pour autant malheureux.
      Pourtant un jour, l’homme annonça à sa femme légèrement défraîchie et alourdie par l’âge son intention de se remarier et d’épouser une autre femme jeune, alerte et féconde, encore récemment  sortie du berceau, ayant encore le lait de sa mère entre les dents.
     La femme en fut consternée et ne sut que lui répondre et sombra dans un  profond chagrin. Elle perdit tout à fait  la raison, pleura longtemps son mauvais sort et ne cessa de chercher une issue au malheur qui allait  s’abattre sur son heureux ménage
         Toujours aveuglé par sa lubie déraisonnable, son mari ne cessait cependant de lui répéter à tout bout de champ: “ Femme, tu te fais vieille! …Il est temps que je me remarie avec une femme tout à jeune, tout à fait alerte et fraîche, encore récemment sortie du berceau, ayant encore le lait de sa mère entre les dents.”
        Son inquiétude ne faisait que grandir avec le temps. Elle était encore à ses réflexions moroses et à son désespoir quand tout à coup une idée obsédante lui vint à l’esprit: rajeunir… devenir enfant… devenir même  bébé!… Mais, comment?… Elle fut au bord de la démence au moment où elle se persuada que rien au monde ne saurait la guérir de la vieillesse. Solitaire et livrée à son obsession, son état avait empiré.
           Et c’est ainsi que sa folie éclata en plein jour. Le mari était sorti pour son travail. La femme alla  chercher un barbier - guérisseur et l’amena chez elle. Elle se fit arracher toutes ses dents et se fit faire une coupe de cheveux à la manière des nourrissons et renvoya le barbier après l’avoir grassement payé. Puis, elle s’habilla en layette et couche pour bébé et se mit à ramper à quatre pattes et à babiller comme une enfant en bas âge.
            A midi, le mari revint à la maison et fut ahuri de voir sa femme dans cet état infantile. Il l’interpela en essayant de la relever:
                - Que fais-tu ainsi là … Ô, ma femme?…
                - Pa… pa…. pa!…, lui fit-elle babillarde … Dis, mon mari que je suis ton bébé … ta femme de huit mois…Je viens de sortir du berceau avec le lait de ma mère entre les dents. Dis-moi, Guerrrrh!…Guerrrrh! …Tu ne te remarieras plus maintenant? …
           Soudain, il sauta au coup de son mari. Celui-ci se mit à hurler de peur. Les voisins accoururent et la femme fut internée à "Sidi Frège", l’asile de la médina. Et comme dit le proverbe marocain: “La co-épouse est toujours source de malheur”.

                                                                              13

Trois mots pour Moulay Abdelkader Jilali

      Il était une fois une femme veuve ayant un fils unique, paresseux , irréfléchi et débauché que lui laissa son défunt mari avec quelques bijoux, une vieille demeure et une petite rente issue d’un bail qui suffisait à peine, grâce à sa vigilance, à les faire très modestement  vivre. Depuis son adolescence, le fils, ayant mal tourné, lui avait volé tous  ses bijoux qu’il revendait et  ses économies sous divers prétextes pour satisfaire ses caprices dans le jeu de hasard, le kif et les vices de toutes sortes.
       Un jour, la mère ayant épuisé toutes leurs ressources et toute sa patience, elle accepta sous condition de lui donner une dernière chance pour suivre le droit chemin en cessant ses orgies et en se donnant un honnête métier. Il lui jura de se faire petit commerçant honnête et chaste si elle consentait à lui fournir un petit capital à cet effet.
         Ainsi, la mère lui donna les derniers trois doublons en or qu’elle avait jusque-là secrètement conservés dans une malle de vêtements personnelle, au fond d’un réduit de la maison pour affronter le cas échéant les mauvais jours.
           Le fils prodigue sortit de la maison et se dirigea vers le grand souk de la  ville pour donner suite à sa promesse et à son petit projet. Or, en chemin, il croisa une sorte de fakir qui passait en criant:
         - Ô, braves gens!…Qui voudrait acheter trois mots pour Moulay (Saint) Abdelkader Jilali! …       
         En l’entendant, le fils prodigue oublia complètement sa promesse et accepta sur le champ l’offre inouïe de cet original fakir. Il lui tendit le premier doublon en or en lui disant:
         - Voici pour le premier mot …Dites-le moi donc!…
        Le fakir prit alors le doublon et lui dit:     
        - “Qui trouve son bonheur et sa félicité  n’avance pas vers son malheur et sa fatigabilité.”…
            Puis, il lui tendit un second doublon en or.
           - Et voici pour le deuxième mot … Dites-le moi donc! …, lui dit-il avec le même empressement.
            -  “Ne sois ni rassurant ni rassuré au pays de la sûreté.”
               Enfin, il lui tendit le troisième doublon en or en lui disant avec le même élan:
             - Et  voici pour le troisième mot … Dites-le moi donc!…
             - “ Si tu es victorieux, pardonne à ton ennemi, car le pardon est le signe de la grandeur des hommes.”
 Mais ce n’est qu’une fois le fakir parti qu’il se rendit compte de la gravité de son incartade irréfléchie de la promesse faite à sa mère. Il erra longtemps à travers la ville. La nuit tombante le trouva devant une grande maison où on fêtait un mariage. Il se mêla furtivement à la foule des invités et y passa plaisamment la nuit  à manger, à boire et à écouter de la musique, tout en répétant le premier mot de Saint Moulay Abdelkader Jilali: “ Qui trouve son bonheur et sa félicité n’avance pas vers son malheur et sa fatigabilité.”
        Le lendemain matin, il quitta la maison des noces et  rencontra dans la rue un crieur public annonçant: “ Ô, bons compagnons! …Vous n’entendez que bonne nouvelle! … Sa majesté le sultan va recruter, parmi les candidats qui se présenteront le jour même, un nouveau gardien du portail du palais en remplacement de l’ancien décédé récemment…”. Il se présenta aussitôt au concours, fit par chance bonne impression et fut, sur le champ et après instructions, placé à la tête de cette périlleuse fonction.
          Sans cesse vigilant dans son poste, il ne manqua de remarquer une curieuse activité chez les femmes du harem du sultan. Elles faisaient chaque jour rentrer et sortir du palais une énorme malle contenant soit disant des étoffes à choisir, à acheter et à confectionner, selon les dires de ses dernières. Le nouveau gardien alors des soupçons. Il se rappela alors le second mot de  Moulay Abdelkader: “ Ne sois ni rassurant ni rassuré au pays de la sûreté”. Il décida alors d’agir en conséquence.
         Le jour suivant, il procéda à une opération de contrôle et découvrit au fond de la malle, sous les étoffes, un jeune drapier juif. C’était l’amant de la sultane. Au même instant, le troisième mot de Saint Moulay Abdelkader résonna à ses oreilles: “ Si tu es victorieux, pardonne à ton ennemi, car le pardon est le signe de la grandeur des hommes.” Il laissa la vie sauve au jeune juif, mais avisa le sultan de la forfaiture des femmes du harem. Celui-ci, après avoir écouté le récit du passé du nouveau gardien, châtia sévèrement les coupables et récompensa ce dernier  pour sa vigilance et sa loyauté et le nomma premier vizir. Le fils prodigue repenti fit enfin venir sa mère vivre à ses côtés au palais du sultan. Et celle-ci ne manqua pas de lui dire le coeur soulagé: “ En effet, tu as fait une bonne affaire de mes doublons en or. Les trois mots de  Moulay Abdelkader t’ont sauvé la vie et ont guidé tes pas vers le droit chemin. Je suis aujourd’hui très fière de toi, mon fils!”



14

Sur qui tombe la foudre de l’amour … Ô, Aguida!
          Il était une fois un jeune beau prince et grand  poète chevaleresque, nommé  Moulay Lahcen, qui s’était  passionnément épris d’une pauvre, jeune et belle bohémienne orpheline et pleine d’orgueil, appelée Aguida. De la sorte, il avait beau lui manifester son adoration et son humilité, celle-ci ne répondit guère à son amour. Pour l’humilier davantage, elle lui préféra, au contraire, un jeune inculte, misérable et laid “farnatchi” (chauffeur de bain maure) de la médina.
Le malheureux prince poète lui faisait sans cesse une cour assidue sans rencontrer auprès d’elle que rejet, mépris et indifférence. Il errait sur ses traces à travers les places publiques et les bouges de la cité, improvisant  romances  et complaintes sur son amour malheureux et sur son âme éplorée, dont le couplet suivant:
Elle disait: Ô, prince!
Qu’as-tu à m’aimer, moi?
Je répondis: C’est sur
Qui tombe la foudre

      De l'amour O, Aguida!


        L’écho de sa conduite, déformée exagérément par certains courtisans,  parvint aux oreilles de son cousin le sultan qui en fut absolument scandalisé d’autant plus qu’on le supposait être à la tête d’un complot visant à ternir l’image resplendissante de son règne. On lui conseilla de s’en débarrasser le plus vite possible. Il demanda alors l’avis de son conseiller juif à la cour qui lui suggéra de l’empoisonner en présence d’Aguida lors d’une soirée organisée à son honneur au palais du sultan.
Trois jours plus tard, la fête eut  lieu comme prévu et Moulay Lahcen y assista comme invité d’honneur. Aguida fut donc chargée officiellement de lui servir à boire un nectar empoisonné spécialement filtré  pour lui. Tandis que sa bien - aimée Aguida chantait, dansait et le servait tard dans la nuit et que le poison si puissant ne paraissait avoir aucun effet sur lui, le malheureux ne la quittait pas des yeux un seul instant et jouissait immensément de sa présence  inespérée à ses côtés.
           Finalement excédé, le sultan interrogea au creux de l’oreille, tout près de lui, son conseiller juif en le menaçant des pires châtiments:
           - Pourquoi est-il encore en vie? Si ton plan arrive à échouer , lui dit-il, tu as auras la tête coupée avant lui!…
           - Pardonnez-moi votre Altesse!, répliqua aussitôt celui-ci. Il n’est maintenu en vie que par la force de son amour pour Aguida. Ôtez-la de sa vue et il  rendra l’âme.
      Une fois celle-ci retirée de la salle du trône, hors de la vue du prince poète, celui-ci expira et son corps  tomba immédiatement en décomposition. On l’enterra de nuit et on n’entendit plus parler de sa soudaine disparition, de peur de s’attirer les foudres du sultan et de sa suite.
      Toutefois, Aguida ne tarda pas à mourir, subitement vieillie et horriblement défigurée par un mal inconnu. C’était, disait-on, une  malédiction du ciel qui l’avait frappée à cause du rôle maléfique qu’elle avait joué dans la mort tragique du prince, victime désespérée de son fol amour.


                                                                               15
La femme du bûcheron
       Il y avait autrefois un pauvre bûcheron marié à une femme trop exigeante. Le peu d’argent qu’il gagnait quotidiennement des quelques fagots de bois qu’il tirait de son abattage et qu’il vendait le soir en ville ne satisfaisait guère aux besoins croissants de son orgueilleuse et vaniteuse épouse. Et cela le rendait de plus en plus de mauvaise humeur chaque  fois qu’il se levait à l’aube pour se rendre dans un coin de  la forêt, hors de la ville.
         Un jour, comme il y allait de si mauvais coeur, il se mit à frapper à l’aveuglette, si rageusement et si violemment de sa cognée les troncs des arbres que cela faisait vibrer le sol de la forêt sous ses pieds. Il en fut encore en proie à cette folie furieuse et dévastatrice, quand il vit soudainement le Génie des lieux se dresser devant lui, tout aussi agacé par son inhabituel comportement, en lui criant d’une voix tonitruante:
        - Hahahaha! … Toi, misérable bûcheron! … Pourquoi viens  en ces lieux détruire mon logis et troubler ainsi le calme mon  repos?
         - Ooooh! … bon et grand Génie des lieux et grand Seigneur de la forêt! … répondit en tremblant de peur le pauvre  bûcheron … Pardonnez-moi ce regrettable et involontaire dérangement d’homme désespéré et  malheureux ! … C’est que je suis si pauvre et  ma femme est si exigeante …
          Le Génie eut alors pitié de lui en riant de sa grosse voix diabolique et lui dit:
           - Hahahaha! … Tiens pauvre homme! … Prends ce chaudron en terre cuite magique et garde le caché loin des  indiscrets. Il te mettra à l’abri du besoin … Chaque matin, tu en soulèveras le couvercle et tu le trouveras plein de louis d’or … Mais, ne reviens plus ainsi troubler mon sommeil! …
       Le pauvre bûcheron le remercia de tout son coeur et le Génie disparut comme par enchantement. Le matin même, le pauvre homme  retourna chez lui, souleva le couvercle du chaudron en présence de sa femme et le trouva plein de louis d’or. Il en confia la garde à cette dernière et lui recommanda, suivant le conseil du bon Génie, d’en garder le secret.
       Mais toute sotte et vaniteuse qu’elle était, la femme du bûcheron ne put s’empêcher d’aller s’en vanter devant son envieuse et très sournoise  voisine de palier. Sur le champ, l’astucieuse sauta sur l’occasion et lui dit perfidement:
          - Oh, que c’est merveilleux! … Je suis contente pour toi et pour ton mari, ma chère  voisine! … Pourquoi ne me le prêterais-tu pas cette nuit pour le montrer à mon mari? …
         - Mais non, c’est un secret! … Mon mari m’a défendu d’en parler à qui que ce soit! …
         - Mais, moi, je suis ta confidente.  Cela restera entre nous et ton mari n’en saura jamais rien. Et  je te promets de te le rendre  intact  avant  l’aube, lui répliqua-t-elle d’un ton rassurant.
          Et la dupe  lui confia naïvement le chaudron magique sans le dire à mari. Le lendemain avant l’aube, un autre  chaudron ordinaire lui fut rendu, en échange du premier que la voisine s’était procuré au marché de la ville. Le matin, ne se doutant de rien, le bûcheron en souleva le couvercle, mais le faux chaudron  resta vide. Alors, le pauvre homme reprit sa corde et sa cognée et retourna dans la forêt. Réveillé de son sommeil  par les échos de la cognée du bûcheron, le Génie se redressa devant lui en lui hurlant plein de rage: 
       - Hahahaha! … C’est toi encore, misérable bûcheron! … Tiens! …Prends vite cette sacoche! …Tu la trouveras toujours pleine de louis d’or. Mais ne reviens plus ainsi troubler mon repos !
        Et en un clin d’oeil, le  bon Génie s’éclipsa et l’homme reprit tout de suite le chemin en direction de sa maison.  En ville, il passa devant un bain maure et eut l’idée d’y aller se laver. Il y entra, déposa ses vêtements et la sacoche auprès “l’assis” (le gardien du vestiaire) avant de pénétrer au sein de l’étuve. Mais, inquiet sa précieuse  sacoche, le naïf bûcheron ne cessait pas de montrer  sa tête hors la porte lourde de l’étuve  pour crier à “l’assis”:
          - Ô, l’assis! … Qu’Allah te bénisse  … Garde bien l’oeil  sur ma   sacoche! …
         Toutefois, à force de répéter sa demande, l’assis fut intrigué par la sacoche en question. Il  décida alors  de la fouiller. Il la trouva pleine de louis d’or. et la subtilisa. En sortant, le bûcheron réclama la sacoche à “ l’assis” qui nia jusqu’à l’existence de celle-ci, en lui criant d’une voix pleine d’indignation:
          - Mais de quoi parles-tu, espèce de gros menteur? … Par Allah, il n’y avait aucune sacoche avec toi ici! … Allez, …sors d’ici, sale imposteur! … avant que j’appelle les gardes du Pacha de la ville pour te châtier d’avoir accuser ainsi injustement un honnête citoyen! …
        Ne se voyant pas de taille à tenir tête à  tant de malhonnêteté et de sournoiserie, le pauvre homme se revêtit et quitta le bain maure totalement désespéré. Il résolut néanmoins de retourner, le jour suivant, dans la forêt pour y travailler et gagner sa vie. Il y alla et se remit à frapper de sa cognée le pied d’arbre, quand  de nouveau le Génie reparut et lui dit furieusement : 
         - Hahahaha! … C’est encore toi, vilain bûcheron! … Allons, tiens! … Prends cette “m’khifia” (cette écuelle), tu la trouveras, chaque matin, remplie de louis d’or…Mais, je ne veux plus entendre  ta cognée résonner à mes oreilles dans ces parages!
     - Merci! … merci mille fois … bon et noble Génie, lui dit le pauvre homme tout penaud. Je te promets  de bien m’en rappeler à l’avenir!
      Il retourna tout heureux chez lui et conta ce qui lui était arrivé à son incorrigible épouse, en lui rappelant d’en garder parfaitement le secret. Et celle-ci acquiesça. Pourtant dès qu’il fut sortit, la dupe et vaniteuse épouse ne manqua de révéler le secret de l’écuelle magique à sa sournoise et malhonnête voisine qui vint par curiosité frapper à sa porte. Et de nouveau c-la voisine lui demanda de son ton flatteur:
       - Oh, …que c’est merveilleux ma chère voisine! …Que ne me la prêterais-tu pas cette nuit pour la montrer aussi à mon mari? … Il en sera absolument très ravi … Je te promets que le tien n’en saura jamais rien …   
       - A condition de me la rendre, comme le chaudron, avant l’aube! … lui rétorqua la sotte épouse,  en ne se doutant de rien.
       Le matin, la voisine lui rendit encore une écuelle ordinaire qu’elle se procura au marché de la ville en gardant la bonne  l’écuelle en plus du chaudron magique. De nouveau déçu de se trouver devant l’écuelle vide, le pauvre bûcheron reprit malgré lui son bruyant labeur dans la forêt. Et de nouveau le bon Génie resurgit encore plus enragé et lui di:
       - Hahahaha! … Te revoilà encore misérable bûcheron! … Tiens! … Je sais que ce n’est pas de ta faute.  Alors, prends ces bâtonnets …. Je sais qu’on t’a volé les objets magiques que je t’ai donnés. Mais grâce  à ceux-ci  tu vas pouvoir les récupérer. Tu commenceras par ta femme, en les lui montrant, tu  leur diras: “Faites votre besogne mes bâtonnets! ” Et ils la battront jusqu’à ce qu’elle avoue ce qu’elle a fait des dons magiques derrière ton dos. Tu les arrêteras au bon moment en leur disant: “Cessez votre besogne mes bâtonnets!”  Et tu  agiras de la même façon, ainsi que ta femme, avec tous ceux qui vous ont volé. Et ce sera la dernière fois que tu me reverras.
       Le Génie disparut et le bûcheron rentra chez lui. Il montra les bâtonnets magiques à sa femme en lui disant:
       - Ces bâtonnets que le Génie m’a donnés savent faire leur besogne. Veux-tu les voir à l’oeuvre, ma femme?
       - Ah! Oui …mon homme!… lui répondit-elle pleine de curiosité.
       - Faites besogne mes bâtonnets! s’écria le bûcheron …Et faites lui avouer ce qu’elle a fait des objets magiques dans mon dos! …
       Et les bâtonnets se mirent  à la battre comme plâtre.
      - Arrêtez par pitié et je te dis tout!, lui cria-t-elle.
      - Ohoooo,  par pitié, arrête – les, mon homme!... Par pitié, je ne recommencerai plus jamais !... Arrête – les !...
      - Cessez votre besogne mes bâtonnets! ordonna le mari.
        Elle lui raconta alors tout ce qu’elle avait fait à son insu avec leur voisine de palier. Elle se chargea ensuite d’en faire de même avec sa perfide et sournoise voisine qui lui rendit aussitôt le chaudron et l’écuelle magiques volés. A son tour, le bûcheron alla rendre visite à “l’assis” du bain maure. Il joua le même rôle pour les bâtonnets que pour l’écuelle. Le dupeur s’en empara. Et celui-ci sortit de l’étuve et leur dit:
          - Faites votre besogne Mes bâtonnets! …
      Et les bâtonnets sortirent de la cachette et s’abattirent sur l’assis qui se tordait et hurlait de douleur:
     - Par pitié, arrête-les! … Je te rends sur le champ tous tes biens volés que voilà!
          - Cessez votre besogne mes bâtonnets! , ordonna  le bûcheron.
    Il reprit la sacoche et les bâtonnets magiques subtilisés par le mauvais assis du bain maure et rentra chez lui où l’attendait sa femme   avec le chaudron et l’écuelle magiques déjà récupérés. Et c’est ainsi que le bûcheron et sa femme comprirent le sens du fameux adage arabe : “ Qui tait son secret maîtrise de sa destinée”.



16
Celui qui est là-haut
       Il était une  fois un homme très sage et très honnête qui avait une femme  si effrontée et si pleine de vice qui le trompait avec d’autres hommes sans qu’il celui-ci s’en rendît compte. Dès qu’il était dehors pour s’occuper de son petit commerce, celle-ci recevait secrètement et en toute  impudeur ses vilains amants.
       Un jour, l’infortuné époux eut à faire un petit voyage d’affaires dans les environs de la ville. La veille au soir, il en avisa sa femme, fit ses préparatifs et s’endormit. A l’aube, il sortit de la maison à la hâte, car il devait conclure, dans la matinée une bonne affaire avec un autre commerçant dans un village situé à une demi journée de marche dans la région. Mais en cours de route, il se rappela qu’il avait oublié tout son argent, serré dans une bourse en cuir chez lui.             
     Il revint alors sur ses pas. Il était environ huit heures du matin quand frappa à la porte de sa maison en disant comme d’habitude:
     - Ouvre, bonne femme! C’est moi le maître de ta maison.
     Mais, désemparée, la vilaine épouse ne sut que faire, car elle était déjà en compagnie de deux de ses amants et la maison n’avait qu’une seule porte. Alors, elle ne trouva pas mieux que de faire grimper l’un d’eux sur un vieux pêcher qui se trônait au milieu  du patio et de cacher l’autre dans un réduit de leur chambre à coucher. Le mari continuait patiemment de frapper à la porte verrouillée de l’intérieur. Puis, elle vint  ouvrir la porte en prétextant d’avoir été très occupée à la cuisine. Le bonhomme ne se douta de rien. Or pour s’en assurer, la perfide épouse lui dit d’un air faussement  préoccupé :
        - J’espère que tout va bien pour toi, mon cher époux. Qu’as-tu à revenir aussi vite à la maison maintenant?
        - Ce n’est rien ma bonne femme, lui répondit le bon mari candidement. Je repars tout de suite pour rejoindre le client. J’ai seulement oublié ma bourse en cuir avec l’argent à la maison. Il se pourrait cependant que le temps me manque et que je revienne tard ce soir. Ne m’attends pas  pour le dîner.
       Néanmoins pour son  malheur, l’infidèle épouse crut bon de faire la tendre et craintive épouse et lui demanda en s’essuyant faussement le coin de l’oeil avec son mouchoir brodé :
       - Mais à qui me laisseras-tu toute seule, mon brave et gentil époux?
       - A celui qui est là-haut! lui répondit spontanément celui-ci  en levant ses deux index droit vers le ciel.
       C’est ainsi que l’amant perché sur l’arbre se crut visé et pris tout seul au piège. Et tout transi de peur, il s’écria d’une voix chevrotante :
     - Oh, par pitié mon bon monsieur! Il n’y a pas que moi. Il y a aussi l’autre qui est caché dans le réduit de votre chambre à coucher …
    Stupéfié, et ne croyant pas ses oreilles et ses yeux, le pauvre mari se mit à hurler en appelant au secours de toutes ses forces, à travers la porte close de la maison. Des passants et des voisins accoururent de toutes parts avec l’imam de la mosquée du coin. Il leur ouvrit la porte. On reconnut aussitôt la culpabilité de la femme infidèle et de ses amants. Le mari trompé prononça devant eux la formule de la répudiation islamique contre cette dernière: “Femme, tu es irrévocablement répudiée! ”.
      Aussitôt la foule des fanatiques s’était déjà emparé des coupables et  les avait traînés hors de la ville pour les lapider à coups de pierres, comme il était  d’usage jadis. Tout affligé, non loin de là, le malheureux époux ne cessait de se lamenter en répétant à qui voulait l’entendre :   
       - Et pourtant, je n’ai pensé qu’à Dieu  en lui disant: “A celui qui est là-haut” …Mais, jamais à cet affreux massacre…




                                                                                     17

                  Femme tenue sous clé, proie à tous les méfaits

        Il était une fois un jeune mari  très vaniteux et très méfiant à l’égard de la vertu des femmes et qui, comme beaucoup d’hommes d’antan, croyait  la préserver chez sa jeune et belle épouse en la tenant sous clé  à la maison et en la maintenant sous sa propre garde au dehors. Dès la nuit de noces, il l’enferma à double tours au domicile conjugal, en lui interdisant de regarder par les fenêtres ou de s’y montrer ou d’avoir le moindre contact avec qui que ce soit, homme ou femme, de l’extérieur. Cependant, il lui accorda le droit d’aller périodiquement, le visage voilé et couverte de la tête aux pieds d’un haïk  (ample pièce d’étoffe blanche servant de manteau aux femmes),  au hammam (bain maure) des femmes sous sa conduite personnelle. Il l’accompagnait jusqu’à l’entrée de l’étuve, l’y attendait et l’en ramenait à  la sortie à la maison.                         
      Mais, il prit la mauvaise habitude, chaque qu’on parlait devant lui au café de l’inconduite des femmes, de se mettre à vanter  la vertu de sa femme parmi  un groupe d’amis, dont  un jeune débauché qui avait pour grande manie de courir et de séduire les femmes mariées. L’imprudent vaniteux remerciait chaque fois le ciel d’avoir su garantir sa femme contre les  dévergondages d’une certaine espèces de débauchés. Un jour, irrité par les fanfaronnades malveillantes de ce mauvais mari, le jeune débauché décida de lui donner une bonne leçon sur l’inconstante vertu des femmes tenues sous clés par leurs maris dans l’ignorance des méfaits du monde. Il le  donc défia  en lui disant:
      - Je te promets devant tous de te démontrer aussi l’inconstante vertu de ta femme. Car, une femme tenue sous clé est proie à tous les méfaits.
        - Et moi, je te promets qu’il n’en est rien qu’il n’en  sera jamais rien! lui répondit effrontément le jeune mari vaniteux.
        Alors, le jeune débauché ne se l’était pas fait dire deux fois. Il alla sans plus tarder trouver une vieille entremetteuse qu’il paya grassement pour l’aider à séduire la femme de ce dernier. Alors, la vieille mégère se déguisa en mendiante et se rendit à maintes reprises devant la porte close de la captive et finit par lier connaissance avec elle. Elle fut si habile et si cajolante qu’elle finit par obtenir l’assentiment de la naïve jeune femme totalement ignorante des ruses du monde extérieur et de ses vices. 
       Elle réussit enfin à accepter de tromper secrètement son époux en prenant un amant pour le punir de son doute sur sa vertu et de sa tenue sous clé   et sous sa garde comme une irresponsable et vulgaire créature infidèle de mauvaise vie. Elle lui promit aide et conseils dans sa vengeance et apprit d’elle que son mari l’accompagnait tous les quinze jours au hammam du quartier. La vieille mégère loua, pour l’occasion, un vieux  logis  à mi-chemin de l’étuve en question. Elle convint avec elle de la ruse à suivre et attendirent le jour de la sortie du bain.
       La femme marchait droit devant le mari, quand soudain la vieille mégère surgit hors de la porte du logis et  bouscula violemment la jeune femme. Le petit seau de cuivre jaune des effets du bain, contenant entre autres la tasse de henné délayé que portait la femme  se renversa alors sur le haïk blanc de la jeune épouse. Aussitôt, la vieille se précipita vers le jeune mari, lui fit mille excuses et lui proposa de réparer sa faute en nettoyant la tache de henné.
      - Veuillez excuser la maladresse d’une vieille femme pieuse qui n’a plus longtemps à vivre, lui dit-elle et permettez-moi mon fils de réparer cela!…J’habite solitaire juste dans ce vieux logis…
       Sans se douter de rien et pris de court, le mari autorisa son épouse à suivre la soi-disant pieuse vieille femme qui la conduisit droit auprès de jeune débauché qu’elle avait caché chez elle. Peu après, la femme reparut comme si de rien n’était. Elle alla au bain, puis retourna innocemment à la maison accompagnée de son mari. Mais, le lendemain, le débauché vint rejoindre le groupe d’amis dont le jeune  fanfaron  époux au café habituel  et lui dit d’un air sarcastique et triomphant :                   
       - Femme tenue sous clé, proie à tous les méfaits!…En témoigne le logis de la vieille tout près du hammam!…
       Tout couvert de honte, le malheureux jeune mari vaniteux rentra chez lui, obtint l’aveu de sa naïve jeune épouse ignorante qu’il répudia sur le champ, en se répétant la morale fatale du jeune et cynique débauché: “ Femme tenue sous clé, proie à tous les méfaits!… ”.


                                                                                 18
    Hatou ben (fils de) Hatou qui défia le sultan
 et ses sept bnatous (filles)
       Il y avait autrefois un sultan tyrannique et débauché dont  la concupiscence avait souillé la réputation de toutes les belles femmes et belles jeunes filles de son royaume qu’il gardait ensuite comme esclaves dans son harem. Il en disposait par la force de sa police, dès que ses espions et  espionnes lui en signalaient la présence aux quatre coins du pays. Il finit ainsi par briser  tant de coeurs et par plonger tant de familles dans le désespoir, le malheur et le déshonneur. Toutefois, pour échapper à ce sort indigne qu’il réservait aux femmes et filles de ses malheureux sujets, il déclara ses sept bnatous (filles), aussi chastes que jolies, les sept honorables femmes du royaume.
       Un jour, un jeune homme,  nommé Hatou ben Hatou se jura de venger l’honneur de sa fiancée et des autres victimes de ce cruel sultan. Il fit la promesse solennelle de discréditer à son tour la réputation du dévoyé sultan et  ses sept honorables atouts, quitte à en mourir s’il le fallait.
        - Vous verrez, dit-il à ses proches, ce que je ferai du sultan et de ses sept honorables femmes du royaume… Je leur réserve tous la plus noire et la plus vile des vengeances!…
       Ils tentèrent en vain de l’en dissuader, mais il persista  dans son funeste projet. Il attendit le jour de la chasse du sultan, se déguisa en femme de bonne famille et se mit sur le passage du cortège du sultan à la lisière de  la forêt du palais. En effet, le jeune Hatou était encore imberbe, d’une beauté et d’un charme presque féminins, pouvant sous son déguisement le faire prendre pour la plus belle et la plus charmante des jeunes filles que le débauché sultan ait jamais vue. Du coup, cette fausse apparence fit tourner la tête au capricieux sultan, qui décida aussitôt de faire enlever de force cette jeune femme, de la conduire  au palais pour en faire sa nouvelle concubine  d’une nuit.
      Hatou fut ensuite introduit dans le harem parmi les anciennes esclaves et concubines du sultan, pour qu’on le préparât à son tour aux noces nocturnes qu’avaient connu ces dernières. Pour éviter d’être dévoilé, celui-ci affecta l’extrême timidité pour ne pas se faire  déshabiller par les autres femmes dans le bain du harem. Il se lava tout seul et s’habilla et mit le costume princier qu’on lui apporta, se fit maquiller enfin, avant de se présenter à la cour où se trouvaient  le  sultan, accompagné de la sultane et de ses sept honorables filles du royaume, selon la volonté du sultan en de pareilles occasions.
 - Ah, te voilà belle étrangère!, s’écria-t-il. Et maintenant, chante-nous quelques mélodies de ta belle voix, en dansant et verse-nous  à boire, ainsi qu’à la sultane et aux sept honorables femmes du royaume!, lui ordonna-t-il en tapant des mains.
         Hatou, qui était bien informé des moeurs du sultan et s’y était longuement préparé, s’exécuta sur le champ. Il se mit à chanter d’une voix si douce, à danser avec une telle grâce et à servir avec une telle élégance que toute l’assistance en fut entièrement fascinée. Cela se doubla par ailleurs du grand effet du charme et de la beauté de la nouvelle concubine du sultan. En les voyant tous bernés par ses artifices, Hatou en profita pour mettre de la drogue dans la théière avant d’en remplir les verres de ses victimes.
           Peu après, il les vit tomber  dans un profond sommeil. C’est alors qu’il mit à exécution sa terrible vengeance. Il abusa honteusement du sultan, de la sultane et de leurs filles, les sept honorables femmes du royaume. Puis, il quitta clandestinement le palais en laissant à côté  de ses victimes un papier sur lequel il avait écrit lisiblement:
      “De la part de Hatou ben Hatou qui défia le Sultan et ses sept honorables bnatous (filles).”
       La nouvelle se répandit dans le pays. Le peuple en fut à la fois soulagé et consterné par tant de vilenies et de cruauté. C’est alors que le sultan reconnut ses torts,  annonça son repentir, en libérant toutes les concubines de son harem. Sur la demande du peuple, il  amnistia Hatou ben Hatou, le remaria avec sa fiancée et accorda dots et récompenses  à  ceux qui accepteraient d’épouser les anciennes victimes de son ancienne et folle inconduite.




19
Saint – Petit – Serpent - Doré
     Il y avait jadis une jolie jeune fille dont la mère était et qui était si maltraitée par sa méchante belle-mère. Son père la battait aussi pour apaiser la colère de sa femme dont la cruauté n’avait point d’égale.
       Un jour, en montant les escaliers du grenier, la malheureuse orpheline vit passer un petit serpent doré et lui dit en poussant un profond soupir:
       - Ah, si tu étais  un prétendant et un homme, je t’aurais épousé  sur le champ pour échapper à cet enfer de ma vie!…
       Le petit serpent, qui n’était autre qu’un bon génie, avait entendu la plainte de la malheureuse en fut profondément touché et en même temps charmé par sa douceur et sa grande beauté. Le soir, il prit la forme d’un riche et très beau jeune homme et vint avec beaucoup de présents chez ses parents la demander en mariage. Pressé de s’en débarrasser le plutôt possible, son père accepta et la jeune fille devint, sans le savoir, la femme de Saint – Petit –Serpent - Doré. La nuit du même jour, sans noces ni grande pompe, il l’emmena chez lui. Mais en route, il lui dit:
        - Je suis heureux que tu sois devenue ma femme. Tu devais certainement te souvenir de moi. Je suis le petit serpent doré que tu as appelé à ton secours la veille. Mon nom est Saint – Petit – Serpent - Doré. Mais, je suis né d’une femme humaine et d’un bon grand génie. Je te le dis pour savoir si tu es toujours d’accord d’avoir demandé à m’épouser.
      En réponse, la malheureuse jeune fille se mit à pleurer de joie et lui baisa les deux mains, le coeur plein d’amour et de reconnaissance. Aussitôt, il lui demanda de fermer les yeux et de les ouvrir. Elle s’exécuta et se retrouva dans un fastueuse maison entourée d’un très grande forêt avec un ensemble de servantes et de serviteurs aussi bons qu’agréables. Elle trouva dans sa chambre à coucher une garde-robe des plus fournies et des plus merveilleuses et coffre de bijoux des plus rares au monde.
       Or un jour, Saint – Petit – Serpent - Doré crut bon d’inviter la belle-mère de sa femme à venir passer quelques jours chez eux, en pensant effacer ainsi les mauvais souvenirs du passé. Mais la méchante vieille belle mère eut le coeur ulcéré de jalousie et de mépris  pour le jeune couple et ne cessa de penser au moyen de lui nuire. L’occasion ne tarda pas à se présenter à elle, lorsqu’elle découvrit le conduit de verre par lequel son gendre sortait et rentrait pour prendre contact avec le monde des humains. Elle se leva tôt le matin, alla trouver son gendre et lui dit hypocritement:
       - Il est temps que je retourne chez moi mon bon  gendre. Je te remercie pour ta généreuse hospitalité. Ton beau-père doit m’attendre depuis une semaine.
       - Tu seras toujours la bienvenue, mère!, lui dit Saint – Petit – Serpent - Doré sans se douter de rien.
       Cependant et avant de partir, la méchante femme profita de l’occupation de sa belle-fille, de ses serviteurs et de la sortie de son gendre par le conduit vitré, pour aller le briser à coups de pilon, mettant ainsi en danger la vie de celui-ci et de tout son ménage. Elle retourna ensuite chez elle comme si de rien n’était. A midi, Saint Petit Serpent Doré revint le corps tout transpercé de bouts de verre, tout ensanglanté et  au bord de l’agonie. Prise de panique, sa jeune épouse ne sut que faire, prit quelques effets dont un couteau de cuisine et réfugia dans la grande forêt voisine. Là, assise abattue au pied d’un arbre , elle entendit deux colombes en train de parler entre elles dans leur nid au-dessus d’elle:
       - Sais-tu ma soeur, dit la première, que Saint Petit Serpent Doré a été mortellement blessé par sa belle mère et qu’il lui faut pour panser ses blessures et guérir un peu de notre sang, une petite touffe de notre duvet et quelques feuille de l’arbre sur lequel nous vivons…
       - Pourvu que personne ne t’entende, dit la seconde, sinon il y va de notre existence!
       Sitôt entendu sitôt fait, la jeune femme glissa furtivement non loin de là vers un fourré de roseaux, en tailla deux fonds  en forme de flacons qu’elle boucha avec deux bouts d’écorce et s’y cacha jusqu’à la tombée de la nuit. Puis au clair de la lune, elle grimpa sur l’arbre, s’empara des deux colombes, les égorgea, mit un peu de leur sang  dans les fonds de roseaux, prit deux touffes de leurs duvets et des feuilles de l’arbre en question. Le matin, déguisée en guérisseur, elle se présenta chez son mari et réussit en trois jours à le guérir. En récompense, elle lui demanda de lui promettre de pardonner à quiconque  le lui demanderait au non de celui qui l’a guéri de son mal. Elle lui fit ses adieux, sortit dans le vestibule de la maison, quitta son déguisement et revint le trouver, en suppliant à genoux:
       - Pardonne-moi, mon  cher époux, mon bon Saint – Petit – Serpent - Doré, au nom de celui qui t’as guéri de ton mal!…
       - Je te pardonne, lui dit-il  tant surpris qu’étonné de la ressemblance entre sa femme et le mystérieux guérisseur. Mais, dis-moi la vérité sur ce qui m’est arrivé!…
        Alors, elle lui raconta l’histoire de la découverte de son remède dans la forêt voisine, son retour, déguisée en guérisseur à la maison, les soins qu’elle lui avait donnés jusqu’à sa promesse de pardonner au nom de celui qui l’avait soigné après sa guérison. Enfin tout heureux et pleine de reconnaissance, Saint- Petit –Serpent - Doré la remercia de toute son âme et jura de ne plus jamais revoir la méchante vieille belle-mère qui avait failli détruire leurs vies et leur bonheur.   




20
L’associée féconde et l’associée inféconde
    Il y avait jadis  un homme avide d’avoir une nombreuse descendance, dont la femme était malheureusement aussi bonne que belle, mais désespérément stérile. Après dix années de mariage et de multiples et vaines tentatives médicales et para -médicales pour la guérir, celui-ci parvint à obtenir de sa bonne et fidèle épouse son accord pour épouser la fille de leur voisin de palier dans l’espoir d’avoir des enfants de sa propre chair. L’associée féconde avec laquelle elle partagea son mari était contraire jeune, laide, orgueilleuse, désinvolte et méchante. Le mariage eut aussitôt lieu et la jeune associée ne tarda pas à tomber enceinte. Son ancienne associée lui dit, dès son arrivée, avec sa bonhomie naturelle :
         - Considère-moi comme ta soeur! Je te promets d’être, si tu le permets, la marraine et la nourrice de tes enfants.
        - Peut-être bien! , lui répondit-elle, avec une hauteur et un mépris intraitables.
        Mais l’associée inféconde ne manqua pas à sa promesse, tandis que sa jeune rivale  était sans arrêt une source de discordes continues et de querelles sans fin avec elle, ou à cause d’elle et leur commun mari.
        Un jour, l’homme tomba malade et ne trouva au chevet de son lit  mortuaire que son ancienne et bonne épouse stérile. Il lui parla de ses inquiétudes sur le sort de sa fortune et de l’avenir de ses deux filles, issues de sa capricieuse et orgueilleuse épouse féconde. Mais, la bonne épouse lui souhaita longue vie et le rassura en lui promettant, au cas où Allah l’appellerait à Lui, de veiller sur elles comme il l’avait toujours fait de son vivant. Le malheureux mari mourut et la bonne associée inféconde se trouva seule confrontée aux caprices et à l’égoïsme  effréné de sa rivale. Celle-ci abandonna ses deux filles, fit plusieurs mariages ratés et y dilapida tout l’héritage de son défunt mari.
        Son ancienne associée s’opposa en vain à ses folles entreprises et à ses ruineuses prodigalités. Hors d’elle, la capricieuse associée la roua de coups de bâton et la chassa de la maison avec ses propres filles, sans ressources, âgées de sept et huit ans. Quelques heures  plus tard, les fillettes abandonnées, épuisées par la marche, la soif et la faim supplièrent leur marraine aussi affectée qu’elles:
         - Moé - Hanna (Marraine)!, s’écria l’aînée, je ne peux plus marcher. Je t’en prie…Trouve-nous à manger et à boire.
               -  Moé - Hanna!… répétait la cadette en pleurnichant, j’ai mal aux pieds et j’ai faim et soif…
             - Je vais voir ce que je peux faire, répondit la bonne marraine rassurante. Attendez-moi et surtout ne bougez  pas d’ici. Je reviens tout de suite!…
         Elle laissa au coin d’une rue. Puis, le visage inondé de larmes, elle alla au hasard de la rencontre leur mendier un morceau de pain.
         Elle ne fut pas à quelques pas de là, lorsqu’elle se trouva en face de la troupe du sultan qui revenait de la chasse. Le souverain reconnut à son habillement et son état de détresse l’honnêteté de son origine et l’extrémité  de son malheur. Il arrêta sa monture en la voyant se jeter en travers de son chemin en criant:
        - Votre protection, Prince des croyants, pour une pauvre veuve réduite à la misère avec ses deux fillettes affamées!…
       - Nous t’accordons notre protection!, répondit le sultan aussitôt. Veuillez la conduire avec ses filles avec moi au palais!
      Une fois arrivé, il lui donna audience à la cour, écouta le récit de son histoire et l’ayant appréciée à sa juste valeur, il la nomma gouvernante attachée à son service personnel et prit sous sa protection les deux fillettes de son défunt mari. Par la suite, son ingrate associée féconde, réduite à la mendicité fut retrouvée par sa bonne associée inféconde et grâce à son intervention auprès du sultan, elle fut aussi introduite à ses côtés au service du bon souverain.
         - Sois loyale et honnête!, lui conseilla-t-elle en l’accueillant, et tout ira bien pour toi comme pour moi et pour tes deux filles…
          - Je te le promets!, lui répondit  en larmoyant la perfide et envieuse associée féconde  d’un air de repentie.
          Par contre, elle oublia vite sa promesse et se lia au grand vizir qui était en train de mener secrètement  un complot pour assassiner le bon Sultan. Ainsi, elle fut chargée par le mauvais grand vizir de déposer dans la baignoire du souverain un rasoir à lame empoisonné qui à la moindre éraflure causerait la mort instantané du blessé. Elle avait presque finit sa fatale mission, lorsqu’elle entendit un bruit de pas. Elle voulut s’enfuir en toute vitesse, mais son pied glissa et elle tomba sur l’arme banche du forfait qui lui fit une entaille à la jambe. Son agonie ne durant qu’un bref instant au cours de laquelle elle put avouer son crime à sa bonne associée inféconde qui l’avait prise sur le fait.
         - Allah m’a punie de ma méchanceté!…réussit-elle à articuler en rendant douloureusement l’âme.
         - Effectivement, la méchanceté, par Allah, ne reste jamais impunie!, dit la bonne marraine au sultan et aux fillettes de sa malheureuse rivale morfondues.
        Le sultan se débarrassa alors des traîtres de sa cour et récompensa celle-ci en faisant d’elle la marraine de ses propres enfants.    



21
El Ouardi Fi Lakmam (Rose - en - Calice)
La Vice - Sultane
         Il était une fois un sultan qui avait pour héritier de son trône sa belle et unique fille, El Ouardi Fi Lakmam (Rose-en-Calice), la Vice - sultane. Arrivée à l’âge du mariage, celle-ci avait décidé de choisir elle-même son futur époux. A ce sujet, un communiqué officiel fut diffusé par des barrah (des crieurs publics) dans tout le pays, où il fut dit en toutes lettres:
         Ô, nos amis! Vous n’entendrez que du bien. La princesse El Ouardi Fi Lakmam, la vice sultane épousera le jeune homme qui lui plaira et qui réussira à la voir trois fois de suite en trois ans, en interprétant avec exactitude les messages qu’elle aura transmis en ces occasions. Il devra le réaliser dans les vingt-quatre heures. Le défaillant prétendant sera immédiatement mis à mort par décapitation.” 
           De nombreux prétendants, intrigants et bassement intéressés, avaient ainsi péri, sans jamais réussir les épreuves de la belle et fatale Vice - sultane.
           Un jour, après avoir aperçu celle-ci à la fenêtre de son sérail, le fils unique d’un riche drapier, aussi beau que naïf, fut sur le coup épris follement d’elle et eut subitement  l’irrésistible envie de l’épouser, dût-il y laisser sa vie.                                                                   
          -Tu risques inévitablement d’avoir la tête tranchée!, lui dit son père plein de frayeur et de désespoir
           - Ôte-toi de la tête cette folle et fatale idée, mon fils! lui demanda sa mère en pleurant, folle d’inquiétude.
         Ses parents se lamentaient affreusement autour de lui, sans parvenir à lui faire abandonner son insensé projet. Mais en apprenant cela, son oncle maternel se proposa, de l’aider dans sa périlleuse entreprise. Il lui loua un grand magasin qui donnait sur la façade du sérail de la belle et inaccessible princesse, El Ouardi Fi Lakmam, la Vice - sultane. Le magasin fut vite rempli des étoffes les plus fines, des joyaux les plus délicats, des pierreries les plus rares, des encens les plus agréables et des effets les plus exotiques et les plus coûteux.
          Là, du lever du jour à la tombée de la nuit, le jeune et naïf prétendant passait son temps à guetter,  l’apparition de la belle princesse à la fenêtre du sérail qui demeurait constamment fermée.
           Un jour, sur le coup de midi, la fenêtre du sérail s’ouvrit et la Vice - sultane El Ourdi Fi Lakmam y  apparut en tenant dans sa main droite une rose qu’elle jeta nonchalamment dans la rue et en tira aussitôt les volets. Le jeune et naïf prétendant courut vite se procurer alors des roses et en remplit son magasin, pensant avoir justement  interprété le message de la elle et terrible princesse. Mais, son oncle qui revint d’une course en ville lui reprocha  durement sa précipitation et  son  manque de clairvoyance, en lui disant:
             -Tu n’es qu’un idiot! Ne comprends-tu pas que la Vice - sultane t’invite par ce geste à la rejoindre à minuit, dans le plus beau jardin de la ville?
              A minuit, son oncle l’habilla et le parfuma comme un prince et l’y conduisit personnellement, en lui recommandant de ne pas s’endormir, car la princesse risquerait de le faire attendre, afin de le mettre à l’épreuve. Or, à son arrivée, la princesse le trouva en train de ronfler, au pied d’un arbre et dit à sa suivante:
              - Un prétendant amoureux n’a pas le droit de s’endormir dans l’attente de celle qu’il aime. Jetez-moi celui-là au dépotoir de la ville!…
               Le lendemain, son oncle le chercha partout et le retrouva encore couché là où l’avait laissé la suite de la Vice - sultane. Il le  ramena chez lui pour se laver et se changer, tout en lui reprochant son imprudente inconduite.
               L’année suivante, il revit la belle  princesse qui tenait dans sa main droite un vaporisateur d’eau de fleurs d’oranger dont elle aspergeait les lieux avant de fermer ses volets de sa fenêtre.       
               Toutefois, le jeune étourdi,  ayant complètement oublié les conseils de son oncle, ne perdit pas une minute, courut se procurer un vaporisateur d’eau de fleurs d’oranger et se mit à en asperger le magasin. De retour, son oncle arrêta sa folle conduite, apprit de lui la nouvelle et lui dit plein de courroux:
               - Mais pauvre idiot!… Ne comprends-tu pas que la princesse t’invite à la rejoindre au grand hammam (bain maure) de la ville où elle va se rendre à minuit?
             Et comme prévu, son oncle l’y conduisit paré comme un beau et noble prince, en lui faisant les mêmes recommandations que la première fois:
             - Surtout, ne ferme pas l’oeil de la nuit, avant l’arrivée de la Vice - sultane! lui répéta-t-il avant de le quitter à l’entrée de l’étuve.
             -  Ne t’en fais pas mon cher oncle! lui répliqua son naïf et écervelé neveu. Cette fois, on ne m’y reprendra pas!…
             Mais, son oncle le retrouva de nouveau dans le dépotoir de la ville, car la princesse l’avait trouvé en train de dormir sur le pas de la porte du grand hammam. Elle ordonna alors à sa suite de la même façon:
            - Un prétendant amoureux n’a pas le droit de s’endormir dans l’attente de celle qu’il aime. Jetez-moi celui-ci au dépotoir de la ville!…
            Il le reconduit ensuite chez ses parents qui en furent de plus en plus affligés et désespérés, sans toujours parvenir à le détourner de son fatal projet.
            La troisième année, El Ouardi Fi Lakmam, la vice - sultane, se montra à la fenêtre de son sérail en l’ouvrant et en la refermant sept fois de suite, puis disparut derrière ses volets aussitôt refermés. Alors, le fieffé crétin se mit à ouvrir et à claquer sans arrêt les battants de la porte de son magasin. Son oncle,  revenu à l’instant, apprit de lui la nouvelle et dit avec rage :
            - Mais, pauvre idiot!… Ne comprends-tu pas que la princesse t’invite à lui rendre visite ans son sérail à minuit, en prenant bien soin de refermer derrière toi les sept portes que tu auras à traverser jusqu’à elle.
        Cependant, le naïf prétendant oublia, comme d’habitude les dernières, recommandations de son oncle et se fit arrêter par la garde du sultan. El Ouardi Fi Lakmam qui apprit la nouvelle, le fit venir jusqu’à elle, apprit de lui l’aide que lui apporta son oncle. Elle apprécia surtout la sincérité de son amour, lui avoua son penchant pour lui et en avisa le sultan. Celui-ci lui accorda, sur sa demande, la main de sa fille, en lui disant: “Mérite bien sa main même idiot, qui d’amour se sacrifie pour sa dame en héros.
       Le mariage enfin fut célébré dans tout le pays, durant vingt et un jours, en l’honneur de celui qui  aima El Ouardi Fi Lakmam, la vice - sultane, et en gagna le coeur et la confiance par les preuves spontanées de sa sincérité, la force de sa volonté et le sens du sacrifice par amour désintéressé.




22
La rose et le jasmin remèdes pour amants chagrins!
       Il y avait une fois un pauvre homme veuf et seul au monde qui avait une fille jeune et belle à ravir qu’il séquestrait dans une vieille petite maison de la ville de peur de la voir mal tourner au contact du monde extérieur.
        Un jour, en l’absence de son père, celle-ci était occupée à nettoyer les volets de l’unique fenêtre du premier étage qui donnait sur la rue, quand le fils du sultan qui passait par là la vit et en devint du premier coup d’oeil follement amoureux.  Quant à elle, craignant les commérages du voisinage et les sévères représailles de son père, elle avait l’habitude de ne jamais accorder attention à ce qui se passait dehors. Pour solliciter son regard, le jeune prince courut acheter un petit bouquet de roses et de jasmins chez la fleuriste du coin de la rue et revint le jeter à travers la fenêtre où la belle jeune fille avait disparu. Celle-ci apparut aussitôt dans l’encadrement de la fenêtre le bouquet à la main, le fixa du regard au milieu de la rue déserte, esquissa un sourire en rougissant et disparut de nouveau.
        Alors, le jeune prince prit l’habitude de venir chaque jour jeter discrètement, en l’absence du père, un petit bouquet de roses et de jasmins à travers l’encadrement de la fenêtre et entrevoir en un laps de temps le sourire angélique de la belle et naïve jeune fille.
        Un jour, celui-ci réussit à lui faire comprendre en gesticulant son intention de la rencontrer. Après plusieurs refus et beaucoup d’hésitations, la naïve jeune fille accepta de le recevoir dans sa chambre la nuit, après le coucher de son père. Elle subtilisa la clé de la grande porte de la maison cachée sous l’oreiller du dormeur, ouvrit la porte, fit entre entrer le jeune prince dont elle ignorait tout, se laissa abuser par lui durant la nuit. Elle    remit la clé à place peu avant l’aube, heure où son père sortait faire la prière collective du matin à la mosquée voisine.
         Nul n’avait cependant remarqué dans le voisinage ces entrevues nocturnes jusqu’au jour où elle se rendit compte qu’elle était enceinte. Une grande peur la saisit et elle perdit le sommeil. Finalement, elle résolut de  prendre la fuite, quitte à aller mourir de faim sur un sol étranger. Elle ne pouvait  affronter dans son état ni son père ni le voisinage très ferrés sur les principes de l’honneur et de la vertu des filles et des femmes de bonnes familles en général. Elle quitta secrètement la maison et la ville et marcha sans s’arrêter  droit devant elle, tantôt sous le soleil brûlant, tantôt sous la pluie glaciale, traversant  monts et vallées jusqu’au soir. A la tombée de la nuit, elle s’écroula épuisée de fatigue en rase campagne, près d’une chaumière appartenant à une vieille commère solitaire.
          - Que fais-tu là toute seule, ma pauvre petite? lui demanda-t-elle en accourant à son secours.
          - Au nom d’Allah…, je t’en supplie…, sauve-moi Lalla (noble dame) !…  réussit-elle à balbutier avant de s’évanouir.
          Elle la ranima, l’emmena dans son pauvre logis, la soigna pendant plusieurs jours. Une fois rétablie, la malheureuse fille lui conta sa triste et impardonnable aventure.
         -Ne t’en fais pas petite!, lui dit-t-elle. Sois patiente et je te promets d’y remédier, le moment venu. Permets d’être désormais ta marraine!…Tu seras pour moi la fille que je n’ai pas eu de toute ma vie.
          - Qu’Allah te donne longue vie, bonne santé et  fortune, marraine!, lui répondit-elle,  parfaitement rassurée.
        La bonne commère veilla sur la pauvre fille et partagea avec elle sa joie et sa peine. Neuf mois après, elle aida la jeune fille à mettre au monde deux petits jumeaux, un garçon et une fille. Entre temps, la vieille commère qui se rendait régulièrement à la ville avait réussi à reconnaître le mystérieux séducteur. Car, elle avait appris des serviteurs du palais, auxquels elle avait l’habitude de vendre parfois sa camelote, que le fils du sultan était tombé gravement malade, à cause d’une belle orpheline qu’il avait secrètement aimée, et subitement perdu de vue, dans  une petite maison de la ville.
                          - Sais-tu qui est le père de tes enfants, ma petite fille?, lui demanda-t-elle d’un ton enjoué.
        - Non, ma bonne marraine, lui répondit la naïve jeune fille, toute étonnée.
         - C’est le fils du sultan!, lui annonça-t-elle en riant. Il est gravement malade, dit-on au palais, d’un chagrin d’amour, à cause de la disparition subite d’une orpheline qu’il avait secrètement aimée dans une petite maison de la ville. Je vais m’en occuper,  pour y remédier, ma petite!, lui confia -t-elle  d’un ton rassurant.
             Et c’est ainsi qu’elle mit, en accord avec la jeune mère, les jumeaux proprement langés, chacun dans un panier d’osier et alla les déposer, peu avant l’aube, sur le pas de la porte du palais du sultan en y frappant et criant de toutes ses forces, avant de prendre la fuite:       
          -  La rose et le jasmin remèdes des amants chagrins!
         Les gardes se pressèrent d’ouvrir la porte, trouvèrent les deux bébés et en avertirent le prince en lui répétant ce que disait la voix de la mystérieuse visiteuse nocturne. Le prince comprit vite le message, leur ordonna de prendre soin des bébés et d’ouvrir l’oeil pour reconnaître la visiteuse nocturne en question. A l,aube du lendemain et des jours suivants, la voix se faisait entendre dans les environs du palais: “La rose et le jasmin remèdes pour amants chagrins!…”
        Et chaque fois, la femme parvenait à tromper la vigilance des gardes en réussissant à prendre la fuite. Mais au bout d’une semaine, elle fut prise et conduite devant le prince. Celle-ci lui conta l’histoire de sa protégée qui, aussitôt le transporta de joie. Il l’accompagna à sa chaumière où il retrouva la mère de ses jumeaux qu’il ramena au palais et la présenta à son père le sultan. Celui-ci fit venir le père de celle-ci et bénissent ensemble leur mariage. La vieille fut aussi conviée à vivre, auprès comme marraine de la mariée et de ses enfants. Des noces populaires furent célébrées durant sept jours et sept nuits. Et celle-ci de se répéter en les voyant enfin mariés et  heureux: “En effet, la rose et le jasmin remèdes pour  amants chagrins! ”.




23
Assât (le démon) aux sept têtes et la fille du drapier
          Il y avait jadis un riche drapier très cupide qui vivait heureux avec sa femme et leur fille qui était  d’une si rare beauté, rayonnante comme le jour, au teint blanc - vermeil comme une  rose fraîchement épanouie. Elle avait la chevelure si noire, si longue et si abondante qu’elle  pouvait  la couvrir de la tête aux pieds comme un véritable manteau de soie d’une rare beauté. On venait de toutes parts la demander en mariage, mais son père exigeait chaque fois une dot équivalant à dix diamants pareils à celui qu’il avait hérité de ses parents et dont personne n’avait jamais vu de semblable.
         Un jour, il reçut la visite d’un prétendant inconnu, qui lui offrit, au lieu de dix diamants un grand coffret plein de diamants identiques au sien, sinon encore plus beaux. L’inconnu était d’une taille quelque peu exceptionnelle, drapé d’un manteau de fourrure rouge et noir brodé de dorures, au regard singulièrement perçant et hideux.
           - Ô, honorable drapier!…, lui dit-il d’une voix douce et caverneuse, voici plus que la dot exigée de ta fille. M’accorderas-tu en échange de cela sa main avec ta bénédiction maintenant?
           - Je te l’accorde volontiers!…, lui répondit sans hésitation le cupide drapier, la vue éblouie par les pierres précieuses de l’énorme coffret, sans la moindre hésitation.
            -  Alors, puisque j’ai obtenu ton accord, je me présente tel que je suis, mon cher beau-père…Ton humble serviteur, le démon ‘Essât aux Sept Têtes’!Hahahahaha!…
          Puis, il se découvrit devant lui. En le voyant, l’imprudent père tomba à la renverse, sans connaissance à côté du maudit coffret représentant la terrible dot de sa  fille. Et sitôt dit sitôt fait, le monstrueux génie s’empara de son innocente femme et disparut aux entrailles de la terre. Depuis ce jour, la mère comme le père repenti n’avaient cessé de pleurer désespérément leur fille,  apparemment perdue à jamais. Ils étaient au comble du désespoir, lorsqu’ils reçurent la visite d’une pauvre vieille femme, mère de sept garçons, qui leur rendait parfois de petits services.
          - Ô, chère mère des sept garçons!…, lui dit le malheureux père tout éploré…, je donnerai n’importe quoi à quiconque me rendra ma pauvre fille saine et sauve. Il ne me reste plus qu’Allah et toi à me plaindre de  mon infini chagrin. Peux-tu faire quelque chose pour moi?…
          - Ta peine est aussi mienne! répliqua la bonne vieille apitoyée. Je ne sais ce que font mes sept fils font dans la vie. Si je puis quelque chose c’est d’eux que dépendra la solution. Donne-moi sept costumes princiers, je les échangerai contre leurs secrets. Un pressentiment me dit que le sort de ta fille en dépendra probablement.
       La vieille femme rentra chez elle et accrocha dans sa chambre bien en vue les sept costumes princiers du drapier. De retour l’un après l’autre  le soir à  la maison, chacun de ses sept fils les vit et l’interrogea aussitôt.
       - Mère, à qui appartient chacun de ces costumes?, lui demandaient-ils tour à tour…
      - Dis-moi quel est ton métier et tu en auras un!, répondait-elle à chacun d’eux..
       - Je suis le flaireur d’Essât Aux Sept Têtes! lui dit le premier en s’emparant du premier costume…
       - Je suis un ‘traverseur’ de murs et de cloisons!, lui dit le second en suivant l’exemple du premier…
       - Je mets la main sur les serrures et elles s’ouvrent! lui dit le troisième en prenant à son tour un costume…
       - Je suis un escaladeur de dos des murs et des tours!, lui dit le quatrième en saisissant le costume suivant…
       - Je suis  l’extracteur en douceur du cheveu en pâte!, lui dit le cinquième en décrochant un costume à son tour.
       - Je suis l’arracheur des crocs et des griffes du chien avant qu’il aboie. Mais s’il lui arrive d’aboyer, je lui arrache toutes ses dents et ses griffes!, lui dit le sixième avant de prendre l’un des costumes restants .
        - Je suis le tueur d’Essât Aux Sept Têtes!, lui dit le septième en prenant le dernier costume princier.
        Alors, la vieille femme raconta à ses fils l’histoire du faux mariage et de l’enlèvement de la fille de l’imprudent drapier par le démon Essât Aux Sept Têtes et de l’état de désespoir de ses parents.
         - Allez délivrer la fille de nos amis de ce maudit démon, mes fils! leur demanda-t-elle. Ils vous en seront à jamais éternellement reconnaissants.
        - Nous écoutons et nous obéissons, mère! lui dirent-ils d’une seule et même voix, avant de partir à sa recherche.
        C’est ainsi que le traverseur  leur fit traverser les cloisons et les  murs souterrains, jusqu’à l’enceinte de la tour inaccessible où le monstre diabolique tenait prisonnière l’innocente fille du drapier. De dos, l’escaladeur leur en fit esclader les murs lisses de la tour. De sa main, l’ouvreur déverrouilla les serrures de son portail en l’ouvrant. A leur vue, la pauvre fille solitaire  poussa un cri d’effroi en s’évanouissant Ils la ranimèrent et la rassurèrent aussitôt, en disant l’un après l’autre:
        - N’aie pas peur jeune fille!… Nous sommes venus de la part de tes parents pour te délivrer du démon qui te tient prisonnière dans cette maudite tour!…
        - Mais, cette tour comprend sept portes qui donnent sur sept chambres, leur confia-t-elle enfin rassurée. Il m’est interdit d’ouvrir la septième. Et le démon, Essât Aux Sept Têtes, fait se retourner tous les gigantesques ustensiles de la demeure pour s’assurer chaque fois qu’aucun étranger ne s’y cachait, en leur criant:
        - Faucon et vautour!…, un étranger vit parmi nous dans la tour?   
        - Non, il n’y a que toi et moi! lui répondis - je chaque fois. Mais, je vous conseille, ajouta-t-elle, de vous cacher sous le pétrin à anneaux de bronze que vous tiendrez de toutes vos forces au sol. Je le passerai pour trop lourd à ses yeux pour se retourner comme les autres ustensiles.
       A ce moment-là, l’ouvreur de serrures ouvrit la septième porte et ils virent le démon en train de dévorer des cadavres dans les égouts de la ville, puis il se hâta de la refermer pour ne pas attirer  l’attention du monstre. Au même instant, le flaireur d’Essat leur annonça l’arrivée du l’affreux démon. Et la  fille du drapier réussit  à effacer ses doutes à propos du pétrin abritant les sept frères en l’invitant à s’endormir. Elle  lui étala  la moitié de sa chevelure en guise de lit et l’autre en guise de couverture, selon son terrible désir pour l’empêcher de s’échapper pendant son sommeil.
          Et pendant qu’il ronflait, l’extracteur du cheveu en pâte se mit à l’oeuvre en tirant en douceur un à un les cheveux de la jeune  fille loin du corps de l’horrible démon sans le réveiller. L’arracheur lui ôta en même temps tous ses crocs et ses griffes. Enfin, le tueur d’Essât Aux Sept Têtes lui trancha d’un coup de  sabre six de ses terrifiantes têtes, en lui laissant une seule.
         - Coupe-moi aussi la septième!, lui cria-t-il brusquement réveillé par la douleur.
         -  Non, lui répondit le vaillant et avisé garçon!… De la sorte, ils ne pourront plus  repousser à nouveau et te faire ressusciter! …
      Puis, le malin ‘Essât Aux Sept Têtes’ poussa un terrible hurlement et prit feu comme une torche et ses cendres disparurent, dans un  tourbillon de vent diabolique effrayant.
      Les sept frères remontèrent avec la fille du drapier sur terre. Ses parents retrouvèrent le bonheur et ne surent comment remercier la vieille femme et ses sept fils de leur bienfait. Mais, la jeune fille ne tarda pas à manifester son penchant pour le benjamin des sept frères, le  tueur du démon. Lui-même éprouvant le même sentiment à son égard, il envoya sa mère fit demander en mariage à ses parents. Et sans dot cette fois-ci, les noces de la fille du drapier furent célébrés, durant trois fois sept jours, en même temps que la nouvelle de sa délivrance par son beau et vaillant époux et ses frères, en mettant un terme à la vie du malin et effroyable ‘Essât Aux Sept Têtes’ qui avait jusqu’alors terrorisé les jeunes filles du pays.



24
Saint Pigeon et Saint Pigeonneau pour lesquels
 dépérissait la fille du sultan 
      Il était une fois une très belle princesse, la fille unique d’un grand sultan qui craignait beaucoup de demeurer vieille fille. Elle passait le plus clair de son temps à rêver et se morfondre dans l’attente du merveilleux prétendant qu’elle pourrait aimer de toute son âme et qui pourrait l’aimer et viendrait l’arracher à sa triste et méprisable condition de future vieille fille.
        Un jour, pendant qu’elle effectuait sa promenade matinale dans le merveilleux jardin du palais de son père, elle aperçut deux pigeons deux pigeons d’une blancheur éblouissante sur la branche la plus basse d’un dahlia en fleurs. Elle en fut subitement toute charmée en les voyant tournoyer autour d’elle comme pour rendre hommage à gracieuse beauté. Alors d’un mouvement irréfléchi, elle enleva de son cou son  gros collier perles et se mit à le défaire en les leur donnant à picorer. Les deux pigeons s’en régalèrent aussitôt, puis s’envolèrent d’un joyeux tir d’aile, tout en disant de vive voix l’un à l’autre:
         - Allons nous en, mon frère Saint Pigeon!…
         - Oui, allons nous en, mon frère Saint Pigeonneau!…
          Ils s’envolèrent, et  avec eux s’étaient envolés non seulement le collier de perles mais aussi le coeur et la raison de la belle princesse. Aucun médecin ni fakir ne surent la guérir du mal étrange qui ne cessait de languir et resta depuis ce jour alitée. Le sultan promit forte récompense à qui parviendrait à la soigner. La nouvelle se répandit à travers tout le pays, mais en vain.  
         Or, un jour une vieille mégère se présenta à l’entrée du palais comme étant porteuse du remède miracle qui rendrait la bonne santé et la joie de vivre à la fille du grand sultan en échange de la récompense promise.
          - Je t’apporte, le secret dont la révélation te guériras immédiatement de ton mal de vivre!…, dit-elle à sa fausse patiente. Et voilà comment le sort m’a conduite à en connaître l’existence et la vérité. J’étais au bord de la rivière de la ville  en train de laver la tonte de laine que je devais filer comme de coutume, car je suis fileuse de laine à tisser, lorsqu’un chameau est survenu sans guide, le dos chargé d’ustensiles de cuisine. A ma grande surprise, les ustensiles se  sont jetés tout seuls à l’eau et se sont mis à se laver en se cognant parfois et en se disant les uns aux autres: - “Tiens-toi tranquille avant que je le dise à Saint Pigeon et à son frère Saint Pigeonneau pour lesquels dépérit la fille du sultan!…Le chameau  y vient chaque jour sur le coup de midi avec son chargement et retourne sur ses pas, dès que les ustensiles sont lavés… Je l’ai alors suivi jusqu’au flanc d’une falaise qui s’est incroyablement fendue et refermée sur lui . Le lendemain, je me suis glissée derrière lui à l’intérieur de l’incroyable fente et je me suis trouvée dans un merveilleux palais. Je me suis cachée derrière la porte d’un grand salon qui donnait sur une belle vasque de marbre blanc. Soudain, deux pigeons tout blancs sont arrivés et se sont trempés dans l’eau du bassin et transformés en deux beaux jeunes hommes. Ils s’interpellaient par leur noms respectifs: Saint Pigeon et Saint Pigeonneau. J’y ai passé la nuit et suis sortie le lendemain avec le chameau pour venir te voir et t’apprendre cela, ma belle et généreuse princesse!… ”.
         - Tu pourras m’y conduire, demanda la fille du sultan reprenant  aussitôt vie et santé et  ta récompense en sera doublée?…
          - Je suis toute ouïe et toute obéissance!… Je t’y accompagnerai là-bas dès demain, lui répondit la vieille mégère toute pleine d’envie.
           Le lendemain, déguisées en mendiantes, elles suivirent comme prévu le curieux chameau, traversèrent la paroi de la falaise après lui et assistèrent cachés chacune derrière une des battants de la porte du grand salon donnant sur la vasque de marbre blanc, à l’arrivée des deux pigeons. Elles les virent se tremper dans l’eau du bassin et prendre formes humaines, celles de deux merveilleux jeunes hommes et sur le champ la fille du sultan eut un penchant pour le plus jeune des deux. Puis, elle les entendit s’interpeller par leurs noms.
           - C’est aujourd’hui la fin de notre rivalité amoureuse, mon frère Saint Pigeon pour la fille du sultan!, dit le plus jeune…
            - Oui, mon frère Saint Pigeonneau!, lui répondit son aîné. Chacun de nous se dirigera vers le battant de la porte qui se situe de son côté et prendra la femme qui s’y trouve pour épouse…
        - Finissons-en tout de suite!, dit le premier sans plus tarder…
        Alors, Saint Pigeonneau découvrit la fille du sultan qu’il avait sincèrement aimée de tout son coeur et Saint Pigeon la vieille mégère pour avoir jalousé son frère sur son amour pour la belle princesse. De dépit, il écrasa la tête de la mégère et félicita son frère et la princesse pour leur endurance et le triomphe de leur amour. Et une semaine plus tard, la fille du sultan fêta majestueusement son mariage avec Saint Pigeonneau, avec la bénédiction du sultan et celle du père de son époux, qui n’était autre que le roi des bons démons du pays et l’allié tout puissant de son propre père.






25
La femme du pêcheur et la bague secrète
     Il  y avait jadis un pêcheur qui avait une femme d’une étonnante beauté. Ils avaient un chat nommé Zaâfran (Safran) et un chien appelé Mimoun (Chance). L’homme n’était pas riche, mais son ménage était heureux. Il avait aussi une maléfique bague magique héritée de ses ancêtres qu’il cachait soigneusement par prudence au fond d’un petit coffret à l’insu de sa femme.
          Un jour de grand ménage, celle-ci l’avait découverte et décida sans en parler à son mari de la faire apprécier par un expert pour en connaître la qualité et en apprécier la valeur. Elle la soumit à un brocanteur itinérant juif qui passait régulièrement dans la rue en scandant: “A celle qui a des fils d’or!… A celle qui a de vieux bijoux à échanger!…”.
          Mais en la voyant, celui-ci qui était aussi magicien fut doublement épris et de la bague et de sa porteuse. Il fit alors d’une pierre deux coups. Il s’empara d’elle et l’emporta à l’aide de son génie serviteur  vers un pays lointain, d’où il lui serait impossible de revenir.
        De retour à la maison, le pauvre pêcheur découvrit le coffret vide et la femme disparue. Il tomba malade au point de vouloir se laisser mourir de chagrin et de désespoir. En voyant leur maître si malade et si désespéré, le chat Zaâfran et le chien Mimoun qui étaient aussi dotés de pouvoirs surnaturels,  résolurent de le sauver en retrouvant leur maîtresse exilée. Alors, les larmes aux yeux, ils le quittèrent en prenant le large à la nage. Le chien portant le chat en mer et à travers les cours d’eau et le chien le chat sur terre et à travers les déserts, ils parcoururent tant de pays et de villes sans trouver la moindre  trace de cette dernière.
         Mais, un matin, alors qu’ils inspectaient une ruelle dans une ville inconnue, le chat Zaâfran eut l’heureuse curiosité  de jeter un coup d’oeil à l’intérieur d’une maison  bourgeoise. Là, il aperçut sa belle et pauvre maîtresse, réduite à l’état d’esclave, pour avoir refusé d’épouser son ravisseur juif, en train de faire le ménage  dans un patio. Le chien Mimoun l’attendait dehors puisque le chat seul pouvait entrer dans une maison sans attirer l’attention. Il revint sur le champ chercher son compagnon et se présentèrent à leur maîtresse qui les reconnut aussitôt.
          - Est-ce possible, mon Dieu! s’écria-t-elle en sanglotant. Vous deux ici?… Mes chers amis!…
          - Oui, c’est bien nous! lui répondirent d’une même voix les deux bêtes magiques en pleurant et se serrant contre elle le coeur débordant de joie. Nous sommes venus à ta recherche, car nous sommes au courant de tout ce qui s’était passé.
          - Mais, comment allons-nous faire? s’interrogea la jeune femme toute transie de peur en pensant son terrible geôlier.
          - Compte sur nous, lui dirent-ils, nous en faisons notre affaire!…
           Puis, ils disparurent.
           Zaâfran demanda à Mimoun d’aller monter la garde dans la rue pour l’aviser de l’arrivée du maître des lieux qui avait l’habitude de garder la bague dans sa bouche pendant son sommeil. Puis, il alla se mettre à l’affût dans le grenier de la maison. Au bout d’un moment, il attrapa un jeune souriceau et lui promit de lui laisser la vie sauve s’il lui rendait service. Celui-ci accepta.
           - Tu devras chatouiller du bout de ta queue les narines du juif sorcier pour le faire éternuer, puis tu retourneras chez toi sans plus tarder, lui recommanda-t-il.
           - C’est comme si c’était fait! lui dit le petit souriceau tout soulagé.
          Ainsi, le chat Zaâfran n’eut pas de mal à récupérer la bague magique de son maître qu’il alla porter à sa maîtresse qui la mit à son index, la tourna et retourna, guidée en cela par ses deux miraculeux compagnons, en ordonnant au génie de l’anneau magique de les ramener chez eux. Et aussitôt dit aussitôt fait, celle-ci se retrouva près de son fidèle et aimable époux. Et les deux époux de se dire avec regret: “Il ne devait jamais y avoir de secret entre les  fidèles époux!”.




26
La fille miraculée et sans vertu 
      Il était une fois un riche marchand et sa femme qui, après avoir tenté tous les moyens possibles et imaginables pour procréer, n’avaient pu avoir d’enfants. Ils n’avaient cependant pas cessé de prier Dieu de leur en donner ne se laisse qu’un garçon ou une fille, quelque en fût  prix.
       Une nuit à force de prier et de défier la providence, l’homme vit en songe pendant son sommeil un ange tout blanc qui lui dit:
       -  Allah a exaucé tes voeux, mais à une seule condition que tu choisisses entre un fils vicieux et une fille sans vertu…
       - J’opte pour une fille!, lui répondit-il sans hésiter, en pensant pouvoir mieux maîtriser sa vie à domicile qu’un garçon.
          Le lendemain, il mit au courant sa femme de son songe miraculeux et du choix qu’il avait fait auprès de l’ange émissaire divin. Le même mois, sa femme tomba enceinte. Et d’un commun accord avec elle, l’homme aménagea une cave en véritable harem, sous sa demeure pour y élever la fille miraculée, à l’abri de tout risque de la voir subir la malédiction prédite par l’ange divin au contact du monde extérieur. Neuf mois plus tard, celle-ci naquit belle comme le jour et douce comme un ange. On la confia aussitôt à une vieille esclave noire Dada qui avait pour consigne stricte de l’élever dans l’ignorance totale du monde extérieur et dans la plus  pure des vertus. Ils lui rendaient régulièrement visite soit pour lui donner le sein soit pour la voir grandir. A l’âge de trois ans, la fillette fut d’une curiosité incroyable.     
          - Dada, où vont mon père et ma mère, demandait-elle à sa nourrice, lorsqu’ils ne sont pas ici? Et d’où nous vient ce qu’on mange et ce dont on s’habille?…
           - Allah seul sait, ma petite fille, lui répondait invariablement chaque fois la vieille et avisée servante.
            A quatorze ans, la jeune fille miraculée était aussi ignorante et ingénue que le jour de sa naissance. Mais, la vieille Dada mourut un jour et fut remplacée une autre qui était moins respectueuse des règles adoptées jusque-là par ses maîtres dans l’éducation de leur fille. Elle initia à leur insu sa jeune maîtresse à bon nombre de nouvelles habitudes et réalités. Elle lui fit goûter les fruits des saisons, lui servit de la viande non désossée, lui fit part du monde extérieur sous forme de contes merveilleux.
          A dix-sept ans, la jeune fille se mit, en l’absence de sa nouvelle nourrice, à taper un os contre le sol de sa retraite, comme l’avait vu faire auparavant, pour extraire la moelle et la sucer. Et un trou donnant sur le grand jour, s’ouvrit à ses pieds. Poussée par sa curiosité naturelle, la jeune fille l’élargit sur le champ pour se frayer un passage vers le dehors. Elle le traversa et se trouva dans le grand jardin du sérail du fils du sultan. Le prince qui était la vit et fut irrésistiblement charmé par sa beauté.
       - Qui es-tu charmante créature?, lui demanda-t-il en l’abordant.
       -  La fille du vizir, mon grand prince!, lui répondit-elle en imitant les héroïnes des contes de sa nourrice. 
         Sans se rendre  compte, elle se laissa séduire par ce dernier, qui sans lui demander le lieu de sa résidence, la quitta à la sortie de son sérail en lui mettant autour du cou sa grosse chaîne en or portant ses propres insignes royaux. Elle revint par le même trou dans sa cave et  trouva sa Dada folle d’inquiétude après avoir découvert sa disparition. Elle prit connaissance de sa mésaventure et mit au courant la mère de la fille miraculée qui préféra ne rien en dire au père et de trouver une solution au problème le moment venu.
         Par la suite, le fils du sultan ne trouvât nulle trace de la belle et  inconnue fille du vizir et apprit qu’aucun vizir n’en n’avait la paternité. Le trou fut soigneusement camouflé et on interdit provisoirement à cette dernière de revoir le prince en question. Elle en fut d’ailleurs  enceinte et donna au bout de neuf mois naissance à deux très beaux jumeaux. Ils furent richement habillés par la grand’mère, la fille - mère et la nourrice, mis dans un panier avec la chaîne d’or et un petit écriteau portant l’inscription: “La colombe a fait des petits et leur père n’a fait ni contrat ni déni”. Et la nourrice se faufila par le trou ré -ouvert et alla par le jardin les déposer au seuil du sérail du fils du sultan.
         Un serviteur les trouva en avisa aussitôt le prince qui  fut tellement troublé qu’il perdit connaissance à la vue des deux jumeaux, accompagnés de la chaîne portant ses insignes et de l’énigmatique inscription sur l’écriteau. La nouvelle parvint aux oreilles du sultan qui réunit d’urgence les membres du conseil de la couronne dont le père de la fille miraculée  et les mit au courant la périlleuse nouvelle.
          - De deux choses l’une, leur ordonna-t-il: ou vous trouvez la clef de l’énigme des jumeaux trouvés sur le pas du sérail de mon fils ou vous aurez chacun la tête tranchée à coup de sabre, dans les vingt-quatre heures.
         - Nous sommes tous ouïe et tous obéissance, sire!, lui répondirent-ils d’une même voix en le quittant terrorisés jusqu’au fond de l’âme.
         Pris de panique, le père de la fille miraculée rentra chez lui, informa sa femme du sort que lui réservait le sultan parmi ses collègues s’il ne parvenait pas à résoudre l’énigme des jumeaux. Celle-ci ne lui fit aucune confidence. Mais, chargea sa fille de lui révéler le dénouement prédit par l’ange du songe qui avait présidé à sa miraculeuse naissance. Il alla tout désespéré faire ses adieux à sa fille dans sa retraite et celle-ci lui conta toute son histoire avec le fils du sultan. 
          - Va donc trouver le sultan et dis-lui: “Amène les Adouls (les juristes) et  ton fils  et aux petits la colombe viendra faire la nourrice!”...
           En l’entendant, le sultan fit venir son fils qui reconnut son aventure avec la belle inconnue du jardin de son sérail et sut du père la naissance miraculée de sa fille et les circonstances de leur rencontre. Alors, le fils du sultan épousa la mère de ses jumeaux et sauva de l’opprobre par amour la fille miraculée, condamnée par son père incrédule à être sans vertu.






27
 La mort du mari de la femme gloutonne

 
        Il y avait une fois un maître savetier avare dont la femme était à la fois égoïste et gloutonne. Il fit tous les efforts du monde et fut le plus patient des hommes pour la changer, mais ce fut peine perdue.
         Un jour, il eut envie d’un bon plat de pieds de veau aux grains de blé décortiqués et aux pois chiche tel qu’il en avait toujours raffolé. Après en avoir parlé à femme, il alla chez son ami le boucher du coin et acheta quatre bonnes  pattes de veau fraîchement venus de l’abattoir et aux  poils grillés  sur feu de braises d’un foyer d’étuve voisin et frottées à grande eau avec de la cendre ou de l’argile pour en adoucir le goût. Il les porta alors à sa femme pour les  cuire pour le déjeuner et repartit pour son travail.
        Après la prière du d’hôr (midi), le mari revint chez lui et éprouva un vive envie de humer le parfum de son plat préféré, en se dirigeant vers le grand chaudron en train de mijoter  sur le brasero au fond de la cochchina (la grande cuisine) de la maison. Il avait la folle curiosité d’en vérifier la contenance. Sur ce point particulier, l’homme était très pointilleux et très avare. Mais, sa femme toujours aussi gloutonne l’avait déjà entamée pendant la cuisson. En effet, en goûtant le plat, elle avait sans se rendre compte gobé entièrement une des quatre pattes de veau cuites  dans leur sauce  savamment  assaisonnées et alléchantes. En en soulevant le couvercle, il se mit dans une colère bleue de n’y trouver que trois des quatre pattes qu’il avait apportées le matin.
         - Femme!, l’interpela-t-il fou furieux. Femme!…, combien ai-je apporté de pattes de veau ce matin?
         - Trois seulement!, fit la femme gloutonne en se pourléchant les lèvres d’envie et en tremblant en même temps de peur.
         - Femme!, je t’ai apporté quatre pattes de veau et tu oses me dire trois seulement…
         - Ô, homme!…c’est la pure vérité…, reprit l’égoïste effrontément sans la moindre hésitation…
          -  Femme!…, s’écria menaçant le mari excédé par la réponse mensongère de son incorrigible épouse. Femme!…, il  manque une patte dans le chaudron!… Ou tu me rends ma patte ou j’en meurs tout de suite!...
          -  Meurs, si ça te chante! lui répondit-elle  imperturbablement.
          Et aussitôt dit aussitôt fait, l’homme tomba raide mort sous le regard indifférent de sa perfide épouse. Après avoir tenté en vain de le ranimer, celle-ci ameuta le voisinage par ses hurlements. Et l’on procéda sur le champ au rite des obsèques. Une fois la toilette du mort achevée, l’homme fut envelppé d’un linceul blanc et placé sur la civière funéraire. Le cantique des morts fut ensuite entamé pendant que le convoi mortuaire traversait la principale artère de la médina où se trouvait la boutique de son ami le boucher.
         - Qui est mort?, demanda le boucher du coin à l’un des membres du convoi.
          -  C’est ton voisin le maître savetier!…, lui répondit celui-ci.
           - Dieu est grand!…C’est incroyable!…, s’écria-t-il…  Ce n’est pas plus loin que ce matin, il a pris chez moi quatre bonnes pattes de veau grillées fraîchement venues de l’abattoir.
          En l’entendant, le mort de se redressa sur son séant en criant du haut de la civière de bois maintenue au-dessus des têtes de ses porteurs ahuris.
           - N’est-ce pas quatre pattes de veau, mon cher ami le boucher!… Dieu est grand!… Et la scélérate menteuse est confondue sous yeux  tous. Car, je ne suis pas mort….J’ai usé de ce tour pour éprouver son inconduite. Déposez-moi à présent, mes frères et amis.
            On le remit sur ses pieds en compatissant à son sort de mari mal aimé. Et dès que le calme fut revenu parmi la foule, il déclara solennellement: “Certes, une femme qui souhaite la mort de son mari pour si peu ne mérite pas de rester plus longtemps auprès de lui. C’est pourquoi je la répudie triplement selon la chari’a (irrévocablement selon le droit musulman) devant Dieu et vous tous ici présents!… Car, il n’y a de mariage heureux que par assentiment des coeurs, sans quoi toute vie conjugale n’est plus que  vile duperie.





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La  femme de l’homme borgne appauvri
         Il était une fois un homme borgne, riche et honnête commerçant de soierie de son état, très estimé par son entourage, mais dont l’unique souci était son incapacité à trouver une jeune fille belle, honnête et bonne famille disposée à accepter de l’épouser malgré son infirmité. En effet, toutes celles qu’il avait demandées en mariage le refusèrent jusqu’au jour où l’une d’elles de famille très modeste accepta de l’épouser.
          Celle-ci ne fit aucun du défaut physique de l’homme et le mariage eut lieu dans les meilleurs délais. Le mari lui fut en conséquence très reconnaissant et d’une générosité sans bornes. Des années passèrent ainsi dans la prospérité et le bonheur. Mais une vague de sécheresse vint frapper le pays et le commerce de l’homme s’en ressentit profondément. Il cacha tant qu’il la situation à son épouse pour sauvegarder son bonheur, jusqu’au jour où il fut contraint de déclarer sa banqueroute. Il ne pouvait plus répondre aux exigences et aux caprices de sa femme.
            - Femme!, lui avoua-t-il tout peiné. Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Avec un peu de patience et d’endurance, nous finirons par nous en sortir et redevenir comme avant sinon beaucoup bien mieux…
            - Ah, mon cher époux!…Je ne savais que tu étais aussi borgne que ça. Je te demande le divorce immédiat. Je ne vivrai un jour avec un borgne sans le sou de ton espèce…
            En entant ces dures paroles de celle qu’il avait tant considérée et tant choyée et chérie, l’homme perdit toutes ses illusions et réalisa la triste nature du lien conjugal qui le reliait à son impitoyable et opportuniste femme: “Non, femme!… Tu ne savais pas que j’étais borgne, depuis le jour de notre mariage… Maintenant tu le sais!… Parce que ce jour-là j’étais riche et aujourd’hui je suis pauvre.”
          Sans plus tarder. Il la  répudia sur le chant en se répétant, les larmes de déception et de colère débordant de son oeil saine: “O, ironie du sort!… Elle ne savait vraiment  pas, après tant d’années de mariage, que j’étais constamment borgne…”. 






29
La femme aux doublons et la barbe du juge
         Il y avait une fois un une femme querelleuse, orgueilleuse et rusée, qui après une terrible scène de ménage avec son mari, obligea celui-ci à l’accompagner devant le cadi (le juge musulman)  pour lui prouver que le cadi lui-même ne pouvait rien contre les artifices persuasifs  des femmes annuler par la même occasion la menace qu’il  ne cessait de brandir contre elle d’aller déposer plainte contre elle auprès du cadi de la ville pour mettre fin  à sa malignité et ses querelles incessantes.  L’homme  simple et droit de nature croyait fermement que la loi et la vérité étaient de son côté et que le juge allait obliger son intraitable épouse à faire preuve d’un minimum de respect et de tempérance à son égard. Celle-ci pleine de malice savait d’avance et par ouï-dire parmi les commères du bain maure des femmes voisin où elle se rendait habituellement que le juge en question était d’une grande avarice et d’une sordide cupidité et donc enclin au gain et à  la partialité. Mais comme elle n’avait pas d’argent et par duperie , il eut recours à la ruse et aux larmes, armes naturelles des femmes en de pareils cas . Elle s’était muni alors d’un doublon en or et de deux bourses remplies de zamita (farine grillée au sucre) Une fois devant le cadi, elle éclata en sanglots à la surprise de son naïf époux.
           - Qu’as-tu à pleurer ainsi créature d’Allah?, lui demanda le cadi.
           - Ô maître cadi!… Voyez ce que j’ai entre les dents et ce que j’ai entre les mains. Je vous demande justice, maître… Mon mari que voici me maltraite sans arrêt et m’humilie sans cesse… Je suis une pauvre femme si faible et sans défense, … Et mon homme est si jeune, si fort  et si brutal! …
            -  N’aie crainte créature d’Allah!…, lui répondit-t-il les yeux fixés sur la pièce d’or entre les dents de la femme et les deux bourses tenues dans chacune de ses  mains. Gardes, cria-t-il furieusement, emparez-vous de ce vil scélérat et jetez-le immédiatement en prison!…
            Puis resté seul avec elle dans le prétoire, il l’invita à lui remettre le doublon en or et les bourses qu’il croyait remplies de pièces identiques.
         - Approche donc ma fille et remets-moi tes bourses pleines de doublons en or!…, lui lança-t-il avec impatience en se lissant la barbe d’un air enjoué.
         Mais celle-ci de lui répliqua le plus sottement du monde :
         - Ô, maître cadi!… lui cria-t-elle. C’est seulement un seul doublon et deux bourses de zamita. Voulez-vous en sucer du bout des lèvres ou vous en saupoudrer la barbe?
Déçu, mais mis devant le fait accompli, le cadi lui dit ironiquement: “Ô, saupoudrez-moi en la barbe, maligne créature!… En effet, la ruse et la tentation sont les armes par excellence des femmes comme de Satan lui-même…”.       





30
Le fils ingrat repenti le sultan et sa fille
         Il était une fois un vieux fakir qui, à l’heure de sa mort, fit venir ses trois fils dont l’aîné était surnommé le Chauve, à cause de sa calvitie, à la fois désinvolte et débauché. Il leur fit part de ses dernières volontés, promettant à celui qui y contreviendrait peines et afflictions.
       - Notre demeure compte sept chambres, leur rappela-t-il. Vous êtes autorisés à les ouvrir sauf la septième d’entre elles sur la gauche. Promettez-moi de ne jamais l’ouvrir jusqu’à la fin de vos jours et de celle de vos descendants. Quiconque  d’entre vous me désobéira subira le pire des sorts.
      Le père mort, tous obtempérèrent à la sollicitude du défunt, mais eurent beaucoup de mal à dompter le désir de leur aîné ingrat, le Chauve,  à ouvrir la septième porte de la chambre interdite.
       Un jour, en dépit du refus de ses frères, le Chauve s’empara de la clef de la chambre interdite, l’ouvrit et y pénétra. Il y découvrit, au milieu d’une grande pièce complètement vide, un énorme coffret de famille, de bois massif et de fer ouvragé en fioritures de signes cabalistiques, fermé, posé sur un socle de marbre blanc. Animé de   son irrésistible cupidité et de sa folle curiosité, celui-ci s’en en brisa les cadenas et en souleva le fatal couvercle.
       Quelle en fut sa surprise lorsqu’il y découvrit un billet spécifiant l’usage de trois objets magiques : une calotte qui rend invisible, une bague magique pour réaliser tous les vœux et un tapis volant pour aller aux quatre coins du monde. Ses frères n’en furent trop contrariés et le laissèrent à son sort de fils ingrat. Il s’empara de  la calotte invisible et se mit à  importuner  les gens et les boutiquiers à travers la ville. Mais un soir en état d’ébriété, il en dévoila le secret son unique maîtresse en lice avec un autre amant qui exploitaient continuellement sa naïveté et sa folle générosité. Alors, celle-ci la lui déroba et la remit à son complice, un grand brigand de la ville.
       Le Chauve en fut profondément affligé, mais décida de recourir à l’usage de bague magique qui réalise tous les vœux pour compenser sa perte. Toutefois, la perfide maîtresse et son amant étaient toujours aux aguets. Le lendemain, le Chauve s’empara de la bague magique, la mit à son index et le tourna. Et aussitôt, un grand démon se présenta devant lui en grondant :
        - Qui es-tu, fils désobéissant, pour venir me tirer de mon sommeil ? Dis vite ton vœu, ou je réduis à néant !
       Frappé de stupeur, le Chauve bégaya :
       - Je… je voudrais faire… bonne chair… avec mes compagnons de taverne!
       Sitôt dit sitôt fait, il se vit dans une taverne, entouré de la bande de ses vicieux compagnons, dont sa fausse maîtresse, rendue invisible par la calotte magique. Tapis dans un coin, elle attendit qu’il fût complètement et le dépouilla de la bague magique qu’elle remit à son vilain amant. 
        Le lendemain, le Chauve se réveilla dans un dépotoir de la ville. Poursuivant son funeste projet, il retourna dans la chambre interdite, sortit le tapis volant du coffre, l’étala et y prit pace.
       - Je suis  ton serviteur, fils désobéissant! tonna la voix d’un génie invisible. Dis vite où tu veux aller, sinon je te jette sur un désert inconnu, sans ton tapis!...
        Pourtant, le Chauve, toujours aussi irréfléchi, fut pris de panique. Il eut un moment d’hésitation avant de répondre et se  retrouva au milieu du désert d’un  royaume inconnu. Il marcha longtemps, sous un soleil torréfiant, tenaillé par la faim et la soif, sans rencontrer âme qui vive. Soudain, il vit un aigle noir fondre sur une autruche la déchiqueter de son bec meurtrier. Se sentant en danger de mort, il eut la bonne l’idée de se coucher et de se couvrir de sables en ne laissant visible que ses yeux, sa bouche et son nez. Le soir, il marcha jusqu’à une petite vallée verdoyante. Là, il rencontra deux source d’eau mitoyennes : l’une à sa  droite, l’autre à sa gauche.  
      Assoiffé, il but de la source située à sa gauche et aussitôt un voile lui tomba sur les yeux, il perdit la vue. Il en fut  singulièrement atterré. Mais, l’idée lui vint subitement de boire de la source située à sa  droite. Et aussitôt, comme par miracle, le voile se leva et la vue lui revint. Il en fut immédiatement soulagé. Il but encore de l’eau de cette dernière et tout demeurait normal.
       - Un remède miraculeux ! se dit-il.
      Or, non loin de là, il vit, au bord d’un ruisseau, un singulier figuier chargé des figues vertes et noires, hors saison. Le ventre toujours creux, il avala une poignée de figues noires, mais soudain des cornes de cerf lui poussèrent de chaque côté de la tête. Il en fut affreusement tuméfié. Puis, se rappelant son expérience avec les eaux des sources, il décida de manger des figues noires du même figuier. Et les cornes de cerf tombèrent aussitôt à ses pieds.
      - Un autre remède miraculeux ! se dit-il.
      En outre, le hasard fit que le sultan de ce pays était subitement frappé de cécité, après avoir bu de l’eau d’une  une source inconnue du désert. Et le même hasard fit que la fille du sultan se vit pousser des cornes de cerf de chaque côté de la tête, après avoir mangé à des figues noires, hors saison, que l’eau du ruisseau du palais avait apportées, on ne sait d’où. On fit appel à tous les médecins du royaume en vain pour les guérir, et tous furent punis de mort après leurs cuisants échecs.
    Le Chauve apprit la nouvelle, en rentrant dans la cité  du sultan et se rappela qu’il avait fait provision des eaux dans le creux de roseaux et des figues miraculeuses en question dans le  capuchon de sa djellaba. Alors sûr de son affaire, il se présenta au palais en tant que grand fakir et médecin pour guérir le sultan et sa fille de leur mal, risquant ainsi d’y laisser sa tête.
     - En cas d’échec, lui dit le grand vizir, tu auras la tête coupée comme tes charlatans prédécesseurs!...
        - J’y consens volontiers, votre excellence ! convint le Chauve sans sourciller.
        Et le miracle se réalisa. Le sultan et sa fille furent aussitôt guéris de leur mal par le Chauve ingrat repenti. Comme récompense, le souverain lui donna sa fille en mariage et le fit son fakir et médecin particulier. Ensuite, il se rendit avec sa femme à la tête d’un cortège solennel dans son pays d’origine, où il fut reçu par le sultan, les dignitaires de son pays et ses frères tous ébahis par l’opulence des richesses et des hommes d’armes qui l’accompagnaient. Il sollicita le sultan et le grand juge local mit aux arrêts, sur le champ, la perfide maîtresse et son déloyal amant, obtint leurs aveux les condamna à de lourdes peines de prison, et à la restitution des biens magiques usurpés au fils ingrat repenti.  



  


31
Baba Ali Hadda et la fille du sultan
     Il  avait jadis un hachichiste du nom de Baba Ali qui passait son temps à fumer du kif et paresser en buvant du thé à la menthe au pied d’un arbre, au bord de la route carrossable du palais du sultan.

      Un jour, alors qu’il était en train de fumer sa pipe et déguster son thé préféré, une volée de mouches s’était rassemblée autour de lui. Agacé, il s’empara d’une baguette et en frappa les volatiles en comptant les morts qui se sont montées à soixante-dix-sept mouches tuées. Alors, sous l’effet du kif, il se vit devenir un grand héros guerrier sur un champ de bataille, ayant abattu de son sabre un bataillon d’agresseurs arrogants.  
      Persuadé de son héroïsme, il alla chez un forgeron et se fit façonner un sabre sur la lame duquel il fit graver sa devise : "Baba Ali Hadda (Le père Ali la Menace) bîn Chadda wa Radda (entre l’Attaque et la parade) Qtal sabaâ wa sabîne ragba (tue soixante-dix-sept arrogants)". Il le dota d’un porte - épée et le suspendit à l’arbre sous lequel il tenait habituellement.
     En passant par là, le sultan et sa suite aperçurent le sabre avec son inscription, suspendu à l’arbre. Le souverain fit venir Baba Ali et une fois ayant appris que le sabre lui appartenait, il le nomma chevalier de la couronne et le maria aussitôt à sa fille.
     Un vendredi pluvieux, avant de se rendre à la prière collective et écouter la prédication à la vieille mosquée, aux côtés du sultan et sa suite, sa femme lui annonça qu’elle allait préparer un couscous aux légumes pour le déjeuner. Le farfelu chevalier y laissa courir son imagination pendant la prédication, en se disant au sujet de la cuisson du met en question:
    - La voilà qui met à cuire les légumes et la viande dans la marmite et la semoule dans le couscoussier. La semoule cuit à la vapeur. Elle la délaye à l’eau et l’essore dans la bassine. Elle la remet sur le feu pour la dernière fois. Maintenant elle arrose le plat de semoule beurrée du bouillon  de viande et de légumes cuits à point…
      Puis, sans se rendre compte de ce qu’il faisait, il se lança vers la sortie de la mosquée, suivi de tous les fidèles, du sultan et de sa suite,  en hurlant :
      - Le couscous s’évapore !... Le couscous s’évapore !...
      Or, une fois tout le monde dans la rue, le plafond de la vieille mosquée, tout rongé par l’humidité, s’effondra. Ayant de la sorte sauvé la vie du souverain, Baba Ali Hadda fut promu au rend de dignitaire et chef des armée du sultan.
       Toutefois, peu de temps après, un roi ennemi avec ses armées envahi le pays et vint camper sous l’enceinte de la capitale. Baba Ali Hadda était alors chargé de refouler l’ennemi et de mettre fin à l’agression armée étrangère. Sentant venir le pire, il conta à sa femme son histoire avec les mouches, origine de son sabre fantoche. Mais sa femme l’incita à reprendre courage et à honorer son rang et celui du sultan. Sur un champ de bataille poussiéreux, et peu avant l’affrontement avec l’armée ennemi, Baba Ali Hadda appela ses aides de camp et leur ordonna :  
       - Apportez-moi le plus puissant coursier du haras ! Attachez-moi solidement dessus avec des cordes, la tête tournée vers la croupe de la bête !... Attachez à la selle les plus gros branchage d’arbre possible que trouverez et lancez-moi à fond de train vers le front ennemi !... 
        Une fois lancé, la monture souleva un immense nuage de poussière qui boucha l’horizon à la mesure d’une cavalcade d’une terrible armée animée de dix mille démons. L’armée du sultan l’accompagnait de ses hurlements et ululements de voix tonitruantes. Alors terrorisée, l’armée ennemi se croyant sujette à véritable tremblement de terre, prit aussitôt la fuite avec son sultan hors du pays. Et tout le pays en fut aussitôt soulagé en criant victoire grâce à l’œuvre héroïque de son héros national Baba Ali Hadda. Pour le remercier le sultan qui n’avait qu’une fille unique le nomma prince héritier du royaume.
       - Mais tout le mérite, répondit humblement Baba Ali Hadda au souverain, revient à ma femme qui fut mon seul grand mentor et mon plus grand soutien !...
          




32
La femme sauvage et le sultan
      Il était une fois une belle jeune fille orpheline qui avait pour belle mère une méchante femme, d’une horrible laideur, qui la détestait à mort, et qui pratiquait secrètement la magie noire à l’insu de son mari. Elle ne cherchait qu’une seule chose, le moyen de se débarrasser une fois pour toute de la pauvre et jolie orpheline qu’elle maltraitait du matin au soir, tant sa jalousie était grande, car celle-ci rappelait aux yeux du mari sa défunte rivale.
       Un jour, de connivence avec un maître sorcier de sa connaissance, elle concocta  une mixture où elle trempa un petit clou, une fois implanté dans le crâne d’une personne, la transforme en bête sauvage, digne des habitants de la forêt. Pour y arriver, elle l’invita à une excursion  dans la forêt et profita d’un moment de distraction de la jeune file, lui enfonça le clou dans le crâne et l’abandonna toute évanouie dans les bois.
      En se réveillant, elle avait perdu la mémoire et se trouva entourée d’une louve et ses petits qui au lieu de la dévorer lui pourléchaient le visage et les mains. Des années passèrent, sans que son père qui l’avait partout cherchait ne la trouvât et crut enfin à sa mort. Les bêtes de la forêt l’avaient adoptée comme une des leurs et elle apprit à vivre à l’état sauvage, dans l’antre la mère louve et sa progéniture.
    Mais, lors d’une battue dans la dite forêt, le sultan aperçut la belle femme sauvage courir parmi  les bêtes et fut immédiatement épris de sa beauté et de sa vigueur.
     - Amenez-moi cette femme vivante ! ordonna-t-il à ses chevaliers.
     Après une course effrénée, à travers la forêt, la femme sauvage fut captivée, ligotée et ramenée au palais dans le carrosse du sultan.
Celui-ci la confia à sa gouvernante pour la laver et l’habiller correctement. On tenta de la faire parler, elle avait perdu l’usage de la parole humaine et voulait repartir dans les bois. Mais, qu’elle la coiffait la gouvernante du sultan découvrit le clou qu’elle lui arracha du sommet du crâne. Celle-ci s’évanouit. Puis ranimée par la gouvernante, elle ouvrit les yeux en s’écriant :
       - Où suis-je ? … Où est mon père…  et ma belle mère ?...
      On avisa le prince qui vint aussitôt la voir. Les larmes coulaient à flots des yeux de la jeune femme alors qu’elle lui racontait son passé qui lui revenait à la mémoire. Tout attendri et pris d’un amour fou pour elle, le sultan décida d’en faire sa seconde épouse en lui offrant un médaillon frappé de son sceau. On fêta leurs noces durant sept jours. Peu après, la femme sauvage tomba enceinte et  devint la première favorite du souverain.
      Or, cela n’était pas fait pour épargner la jalousie et susciter la soif de vengeance de sa stérile rivale, l’ancienne femme du sultan, et ses suivantes dans le palais. 
        - Il faut en finir par n’importe qu’elle moyen avec la femme sauvage ! leur dit-elle pleine de rage et de mépris.
        Ainsi, neuf mois plus tard,  celle-ci accoucha d’un très beau garçon. Mais, les suivantes et la rivale lui substituèrent un petit chiot et annoncèrent la nouvelle au sultan. Pris de colère, le sultan, sans même venir la voir et l’écouter, ordonna à son grand vizir :
         - Jetez la chienne avec les chiens au sous-sol du palais !...
         - Apporter moi mon fils !... hurla en vain la pauvre femme réprouvée.
         Elle condamnée à vivre le restant de ses jours avec la meute du palais. Plus tard, on lui rapporta son bébé pour partager le sort de sa pauvre mère. Et comme elle avait appris à parler aux animaux des bois, la captive communiquait avec la petite chienne née en même temps que son fils. Cinq ans s’écoulèrent et seule la petite chienne lui rapportait les nouvelles de l’extérieur.
          Un jour, celle-ci vint lui annoncer que le sultan et sa rivale allaient adopter un enfant pour en faire leur héritier. Elle se mit à  penser au moyen de faire parvenir son fils, âgé de dix ans à son père. Et la petite chienne d’intervenir en lui suggérant :
           - Mettez au cou de mon frère le médaillon frappé au sceau du sultan et je le conduirai moi jusqu’à lui.
            Toujours éprouvé par la perte de son amour pour la femme sauvage, le sultan pensif était assis seul dans le parc du palais, à l’endroit même où il avait l’habitude de se tenir avec elle après leur mariage. Connaissant toutes les issues du souterrain du palais, la chienne conduisit l’enfant, attifé des habits qu’elle lui avait façonnés sur une de ses vieilles robes, au pied de son père. Réveillé de sa distraction par un léger jappement de la chien, le sultan leva la tête et vit le bel enfant.
             - Qui es-tu bel enfant ? lui demanda le sultan étonné de la ressemblance de l’enfant avec sa mère, condamnée à moisir avec les chiens du palais.
             - Je suis le fils de celui qui a donné à ma mère ce médaillon frappé à son sceau !... répondit l’enfant comme le lui avait dit sa mère.
            L’enfant avait aussi beaucoup de traits de son père. Aussitôt le sultan examina le médaillon et comprit le stratagème dont il fut le jouet de la part de son ancienne épouse et de ses suivantes. Il se fit conduire vers la femme captive, la délivra en implorant son pardon et répudia la coupable et la condamna au même supplice avec ses suivantes dans les geôles  les plus humides du palais. Mais, la bonne sultane réhabilitée, ne tarda pas à demander grâce à la faveur de ces dernières, qui devinrent ses plus fidèles meilleurs serviteurs.  



33
Le fils du marchand et la fille du sultan
   Il y avait une fois un beau jeune homme, très naïf, fils d’un marchand de tissus dont le magasin était situé en face de la fenêtre du sérail de la fille du sultan. Celle-ci avait promis à son père de n’épouser que le garçon de son choix à qui elle remettrait son anneau royal comme gage de son accord pour venir la demander en mariage. Le jeune homme qui l’avait aperçu une fois, passait son temps à soupirer, en fixant la fenêtre qui demeurait habituellement close.
     Un jour, la fenêtre du sérail s’ouvrit et le fils du marchand vit une des plus belles et des plus gracieuses jeunes filles du monde. Celle-ci le fixa un moment du regard, lui lança un très doux sourire et disparut en refermant les deux battants de la fenêtre. Emerveillé et complètement charmé, il n’avait plus à détacher ses yeux de la fenêtre dans l’espoir de la voir. Alors, transporté de joie, il se mit à ouvrir et fermer la porte du magasin.  Intrigué, son père appela  son  beau-frère, un homme d’expérience et ayant la confiance de son fils.
       - Qu’as-tu à agir de la sorte, du matin au soir la tête levée vers la fenêtre du sérail? lui demanda l’oncle avec bonhomie.
         Le jeune homme lui raconta ce qu’avait fait la fille du sultan et crut en faire de même pour attirer son attention.
        - Gros bêta ce n’est pas ce que signifie le comportement de ta princesse, lui expliqua-t-il. Elle veut dire par le sourire et la fermeture des deux battants de la fenêtre signifient qu’elle apprécie beaucoup ta personne et te donne rendez-vous,  dans dix jours, au même endroit.
        En effet, le dixième jour, la fenêtre du sérail s’ouvrit et la fille du sultan réapparut, éclata de rire, agita les manches de ses deux mains, en ouvrant et refermant deux fois les deux battants de la fenêtre. Il rapporta l’événement à son oncle pour l’éclairer sur sa signification.
          - Elle te donne rendez-vous, lui dit-il, près du pont qui surplombe la rivière, dans vingt jours, à dix heures du soir.
          Le jour venu, le fils du marchand vêtit son plus beau costume, se parfuma et se pointa, à l’heure convenue, au lieu du rendez-vous. Mais la princesse tarda à venir et le soupirant s’assit au pied des deux arbres et finit par sombrer dans un profond sommeil. Vers minuit, la fille du sultan arriva accompagnée de sa suite et vit son prétendu soupirant son endormi.
          - Il n’y a rien à attendre d’un soupirant qui dort dans l’attente  de celle qu’il aime ! dit-elle avec dépit. Jetez moi celui-ci au dépotoir de la ville.  
          Lorsqu’il se réveilla le lendemain, il se trouvait dans un piteux état et regretta amèrement son manque d’endurance. Les jours suivants, il les passa à se lamenter et à scruter la fenêtre close du sérail. Et un soir, la fenêtre s’ouvrit et la princesse réapparut portant un voile noir et portant à la main un vaporisateur d’eau de fleurs d’oranger dont elle parfuma l’air, tout en ouvrant et refermant de l’autre main une seule fois un battant de la fenêtre, puis  referma entièrement  celle-ci avant de s’en aller. Elle rapporta à  son oncle qui lui dit :
         - La princesse est attristée et te donne rendez-vous à l’entrée du bain maure de la ville à cinq heures du matin. Tâche donc de ne pas refaire la même erreur que la dernière fois.
          Le fils du marchand, bien attifé et parfumé et plein de bonne volonté, se rendit, à l’heure, au lieu du dit rendez-vous et comme la fois précédente finit par se rendormir à l’entrée de l’étuve fermée. En le voyant  ainsi, tout excédée, la fille du sultan s’écria :
          - Il n’y a rien à attendre d’un soupirant qui dort dans l’attente  de celle qu’il aime ! Jetez moi celui-ci au dépotoir de la ville. 
           Le lendemain, il s’éveilla encore dans plus un piteux état sur un tas d’immondices entouré de chats et de chiens errants.
          Il rejoignit de nouveau son oncle pour lui raconter sa nouvelle disgrâce auprès celle qu’il aimait. Celui-ci lui dit de ne pas désespérer et d’être  plus vigilant à l’avenir.  Le jeune garçon reprit sa position au seuil du magasin face à la fenêtre du sérail qui demeura longtemps fermée. Mais un après midi, la princesse apparut portant un voile rouge, dispersa en l’air un bouquet de fleurs multicolores, ouvrit et referma trois fois les deux battants de la fenêtre, avant de disparaître.
          En rapportant la scène à l’oncle avisé, ce dernier lui apprit que la fille du sultan lui donnait rendez-vous au parc de son père, après un mois, au coucher du soleil et que cela lui coûterait la vie s’il arrivait à faillir à ses devoirs de soupirant. Alors, pris d’un dépit sans précédent, il se rendit, au moment con venu, avec la ferme volonté de ne plus se laisser humilier à nouveau.

        Mais, comme les fois précédentes, l’aimée tarda à venir. Pour ne pas s’endormir, l’oncle lui conseilla pour se maintenir  debout d’attacher  son cou à l’aide d’un cordon de soie autour du cou à la haute branche d’un arbre du parc. Ainsi, chaque fois que tête le cordon le tirait vers le haut et le réveillait. En le vaillant éveillé, la belle princesse, toute étonnée, lui dit :
-          Il y a tout à attendre d’un soupirant qui  veille dans l’attente  de celle qu’il aime !
     Elle lui donna son anneau royal et lui donne son accord d’amener ses parents, le lendemain, pour demander sa main au sultan. Elle se promenèrent ensemble, au clair de lune, dans le parc, s’avouèrent leurs sentiments l’un l’autre et se quittèrent aux premières lueurs de l’aube. Et le mariage de la fille du sultan et le fils du marchand fut célébré, une semaine plus tard, dans l’ensemble du royaume.


        
    
  

        
34
Le sultan et la fille du vieillard
    Il était une un sultan fort jeune et beau qui détestait la vieillesse et vieillards ainsi que toute forme de gérontocratie (gouvernement des vieillards). Pour s’en préserver, il donna l’ordre de tuer tous les vieillards de son royaume et mettre à mort toute personne qui lui désobéirait en préservant la vie de l’un d’eux. Toutefois, la jeune fille unique d’un vieux et sage fakir osa défier le génocide ordonné par le jeune et fieffé sultan, en cachant son père octogénaire dans le sous-sol de sa maison. 
  Un jour, la sécheresse frappa le pays et les récoltes furent menacées de dépérissement faute de pluie. Il fit appel à tous les jeunes agronomes et agriculteurs du royaume, mais aucun d’entre eux ne sut trouver une issue à la crise et à la menace de famine qui pesaient lourdement sur le pays.
     Sur le conseil de son grand vizir, il fit appel à l’ensemble du peuple et promettant honneur et forte récompense à celui ou à celle qui apporterait un remède efficace à la situation. Mais personne parmi la population composée uniquement de jeunes ne répondit à l’appel alarmant de l’impitoyable souverain qui mettait à mort tous ceux qui venaient à le mal conseiller. Mais, informé par sa fille du mal qui s’abattait sur le pays,  le seul vieillard caché confia la solution à sa fille unique et lui ordonna d’aller la communiquer au sultan.
        - Comment oses-tu venir, toi une femme, apporter la solution à la crise qui bouleverse le royaume, après l’échec de tout le peuple du royaume !... Parle, avant que je te fasse couper la tête ! s’exclama le sultan plein de mépris et d’amertume.
         - Sire, lui dit la jeune fille plein d’assurance comme lui avait enseigné son père. La terre meuble est en ces débuts de sécheresse est asséchée à la surface du côté des tiges, mais l’humidité est maintenue en profondeur du côté des racines. Il suffit de creuser et de ramener la terre humide sur le bas des tiges pour sauver les récolter…
      - Excellente solution ! s’écria celui-ci transportée de joie sous les applaudissement des gens de sa cour. Je donne l’ordre d’appliquer la mesure immédiatement, somma-t-il à son grand vizir, demeuré ébahi devant d’assurance, d’intelligence et de grâce.
      Il la maintint prisonnière en attendant le résulta de la méthode proposée qui donna en quelques jours d’excellents résultats. Puis, il la fit venir en audience.
       - Etes-vous marié ? demanda le jeune sultan à la fille.
       - Non, sire ! lui répondit-elle.
       - Je doute fort qu’une telle puisse venir d’une jeune fille de votre âge, lui dit-il… Dites-moi la vérité jeune fille !...
        - Accordez-moi votre sécurité, et je répondrai à votre requête, lui demanda-t-elle
        - Vous l’avez ! lui promit le sultan tout  intrigué.
        Alors, elle lui conta le récit de sa désobéissance à son ordre d’exterminer les vieillards du royaume en cachant son vieux père, un très grand et sage fakir grâce auquel le royaume en péril venait d’être sauvé de la famine.
         Confondu et plein de regrets, le sultan encore célibataire fit venir le vieillard et le fit son premier conseilla et lui demanda la main de sa fille qui devint la reine bien-aimée de tout le pays.
      
       
        


35
Sidi H’mamou (le Saint – Pigeon) et la servante noire
    Il y avait une fois un maître meunier renommé pour sa grande probité, sa grande vertu et la grande qualité de sa mouture, qui possédait un moulin à eau, surplombant un ruisseau maintenant réduit à une source accolé à son tombeau, hors de la ville de Fès. Toutes les familles riches comme pauvres envoyaient avec leurs servants et servantes leurs blés à moudre sans jamais trouver à se plaindre, chez lui.
     Un jour, la servante noire d’un riche bourgeois fut envoyée avec trois mesures de blés à moudre dans son moulin. Mais en cours de route, elle échangea contre de l’argent qu’elle garda pour elle, une des trois mesures avant de se rendre chez le maître meunier en question. Celui-ci exécuta la mouture et la remit, sans se douter de rien à la servante. Mais sa maîtresse avait, du premier coup d’œil  remarqué le manque, vérifia la pesée. et lui dit :  
       - Où est passé la troisième mesure de blé manquante, lui demanda-t-elle, le fouet à la main.
       - C’est le meunier qui l’a volée ! osa dire la servante noire.
      Aussitôt, le maître de maison convoqua le pauvre meunier chez le grand cadi (le juge) de la ville. Il nia le délit et proposa au cadi et à ses accusateurs de se rendre à son moulin pour entre la voix de ses témoins. Une fois là, le maître meunier les conduit devant les meules de pierre du moulin et s’adressa eux :
       - O meules, dites si je suis coupable de vol et si vous mentez, que fasse de vous des pierres de géhenne ! …
        Il n’avait achevez son altercation que les meulent disent de vive voix :
        - Sauf votre respect, O sidi H’mamouch, c’est la servante noire qui a vendu la mesure au marchand de blé du quartier Sagha et vous accusé injustement…
         Son innocence prouvée et sous les yeux écarquillés de ses détracteurs confondus, le Saint homme se transforma subitement  en pigeon blanc et s’envola par la fenêtre de l’édifice, sans plus jamais y réapparaître. Depuis ce jour, le ruisseau se dessécha et le moulin devint tombeau de Sidi H’mamouch (Saint - Pigeon), un haut lieu de pèlerinage du saint patron des éprouvés du mauvais sort et de la vie.
      
   
  



36
Un divorce sur commande, déjoué devant le cadi (le juge)
     Il était une fois une femme mère d’un bébé et de trois fillettes que son mari avait quittée durant plus un certain temps sans donner de ses nouvelles. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais il lui semblait qu’il l’avait abandonné pour toujours, après une querelle maritale liée à son incapacité à subvenir aux besoins de sa famille.
     Pressée par la nécessité, la femme songea à un stratagème pour se venger de l’égoïsme des hommes et se procurer quelques au dépens de l’un d’entre eux. Elles prit son bébé et titra ses fillettes et alla se mettre aux aguets, au quartier des adouls (notaires musulmans), avoisinant la mosquée Karaouyyine et le tribunal du cadi (juge musulman). Tout à coup, elle vit passer par là un jeune et vigoureux apprenti meunier qui semblait à la fois tout démuni et naïf.
       - Par Allah ! lui cria -t- elle, peux-tu me rendre un petit service contre cette pièce de dix rials ?
       - Par Allah ! … bien volontiers, lui répondit l’ingénu garçon, sans la moindre hésitation. Que puis-je faire pour votre service, ma bonne dame ?
       - C’est simple comme tout, lui dit-elle. Vous allez m’accompagner chez le cadi, près d’ici. Et, vous direz devant lui cette phrase : "Femme, je te répudie !" Et vous repartirez comme vous êtes venus.
        Alors, il prit l’argent, alla avec elle devant le juge, prononça comme convenu la formule juridique et s’apprêtait à partir, lorsqu’il entendit la perfide femme s’accrocher à lui en criant :
        - Mais que faire de mes droits et de la pension de des enfants, selon la loi de d’Allah, par pitié !...  O maître cadi ?
         En effet, le jeune nigaud, pris au dépourvu, se mit nier en être le mari et  tenta en vain d’expliquer le stratagème dont il a été victime… Le cadi, pour le ramener à la raison, ordonna sa mise aux  arrêts. La femme affectait  de pleurer pour attendrir le juge et son greffier et obtenir que l’homme la prenne à charge avec ses enfants. Dans sa cellule, retrouvant son calme, le jeune homme fit savoir au juge par son geôlier qu’il travaillait chez le chef de la corporation des meuniers de la ville, qui pourrait témoigner en sa faveur. On  fit venir ce dernier que le juge connaissait parfaitement pour droiture et son honnêteté.
       - Ce jeune n’est pas marié et n’est père de personne! dit-il au grand cadi.
       Le cadi en fut profondément offusqué et procéda à l’interrogatoire de la frauduleuse épouse qui avoua aussitôt son forfait et les raisons qui l’y avaient poussée. Enfin, le cadi ne trouva mieux que de les relâcher le faux couple, après les avoir sévèrement gourmandés en leur promettant le pire des châtiments en cas de récidive. C’était dit-on dans la ville : "Un divorce sur commande déjoué devant le cadi".

      
    
         
 

37
Ce sont les mitres (Lahnâtaz), O M’hamed mon fils !
      Il y a avait une fois une femme qui avait un fils, nommé  M’hammed, un peu niais qu’elle voulait marier  mais nulle famille de son entourage n’a voulu de lui comme pour sa fille.
       Un jour, elle alla dans une famille du voisinage pour demander sa fille en mariage. C’était une famille de grands snobs et de mœurs désinvoltes. Les parents affectèrent d’accepter la demande et décidèrent de lui faire une farce pour laver l’affront qu’elle avait fait essuyer, en venant leur demander leur propre fille en mariage à son débile de fils. Ils se mirent d’accords sur la dot et tous les préparatifs du mariage.
        - Comment ferais-je pour reconnaître et accueillir mon épouse que je n’ai jamais vue? demanda le niais M’hammed à sa mère tout intrigué.
        - Je te guiderai moi-même, O M’hammed, le moment venu, lui répond sa mère, sur un ton rassurant.
         Mais la nuit de noces, on substitua, dans la litière matrimoniale, à la mariée une chèvre attifée et parée, qu’on transporta en grande pompe, au milieu des chants des musiciens et des youyous des femmes  des deux familles. On transporta la prétendue femme dans la chambre nuptiale où on l’enferma avec l’ingénu époux qui ne sut que faire de la créature qu’il avait sous les yeux.  Alors elle s’adressa à sa mère qui l’écoutait de l’autre côté de la porte, en s’écriant :
         - O, mère !... la mariée a des cornes !...
         - Ce sont les mitres !... O, M’hamed, mon fils ! lui répliquait la mère, toute dupe de la situation.
          - O, mère !... la mariée a une barbe ! continua - t-il.
           - Ce sont les atours !... O M’hamed, mon fils ! lui répliqua-t-elle, en pleine ignorance de cause.
           - O, mère !... la mariée a des sabots fourchus !  se plaignit -il.
           - Ce sont des babouches en fils d’or ! O M’hamed, mon fils ! lui dit-elle, sur le même ton chantant.
           - O, mère !... la mariée est une chèvre bêlante ! hurla-t - il fou de rage en poussant la porte et se lançant hors de la chambre.
            La mère et l’assistance découvrirent l’hideuse supercherie et l’affaire fut portée devant le grand cadi (le juge) qui convoqua les parents contrevenant au contrat du mariage et les obligea à restituer l’épouse à son mari et à lui demander pardon de s’être s’y mal conduits à son égard. L’affaire fit date dans la région, puisque désormais plus personne mariait sans faire connaissance directe avec la mariée, à l’heure du contrat comme à la nuit des noces. 


38
La  femme, son mari  et  le coq de la voisine
   Il était une fois une femme et son mari très envieux qui habitaient le rez-de-chaussée d’une ancienne demeure de la médina dont l’unique étage et la terrasse était par une femme et son mari d’une grande réputés pour leur bonté et altruisme. Ces derniers avaient un grand coq qu’ils  engraissaient pour les grands jours. Chaque jour à l’aube le chapon chantait de sa forte voix et éveillait l’ensemble des habitants de la vieille demeure.
     - Ce coq a assez grandi et doit peser fortement à l’heure qu’il est, la femme envieuse à son mari. Il faudra trouver le plus tôt possible un moyen d’en manger les meilleures parties avant qu’il y ait des invités chez nos généreux voisins et qu’il n’en soit pour nous tout à fait trop tard.
      - Mais que pourrions-nous faire ? lui répliqua son mari aussi bassement intéressé qu’elle.
      Après avoir longuement réfléchi, celle-ci lui :
       - Attendons que le coup de dix heures du matin. Tu claquera vivement la porte de notre chambre à coucher, en m’insultant et en faisant semblant de battre à coups de bâton. Tu frapperas alors à l’aide du battoir la peau de mouton tannée que nous possédons en laissant l’entrée du patio grande ouverte pour laisser entrer nos voisins qui accourront pour nous réconcilier. Ils seront forcés de nous inviter à un repas qu’ils prépareront avec le coq engraissé qu’ils ont sur la terrasse.
         Ils si bien simulé leur querelle que la voisine et son mari avaient pitié de la pauvre femme battue pleurant et appelant au secours de toutes ses forces à vous fendre le cœur.
          - Au d’Allah ! Arrêtez-vous et ouvrez-nous la porte ! C’est injuste et impie ce que vous faites à votre épouse ! criaient de concert l’homme et sa femme…
       Alors, l’homme  ouvrit la porte. Et sa femme courut se réfugier chez la voisine. Pour les réconforter et les concilier, leurs hôtes leur offrirent le grand pour déjeuner. Mais à table la fausse femme battue reprit force et proposa de faire le partage du volatile cuit à point entre elle, son mari, sa voisine, son mari et sa belle-mère.
        - Tiens, dit-elle à son mari. Tu prends ces cuisses pour qu’Allah abatte les cuisses dont tu te sers pour battre. Toi, notre bon voisin, prends le cou pour qu’Allah élève ton cou par-dessus les gens. Toi notre bonne voisine, prends le cœur et le foie pour qu’Allah conserve ton bon coeur et ta bonne foi. Et toi, la belle-mère, prends les ailes pour qu’Allah te mette sous les ailes de l’Ange Gabriel. Quant à moi, se dit-elle, je prends la poitrine, pour soulager ma poitrine chargée de soucis…   
         Pris au dépourvu, le couple généreux se retrouva dépossédé  de son coq le stratagème diabolique du couple envieux qui dévora les meilleures parts du coq qu’il avait tant convoité. Aussi dit le verbe : "Femmes dévoyées, prêtes à larmoyer".   





39

L’homme pauvre, sa femme et la chatte accouchées
    Il y avait une fois un homme pauvre dont la femme venait d’accoucher en même temps que leur chatte. N’ayant à se mettre sous la dent, sa femme lui dit :
      - Tache de  trouver quelqu’un à qui tu pourrais céder cette chatte et ses petits en échange de nous donner de quoi manger !...
       L’homme ne se le fit pas dire deux fois. Il mit la chatte et ses petits dans un couffin et partit. Il marcha droit devant lui jusqu’à la tombée de la nuit lorsqu’il parvint à un douar (un village) inconnu, infesté par les rats, où il demanda l’hospitalité pour la nuit qu’on lui accorda fort volontiers. Il s’étonna de voir que chacun des habitant apportait son repas à l’annexe de la mosquée, muni d’un gourdin.
        - Pourquoi êtes-vous armés de gourdins ? leur demanda-t-il.
        - Par Allah ! lui répondirent-ils,… Ne voyez-vous pas les rats sautiller partout autour de nous ?
         Il sortit la chatte du couffin qui s’attaqua aussitôt au rats, tuant, dévorant et taillant en pièces ce qu’elle rencontrait.
        - Que ne nous la vendrez-vous pas lui demandèrent-ils émerveillés de l’œuvre de  la bonne chatte.
         - Combien m’en donnerez-vous en échange ? leur dit-il.
         - Un couffin de pièces d’or ! lui répliqua-t-on.
         - C’est peu ! leur rétorqua-t-il.
          - Un couffin plus un sac ! lui dit-on.
          - Affaire conclue ! convint l’homme pauvre.
         Mais sur le chemin du retour, il eut du mal à porter longtemps son or. Il rencontra un homme conduisant deux vaches.
          - Voudrez-vous les échanger contre cet or ? lui demanda-t-il.
          L’homme accepta et l’homme eut à conduire les deux vaches. Peu après l’une des vache prit la fuite et celui-ci de se dire : « Si je la poursuivais, je perdrais aussi l’autre ». Il se résigna et continua sa route lorsqu’il rencontra un homme à cheval. Il lui proposa de troquer la vache contre son cheval. Et celui-ci de se dire : « Voici quinze ans que j’exploite ce cheval, aujourd’hui, par Allah, il me rapporte plus que son prix. Pourquoi pas ? ».
          L’homme pauvre reçut le cheval et poursuivit son chemin. Plus loin, il rencontra un homme qui conduisait une sloughia (un lévrier femelle d’Afrique) et lui demanda de l’échanger contre le cheval. Ce dernier y consentit et il s’appropria  la sloughi. Par la suite, il rencontra un marchand de calottes. Alors, il échangea auprès de lui la sloughi contre une calotte.
       Puis, il eut soif et rencontra non loin de là un puits. En se penchant pour  voir si l’eau y était proche ou profonde, il y laissa tomber sa calotte. Tout désespéré, il s’assit là et se mit à pleurer son mauvais sort. Soudain, un riche marchand passait par là avec sa caravane et vit le malheureux verser toutes les armes de son corps. Le marchand s’en approcha et l’interrogea :
        - Qu’as-tu à pleurer ainsi, pauvre homme?
      Après lui avoir raconté son histoire, le riche marchand, apitoyé,  lui donna une mule chargée d’or, appela l’un de ses hommes et lui dit :
       - Va avec cet homme jusqu’à sa maison. S’il raconte à sa femme l’histoire telle qu’il nous l’a rapportée et que sa femme ne le querelle point, verse leur cet or là-bas et reviens. Mais si elle se met à le quereller dès son apparition, rapporte le dépôt ici !  
       Effectivement, une fois arrivée, le pauvre homme se mit à raconter à sa femme tout ce qui lui est arrivé tel que le coffin et le sac d’or qu’il avait obtenu des gens du douar. El la femme de lui dire :
      - C’est bien ! Il n’y de mal à cela ! De la sorte, nous en consommerons un peu, nous nous en vêtirons un peu et nous en achèterons un endroit où se loger ».
       - Mais, le sac et le couffin d’or étaient lourds et les échanger contre deux vaches.
       -  Il n’y a pas de mal à cela! lui dit-elle. Nous en vendrons une et nous en gardons l’autre. Nous trairons son lait et nous nous rassasierons de son beurre frais et rance.
        - L’une m’a échappé et j’ai changé l’autre contre un cheval, ajouta-t-il.
         - C’est bien ! ajouta - t-elle, «Les chevaux, leur râtelier est un trésor et leur monture une gloire».
         - Il me rebuta à son tour, lui avoua-t-il, et je l’ai échangé contre une sloughia…
         -  Même les sloughis sont bien : « Chaque jour, tu manges de la viande fraîche et ton coeur demeure toujours vif ».
          - Je l’ai échangée contre une calotte et je l’ai laissée tomber dans un puits, lui enjoignit-il.
           - « Si la tête survit, elle manquera pas de calotte ! », lui assura-t-elle.
           En la voyant patiente avec son homme à ce point, l’homme de confiance  du marchand lui dit : « Madame, voilà pour vous, ce que Dieu vous a réservé ! »
           Enfin, Dieu les avait dotés. Ils achetèrent une maison, un riâd (palais jardin) et un ruyyed (un palais jardinet). Et le pauvre homme, devint, grâce à la sagesse et la bonté de sa femme, un des plus grands négociants du pays.   
           
           
      
      
     40
Le marchand de bestiaux et la mariée avisée « Fâïnana » 
     Il était une fois un vieux garçon célibataire, marchand de bestiaux.
     Un jour, il vendit toutes ses bêtes au marché de la ville, encaissa son argent et prit une chambre dans un fandouk (une auberge - écurie traditionnelle). La nuit, il aperçut à travers la porte une belle  et séduisante jeune fille dans le couloir du fandouk. Il alla à sa rencontre.
        - Bon soir ! Etes-vous mariée ? lui demanda-t-il de but en blanc.
        - Non, je ne suis pas mariée ! lui répondit-elle.
        - Acceptez  - vous de m’épouser ? lui demanda -t- il.
        - Oui ! lui dit-elle.  
        - Comment vous appelez-vous? ajouta -t- il.
        - « Fâïnana » (Où suis-je ?) ! lui confia-t- elle.
        - O, « Fâïnana » ? répéta -t- il avec étonnement.
        - Oui, « Fâïnana », affirma la jeune fille.
          Il l’interrogea sur ses parents et apprit qu’ils étaient tous décédés. Il lui demanda combien elle voulait pour Dot : « Cinq mille mitqâl (cinq mille dirhams) ! ». Il la conduisit au seuil de sa chambre et les compta et les lui remit sur le champ.
           Sans se renseigner sur son état, son identité ou sans ses origines, celle-ci avança de son côté:  
           - Y a -t- il de quoi dîner ici?
           - Je vais en chercher de ce pas! fit-il tout éblouie par sa beauté et son sérieux.
           - Donnez-moi de quoi acheter ce que je veux et selon mon goût, lui proposa-t-elle.
           Il lui tendit vingt mitqâl et la laissa partir. Sans réfléchir,  celui-ci fit le ménage, alluma le brasero et dressa la table en attendant le retour de la mariée. Mais la nuit se passa sans que celle-ci donnât signe de vie. Le matin, plein de dépit, il interrogea le patron du fandouk :
-          Connaissez-vous « Faïnana » (Où suis-je ?)?
       - Mais vous êtes au Fandouk ! lui rétorqua celui-ci d’un ton moqueur.
       Pour mettre fin au quiproquo, il raconta à sa rencontre de la veille. Alors, celui-ci rassuré de ses bonnes intentions, lui confia :
        - La jeune fille dont vous parlez ne s’appelle pas « Faïnana », mais Aïcha. C’est la petite fille orpheline de ma défunte tante. C’est une fille avisée, travailleuse et honnête. Si vous êtes décidé de contracter un vrai mariage avec elle, il vous faudrait établir un contrat en bonne due forme par deux  adouls (deux notaires musulmans), faire les noces en lui garantissant un véritable foyer .
        - Bien volontiers! Mais où pourrais-je la rencontrer ? s’interrogea le marchand de bestiaux d’un ton décisif.
        - Chez moi avec les adouls ! Je t’y accompagne ajouta le patron du fandouk. Elle m’a chargé de te dire que le mariage légal n’a jamais été une affaire de dot et de marchandage, mais une affaire d’honneur et de charia (loi sacrée).
        Le marchand comprit qu’il avait fait le bon choix et qu’il avait affaire à une jeune fille avisée et de bonne famille. Il regratta sans manquement aux règles du mariage légal. Il rejoignit l’épousée, accompagné de deux adouls, s’excusa auprès d’elle de s’être  si mal comporté elle et sa roches. Le mariage eut lieu la semaine suivante  auquel assistèrent les membres des deux familles, leurs proches et tout le voisinage. « C’était, dit-on autour d’eux, l’œuvre d’une jeune fille avisée, qui à elle seule, vaut cent hommes ! ».