Dr. SOSSE
ALAOUI MOHAMMED
PETITE ANTHOLOGIE
DES POÈTES MAGHREBINS DE
LANGUE FRANÇAISE
Tétouan
2013
INTRODUCTION
Exclusivement consacrée à la poésie, cette
« Petite anthologie des poètes
maghrébins de langue française», ne se veut d’emblée être une somme exhaustive de ce genre littéraire qui a fleuri tant au Maroc, en
Algérie qu’en Tunisie, surtout, dès avant la seconde décennie du XXe
siècle, pour l’Algérie et la Tunisie, et
les années 50 pour le Maroc. Jean Déjeux
relève à cet égard : «Dans le domaine de la poésie, de 1917 à 1924, à côté
des œuvres de Salem El Koubi, Mohamed Ould Cheikh, Salah Ettri, Nabhani
Koriaa, Cherif Aït Atmann, pour la Tunisie et l’Algérie, le grand nom est celui
de Jean Amrouche avec «Cendres» (1934), «Étoile secrète » (1937) et
sa traduction des «Chants berbères de Kabylie» (1939) (..). Pour
la Tunisie, les poèmes en français commencent dans les périodiques avec Salah Farhat en 1918.»
Parlant de ces mêmes pays plus loin, il
constate : « Depuis 1962, la production ne s’est pas tarie, mais de
redoutables problèmes se posent maintenant (…). Au Maroc, des jeunes
s’expriment (Mohamed Khaïr Eddine en
particulier, quoique vivant en France) et ils s’avèrent impertinents (…) et
impatients de changements sociaux. Citons encore Abdelkébir Khatibi, Tahar
Benjelloun. En Algérie, les noms d’anciens et de plus jeunes continuent à
s’affirmer régulièrement : Mammeri, Bourboune. Dib, Djebar, kateb, Taos
Amrouche, Falaki, à côté de nouveaux venus comme Boudjedra, Farouk Zehar, Salah
Fellah, Nabil Farès (…). Des jeunes s’expriment : Hamou Belhalfaoui Rachid
Boudjedra, Ahmed Azeggagh, et de plus encore, aussi impertinents et prometteurs
que les poètes marocains des revues «Souffles» et «Intégral».
Pour
servir de nouveau de repères parmi d’autres passés ou à venir cette petite
anthologie poétique maghrébine sera pour nous l’occasion privilégiée d’une mise
en exergue de ses représentants les plus marquants, classés suivant l’ordre
approximatif de leurs parutions. Rappelons pour conclure avec Abdelkébir
Khatibi le tableau des années 50 de cette poésie : «Le tableau montre que
la progression est aussi importante pour le roman que pour les recueils de
poèmes; les pièces de théâtre sont en nombre très limité et concernent la
période 1957-1962».
Souhaitons que cette vue quasi panoramique
sur les poètes maghrébins de langue française serve de relais à bien d’autres
pour tenir à jour le suivi de leur itinéraire et de leurs multitudes toujours
plus étendue et plus nombreuse, et à l’infini.
L’auteur
PREMIÈRE PARTIE
MAROC
POÈTES MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 50 :
Kamel Zebdi
Mohamed Aziz Lahbabi
Jean-Pierre Koffel
Zaghloul Morsy
Abdellah Baroudi
KAMEL ZEBDI
Kamel
Zebdi, poète marocain de langue française, est né en 1920, à Safi et décédé en 1993, à Rabat. Il était le fils
d’une grande famille de Rabat possédant une belle demeure avoisinant la
forteresse maritime et fluviale des Oudayas. Son père avait été affecté à Safi,
dans un demi-exil, comme mohtassib, où son grand-père, ancien vizir, avait déjà
été embastillé par le Régent Bahmad. Ceci pour la petite histoire, écrit Kamal
Lakhdar. Et la meilleure façon d’entendre ce poète, ajoute-t-il, c’est encore
de lire ses poèmes pleins de ferveur et de bonheur d’expression. En témoigne cet
extrait appelant à la paix et à
l’égalité humaine dans le monde :
«QU’EST-IL RESTÉ DE NOUS ?»
«Qu’est-il resté de
nous ?
Après tant de
massacres !
Des ruines géantes
où les corbeaux avides de
sang
se répartissent des restes
de nos drames.
Fallait-il, mon Dieu,
oublier
jusqu’à ton nom,
pour perpétuer un tel
génocide ?
Quand vivre désormais les
yeux clos
m’est devenu chose
impossible.
Hier l’Irak, aujourd’hui la
Bosnie
et entendre encore la
Palestine mise en sourdine
et d’autres braises
ardentes
faisant de bouches féroces
qui perpétuent la déchéance
échéance après échéance…».
MOHAMED AZIZ LAHBABI
Mohamed Aziz Lahbabi est né le 25 décembre
1924, à Fès et mort le 23 août 1993, à Rabat. Il était philosophe, intellectuel,
romancier et poète de langue française et arabe. Ses œuvres sont marquées par
une perspective humaniste personnaliste aspirant à l’importance du dialogue et
de l’universel. Ci-dessous un aspect de sa muse poétique bienveillante :
«Le poème est mon refuge»
«Nous
roulons dans les ténèbres sans rythme,
Des
flocons tourbillonnent.
Éclipsant
la lune, la neige épouse notre haleine,
Furieuse,
la bourrasque suit la cadence,
Sur
une terre morte, nos pas cahotants
S’engendrent,
Petitement,
Dans
la couleur, par leur propre souffle
Effrayée,
la nuit
essaie
de s’endormir
sur
un lit gris aux draps blancs.
Le
pourra-t-elle, tandis que les amants claquent les dents ?
Au
sein d’une chaotique harmonie,
je
me noie dans l’insomnie
Ô
rage de vivre la splendeur d’une nature indifférente !
Je
racle ma mémoire,
En
quête de souvenirs
Et
attends les heures du jour fleuri.
Par
la parole, je vais me réinstaller dans la vie :
Le
rythme me réchauffe,
JEAN-PIERRE KOFFEL
Né en 1932, à Casablanca, et décédé, le 2
novembre 2010, à Kenitra, Jean-Pierre Koffel est agrégé de lettres classiques.
Il fait ses études primaires et secondaires au Maroc. Il a enseigné dans divers
établissements du Royaume et collabora avec plusieurs journaux marocains,
notamment «Al Bayane», où il publia, en 1993, «L’argent facile»,
une nouvelle qui relate la vie d’un gamin de Tanger. Il dirigea plusieurs
associations littéraires et poétiques de langue française au Maroc et publia
plusieurs ouvrages, dont : «Pas de visa pour le paradis d’Allah» (1997), «Anthologie
de la poésie de langue française au Maroc» (2005), etc. Voici un de ses
premiers poèmes vibrant de sa corde sensible au vécu de ses congénères marocains :
«Enfant aux ballons»
(août 1948)
«Moi ! Qui je suis ? Mon nm ? Celui que vous
voudrez !
Je suis sale, gracieux et fier de ma guenille ;
Mon teint est noir, mon ventre creux, mes pieds légers,
Mon crâne est ras, ma tresse y saute et mes yeux brillent.
Je porte des ballons, de beaux ballons légers ;
Ils sont propres et neufs, plus beaux que ma guenille !
Je vous les vends ; tenez ; tous ceux que vous voudrez !
Laissez-moi celui-ci au vert reflet qui brille.
Je l’aime, vous savez. Oh ! mais, laissez-le moi !
J’en aurai un semblable, oui, mais une autre fois…
Je l’aime, vous savez : il ressemble au mystère.
Je le comprends, moi seul, il est à moi.
Je voudrais qu’il m’entraîne encore une autre fois
Dans la cascade ailée, au-dessus de la terre. »
ZAGHLOUL MORSY
Né
en 1933, à Marrakech, au Maroc, Zaghloul Morsy est un écrivain franco-marocain,
de langue française, d’un père égyptien, compositeur de musique, et d’une mère
marocaine. Il vit aujourd’hui à Paris. Après des études primaires et
secondaires dans sa ville natale, il poursuit ses études de lettres modernes et
d’arabe à la Sorbonne (1956-1960). Puis il est professeur et chef de
Département de littérature et de civilisation française, à la Faculté des
Lettres, Université Mohamed V, à Rabat. Il exerce dans la diplomatie
(1967-1968), à l’Unesco (1972-1993) et publie plusieurs ouvrages en prose et en
vers dont «La Tolérance»,
essai d’anthologie (1976-1993). De ses vers recueillons l’extrait suivant sur
la mouvance du temps :
«Gués du temps»
«Racine
De plus grande douleur
Mère et deux inquisiteurs le
souffle modulant et le dieu des consonnes
D’infini et de patience
Mère et deux éclairs d’épée le
vent conquistador et le navy fossoyeur
De tendresse
Oum et le miracle nu du
Verbe d’obsidiennes voyelles quiescentes ci-vit au cœur indompté
Passage des Prophètes
Cette sueur de cendre sur l’océan linceul
Reconnue
Celle des fils de sable
La glotte âpre
les yeux déjà ailleurs
finissons-en
siècle au néant votif
Ici
mensonge souverain
et de tel geste confondu
Ils ont tout su du sceptre et rien des globes dérivant
Pour seul horizon
un même mirage impérial
Au
bord du fleuve de lave éteinte l’un se tient prostré
présent
à peine et le regard se résorbant
L’autre
que l’air encastre
les
yeux cloués au sol voile la mer son royaume son suaire
Le
premier sous l’éclair du sang au terme du massacre interdit de parole
n’aura
rien su des fleurs et du miel
Ailleurs
la vie sobre
Qui
donc viendra dire qu’il est plus haute absence
pour
qu’enfin l’homme fuse
Délié
Plus
que le souvenir
la
main qui soulève le heurtoir
sent
affluer dans la tiédeur complice
tous
les chagrins toutes les fêles
de
l’enfance duelle sur l’instant dénouée
Celui
gorge serrée et le battant entrouvert
du
seuil natal
qui
scrute le corridor informe d’une ère scellée
sait
qu’il n’est voix ni arbre du dedans qui n’attisent
turbulemment
enchevêtrées
la
Tragédie
et la
Récitation
L’homme
qui claque son passé
et
se détourne pour faire face à l’émeute de la nuit
entre
les fadeurs fuies et le rêche du monde
garde
dans l’œillet dans les doigts
l’Alif
impératif
Poète
d’antan
Secret
du rien tels nous sommes où mirage d’embrun fleurit un temps l’éclair et de
toujours
ABDELLAH BAROUDI
Abdellah
Baroudi est né au Maroc, en 1936, est un
essayiste, poète et auteur dramatique de langue française. Depuis 1965, il vit
en exilé volontaire en France en tant qu’opposant radical de gauche. Il a écrit « Poèmes
aux âmes mortes », en 1990. Sa poésie est souvent un hymne épique aux
héros historiques du passé de sa patrie d’origine. Citons-en à titre d’exemple
le fragment poétique suivant :
«L’épopée de combattants»
«Mille
et une fois
ont
chanté
la
bravoure et la vaillance,
la
mort et l’épopée
des
combattants et des guerriers,
et
ont, comme par magie
conté
et célébré
la
ferveur
et
la foi des croyants,
les
ruisseaux, les fleuves et le chant
de
la vie,
dont
les falaises et les harmonies
grondent
avec luxuriance,
au
souvenir de la mémoire
des
crinières des moissons de fleurs,
et
de nectar
qui
raniment et soulèvent,
sur
les ailes du vent,
les
murmures et les chuchotements
des
souffles et des voix des zéphyrs,
les
alluvions du souvenir
de
Si Mohamed ou Bakkar
et
Mohamed ou ‘Ali,
chantres,
sourciers
et
démiurges inspirés,
dont
la voix et le génie
faisaient
arrêter,
comme
par magie
la
course et la fuite du temps
et
des années,
et
qui faisaient pousser
les
racines
des
âmes orphelines,
et
ineffables élixirs
ils
faisaient frémir
soulever
et tatouer
les
profondeurs océanes
de
la mémoire de l’Atlas et Bouyablane
et
de la conscience des vivants».
AÏSSA IKKEN
Né en 1937, à Khenchela, Aïssa Ikken vit
et travaille à Rabat. Il est peintre, poète en associant imaginaire, fantasme
et réel dans une symbiose pleine d’harmonie, de pittoresque et de métaphores.
Il a écrit «Chant de Volubilis» et «Chant de Delphe». De sa
poésie citons à titre d’exemple l’extrait suivant :
«Mythes et légendes»
«J’effleure de ma main
Assoiffée de mythes
L’olivier
Qui couvre l’infini
La vallée de l’oubli
Tel Orphée avec sa lyre,
Je tente d’apaiser le temps,
D’arrêter son cours,
De porter les légendes au-delà de la ligne de l’éphémère».
PREMIÈRE PARTIE
MAROC
POÈTES MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 50 :
Mohamed Khaïr Eddine
Abdelatif
Laâbi
Mostafa
Nissaboury
Abdelmajid
Benjelloun
Tahar Ben
Jelloun
Mohamed
Loakira
Kacem
Loubay
Mohamed El
Jerroudi
Abderrahman
benhamza
MOHAMED
KAÏR EDDINE
Le poète
marocain de langue française, Mohammed Khaïr Eddine est né en 1941 à Tafraout,
petite ville de Sous-Massa-Drâa (province de Tiznit) et meurt le 18 novembre
1995, à Rabat. Très marqué par le séisme de 1960, il s’installe à Agadir et y
vit jusqu’en 1961. Jeune écrivain, il fréquente le cercle des Amitiés
littéraires et artistiques de Casablanca. En 1964, il fonde, avec Mostafa
Nissaboury, le mouvement de «Poésie toute», puis s’exile volontairement
en France en 1965, et devient ouvrier dans la banlieue parisienne. Il publie, à
partir de 1966, dans les revues «Encres Vives», «Les Lettres
nouvelles» et «Présence africaine». En 1967, il publie son roman «Agadir»,
salué du prix Enfants terribles,
fondé par Jean Cocteau. Il revient au Maroc en 1979. De «Soleil Aracnides»
(1969), voici un extrait d’une ironie satirique désinvolte :
«Je
décrasse un poète»
« Je décrasse un poète tombé dans ses rétines
un poète qui ne dit aux lunes
son nom comblé de fosses jalouses d’astres
et qui inventorie les dents vertes du dégel
myriade buccin sextant protoplasme résine
où l’œil sacrifie la légende intentée
aux carcasses mal cadenassées des myriapodes
prudemment par les géôles bées des rancunes
les rengaines inextirpées dictent mon élan
bicyclette trappe cœur jeté tel vieux bloc
d’anciennetés à sac et de futurs rentrés
dans les grimaces du froid donneur des mots-cavernes ».
ABELATIF LAÂBI
Traducteur, écrivain et poète marocain de
langue française, Abdelatif Laâbi est né en 1942, à Fès. Il a fondé en 1966 la
revue, «Souffles», qui jouera un rôle remarquable dans le renouvellement
culturel dans son pays et au Maghreb. Son activité politique lui vaut d’être emprisonné
de 1972 à 1980. Il s’est exilé en France en 1985. Il reçoit le prix Goncourt de
la Poésie, le 1er décembre 2009 et le Grand Prix de la Francophonie
de l’Académie française en 2011. De sa poésie engagée apprécions ce poème autoportrait
:
«Ne
croyez pas»
Ne croyez pas
que je me laisse faire
sans réagir
Je peux avoir la dent dure
et provoquer sans tarder
le procès
des nouveaux dogmes
qu’on nous présente sous ‘emballage
très post-moderne
de la lutte
entre le bien et le mal
je m’inscris en faux
tonne
et fourbis dans ma marge
les larmes d’une conscience rebelle
au désordre organisé
du monde
dernier des Mohicans ?
MOSTAFA NISSABOURY
Le poète marocain de langue française,
Mustafa Nissaboury est né en 1943, à Casablanca. Il est l’un des premiers
perturbateurs de l’ordre poétique établi au Maroc. Avec Abdelataf Laâbi, il est
cofondateur de la revue «Souffles» et a participé au renouvellement de la
poésie de langue française. Il a rédigé le manifeste « Poésie toute »
(1964) avec Mohamed Khaïr Eddine. Le gouvernement marocain interdit la revue
« Souffles », en 1971, et mis Abdelatif Laâbi parmi d’autres intellectuels
de gauche en prison. Il a publié en recueils : «Plus haute mémoire », « La
mille et deuxième nuit », «Rupture» et «Aube» (1968-1998) Voici un des
poèmes de Nissaboury nourri verve parabolique
et d’optimisme condescendant :
«L’aube»
L’aube
rien qu’une aurore
pour l’apparition de ses dunes
mal arrimées qu’une rétine vague
avance à mon insu
espace d’envol d’ultimes paraboles
esquisse dans les fièvres de soleils rétrécis
c’est surgis d’entre les
rêveries qui m’émeuvent ici
le feuillage et son écrit
en ornement qui s’exténue
rétention de passereaux
sur les murs du délirium
régions mortes d’autres périphéries
rien qu’une aurore
extension de moi-même au hasard des nues
au paroxysme de la nuit niée
y compris celle dont je m’affranchis
mes phalanges blêmes pour mesurer sa trace
ont capturé des lieux que de jour
ABDELMAJID BENJELLOUN
L’écrivain, poète et historien marocain de
langue française, Abdelmajid Benjelloun est né le 17 novembre 1944, à Fès. Il
est membre fondateur de la Maison de la Poésie du Maroc. Docteur d’Etat en
droit public de l’Université Hassan II de Casablanca, depuis 1983. Il enseigne
à la Faculté de Droit de Rabat (1976-2005). Depuis, il est parti en retraite
anticipée. Le 9 juillet 2009, il est élu président du Centre marocain du PEN INTERNATIONAL,à
la place d’Abdelkébir Khatibi, et y réélu le 24 mai 2011. Il a obtenu, en 2010,
à Beyrouth, le Prix littéraire international ‘Naji Naaman’. De sa poésie mystique,
citons le poème suivant :
«L’éternité ne penche que du côté de
l’amour»
Je n’aime pas même si je suis mon tout premier prochain
Cette image de l’homme sautillant sur
La lune n’est pas plus
extraordinaire que la pierre immobile.
Tel homme est malade.
Sa maladie est sociale.
Sa maladie s’appelle la haine.
Il vit, mais il se soigne à la haine d’autrui.
Ce comique imite quelqu’un qui n’existe pas.
C’est la barque qui montre l’ondulation de la mer.
La paix ne s’exporte pas, la guerre, si.
Il est des courtoisies qui surviennent par défaut de noblesse.
Elle m’apporte un verre de soif.
Et elle le boit avec moi.
Mes mains accomplissent, ô miracle, la pierre dans ses seins !
Des dessins rupestres m’attendent chez une jeune fille.
Je dois les recopier sur ma vie.
Qu’elle le sache ou non.
Les pas, étincelles du voyage.
Le silence est un effet secondaire de l’infini.
C’est drôle : la goutte de pluie tombée sur l’arbre s’accroche
encore à l’une de ses branches avant de tomber au sol.
Tel poète se retire dans le monde.
Ce que j’aime chez cet artiste flamand, c’est qu’il est un peintre de
l’inaudible.
La pierre a la tête dans l’immobilité et les pieds dans le silence.
Par l’immobilité, la pierre fait front à l’absolu.
De la pierre monte l’immobilité comme le rêve premier.
Chez la pierre, l’immobilité est labeur. »
TAHAR BENJELLOUN
Tahar Ben Jelloun, poète et romancier et
écrivain marocain de langue française, est né le 1er décembre 1944,
à Fès. Après l’école primaire arabo-francophone, il étude au lycée français de
Tanger jusqu’au baccalauréat à l’âge de
18 ans. Puis, il étudie la philosophie à l’Université Mohamed V, à Rabat. Il
l’enseigne au Maroc, mais doit partir pour la France en 1971. Il écrit pour la
«Monde» à partir de 1972. Il obtient un doctorat de psychiatrie sociale
en 1975. En 1972, il publie un recueil de poésie «Cicatrices du soleil»,
son premier roman «Harrouda» (1973), Il reçoit le prix Goncourt pour «La nuit
sacrée» (1987). Il revendique le statut d’intellectuel engagé. Dans son
poème «Cicatrices du soleil», il fait de la nature un reflet de la condition
humaine :
«Cicatrices du soleil»
Déposées
sur le voile du regard
elles
fument des pensées de sable
c’est
la chute
la
parure.
Suspendues
au sommeil séculaire
elles
retournent les racines d’une saison.
La
terre
de
connivence avec le ciel
retient
la mer
délivre
l’écume
retourne
l’étoile tatouée sur nos fronts
«le
front c’est le Sud».
Un
siècle en faux
labouré
par l’écriture du ciel
un
livre radié de toutes les mémoires :
l’œil
recueilli dans une cuiller
donne
au matin
MOHAMED LOAKIRA
Mohamed Loakira est né en 1945, à
Marrakech. Il a fait ses études à la Faculté de Lettres de Rabat. C’est dans la
revue « Souffles » qu’il publie un poème de son recueil, «L’Horizon
est d’argile» (1972), préfacé par Abdelatif Laâbi. Il publie de nombreux
recueils dont : «Marrakech» (1973), «Chants superposés» (1977), «L’œil
ébréché» (1980), «Moments» (1981), «Semblable à la soif»
(1986), «Grain de nul» (1994), couronné du prix Grand Atlas. Avec «N’être»
(2002) et «Contre-jour» (2004), sa poésie évolue vers le récit,
totalement assumé dans la trilogie «L’Esplanade des saints & Cie»
(2006), «A corps perdu» (2008) et «L’Inavouable» (2009). Il
vient de publier « Confidences d’automne » (2011). Sur sa ville
natale il entonne :
«Ma ville»
« Ma ville
pour moi
tu ne dates pas d’hier
j’ai fait corps avec tes mythes
Avec tes chants.
(…)
Née du recul du désert
de l’ascension des traces
de l’impact
Née
de la blessure de l’errance
Des
pierres sobres de l’Atlas
De
l’émergence.
(…)
Sombre
dans les devises
S’incruste
dans les dalles des aéroports
Le
sein de l’humiliation.
(…)
Et
déjà
Tu
dénonces mes métaphores et mes tournures
Tu
qualifies mes mots rances
Et
tu t’agrippes.
(je
rêve de ces matins multicolores
A
la rosée timide
Aux
nombreuses promesses du large
Au
creux de ma hantise
J’installe
ta brise sans pareille
J’élargis
tes rues de certitude
…
et ce remous de la respiration
Qui
bouscule intensément les pores
Cette
vile qui quitte
Ses
bases
KACEM LOUBAY
Kacem Loubay, poète marocain de langue français,
est né en 1948, à Khenifra (province de Béni Mellal). Le poète se définit
lui-même en tant que tel en avouant : «…Entre moi et la poésie, il y a une
vie, un certain enracinement dû à cette terre qui me lie à elle. Mes débuts à
travers la presse marocaine, c’était un 11 novembre 1971 et, depuis lors
j’écris partout… Actuellement, je contribue dans des dizaines de sites web.
Ci-après un extrait de l’un de ses poèmes plein d’images exotiques et de
lyrisme sensible :
« Poème… inachevé»
Les mains dorées, bercées
Eveillent les parfums exotiques
Sur la statue d’airain
De mon éphémère séjour
Descendent les rayons du crépuscule
De mon temps d’errance
J’ai récolté des senteurs exotiques
Mon gosier souvent assoiffé
Garde toujours l’arrière-goût
De la dernière aventure
Mes jours sont de venus de vraies toiles
Où les sculpteurs cisèlent des formes mystérieuses
Où les peintres réalisent les rêves plus adorables…
Le lac, mon ultime recourt
Là où je me laisse emporter
Pour puiser la paix du cœur
Pour purifier mon âme souillée
Je m’y accroche de tout mon être
Et dans sa profonde quiétude
Les cèdres, les sapins, les platanes
Se baignent jour et nuit…
Tu es là, ma MUSE
Source de mes inépuisables impulsions
Comme un vestige gardé intact
Filament d’argent dans le firmament
Tu es là, compagne de mes jours d’antan
Souriante comme l’aurore
Ecoutant l’aphrodisiaque nature murmurer
Vivant la force de l’extase
A mesure que tes pas agités avançaient
Enfourchant l’encolure de l’étalon sauvage
Le tout se réveillait, t’acclamait
Un bref sourire quitte tes lèvres vermeilles
Et puis voilà que tu libère ton rire
Ce rire ensorceleur, innocent, que les échos captent
Et le font circuler librement
Au gré des flots réveillés
De la brise levée
Des parfums envolés
Des cimes balancées
Des fleurs écloses
Et je me suspends à ton rire
Comme un petit oiseau
Comme un fruit mûr
Qui ne veut guère
Se détacher de son rameau
Comme une légère barque
Qui ne peut
Briser ses amarres
Comme le dernier souffle
Qui ne veut pas
Quitter un corps condamné…
Hélas, le fil est rompu
Les fruits sont tombés
Avant la saison des cueillettes… !»
MOHAMED EL JERROUDI
Mohamed El Jerroudi, né en 1950, à Béni
Sidel (Rif), est un poète marocain de langue française. Il séjourne actuellement
à Tétouan. Professeur de français (1972-2010), il mène une vie active dans le
domaine des arts plastiques et littéraire (dès 1976). Il publie un premier
recueil poétique «Le silence décrit» (La Croisée des chemins,
Casablanca-1998), «Cœur absent » (Cygne, Paris -2011), et «Les yeux des
autres» (Cygne, Paris-2013). Sa poésie tend à l’universel et à l’humain
par-dessus les particularismes du monde. De son second recueil, citons à titre
d’exemple ce poème :
«Voix intérieure»
Je veux restituer chaque page,
au livre écrit
dans toutes les langues
de la terre
Lui
seul chemin de l’errance
remontant le temps
jusqu’au premier mot
prononcé par la vie
Témoin du geste qui a semé
la graine de la voix intérieure
Voix murmurant son refrain
au souffle des grands mythes
la sagesse du silence éternel
Voix qui traverse l’âme
comme un frisson d’une pierre
et interroge les hommes
du fond de leur mémoire
Hommes des contrées lointaines
Avez-vous vaincu la peur
Avez-vous lu la couleur
De votre peau
Avant de traverser les frontières,
Ouvrez bien vos yeux
Car il y a derrière chacun
De vos pas l’ombre
D’un corps en poussière.»
ABDERRAHMAN BENHAMZA
Le poète, écrivain et critique d’art
marocain de langue française, Abderrahman Benhamza est né en 1952, à Marrakech.
Il a publié «Le voyageur» (1975), «Lumières fragiles et profonds déserts»
(1977), «Chant en do mineur» (1981) et «D’un sommeil à
l’autre», «C’est ici que ça se passe» (2007). Il fait part de son
voyage intérieur, en alliant réalisme, imagination et bon sens dans sa création
poétique. En est la preuve le poème suivant :
«Expression du voyage intérieur»
«Aux dernières tables de la nuit
Et pour en être là que faut-il
Je rêve à des femmes comme des poèmes
Dans l’alphabet des oiseaux
Lorsque l’amour est une momie
*****
Les gens qui dorment comme des oiseaux
Chacun un cristal de nuit
Sont des petits jardins
Plongés dans l’eau des rêves
Où tout est fou
*****
Rêves à de grandes lunes
Qui les éclairent du dedans
A perte de vue
Et l’amour est une allée
Jonchée de baisers
-- Et d’aube
*****
Ne réveillez pas l’enfant qui dort
La folie est aux cimes des arbres
belle de plusieurs tragédies
cette femme qui vient du verger
Allumée de chants
Avec un sourire d’image
Comme d’une grande légende
Mais tout cet or répandu--
O trop de chance--
Et qui habite le rêve n’a pas de maison.
*****
Je sais que les larmes sont une vigne
N’en fais pas un deuil de terre
Combien l’eau n’est-elle pas confinée
A l’effeuillement des corps
Je t’aime comme les orgues de solitude
Un air tourmente ton cœur
D’un brun de mémoire exquis
Ta voix est celle d’une prairie
Je t’aime pour tout ce qui me reste de l’enfant
Le musc des légendes
Et brillant des naissances.»
PREMIÈRE PARTIE
MAROC
POÈTES MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 80 :
Moha Souag
Rachida Madani
Aberrahmane Laghzali
Fatéma Chahid
MOHA SOUAG
Né en 1949, à Taos (Boudnib), Moha Souad
est un poète, écrivain, romancier et nouvelliste marocain de langue française
et de culture amazighe. Il a quitté sa profession d’enseignant de langue
française pour se consacrer à l’écriture. Peu connu à l’étranger, il est un
auteur majeur de la littérature contemporaine marocaine et un poète de grand
talent de la littérature francophone nationale. Voici un poème d’une ironie contestatrice
pleine de fougue de son recueil «Des espoirs à vivre» (1983) :
«Pardonnez-moi»
Pardonnez-moi
pardonnez-moi si j’écris
un poème
c’est que je suis comme vous
je ne sais où donner
du corps
du cœur
et de la tête
si
ce qui est fixé sur mes épaules
peut encore porter
ce nom
car
ils l’ont pris pour
une photo de fichier
une photo d’identité
un numéro de matricule
un montant d’impôt
une unité de recensement
un ballon
pour jouer avec des pieds et des mains
c’est pour cela que j’écris
pour montrer le henné de ma main avant de monter la largeur de
mes épaules et la blancheur de mes talons
je veux écrire mon poème
sur la chair de tous ceux qui ont perdu la parole
chez le marchand de mots
combien coûtent les mots
combien en voulez-vous
une livre
de maux
j’en achète pour mon malheur et le vôtre
puisque nous sommes frères dans la détresse
je vous livre votre part et j’en prends un peu
pour parler d’un tas de petits rêves qui grouillent dans ma tête
et je ne peux exprimer car
je crains
Dieu le roi mon père
les policiers les gendarmes les soldats
le directeur le maître le professeur
les chiens les assassins les microbes
et les médecins
c’est un peu trop pour un seul homme.»
RACHIDA MADANI
Rachida Madani, poétesse marocaine de
langue française, est née en 1951, à Tanger. Elle est licenciée en littérature
française et professeur de français dans le secondaire. Elle a publié son
premier recueil «Femme je suis» (Paris, Barbares- 1981), «Contes
d’une tête tranchée» (Casablanca, Forkane- 2001), un roman «L’histoire
peut attendre» (Paris, La Différence- 2006). Voici un court extrait de sa
poésie lyrico-parodique :
«Le soleil était à portée de la main»
Le soleil était à portée de
la main
du temps où j’avais un ciel
mais je marchais à l’ombre
et mon enfance avait la
fraîcheur
d’une vitre cassée
harponnant des après-midi
de peste
Depuis je demeure
poète de mauvais jour et
Partir ainsi désarmée
quand le vent se
lève !
Nous sommes deux, ô don
Quichotte
à n’être plus que déchirés
et comme toi pauvre
justicier j’ai toujours moins de bras que le moulin
Ne pourra me chanter qu’un
mauvais poète je n’ai ni soleil aux yeux ni vagues dans la chevelure
pas même un parfum exotique
à hauteur d’aisselle
je vais livide et vieillie
je vais rasant là où il
fait gris
sur les murs
solitude de pierre et de
mousse
j’ai désappris le langage
des cités
D’émeraude je suis
Shahrazade à demi folle sur
un minaret au ras du sol contant aux décombres mon dernier conte avant l’aube
écarlate
Dans ma poitrine s’encombre
Tu n’es pas venu au monde
Pour voir tes os blanchir
Dans les eaux blanches d’un
Bou
Regreg
Ni pour contempler ton
ombre décroître
Sur les routes de détresse
Prends feux à ma voix,
frère
Je détiens le privilège
heureux
ABDERRAHMANE LAGHZALI
Le
poète et nouvelliste marocain de langue française, Abderrahmane Laghzali est né
en 1955, à Ouezzane (au Nord Ouest du Maroc). Il est professeur de français à
Mohammedia (Nord Est de Casablanca. De s muse poétique nous recueillons un
extrait de son poème «En dépit des épines» d’une facture enjouée à la
Prévert suivant :
«Vous êtes la Vie»
«Lundi, mardi,
Mercredi, jeudi
Et vendredi,
C’est l’école !
Et… l’école
C’est la vie !
C’est la maîtresse qui l’a
dit.
Et dimanche ?
A demandé Nadi
-Et
dimanche aussi
C’est
la vie !
Puisqu’on
y va au ciné !
Aime
la vie !
C’est
la maîtresse qui l’a dit
Et,…
la vie est belle
Très
belle !
La
vie est rose !
La
vie est sucrée
Très
sucrée !
A-t-elle
encore dit
(…)
Tous
les enfants du monde
Quels
que soient vos couleurs
Vos
parents, votre religion
Vos
idées ou pays
Donnez-vous
la main
Et
soyez amis
De
très bons amis !
Oui,
vous êtes la VIE !
Et,…
sans vous,
La
vie ?
Ne
sera rien
FATÉMA CHAHID
Née en en 1960, à Taroudant, est une
poétesse, écrivain de langue française,
et consultante en communication. Licenciée
en Lettres et droit (1983), Fatéma Chahid est présidente de «l’Association
Marocaine de Solidarité et de Développement» (L’AMSED) qui œuvre dans le
domaine du développement socio-économique par le biais de l’auto-développement
au profit des populations défavorisées. Elle vit et travaille à Casablanca et
constitue une personnalité remarquable au niveau de l’art et de la culture au
Maroc. Dans ses recueils poétiques «Songes de hautes terres », «Le
Nouvel Imago», «Aïta Menna» elle chante la vie, ‘amour et la mort. Elle
a coopéré à la publication de «Les Chants de Tassaout» (1989). Voici
l’un de ses poèmes où elle esquisse son autoportrait de femme rebelle :
«Je suis l’insoumise»
Je suis l’insoumise
L’indomptable berbère
J’ai dans mes tresses
jamais conquise
Pris tant de cœurs de haute
mer
Je vais figure de proue
D’un riche vaisseau pirate
Jetant sur des mers
écarlates
Mes rêves avortés mes
souvenirs jaloux
Ivre de liberté je fends
l’air sauvage
Et de nul rivage ne veux
être l’otage
Mon corps vierge et parfumé
de myrrhe
S’offre à la seule caresse
du vent
Et le soleil qui sur ma
peau délire
Incruste d’or mes fibules
d’argent».
PREMIÈRE PARTIE
MAROC
POÈTES MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 90 :
Abdellah Bounfour
Siham Benchekroun
Ridouan
Lamkadmi
Mohamed
Bidi
Jalal
Hakmaoui
Mohammed Hmoudane
ABDELLAH BOUNFOUR
Poète de
langue française, philologue linguiste de la culture berbère, Abdellah Bounfour
est né en 1946, à Igliwa (de la région de Marrakech). Il est docteur en
linguistique de l’université de la Sorbonne Nouvelle (Paris-III), agrégé en
arabe. Il enseigne à l’INALCO, depuis 1997, après avoir à l’Université de Rabat
(1976-1984), puis à l’université de Bordeaux-III (1987-1997). Il a publié son
recueil poétique « Atlassiques» en 1980. En voici un extrait poème d’une
fougue contestatrice éthérée :
«Poème de la négation»
«Quel poème jaillirait de ta négation
Si la plume tremble à te citer
Adviendra-t-il ce chant inouï
Polyphonie de cœur en crue.
J’aurais amé un silence préhistorique
Et dans la fureur de l’esprit
J’aurais le repos de l’ignorance
Mais le cri doux de l’enfant éternel
Soutient ma voix à la révolte
Que le vent comme une colombe délaissée
Ne bouge pour désigner l’insomnie
Hier encore
J’ai désiré l’infini d’un rêve illusoire
Est-il libéré de désir irréfléchi».
SIHAM BENCHEKROUN
Née en
1960, à Fès, Siham Benchekroun est poétesse, romancière, nouvelliste marocaine
de langue française. Elle est également médecin qui a contribué à l’édition
spécialisée (2008). Elle a publié son premier roman «Oser vivre» (1999),
un recueil de poèmes «A Toi» (2000), un recueil de nouvelles «Les jours
d’Ici » (2003), son second roman «Chama» (2008), un recueil de
nouvelles «Amoureuses» (2012), qui reçoit le Prix du Grand Atlas 2012,
dédié à l’amour féminin. Elle l’auteur d’une poésie limpide, douce et sensuelle
issue de la secrète alchimie des instants amoureux. En témoigne l’extrait
poétique suivant :
«A toi»
«en me donnant à toi
je me rencontre enfin
car il faut ton amour
pour que je naisse au monde
j’ai besoin de tes bras
pour apprendre à marcher
besoin de t’écouter
pour savoir m’entendre
besoin de te parler
pour me comprendre
tu es ce qui me manque
RIDOUAN LAMKADMI
Le poète
marocain de langue française, Ridouan Lamkadmi est né en 1963, à Meknès. Sa
poésie rêveuse est tributaire d’une sensibilité romantique admirative de la
beauté de la ville et de la nature, de la terre et du ciel du jour et comme de nuit. C’est ce que reflète essentiellement
le poème suivant :
«Des perles de l’Orient»
«Par-dessus le nuage
Qui garde
Les perles de l’Orient
La pleine lune
Si limpide
S’ouvre à la lueur
Du lampadaire
Dans la ville
Endormie
Délivrant le silence
Le plus profond
Qui déborde
De fraîcheur et de joie
Obtenue dans la danse
Des couleurs du changement
Le lieu s’anime.
Le souffle du vent
Réveille le nuage
De sa belle voix
Pour que le nouveau jour
Pointe à l’horizon
C’était de l’espace divin
Que tombait
L’aube
Nouvelle saison
De la lumière
Observée en plein air
Le printemps
MOHAMED BIDI
Mohamed Bidi
est un poète marocain de langue française, né en 1964, à Casablanca. Il est la
vedette incontestée de la page «Création » du journal marocain «Al
Bayane». Il y a dépassé les 40 mille poèmes. C’est aussi un homme original. Il
a été, dit-il scribouillard et sous-fifre dans une administration et en est un
petit retraité. Il boit, fume et c’est un misogyne qui aime les femmes. Il vit
entre scepticisme, résignation et subversion : l’humour. Voici un extrait
d’un poème reflétant sa philosophie de la vie de poète mage méconnu :
«La nuit du poète»
«Le poète vie parmi la populace
comme un
étranger
On le confond avec les badauds
On le prend souvent pour un bouffon
ou pour un
voyou
Mais il meurt
Il devient la conscience
du peuple
On s’aperçoit qu’il vivait simplement
peut-être même dans la
misère
plus que les autres
Mais il disait vrai
parce qu’il avait tout
su
Il avait tout enduré
parce qu’il entrait
dans la peau
de
chacun
sans se faire
remarquer
il était envoyé du ciel
à son pays
qui ne sait fêter
que les morts
Le pouvoir de l’argent
Quand on de l’argent
on voit très bien
ce qu’on doit acheter
et l’on sait où aller
C’est l’argent qui le
besoin
Mais quand on rien
On ne pense même pas à
l’argent
On a aucune ressource
On ne s’inquiète
que du pain
Et l’on est prêt
à faire
n’importe quoi
à se vendre
(…)
Et puisque je dois mourir
C’est comme si j’étais déjà mort
Que vais-je laisser derrière moi
Que vais –je emporter avec moi
C’est le crâne qui est
tout
Il contient le monde entier
et toute l’histoire du
monde
c’est par lui que vient le désir
S’il y a âme
Elle ne doit pas être loin
Mais le crâne
demain il sera
vidé
par la vermine
et il continuera à ricaner tout seul
JALAL HAKMAOUI
Jalal
Hakmaoui, né en 1965, à Casablanca, est poète traducteur et directeur de la
revue de poésie internationale «Electron libre».
Son
premier recueil poétique est «Certificat de célibat» (Paris, 1997), son
dernier est «Allez un peu au cinéma» (Edit. Toubkal).
Il
se veut poète du banal et du quotidien
le plus cru, comme le montre si bien les extraits du poème suivant :
«Pourquoi le poète emmène-t-il sa femme
au McDonald’s ?»
«Tu croises les jambes
Alors que les vagues se
prosternent à tes pieds
Comme un troupeau enragé de
chameaux
Tu manges pour la première
fois de ta vie du hamburger américain
(…)
Tor tu es un homme de
principe convaincu
De t’être marié après une
«lovestory»
Avec une truie qui a les
traits de «Manfalout» et les pattes de Nazic»
(…)
Et le poème, le poème est
un filet pêche avec des mailles géantes
Pour attraper le plus grand
nombre possible d’ours
Je ne me fierai pas à
l’épouse du poète qui a les traits de «Manfalouti»
Ni à la jeune femme maigre
qui lisait « Femme actuelle » et qui regardait
Sa montre, laissant de côté
son verre encore plein de Coca-cola.»
MOHAMMED HMOUDANE
Le poète
et traducteur marocain de langue
française, Mohammed Hmoudane est né en 1968, El Maâzize (province de Khémisset).
En 1989, il émigre en France et fréquente l’Université Paris 8. Il publie, dès
le début des années 90, dans les revues «Bleue», «P&sie», «Marginale»,
«Présages», etc., ainsi que des recueils : «Ascension d’un
fragment nu en chute- Morsure des mots» (Paris, l’Harmattan- 1992), «Poème
au-delà de la saison du silence» (Paris, Différence- 1994), «Attentat» (Différence
- 2003) «L’incandescence au-delà des mots» (Maroc, Al Manar- 2004),
etc. Il écrit souvent dans une langue haletante, créatrice et traversée
d’évocations mythiques. C’est le cas dans ces extraits tirés de ses recueils :
«Parole prise, parole donnée» (La Différence- 2007et 2003) :
«Ton corps»
«Ton corps
barque nuptiale
constellé de caillots
limpide venin
luminescent ton corps
barque nuptiale…
tu rassembles
les morts tu allumes
dans ta salive séminale
un alphabet sidéral
tu le craches
tu le dissémines…
ton corps
barque nuptiale
sinuant les sillons… »
«Par un ciel lourd tonnant»
«Et je me tourne par un ciel lourd tonnant
Criblé d’astres hiéroglyphes vers
Mes morts tant songées toutes mes morts
Enduites de feu ailées que rien n’arrime
Quelle eût été déjà ma demeure ?
De quelle lignée de traître
D’égorgeurs d’hommes descendais-je ?
Ah le «poignard damascène» incrusté de rubis
La goutte de sang qui luit à la pointe
Par les nuits de pleine lune».
PREMIÈRE PARTIE
MAROC
POÈTES MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 2000 :
Kamal Zerdoumi
Fatima Chbibane Bennaçar
Khalid Hachimi Idrissi
Rachid Khaless
Omar Koussih
KAMAL ZERDOUMI
Le poète marocain de langue française, Kamal Zerdoumi est en 1950, à Casablanca, de père algérien et de
mère juive sépharade marocaine. Il vit actuellement à Paris. Après le
baccalauréat, il suit des études de droit et de lettres en France (licence, maîtrise
DEA à l’Université de Lille), il partage sa carrière d’enseignant entre le
Maroc et la France. Il publie son premier recueil «Au gré de la lumière», en 2005. Son nouveau recueil «L’exil et la
mémoire » (Paris, l’Harmattan- 2001) est un système poétique qui gravite
autour du soleil noir de l’exil. Sa poésie est un enjeu entre la simplicité et
une parole originale chargé du legs immémorial de ses ancêtres. En voici un
poème nourri du souffle lyrique de cette veine :
«Nomades»
«Loin de la damnation
Sous nos tentes de fortune
Nous partageons avec le silence
Un pain de silice
Et une jatte de lait
Joyaux
Dans l’infini des sables
Sertis
Nos mémoires
Jonchées d’étoiles
Vous parlent de la nuit
Qui vêt le corps
De tout compromis
Là-bas sont les dunes
Remparts de notre patrie
Qu’un vent altier
ébouriffe
Dans un temps à jamais
Aboli
Armés de la patience
Des ancêtres aguerris
Nous écoutons
Sa tumultueuse insomnie
Arrive l’heure du feu
Intransigeant
Et du départ rituel
Quelque part
Dans ce monde
Vers la liberté cruelle».
FATIMA CHBIBANE BENNAÇAR
Poétesse marocaine de langue française, Fatima
Chbibane Bennaçar, née en 1951, à Rabat, est actuellement conteuse, enseignante
et formatrice au sein des entreprises. Après avoir eu une licence d’anglais et
un CAPES en Lettres Modernes, à Rabat, elle émigre en France, en 1977. Elle
organise chaque année le Printemps des poètes avec le soutien de la mairie de
Vanves où elle réside. Elle a publié des recueils de poésie dont «Mosaïques »
(Paris, Bout de la rue- 2006), «Anthologie de la poésie franco-marocaine »
(2013). Et voici un extrait d’un poème dédié à sa ville d’adoption :
«Ode à ma ville»
«C’est une ville qui vit
une ville très libre
Une voix qui vibre de
toutes ses fibres
Sans dorures ni artifices
c’est une ville qui brille
Au-delà de ses murs
Elle se pavane
telle une dame ivre
avec son théâtre
son conservatoire et ses livres
ville ancienne, ville moderne,
Moi je l’adopte.
Elle me materne
Au dessus de moi
Un ciel gris d’émoi
Egrène ses perles de pluie.
Un rien d’ennui.
C’est une ville bien verte.
La semaine pleine, le week end déserte
Autrefois dédiée aux lavoirs et à la vigne,
De ville modèle aujourd’hui elle en serait digne.
Telle l’Égypte, Vanves est haute, Vanves est basse,
Le temps a eu raison d’en garder des traces.
Ambitieuse avec des projets pharaoniques
Ni empereur ni sphinx mais deux pyramides à l’identique…
C’est un village plus fleuri que le plus fleuri des jardins
A peine un air de campagne joli, à peine un baume, un parfum.
C’est une gamme de cultures. C’est une symphonie de gens
Partageant les mêmes aventures ensemble et en même temps.
C’est des notes de musique aussi harmonieuses que la nature
C’est un havre de mémoire visant la paix non la déconfiture.
C’est une ruche où se côtoient entrepreneurs et artistes
Poursuivant profit ou notoriété chacun sur sa piste.»
KHALID HACHIMI IDRISSI
Khalid
Hachimi Idrissi est journaliste professionnel et poète marocain de langue
française. Il est né le 14 août 1956, à Casablanca. Il est diplômé du 3e
cycle de l’institut de géographie de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne Ila
été pendant plusieurs années rédacteur en chef de « Maroc
Hebdo International». Il fonde, en 2000, le quotidien francophone « Aujourd’hui
le Maroc ». Depuis juin 2011, il le Directeur général de l4agence
Marocaine de Presse (MAP). Il a également été président de la Fédération
marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), et président du Jury du grand prix
national de la presse. Il a publié un recueil de poésie «Subterfuges» (Edit.
Zanzibar- 2012). Suit un extrait de sa poésie à la fois sensuelle et mystique :
«Le
doute d’Abraham»
Elle marchait langoureusement, sortant du hammam
D’un pas dansant, vaporeux, elle longeait les murs
Glissant, ses étoffes se mouvant en murmures
Des joues roses, un corps repu, à douter d’Abraham
Un fichu lilas bordait une tête altière
Une toison anthracite, un regard lointain
Poitrine généreuse taisant un cœur d’airain
Quelle troupe amoureuse a-t-elle décimée?
Pour voler, sûre, vers une victoire assurée
De quelle guerre lascive a-t-elle triomphé?
Dans les vapeurs obscures le corps avoue
Les désirs premiers qui somnolent en vous
Quelle histoire dit cette Ariane assoiffée?»
RACHID KHALESS
Le poète
marocain de langue française, Rachid Khaless est né en 1966, à Rabat. Il est
professeur agrégé de Lettres Françaises. Il enseigne à l’Université Mohamed V
de Rabat. Il a publié un recueil poétique «Cantique du désert» (Paris,
l’Harmattan-2004), «Dissidences» (2009).
C’est l’une des voix les plus authentiques du paysage poétique marocain.
Voici un extrait de sa muse poétique existentiellement angoissée et profondément
obsédée par l’idée d’anéantissement, de
mort, tiré de son recueil inédit, «Noir et Blanc» (2007) :
«Corps matière à disséminer»
Et je tiens mon corps pour matière à disséminer…
Où bruissait le silence à l’abord de la nuit, je
débusquai un pan de lumière : rai que l’horizon avait omis de voler !
Car il fallait éprouver la nuit pour révérer la
parcimonie de la lueur.
La ligne ténue fourgonne le feu : somme ta main
de l’épandre. Vole le feu au soleil et embrase ton âge : n’est-il pas un
feuillet à brûler ?
Et : j’aime qui couve ; il est
impassible ! – L’embrasement est poésie, et j’ai abhorré toute ligne
droite…
« Ah, te voir dans l’entrebâillement des mots
sphère étalée sur une ligne immobile ; te dire et mourir ! »
Et la nuit, ne cessera-t-elle d’éblouir tes
yeux ? Il y a des morts à sustenter de lumière : c’est sol de
l’élégie ton cœur !
Et toi : j’avais envie de réinventer une fable.
Or il fallait désappartenir la nuit engluée dans le
chant. Sans quoi tu ne pourrais surprendre la phrase de ta vie. C’était son
arrêt.
Or la nuit fut lœss. C’en est assez qu’elle équivoque !
« La nuit qui ne croît dans ton cœur a besoin
de terre : or ton cœur était une terre à éparpiller… »
Le noir, nuit, était couleur, le sang, quelle
douleur ? La ligne d’horizon est d’un blanc pâle : c’est une lumière
née entre d’étranges pans du noir !
Te désapprendre comme on apprendrait le vide semence
de la pensée…
Voici la main qui geste. Et doute à amorcer un chant
toujours recommencé : où conduire un sang insensé vers une jarre rouge
brûlante.
C’est argile violente, mais plus argile que ces
fruits de cave qui, à peine effleurés,
partent en éclats de poussière !
Je tiens registre de mon doute : est-il
cadastre à la nudité ? Voici que se dissémine l’instant à trop rêver ta
communication : c’est une eau orpheline de son alluvion.
Ta phrase te sépare de toi dans son désir :
c’est illusion d’elle-même ! elle est assise, tu es écho.
Infraction langage, tu es décrété rapt à perpétuer,
et conspiration !
Ton désir naît de nous, et court, court son oubli.
Sa vocation ? Le recommencement.»
OMAR KOUSSIH
Omar
Koussih est un jeune poète marocain de langue française, né le 19 décembre
1988, à Rabat où il est mort le 11 août 2011. Il était atteint à la naissance
d’une forme sévère d’amyotrophie spinale infantile, maladie génétique neuromusculaire
évolutive provoquant un lourd handicap moteur. Il était un grand passionné de
la vie, de poésie et de musique, ainsi
que du FC de Barcelone. Il poursuit ses études à distance, via CNED de Rouen
(France). Il passait ses journées dans
sa chambre, face au PC, où il saisissait ses textes à partir du clavier à
l’écran par le biais d’une souris spéciale, car son index droit pouvait encore
bouger. Il a été l’invité du Téléthon en 2005-2006, a reçu le Trophée spécial
de la soirée poétique du 9e arrondissement, a été témoin à France 2 et a obtenu le 1e
prix de poésie francophone, du 26 mars 2005, à Fès. Et voici deux extraits de
sa poésie d’une profonde et étonnante
sensibilité :
«Comme un bateau»
«Comme
un bateau qui naufrage
Sans
qu’il soit vieux, sans qu’il ait l’âge
Un
jour, je m’en irai au large
Tout
seul pour mon dernier voyage»
«Je voudrais»
«Je voudrais le jour de mon départ
Rapide, insouciant, mais touchant
Comme un message au regard
Qui trouve ma différence bizarre.
Je voudrais que ma mort soit un dernier poème
Doux, profond, surprenant comme j’aime,
Qui éternise l’espérance que je sème
Et qui fait planer la foi comme emblème.»
DEUXIÈME PARTIE
ALGÉRIE
POÈTES ALGÉRIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 50 :
Mouloud Mammeri
Mohammed Dib
Malek
Haddad
Myriam Ben
Anna Greki
Nadia Guendouz
Djamel Amrani
Assia Djebbar
Mourad Bourboune
MOULOUD MAMMERI
Mouloud
Mammeri (Mulud Mεammar), né le 28 décembre 1917, à Taourirt-Mimoun, dans la
commune actuelle de Béni Yenni en Kabylie et décédé le 26 février 1989, est un
écrivain, poète, anthropologue et linguiste algérien de langue française. Il
fait ses études primaires dans son village natal. En 1928, il part chez son
oncle à Rabat (Maroc), qui était précepteur de Mohamed V, où il réside de 1957
à 1962. Il rejoint l’Algérie où il enseigne le berbère à l’Université d’Alger. Il recueille et
publie les poèmes de Si Mohand (1969). En 1980, l’interdiction de ses
conférences a été à l’origine du Printemps berbère de Tizi-Ouzou. En 1982, il
fonde à Paris le Centre d’Études et de Recherches Amazighes (CERAM), la revue «Awal»
(La parole) et anime un séminaire à l’École des hautes études en sciences
sociales (EHESS). Il est mort dans un
accident, près de Aïn - Defla, à son retour du colloque d’Oujda (Maroc) sur
l’Amazighité. Voici un de ses poèmes où il déplore le sort de sa patrie aux
abois :
«Le frêle paravent»
“(…) L’étagement blanc de ces maisons à terrasse qui
se nourrissent de chaleur et d’embruns sur le flanc de cette colline abrupt,
c’est la Casbah.
Plus loin, la ville neuve
Dresse contre le ciel
L’orgue de ses gratte-ciel.
Étranger, tu es ici
Devant la plus blanche des villes,
Alger la Blanche…
Mais
Que la poésie de ce nom ne te séduise pas :
Dans la blancheur de cette ville,
En vérité
Les hommes vivent dans la prose
Et meurent dans le drame.
Regardez cette porte :
Elle est close.
C’est par là même que les heures, les heurts, que
les malheurs vont entrer.
Derrière les battants de cette porte close
Les acteurs attendent que sonne l’heure
Et le destin est tapi
Parce que
Quand trop de sécheresse brûle les cœurs,
Quand la faim tord trop d’entrailles,
Quand on bâillonne trop de rêves
Ils sirotent des anisettes blanches,
C’est comme quand on ajoute bois sur bois sur le
bûcher :
A la fin, il suffit du bout de bois d’un esclave
pour faire
Dans le ciel de Dieu
Et dans le cœur des hommes
Le plus énorme incendie.
Écoutez
(…)
Cela ne peut durer
Le bonheur dopé des uns
Ne se satisfait pas d’être inquiet ;
Les heureux de cette ville blanche
Trouvent un goût de cendres à leurs joies
Et voudraient que l’autre
Ou bien cesse de regarder
Ou bien cesse d’être là.
Mais les autres savent très tôt, trop tôt
Que le
paradis interdit commence au Square Bresson,
Qu’une incursion rue d’Isly est un raid en pays
ennemi,
Qu’ils sont voués à fourrer leur misère dans le
grouillement de toutes misères de la Casbah.
Ils ont dans les intervalles de lucidité
Ou de désespoir
Des élans fous
Une folle volonté de tuer,
De mourir
Et de tout leur cœur, de tout leur sang, ils veulent
Que l’autre cesse de ne pas voir
Ou bien qu’il cesse d’exister…
La promenade du soir des jeunes loups s’amollit du
côté de chez Soubiran,
Au Tantonville, elle se brise et rebrousse chemin d’elle-même :
Elle a buté sur le rideau
Les errances des jeunes chacals affamés
S’arrête au même invisible rempart.
Sous la poussée des uns
Et la poussée des autres
Le rideau devait craquer.
Il a craqué
Et sur l’asphalte des mêmes rues
Jeunes chacals et jeunes loups
Ne viennent plus que la nuit, pour de mauvais coups
Ou le jour par bravade.
Aussi
Que ce paravent,
Le frêle paravent de cette porte cède».
MOHAMMED DIB
Écrivain, romancier, nouvelliste, dramaturge
et poète algérien de langue française, Mohammed Dib est né le 21 juillet 1920 à
Tlemcen, d’une famille cultivée d’artisans, et mort le 2 mai 2003, à La Celle
Saint-Cloud, en France. Il fait ses études primaire et secondaire en français,
non à l’école coranique, selon l’usage. En 1931, après la mort de son père, il
commence, autour de 1934, à écrire des poèmes et à peindre. Il devient
instituteur à Zoudj Bghel. Comptable à Oujda, il est au service de Subsistance
de l’Armée française. En 1942, il est au Service civil du Génie, puis en 1943
et 1944, interprète franco-anglais auprès des armées alliées d’Alger. De retour
à Tlemcen en 1945, il est dessinateur de maquettes de tapis. En 1946, il publie
son premier poème dans la revue « Les Lettres de Genève, signé Diabi. Aux
rencontres de Sidi Madani, près de Blida, en 1948, il fait connaissance
d’Albert Camus et surtout de Jean Cayrol, qui deviendra son éditeur au Seuil à
Paris. Voici des extraits de sa poésie inspirés d’une autodérision
spirituelle macabre:
«Ailleurs»
Il ouvrit une porte.
C’était ailleurs avec :
Des chemins qui montaient,
Des tombes fleuries.
Restait encore à voir
Au plus haut d’un arbre
Le silence et la lumière
En croix
Ce qui fut ?
Et à nouveau sera, dit-il.
Pas tristes mais blanches
Des ombres allaient aussi.
Elles, seulement blanches.»
«Comme si je rêvais»
Comme si je rêvais…
Sur un fleuve très doux
Cependant que la nuit ouvre un étrange vide
Entre la ville, l’air, la pierre et l’eau livide.
Je perds tranquillement la vie en ce mois d’août.
Comme si je rêvais, mais ce n’est qu’une trêve…
Des quais et des ponts souffle un charme meurtrier ;
Qu’on n’aille pas, surtout qu’on n’aille pas crier
Vers celui là-bas qui descend la
Seine en rêve.
Sur sa bouche le fleuve a tiré comme un drap, il passe sans rien voir,
sans appeler personne.
La lune dans un monde où tout se roidira.
Dans une
Capitale à la blancheur hagarde.
Va la réveiller du haut de maintes tours de garde.»
MALEK HADDAD
Malek
Haddad est un écrivain et poète algérien de langue française. Il est né le 5
juillet 1927, à Constantine et décédé le 2 juin 1978 à Alger. C’était un
infatigable voyageur : il vu Tunis, Paris, le Caire, Lausanne, Moscou, New
Delhi. Il fait ses études dans sa ville natale et y sera instituteur, avant de
s’inscrire à la faculté de droit d’Aix-en-Provence (1954), en France. Il
abandonne vite ses études pour aller travailler comme ouvrier agricole en se
consacrant à l’écriture et en collaborant à plusieurs revues comme : «Entretiens»,
«Progrès», «Confluents, etc. Ci-dessous un extrait de sa
poésie où il fait son autoportrait avec une ironie maligne et enjouée :
«Je suis le point final»
«Je suis le point final d’un roman qui commence
Non pas oublions tout non pas niveau zéro
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
Et puis sans rien nier je repars à nouveau
Je suis le point final d’un roman qui commence
(…)
De mes deux Sahara je ferai des chansons
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
(…)
Oh mon Dieu cette nuit tant de nuit dans mes yeux
Maman se dit Ya Ma et moi je dis ma mère
J’ai perdu mon burnous mon fusil
mon stylo».
MYRIAM BEN
Myriam
Ben, née Marylise Ben Haïm, le 10 octobre 1928, à Alger et décédée en 2001, à
Marseille, est une romancière, poétesse et militante
anti- colonialiste algérienne. Elle aimait rappeler sa double ascendance juive : berbère par son père, Moïse Ben Haïm, dont les
ancêtres appartenaient à la vieille tribu algérienne des Ben Mochi ;
andalouse par sa mère, Soltana Stora, issue d’une famille de musiciens juifs
expulsés d’Espagne. En 1939, elle est élève,
au lycée Fromentin d’Alger. Elle en est
chassée par le numerus clausus établi contre les juifs
des Lois de Vichy.
Institutrice, en 1954 et 1955, elle
collabore au journal Alger Républicain. Elle s’engage dans la guerre d’Algérie
au maquis Ouarsenis (Maquis rouge) et a été condamnée par contumace par le
tribunal militaire d’Alger à 20 ans de travaux forcés. En 1962, elle est
maîtresse d’application et conseillère pédagogique à l’école normale de Bouzaréa. Elle s’arrête de travailler pour
raison de santé en 1964. En 1987, l’extrait du poème «J’écris», ci-dessous, mis en
préface au recueil de «Nouvelles de Femmes en Méditerranée»,
montre l’urgence et la force de sa poésie :
«J’écris»
J’écris
parce que je suis femme
J’écris
Parce
que je dois dire
Le
silence des femmes
J’écris
Pour
« L’Autre »
Qui
me regarde
Et
qui se tait
J’écris
Pour
partir
Sans
quitter mon pays
Voyager
sur mer
Voiles
plaines
Et
libre
J’écris
Pour
sentir ma liberté
Est
toujours demeurée intacte
Au
fond de moi
J’écris
Pour
me prouver
Que
je peux agir
Sans
contrainte
J’écris
Parce
que donne
Mon
âme en partage
J’écris
Pour
recueillir
Dans
es mains la source
Qui
se perd
Et
la donner à boire
J’écris
Pour
retenir
La
trace des pas humains
Effacés
Par
les vents de sable
(…)
J’écris
Comme
on plante
L’arbre
de vie
L’arbre
d’amour
Aux
pieds de celle
«Qui
jamais ne rit, jamais ne pleure»
J’écris
Pour
me souvenir
De
la Baghavadgitâ
Et
tâcher
De
« prendre pour égal le Bien et le Mal
Et
être tout entière à la bataille».
ANNA GREKI
Colette
Grégoire, dite Anna Greki est une poétesse algérienne de langue française, née
le 14 mars 1931, à Menaa, et morte le 6 janvier 1966 à Alger. Institutrice à
Annaba (Bône), puis à Alger, militante du Parti communiste algérien, elle est
arrêtée en 1957, internée à la prison Barberousse d’Alger, transférée en
novembre 1958 au camp de Beni Messeous, puis expulsée d’Algérie. Elle rejoint
son mari Jean Malki à Tunis, où elle publie son premier recueil «Algérie,
capitale Alger» (1963), avant de rentrer en Algérie indépendante, en 1962.
Achevant sa licence en 1965, elle professeur au lycée Abdelkder d’Alger. Elle
laisse à sa mort brutale, un second recueil «Temps forts» (1966) et
un roman inachevé. Voici un extrait de sa poésie franchement engagée :
«Les bons usages d’un bureaucrate»
Quand il n’y a plus d’idées
il reste toujours les mots
et
les morts qui sont des héros
et qui servent de noms de rues […]
dans son bureau climatisé
le bureaucrate dont la chair croît
rêve à la guerre des frontières
et s’étonne en contemplant la baie d’Alger
qu’il fasse si beau si froid
et que son cœur se traîne ventre en l’air
il ne sait où
peut-être au milieu des requins
rouges et plains
qui croisent dans la rue la révolution ?
dans le désert des croque-morts
le bureaucrate soupire te plonge
la main dans sa poche
Il en tire un mouchoir et son cœur
S’éponge et le croque
Comme une idée juste
Comme une noix
NADIA GUENDOUZ
Née en 1932, à Alger, Nadia Guendouz et
morte le 14 avril 1992 est une poétesse militante de première heure. Arrêté
brièvement en octobre 1956 par les autorités coloniales, elle a un diplôme
d’infirmière en 1958. Pendant la guerre de libération, elle travaille à
l’hôpital de Bobigny près de Paris. Elle fait des études de sage-femme
(1966-1969). Elle est chargée des affaires sociales à l’Union des écrivains
algériens. Elle publie un recueil poétique «Amal», (Alger, S.N.E.D. – 1968). Elle
clame sa révolte omniprésente contre le statu quo de sa vie, dans cet extrait
lyrique survolté du poème de même titre :
«Ma révolte»
«Je la caresse
Ma révolte
Je la berce
Ma révolte
Je lui dis des mots d’amour
Pour qu’elle reste sage ma révolte
Je lui raconte des histoires
Des contes à dormir debout
Je lui en invente même
mais elle est là ma révolte
elle
habite mon habitude
Elle
habite ma maison
Ma
mosquée
Ma
ville mon quartier
Mon
cœur sa raison
Gronde
Hurle,
crie, récrie encore
Furie
cancéreuse logeant
Mon
cœur, mon thorax
Et
tout d’un coup je
Manque
d’air
Tel
un poisson j’ouvre et j’entrouvre
La
bouche les lèvres
Pour
aspirer
L’étau
serre et se resserre
L’air
se raréfie. Je clame
Mes
angoisses mes hantises».
DJAMEL AMRANI
Le poète et nouvelliste algérien de langue
française, Djamel (ou Djamal) Amrani est né le 29 août 1935, Sour El-Ghozlane
et décédé le 2 mars 2005. Il est scolarisé en 1952, à l’école communale de Bir
Mourad Raïs. Le 19 mai 1956, il participe à la grève des étudiants algériens.
En 1957, il est arrêté, torturé et incarcéré par l’armée coloniale. En 1958, à
sa sortie de prison, il est expulsé vers la France. En 1960, il publie son
premier ouvrage «Le Témoin » (Paris, Minuit), rencontre Pablo Neruda et
crée un journal «Echaäb» (Le peuple). En 1966, il produit une émission
maghrébine à l’ORTF et entame une carrière radiophonique à la radio algérienne.
En 2004, il reçoit la médaille Pablo Neruda. Il publie de nombreux recueils de
poésie, de nouvelles et de récits. De sa verve poétique sensuelle et rageuse,
voici quelques extraits :
«Le matin»
«Le matin adoré de rosée
Lève comme ton sein, le plaisir
Joyeux de mon visage
et
Tu as brûlé l’été, au pigment des épis
Jusqu’aux feux de mes cernes
Fièvre et sexe
Rebelles
Réfugiés dans mon sommeil ».
«Le poète»
Le poète
charpentier,
géomètre,
de qui n’a plus
dans les mots
que rage».
«Sous l braise du poème»
Il nous faut ensevelir
……………
le vide nu
sous la braise du poème
le secret de l’herbe
et la sentence du fruit
dans la pendule des étoiles
…………….
L’univers s’épure
S’enracine à l’arbre-terre».
ASSIA DJEBBAR
De son nom de jeune fille, Fatima-Zohra
Imalayen, Assia Djebbar, poétesse algérienne de langue française, est née le 4 août 1936, à Cherchell. Fille d’un
instituteur d’un milieu attaché aux traditions religieuses et sociales. Elle
fait ses études secondaires à Blida et part pour Paris, après le baccalauréat,
où elle obtient une licence en histoire géographie. En 1955, elle entre à l’École
Normale Supérieure. Elle enseigne à la Faculté des Lettres d’Alger. De 1957 à
1969, elle publie des romans dont la «Soif» (1957), «Les Alouettes
naïves» (1967), une pièce de théâtre «Rouge l’Aube» (1960), un
recueil de poèmes «Poèmes pour l’Algérie heureuse» (1969), etc. De sa
poésie paysagiste mélodramatique, nous
recueillons l’extrait suivant :
«Neiges dans le Djudjura»
«Neiges dans le Djudjura
Pièges d’alouettes à Tikjda
Des olivettes aux Ouadhias
On me fouette à Azazga
Un chevreau court sur la Hodna
Des chevaux fuient de Mechria
Un chameau rêve à Ghardaia
Et mes sanglots à Djémila
Le grillon chante à Mansourah
Un faucon vole sur Mascara
Tisons ardents à Bou-Hanifia
Pas de pardons au Kelaa
Des sycomores à Tipaza
Une hyène sort à Mazouna
Le bourreau dort à Miliana
Bientôt ma mort à Zémoura
Une brebis à Nédroma
Et un ami tout près d’Oujda
Des cris de nuit à Maghnia
Mon agonie à Saida
La corde au cou à Frenda
Sur les genoux à Oued-Fodda
Dans les cailloux de Djelfa
La proie des loups à M’sila
Beauté des jasmins à Koléa
Roses de jardins de Blida».
MOURAD BOURBOUNE
Né en 1938, à Djidjelli, le poète et
écrivain algérien de langue française, Mourad Bourboune participe, en 1963, à
la fondation de l’Union des écrivains algériens (UEA), anime la commission
culturelle du FLN. Il émigre en France, après le putsch de 1965, et y revient pour collaborer à la revue «Demain
l’Afrique». Voici un extrait de ses vers contestant le sort du peuple en
Algérie :
«Novembre n’est pas fait pour les morts»
«Novembre n’est pas fait pour les morts
il faut unir en fasceau la colère des vivants
battre le rappel des peuples
saccagés
pour l’ultime hiver des meutes en déroute
liberté commence avec le dernier homme libéré
Amis
limons des moissons futures
dans ce brasier vivantes étincelles
dans l’espace que nos poitrines découvrent
le blé ne germe qu’à ras-du-sol.»
DEUXIÈME PARTIE
ALGÉRIE
POÈTES ALGÉRIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 70 :
Bachir Hadj Ali
Ismaïl Aït Djafer
Jamal Eddine Bencheikh
Messaour Boulanouar
Nabil Farès
Youcef Sebti
Ahmed
Azeggagh
Hamou
Belhalfaoui
Hamid
Tibouchi
Abdelmajid Kaouah
BACHIR HADJ ALI
Bachir
Hadj Ali est un poète et militant politique algérien de langue française, né le
10 décembre 1920, à la Casbah d’Alger, dans une famille modeste originaire
d’Aït Hammad (Azeffoun) en Kabylie. Il suit des cours à l’école coranique et à
l’école française. Pour aider sa famille, il renonce, en 1937, à entrer à
l’école normale d’instituteurs. A sa démobilisation en 1945, il adhère au Parti
communiste algérien. En 1948, il est rédacteur en chef du journal «Liberté». Il
rejoint l’ALN en 1954. En 1962, il fonde avec Mouloud Mammeri, Jean Sénac,
Mourad Bourboune l’Union des Écrivain Algériens, dont il démissionne en 1963. A
la prise de pouvoir par Houari Boumédiène, le 18 juin 1965, il fonde
l’Organisation de la résistance populaire (ORP).
Arrêté et torturé, il est transféré à la
prison de Lambèse, épreuves dont il publie les faits, à l’aide de feuilles de
papier hygiénique transmis à sa femme Lucette Laribere, en 1966. Libéré en
1968, il est assigné à résidence surveillée à Saïda et Aïn Sefra. Il regagne
Alger en 1974. Il écrit des poèmes et des essais. En 1966, il fonde le Parti de
l’Avant-Garde Socialiste (PAGS). Et n’interrompt ses activités, suite à une perte progressive de la mémoire,
séquelles de son emprisonnement. Il meurt le 8 mai 1991, à Alger. De sa plume poétique, nous citons des extraits
inspirés de son humanisme de patriote militant aux abois :
«Serment»
«Je jure sur la raison de ma fille attachée
Hurlant au passage des avions
Je jure sur la patience de ma mère
Dans l’attente de son enfant perdu dans l’exode
Je jure sur l’intelligence et la bonté d’Ali Boumendjel
Et le front large de Maurice Audin
Mes frères mes espoirs brisés en plein élan
Je jure sur les rêves généreux de Ben M’hidi et d’Inal
Je jure sur le silence de mes villages surpris
Ensevelis à l’aube sans larmes sans prières
Je jure sur les horizons élargis de mes rivages».
(Alger, le 15 décembre 1960 : «Chant
pour le onze décembre», p.23)
«Ce jour-là»
«Lequel sera vainqueur humilié
Lequel sera grand dans la défaite
Dans quel pays sur quelles frontières
Ce vent hurlera-t-il
Déchiré par la lance la plus haute ?
Il soufflera sur cet enfer imaginaire
Mais ici la foule meurt de faim
Et les riches de pain
Qui triomphera ce jour-là
Des gens de la ligne droite ?
Seront-ils incirconcis
Nus des pieds à la tête
Exclus des cercueils plombés ?
Seront-ils accueillis par une lampe indienne
Rougie de sang pour plaire ?
Qui triomphera de ce jeu barbare
Avec ses menaces et ses promesses vaines
Qui triomphera de la terreur
Et des puissances anonymes?»
ISMAËL AÏT DJAFER
Le poète algérien de langue française,
Ismaël Aït Djafer est né en 1929, à
Alger. Il séjourne à Paris et ne regagne Paris que pendant la Révolution. En
1965, il est fonctionnaire dans l’administration algérienne. Poète
contemporain, il semble se rattacher à la lignée des bardes inspirés qui chante
l’épopée de sa génération. En 1960, il publie «Complainte des mendiants
arabes de la Casbah et de la petite Yasmina tuée par son père» (Paris, P.J.
Oswald- 1960), «Petites Horreurs» et «Le carrefour du mal». De sa
création poétique inspirée des drames de la vie quotidienne, voici un extrait
pathétique sur la mort d’une petite fille qu’il a vue, écrasée, mourir sous les
roues d’un camion :
«Je me demande»
Je me demande, moi
À quoi ça sert
Les barrages qui barrent
Et les routes tracées
Et les camions qui écrasent les petites
Yasmina de neuf ans
En roulant entre les estomacs à air comprimé
Et les peaux en papiers d’emballage.
J’étais là, quand le
Camion l’a écrasée
Et que le sang a giclé
Le sang.
Et alors, là, je ne raconte pas…
Je laisse aux gens qui ont déjà vu un camion
Écraser un bonhomme et du sang
Gicler
Le privilège de se rappeler
L’horreur
Et le dégoût et la fuite lâche
Devant un cadavre
Surtout devant le cadavre d’une
JAMEL EDDINE BENCHEIKH
Jamel Eddine Bencheikh est écrivain et
poète algérien de langue française, né le 27 février 1930, à Casablanca
(Maroc), dans une famille de magistrats algériens et mort d’un cancer, le 8
août 2005, à Tours (France). Il grandit à
Casablanca et Oujda. Après le baccalauréat au lycée français, il part à
Lyon (France) pour faire des études de médecine qu’il interrompt au bout de
deux ans. Il fait des études à Alger de droit et d’arabe et se lie d’amitié
avec le poète Jean Sénac. Il passe à l’agrégation à Paris (1956-1962). Il est
maître de conférences de littérature arabe médiévale à la Faculté des lettres
d’Alger. Puis, il s’exile en France, pour protester contre le régime de Houari
Boumédiène. Il devient chargé de recherche au CNRS (1969-1972), puis professeur
à l’Université Paris VIII et Paris IV, jusqu’à sa retraite en juin 1997. De sa
poésie nous recueillons l’extrait suivant :
«Cantate pour le pays des îles»
«Le poème, qui ne plaisante pas, tient parole. Cela se nomme, bien sûr,
respect de l’autre.
Cela se dit aussi : amour et compassion.
Nous ne serons jamais que fragile Nous nous réveillons sans mémoire Il
faut ajouter un Dieu à notre histoire
Nos enfants se suicident. Nos enfants se droguent de songes meurtriers Il
restera d’eux moins qu’une onde Une vibration insaisissable Un éclat qui mettra
dix mille ans à s’éteindre comme une fleur séchée dans une boîte de cuivre
Vos pas barrent nos rues Votre haleine dessèche nos bourgeons Nous
suivons votre haine aux traces des brûlures sur les murs Vous inventez notre
agonie Mais vous ne posséderez pas notre mort Nous ne nous tairons pas Nous
berçons chaque poème assassiné Nous le réchauffons dans nos poumons et il se
remet à sourdre comme un temps vivant sur la pente Nous tisserons la beauté du
monde à la chevelure des saules et à la rumeur des cascades Pendant que vous
célébrez vos noces de jouissance O calligraphe d’exil (…)
Nous effacerons de nos écoles les noms que vous avez cloués comme des
oiseaux de malheurs Vous aurez beau falsifier les versets du Miséricordieux
Vous aurez beau briser nos luths et nos jarres à Brûler nos poèmes d’amour et
nos contes Nous les confierons aux
sources Nous les réapprendrons aux enfants de nos enfants qui écouteront les
ruisseaux imaginer la mer».
MESSAOUR BOULANOUAR
Messaour Boulanouar, poète algérien de langue
française, est né le 11 février 1933, à Sour El-Ghozlane (Bouira) et compagnon
d’écriture de Kateb Yacine et de, Jean Sénac. Il est de la génération qui a
vécu sous la le colonialisme et la guerre de libération. Il signe ses recueils
de son nm, Messaour, puis de son prénom. A 17 ans, il interrompt ses études
secondaires pour des raisons médicales. De 1956 à 1957, il est emprisonné par
le pouvoir colonial, à Baberousse (Serkadji). Il dona donné des récitals et des
conférences à Alger. Il est par la suite employé dans l’administration
d’enregistrement du timbre. Seule une partie de son œuvre est publiée. De son
recueil «La meilleure force» (1963) citons cet extrait poétique gorgé
d’une nature humaine bienfaitrice et généreuse :
«Préface»
«J’écris pour que la vie
soit respectée par tous
je donne ma lumière à ceux
que l’ombre étouffe
ceux qui vaincront la honte
et la vermine
j’écris pour l’homme en
peine l’homme aveugle
l’homme fermé par la
tristesse
l’homme fermé à la
splendeur du jour
J’écris pour vous ouvrir à
la douceur de vivre
J’écris pour tous ceux qui
ont pu sauver
de l’ombre et du commun
naufrage
un coin secret pour leur
étoile…
J’écris pour apaiser mon
sang
mon sang violent et dur et
lourd de siècles tristes
J’écris pour partager ma
joie
avec ceux qui m’écoutent
J’écris pour être pour être
libre…
J’écris pour qu’on respecte
l’arbre qui monte
le blé qui pousse
l’herbe au désert
NABIL FARÈS
Né en
1940, à Collo (Petite Kabylie), Nabil Farès est un écrivain et poète
algérien de langue française. Fils d’Abderrahman Farès, Président de l’Exécutif
provisoire algérien de 1962 et premier notaire musulman d’Algérie. Nabil Farès
participe aux grèves lycéennes de 1956, et rejoint le front national (FLN),
mouvement indépendantiste, puis sa branche armée (ALN). Après le secondaire en
Algérie, il part en France où il obtient une maîtrise de philosophie (1967), un
doctorat en anthropologie. Il enseigne en en France, en Espagne et en Algérie.
Il s’installe en France où il est maître de conférences en littérature à
l’Université Stendhal de Grenoble. Il publie notamment des romans et un recueil
poétique «Le Chant d’Akli» (Honfleur, P.J. Oswald- 1972). De sa verve
poétique, voici cet extrait reflétant un cœur déchiré entre le vide l’exil et
de la nostalgie :
«L’exil et le désarroi»
«J’ai
vu, j’ai lentement traversé le dérisoire lieu du retour.
Traversé
la cour où nulle herbe ne pousse où nulle parole ne parvient
où
nulle offrande n’existe.
Ainsi,
j’ai poussé la porte du lieu, et ma gorge s’est gonflée de colère, haine,
désespoir.
Ainsi
j’ai poussé la porte du lieu, et, j’ai vu L’agneau mort.
Celui
dont j’aurais pu être le gardien coutumier pour notre bonheur.
Innocence.
J’ai
poussé la porte du lieu et, quelque chose s’est brisé en moi.
Comme une larme.
Ou, un plaisir. Désanimé. J’ai poussé la porte du lieu, et, j’ai pu
parvenir à l’intérieur de ma durée, car l’intérieur venait de se fissurer. C’est
alors que je me suis mis à frapper. Oui : à frapper.
Le long cou de la terre. Et son insignifiance immédiate. J’ai frappé.
Pour que la terre parle. Dise. Parle. Comme nous. A son tour. Du malheur. Du
bonheur. De la vérité. De nos ignorances.»
YOUCEF SEBTI
Né le 24
février 1943, à Boudious, près d’El-Milia dans le Constantinois, le poète
algérien de langues française et arabe, Youcef Sebti a été berger. Il fréquente
la medersa, lit Victor Hugo et Arthur Rimbaud. Il a écrit des recueils inédits
comme : «L’enfer et la folie», «Solitude», «Espérance», «Pour la
Palestine» (en français), «Les racines de l’Olivier» (en arabe). Il devient,
professeur de sociologie rurale à l’Institut agronomique d’El-Harrach, depuis
1973. Voici un extrait de sa poésie :
«La Nuit de noces»
«Il a mis l clef dans la serrure
il a frappé avec violence
il a poussé la porte avec violence
il est entré
il a marché
il a soulevé le voile
il m’a relevé la tête
il m’a ricané au nez
il m’a déshabillée
il ne m’a rien dit
il a cassé le miroir
il a tout fait
il a très vite fait
il est sorti
il avait bu
et moi j’ai pris les draps
entre mes dents
AHMED AZEGGAGH
Romancier,
poète, dramaturge, journaliste…, Ahmed Azeggagh est né en 1942, à Bgayet
(Bejaia) et mort en le 24 avril 2003, en France. Homme modeste et entier, il se
moque des frontières disciplinaires et touche à tout pour dire ses
meurtrissures, le malaise de son pays et les injustices du monde libre. Fils
d’émigré, il passe son enfance à Marseille où découvre la réalité ses
compatriotes émigrés. En 1962, il revient en Algérie libre, pour participer à
son édification. Il enseigne dans une école primaire à Bgayet. Puis, il va
Alger pour rejoindre à la revue de la
Révolution. Le coup d’État de 1965, met fin à sa passionnante aventure et le fait
revenir en France. Il publie un recueil de poésie «Chacun son métier» (Alger,
Edit. S.N.E.D, 1966), un roman «L’Héritage», (Rodez, Edit. Subervie-
1966). Les vers de cet extrait contestent les espoirs déçus du poète, dans son pays indépendant.
«Le jour se lève à peine»
«Le jour se lève à peine
Nous pensons à demain
Nous vivons dans l’attente
Et tous mourons d’attente
Nous sommes l’espérance
Aux yeux du désespoir
Et si le soleil brille
C’est pour vous insulter…
Et nous nous étonnons de découvrir que nous sommes le contraire des
riches.»
HAMOU BELHALFAOUI
Conteur et poète algérien de langue
française, Hamou Belhalfaoui est né en 1944, à Oran, de père instituteur et de
famille lettrée. Il écrit et poursuit sa recherche sur les contes d’autrefois
et de demain, de Joha à Till l’Espiègle. Il raconte aux enfants et aux adultes
les contes d’Algérie et d’ailleurs de son enfance. Philosophe à sa manière,
suivant une vision pragmatique, il cherche ce qu’il y a de positif en tout. Ses
thèmes préférés sont le caractère éphémère te absurde de la vie. Il en use même
dans ses poèmes comme celui-ci :
«Comme une goutte d’éternité»
«Où
l’homme, par une plongée à ses origines,
Par
la volonté créatrice ou charnelle,
Dérobe
une parcelle de feu.
Et,
pour une fraction de seconde,
Peut
communier avec la nature.
Qu’il
fasse abandon de son vil orgueil,
Qu’il
reconnaisse enfin son état animal,
Et
il lui est loisible de boire
Une
goutte d’éternité !
Cette
tranche d’infini qui nous est offerte,
Nous
voulons la dévorer,
HAMID TIBOUCHI
Hamid
Tibouchi est un peintre et poète algérien de langue française, né le 12 février
1951, à Tibane. Il s’engage d’bord dans l’écriture poétique et publie ses
premiers textes en 1971, en Algérie, en France et en Tunisie. Plusieurs
plaquettes et recueils le place parmi les représentants majeurs de la
« Jeune poésie de graphie française », dont Jean Sénac, assassiné en
1973, soutenant les aspirations contestataires. Ses poèmes sont représentés
dans des anthologies et traduits en espagnol et italien. En 1984, Tahar Djaout
le considère comme l’un des poètes les plus exigeants et les plus aventureux de
sa génération. Aujourd’hui, il figure dans les livres scolaires algériens. Il a
publié «Mer ouverte» ((1973), «Soleil d’herbe» (1974), «Parésie»
(1982). De sa verve souvent allégorique et insidieuse voici un extrait :
«La mer qui grouille au loin»
«La mer qui grouille au loin
La mer insectes bleus pressés aux élytres vernis par
le soleil la mer miroir aveugle où broutent les goélands
Être la barque qui rampe sur l’eau
Être le sillon de la barque
Être le voile gonflé par le vent être la mouette qui
suit la barque l’aile de neige palpitante
Être le duvet qui caresse la joue du ciel être la
brise qui coule sur la mer être la rivière qui court vers la mort
Être le temps qui fait bouger tout ça et s’arrêter
au matin d’un été pour contempler à son aise la mer ».
«Mille feu d’artifice de chair et de
sang»
«Mille feu d’artifice de chair et de sang explosent
sans bruit dans le jour qui bascule les cris furtifs
Ni chants ni pleurs
Dans la trame vasculaire
Que tisse la pointe de l’aiguille rumeurs lointaines
et proches motocyclettes bravant d’invisibles monstres la vie se coule dans la
vague incertaine crescendo rétrograde dans l’instant qui se fige entend la nuit
invisible
Elle s’infiltre telle une intruse en un largo
imperceptible
Dans notre univers qu’elle habite encore une goutte
de nuit
Et la solution vire au noir
C’est comme si l’on enfilait un manteau au ralenti
Pendant que se referment les maisons blanches
À l’orée du désert
Dieu est encore si puissant
Dans les yeux des femmes violées de noir
La laine des nuits glacées
Les lèvres lourdes de baisers ; don de Dieu les
dunes les «guerbas» de vie la mer et la mort s’affrontent sur le sable nu à
perte de temps
Et tu es là
Tout près
Produit du soleil-roi
Portant entre les reins entre les seins la poudre
des fantasias et la force rudesse des chevaux fous
Pouvoir te mordre
À l’abricot le plus doux le plus doux».
«Enfant»
« Enfant
À l’imagination vaine
À l’âge ardent des questions avec la folie de croire
à la brasse en plein ciel
Écartant des deux mains le rideau trouver Dieu
À l’image d’un roi majestueux sur son trône
Après la pluie
Il y a toujours
Au-delà des ébrouements de l’arbre quelques barques
fleurs d’eau
Qui flânent
Ce sont souvent des lys élancés mais il pousse aussi
des nénuphars
Par-dessus tout
On a peine à croire au bleu du ciel
On aimerait y barboter comme les oiseaux
Le cri de l’oiseau délivré fleur qui s’ouvre
Éblouie par l’éclat de midi rencontre les lèvres jeunes
avides de l’instant qui passe
Le firmament a un goût de lavande, coule sous la
peau le sang chaud
ABDELMAJID KAOUAH
L’écrivain et poète algérien de langue
française, Abdelmajid Kaouah est né le 25 décembre 1954, à Aïn Taya. Il publie
un recueil poétique «L’Ombre du livre » (Edit. N&B). En voici quelques
extraits pleins d’une ferveur morose avec en toile de fond une conscience
malheureuse, sombre et désabusée :
«Oui il faut se lever chaque matin»
«Oui il faut se lever chaque matin
à une heure humaine
mais à quelle humaine horloge
expier les pétales calcinés
plus tard
du choc de nos mains glacées
fusera l’ocre rêve d’aimer
et nous n’assisterons plus
au départ de nos derniers
amis
***
toi le singulier rebelle
au cœur d’agile
dans les marges de la nuit
tu n’étais qu’un provocateur naïf
au sabre de sable
dans la conjonction
des colères calculées
***
cloués à la proue des vents
esclaves à tout jamais
de leur imposture
les dieux frisés
s’offrent des éternités
de paresse
c’est leur destin
que de rompre le silence
et de déployer au gré
de leurs errances
le vaste jeu du bruit
cohortes d’insectes
***
nous savons à présent
que les oiseaux sont mortels
qu’ils survivent de pitiés nocturnes
par des sentiers fragiles
dans les jungles de la morale
par beau temps
ils remontent les rivières
sèment l’alarme
et narguent l’imposture».
«Le sel»
Voilà j’ai atteint la rive noire
Là où le rêve n’a plus de miroir
Ni force pour traîner ses fourmis
Ses dérisoires mensonges et
Ses petites lâchetés en guise
De destin
La rive noire où il n’est plus de Mahatma
Ni de seigneur hautain
Pour répandre les épreuves
Le soleil se lève et se couche
Et la bouche essuie la bave des jours
Le sel est amer sur la table
Et en guise de vie nous redessinons
Les cerveaux boiteux de nitre enfance
Voilà la rive noire
Est atteinte par petites brassées
A la cadence d’un survivant
La rive noire
C’est avant tout une saison
La saison mentale de tes premiers poèmes
Te voici à nouveau livré aux feuilles d’automne
La couronne des défaites
Le frémissement d’une chair envoûtée
Et tu sais que rien ne sert de se lamenter
Au seuil d’un nouvel avatar
Le bruit seul s’absente
Et tu ne sais si le chemin t’attend
Pour t’accompagner ou pour effacer
Les traces de ton destin
Ainsi l’automne s’abat
Sur toi comme une proie».
TROISIÈME PARTIE
TUNISIE
POÈTES TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 50 :
Marguerite Taos Amrouche
Claude Benady
Abdelmajid Tlatli
Hédi André Bouraoui
Mario Scalesi
MARGURITE TAOS AMROUCHE
Marguerite
Taos Amrouche (ou Marguerite Taos) est une romancière, poétesse et folkloriste
algéro-tunisienne de langue française et berbère, née le 4 mars 1913, à Tunis. Elle
publie des romans «Jacinthe Noire » (Paris, Charlot- 947), «Rue des
Tambourins » (Paris, Edit. Table Ronde, 1960) des recueils de poésie
«Grain magique» (Paris, Edit. Maspero- 1966), « Florilège de chants berbères
de Kabylie » «Chants de l’Atlas», etc. De sa poésie d’un ton commémorative
et nostalgique, citons notamment:
«Chant d’exil»
Nous avons d’autre messagère
Que
la gazelle de thym
Qu’elle
atteigne le Sahara et nous dise
-
Jeune homme, prends soin de toi :
Le soleil d’été est
piquant.
«Chant de danse»
Le pêcher du champ à l’ombre
Ensemble allons cueillir les fruits.
Le pêcher au bord du fleuve
Ses pêches mûrissent à l’automne.
Le pêcher du champ à l’ombre,
Le pêcher du bord du fleuve,
Manger ses fruits vous rend heureux. »
«Chant de méditation»
La mort s’aborde avec courage
Et se regarde avec orgueil,
Le rire des ennemis est seul redoutable.
Comme une amulette d’argent
Le bien-aimé repose au fond d’une tombe ;
O mes yeux, emplissez-vous de sang!»
CLAUDE BENADY
L’écrivain et poète Tuniso-canadien de langue française, Claude Benady
est né le 10 septembre 1922, à Tunis, d’un père de la communauté juive et d’une
mère chrétienne. En 1942, il est mobilisé en Tunisie, en France et en
Allemagne. En 1947, il fonde la revue «Périple» et il devient rédacteur
en chef de la revue «Kahena», en 1950. Il reçoit le Prix d’Afrique
Méditerranéenne, pour son recueil de poésie «Marguerite à la source», en
1976. D’où est tiré l’extrait de vers pimpant de soif de vie et de liberté que
voici :
«Il me revient parfois»
«Il me revient parfois à la saison
des transhumances
une soif de pays sans cartes ni
barbelés
un désir de terre à façonner
comme glaise
redonner souffle aux choses
mortes
faire vivre les pierres au-dedans
de moi-même
afin que se bâtisse un cloître de soleil
où les haies d’herbes folles seraient une prière
et la branche brisée une chanson d’été.»
ABDELMAJID TLATLI
Le poète
tunisien de langue française, Abdelmajid Tlatli est né le 24 juin 1928, à
Nabeul et meurt le 13 juin 2004, à Tunis. Il fait ses études primaires et
secondaires à Nabeul et à Sadiki. En 1952, il reçoit le Prix de Carthage pour
l’ensemble de son œuvre. Il a collaboré à la radio tunisienne et à au journal
« L’Action » et devient directeur de la Galerie municipale des Arts
de la capitale de son pays. Il publie les recueils de poèmes : «Sur les
cendres de Carthage» (Paris, Edit. La Pensée française- 1952), « Des
hommes et de l’esprit » (Tunis, Edit. Chez l’auteur- 1953). De son premier
recueil voici un extrait où il exorcise
Carthage du mal de la guerre, par le charme idyllique de la nature et de
la poésie :
«Sous ton ciel»
«Sous ton ciel le soleil a des pourpres massives
Dont la grâce parfois rythme le bruit des pas :
Il aspire dans l’air les ondes successives,
D’un éternel azur reposant aux cœurs la!
Ton calme scintillant, ton ombre fugitive,
Front de Néapolis coloré de lilas
Plus qu’un myrteux cristal, plus qu’une source vive
Quand un sylphe charmeur anime ses éclats,
Triomphe du salut sur cette unique rive ;
Que l’heure est étoilée en ses riants climats…
A travers l’encens bleu de leur beauté lascive
Les iris de la mer éteignent les combats.
Ivre d’éther le cœur boit au sein du Poème
Et
croit voir un lutin voilé par les rameaux,
L’archange
épanouit le beau rêve suprême,
Tandis
que le jasmin tend ses thyrses jumeaux.
Sève occulte au Nord pur que l’âme vaste sème…
O nature ! O jouvence ! O reflet des
émaux !
Tout enchaîne et appelle à la puissance même
Des orangers fleuris où se charment les
mots !...
Nostalgie, nostalgie aux ineffables charmes,
Que le regard a soif de ta limpidité :
Terre d’enchantement, foyer séchant les larmes
Tes magiques lueurs nimbent l’éternité.
Espace vaporeux que réclame ton âme
En des spectacles faits de subtile clarté !
Frondaisons épanouies de ta fervente flamme
Imposant puissamment ta noble majesté.
Que les airs sidéraux de tes cieux symboliques
Dorent ce sol divin lucidement chanté,
D’où s’élève le soir de reflets métalliques
Féeriques décor d’oriflammes hanté.»
HÉDI ANDRÉ BOURAOUI
Hédi
Bouraoui, de son nom Hédi André
Bouraoui, né le 16 juillet 1932, à Sfax, est un poète, nouvelliste et
universitaire tuniso-canadien de langue française. Ses thèmes favoris sont la
transcendance des frontières culturelles. Il passe sa jeunesse en France, puis
part vivre au Canada. En mai 2003, il est docteur honoris causa de l’Université
Laurentienne de Sudbury en Ontario pour ses contributions à la littérature
canadienne et mondiale. Il reçoit de nombreux prix littéraires au Canada, en
France et en Tunisie. Il publie des recueils de poèmes «Musoktail» (Chicago,
Edit. Fower- 1966), «Immensément croisés» et «Vésuviade» (Paris, Edit.
St-Germain-des-Prés- 1969/ 1976). De ses vers voici une ode dédiée à Pierre
Torreilles :
«Aux sillons du lire»
«Toi qui sais pétrir la «pierre errante»
La ciseler au ciel de l’enfance
De «la semence de l’eau » surgit
Transparence à l’aube des solitudes tues
Faut-il attendre la moisson des orages
Pour décloisonner éclairs et appels de la
mort ?
Ceux qui illuminent les ténèbres de l’exil
Miroir fugace à la parole risquée
Ton verbe tranche la fulgurance mue
Afflue la source de l’immuable agonie
Le Poème la reflue gravée entre mer et désert
Ainsi rayonne une obscure clairvoyance
Polyphonique le poème sonate
Retrace la genèse du berceau
Repus les mots vigilants au Levant
La pensée ébruitée se déshabille
Le simulacre ne songe plus aux houles
Mais danse l’icône apatride
A l’horizon désilé de lumière
Quel lieu intime d’Orient
Creuse en ton visage de mots vespéraux ?
Un silence ourdi d’ultimes regards
Que voyellent, à l’aube, les cimes de cyprès».
MARIO SCALESI
Le poète tuniso-italien de langue
française, Mario Scalesi est né en 1937, à Tunis. Il a une conscience aiguë de sa
crise identitaire. Dans son poème « Judas », il dénonce ce destin
multiple et la trop triste condition du poète d’Italien de Tunis mais de langue
française, sous le Protectorat. Ainsi est-il de l’envolée plein d’affliction et
de désarroi de cet extrait de sa poésie :
«Me pardonnez-vous»
«Me pardonnez-vous, Ô délicates roses,
Ô
lis, virginal azur du ciel d’été,
Le
crime affreux que j’ai dans mes heures moroses,
En
frissonnant d’horreur parfois prémédité ?
Je
suis deux : le chanteur
harmonieux qui passe,
Là-bas,
dans ce chemin embaumé d’idéal,
Aux
mains lourdes des fleurs du Paradis natal.
C’est
moi, mais ce forçat d’une éternelle
tâche,
Ce
malheureux perdu dans le bétail humain,
Qui
s’en va recherchant, le front bas, le cœur lâche,
Dans
l’égoût de la vie une croûte de pain.
C’est
encore moi ! demain, ce soir
même peut-être,
Les
hommes, que j’aimerai, m’offriront, ô douleur,
Pour
renoncer à l’art le salaire du traître,
Et,
pour trente deniers, je vendrai le Chanteur.»
TROISIÈME PARTIE
TUNISIE
POÈTES TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 70 :
Salah Garmadi
Sophie Goulli
Ali Hamouda
Majid El
Houssi
Youcef Sebti
Salah Khelifa
Moncef Ghachem
Larbi Ben Ali
Tahar Bekri
SALAH GARMADI
Le poète tunisien de langues française et
arabe, Salah Garmadi est né en 1933, à Tunis, et mort dans un accident de la
route en 1982. Il est l’occurrence l’auteur de recueils poétiques : «Al-lahma
al-Hayya» (Chair vive, 1970), écrit en dialecte arabe tunisien et de «Nos ancêtres
les bédouins» (1975). Il est l’un des co-fondateurs de la revue progressiste «Attajdid».
Il est également connu comme traducteur en arabe d’ouvrages dont «Je
t’offrirai un gazelle» de Malek Haddad. De sa poésie grinçante, selon les
critiques, il joue avec les iconoclastes et bouleverse les anciennes coutumes.
Ainsi tonne-t-il dans le poème suivant :
«Haut est le Sud»
«Dans le silence de tes savanes,
Dans la rumeur confuse de tes forêts
Afrique, mon continent d’ambre,
J’entends le bruit mémorable
Du premier arrachement
Quand la frêle créature verticale
S’extirpa du limon originel.
Les séismes succédaient alors aux déluges
Et les dinosaures coulaient,
Vivantes chavirées
Dans les eaux de la fonte.
Dans les grottes humides,
Aux blessures couvertes de tes escarpements,
Afrique, mon continent d’ambre,
Je lis la geste première transcrite
Ocre et brune, magique
Par les mains inspirées de fondateurs.
Sous les bras feuillus de tes arbres palabre
Sur tes pistes poudreuses qu’ébranlent les caravanes
Afrique, mon continent d’ambre,
J’écoute le vent raconter la sagesse dogon
Et que l’homme soit le grain de l’univers !
Que devant sa volonté, s’agenouille
L’auroch et le mammouth domptés.
Que les fruits de la mer pullulent dans ses nasses.
Que sous ses pas, lèvent, rythme ondoyant, les
moissons
Et qu’au de ses doigts tendus
Resplendisse la myriade des météores».
SOPHIE GOULLI
La
poétesse, écrivaine, critique et historienne de l’art tunisienne de langue
française est née en 1932, à Sousse. Elle fait ses études Tunis et à Paris.
Elle publie des recueils de poésie comme «Signes» (1973), «Nos rêves»
(1980) et «Vertige solaire» (1981). Elle fait une étude sur le peintre
tunisien Ferhat Ammar et son œuvre (1979), et écrit des recueils de contes pour
enfants tels que «Le joueur d’échecs», «Le Roi qui s’ennuyait», «Le
soleil et la pluie» (1983). Dans sa poésie, la poétesse interroge et
s’interroge, comme cet extrait poétique :
«Partir»
«je souillerai à jamais les rumeurs éphémères d’un orage
qui fermente
au creux
de
ma chair
Miroir après mémoire
Je grave ma griffure luciolante
Je vis Je vis Je vis
Dans un sommeil solaire
Et
Et
j’écoute l’Afrique
qui citharise ses douleurs arbitraires
j’écoute l’Afrique
qui lustre ses métamorphoses rétives
et
j’écoute l’Afrique
qui vêle la candeur des ses enfants cabrés
et
j’écoute l’Afrique
qui conjure la cicatrice de sa longue nuit
hypnotisée
et
j’écoute l’Afrique
qui galope sur les courants vainqueurs de son étoile
reconquise
La hache sporadique de la révolte liée
Nivelée
Niée
MAIS
J’ai dessiné attentivement mon tour à chanter les
Lendemains
Les marronniers en fleurs m’inscrivent au cœur de
Leur floraison
Ma vie me fait toujours contre
ALI HAMOUDA
Ali Hamouda est poète tunisien de langue
française, né le 29 août 1933, à Tunis. Il a écrit « La Terre
maternelle » (Honfleur, Edit. PJ. Oswald- 1968) et «Joues d’aurore»
(Tunis, Edit. ATPR – 1970). En voici un poème de facture lyrique et méditative
:
«Je chante je chante»
«Je chante je chante comme si je devais
ne plus jamais chanter
je rêve je rêve comme si je devais
ne plus jamais me réveiller
je parle de mon ciel comme s’il devait
ne plus exister
de mes étoiles comme je devais
ne plus les compter
et dans chaque mot je mets mon amour
comme si je devais bientôt
tout laisser
O ma terre
avec tes jours gris et tes hommes qui se tuaient
sous des yeux d’enfants!»
MAJID EL HOUSSI
Majid El Houssi, de son vrai nom
Abdelmajid El Houssi, né le 20 janvier 1941, à Bou Merdes et décédé le 11 mai
2008, est un écrivain, poète et universitaire tunisien de langue française. Il
passe son enfance entre Aïn Draham et Tabarka, où son père est instituteur. Il
part en Italie, en 1961, pour y suivre ses études supérieures. Il vit à Padoue,
depuis 1962, titulaire de la chaire de linguistique française à l’Université de
Venise. Il publie des recueils de poésies : «Je voudrais ésotériquement
te conter» (Padoue, Edit. Quick press- 1972), «Imagivresse» (Padoue,
Edit. Rebellato, 1973). Voici un extrait de poème «Iris Ifrikia» de sa
composition sur le thème de l’exil :
«Je vis mon exil»
«Je vis mon exil de froid de brouillard
Je vis dans l’attente attente-attente ATTENTE
de re-trouver ma langue effacée
par la torture de l’acculturation dans les voussures de mon être
ma langue de sollicitation et présence pieuse
de l’extrême et de l’éphémère
ma langue architecture d’instants de café maure
où Saïd nous contait
des demeures d’agiles et de paille
et des moutons multipliés dans l’ombre
ma langue où mabrouka et belgacem murmuraient
des choses vraies comme le lait cru
Saïd l’horizon a dissous des poitrines de rivages
et l’oncle salah est parti lui aussi
emportant son fusil
vers l’ombre lasse des douars-
(le ciment-armé a étranglé les vapeurs de terre)
sous l’inexpugnable soleil-
la saveur des salamandres d’or
Il ne reste Saïd
que les jours d’hommes attelés
et j’ai perdu ma feuille de menthe
ma touffe de jasmin que je portais à l’oreille droite
le soir
mes frères mes amis : je ne connais plus leurs noms
dans mon froid d’absence d’exil
dans l’invisible jaillissement de la brume
belgacem est devenu fou m’ont-il raconté
et hédi hédi est parti lahbib mohamed mosdtafa
SALAH KHELIFA
Salah
Khelifa, né le 21 mai 1943, à Ksebet-el-Médiouni (dans la région de Monastir en
Tunisie). Il fréquenta l’école primaire franco-arabe où il obtint le CEPE
(certificat d’étude primaire élémentaire). Admis à l’entrée en 6e au
lycée de Garçon de Sousse, il obtint le BEPC (brevet d’études du 1e
cycle) et les deux parties du baccalauréat français de philosophie. Reçu à l’École
Normale de Tunis, il décrocha une licence d’histoire avec le Prix présidentiel (1968).
Enseignant dans des lycées de Tunis, il prépara un doctorat de 3e
cycle d’histoire de civilisation, à la Faculté des Lettres de Reims en
Champagne (1982) et un doctorat d’État à la Faculté des Langues de Lyon III
(1987). Il enseigna le soufisme à l4Institut Supérieur de Théologie de Tunis et
publia plusieurs recueils de poèmes dont : «La Ronde des affamés»
(1973), «Impromptus XX» (2010). En voici un poème d’un sarcastique,
daté de 2005 :
«L’étranger»
«Oh, suis-je né trop tard ou trop tôt ? Je l’ignore ;
Je sais, en vérité, que le soleil me griffe
Et qu’aussi où que j’aille, un sinistre escogriffe
Me suit, souffle ma face et lance un feu sonore.
Je sors à pas tremblants de ma chambre et je vais
Au jardin où fleurit mon olivier antique ;
Mais je le vois pleurer une larme caustique
Que fait voler le vent de son souffle mauvais.
Oh, suis-je né trop tard ou trop tôt ? Je l’ignore ;
Je sais que la Grande-Ours dans le ciel se déshonore,
Qu’on la vend au Soleil pour le poids d’une obole,
Que cet homme a la bouche emplie de faribole.
Je sors à pas tremblants de ma chambre et je vais
Rencontrer le simoun qui se tord comme orvets
Au jardin où fleurit mon olivier antique.
On a volé, vois-tu, ma Couronne Mystique.»
MONCEF GHACHEM
Moncef Ghachem
est un poète tunisien contemporain de langue française, né le 29 juillet 1946, à
Mahdia. Il fait ses études primaires à Mahdia et secondaires à Sousse. En 1959,
il part pour étudier les lettres arabes et françaises à Tunis, à la Faculté du boulevard
9-avril (1965-1970), puis de littérature arabe et française et comparée à
l’Université de Paris IV (1976-1978). Le journal tunisien le qualifie de
«sommet de la poésie tunisienne de langue française». Il publie des recueils
poétiques dont : «Cent mille oiseaux» (1975), «Car vivre est un
pays» (1978), «Cap Africa»
(1987). Voici un extrait de sa poésie d’un ton éploré lugubre et macabre :
«Des plumes de mouette»
«des plumes de mouette
sur la terrasse de vent
l’épave
de César effondrée
sur
des galets de crique
épitaphe
tracée
par
des mains de sel
avec
des pinceaux de fortune
sous
le regard croisé
des
soleils et des lunes
un
enfant seul
sur
le seuil de l’ombre
tandis
qu’on darbouke les noces
d’une
fin d’été
et
l’île est muette
comme
ses tombes
on
y pêche l’orphie migratrice
tout
au large du cimetière».
LARBI BEN ALI
Le poète
tunisien de lange française, Larbi Ben Ali est né en 1949, à Tunis. Il publie
des recueils de poèmes dont : «Prophéties insoumises (Paris, Edit.
St-Germain-des-Prés- 1973) et «Le Porteur d’eau » (Paris, Edit. Athanor-
1976), etc. De sa muse voici deux courts extraits d’un humour tantôt noir tantôt
teinté d’un mysticisme euphorique :
«À la recherche de son moi»
«Parti à le recherche de son moi
Il revint les mains vides et la tête
Enflée tel un melon trop mûr
Marchant à petits pas sous un soleil d’automne
Son ombre le devançait de quelques centimètres. ».
TAHAR BEKRI
Tahar
Bekri, poète tunisien de langue française et arabe, est né en 1951, à Gabès. Il
a écrit une vingtaine d’ouvrages poétiques traduits dans plusieurs langues,
notamment l’espagnol, l’italien, l’anglais, le russe, le turc, etc. Il est
maître de conférences à l’Université Paris X Nanterre et vit à Paris, depuis
1976. De sa poésie érotico-allégorique, voici un extrait :
«Je t’aime»
«Je t’aime
Dans les lueurs étincelantes
Dans l’envolée des rayons comme des rubis
Dis au soleil
Libère ta lumière
L’éclipse est sœur des potentats
Suppôts tapis dans les pliures sans relâche
Dis au soleil
La rumeur par-delà les haies
Parafe nos désirs de pleine lune
Cyprès figuier de barbarie et alfa
Pour tanner nos visages
Nulle peur ne se terre
Mais la torche neuve est résolue».
TROISIÈME PARTIE
TUNISIE
POÈTES TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE
DES ANNÉES 80 :
Mohamed Aziza
Abdelaziz Kacem
Amina Saïd
MOHAMED AZIZA
Mohamed Aziza (pseudonyme : Chems
Nadir) est un poète, conteur et romancier tunisien de langue française, né le
24 décembre 1940, à Tunis. Il a fait des études de littérature et de sociologie
à Paris, il devient réalisateur à la Radio-Télévision tunisienne. En 1971, il
est nommé directeur des programmes internationaux de la Radio. Il est ensuite
directeur de l’information à l’OUA, puis fonctionnaire international à
l’UNESCO, à Paris. La portée mondiale de sa littérature lui a valu le titre de
Recteur de l’Université Euro-Arabe Itinérante. Il publie des recueils poétiques
dont : «Silence des Sémaphores», «Le Livre de
Célébrations» (1983), «Psalmodie du miroir », «L’empreinte
sur le sable », «Planisphère intime». Voici un extrait
de
sa poésie quasi mystique :
«Par une nuit de chants grégoriens»
«Par
une nuit de chants grégoriens
-
Nazareth resplendissait alors, dans son écrin de neige
Et
les trois mages contemplaient
La
lente ascension du Bouraq,
Cheval
ailé dans le clignotement des étoiles-
Je
connus l’expulsion et la brûlure des ciseaux sur le cordon ombilical.
Et
des vêtements étaient apprêtés
Pour
emmailloter mon corps immature
Et
un fleuve profond de souvenirs
Baignait,
déjà, les rives embuées de mon esprit
Les
vêtements étaient beaux
Mais
étroits à l’encolure.
Le
fleuve profond
Mais
assoupi aux amonts escarpés.
Le
miroir psalmodiant la gloire passée
Et
réfléchissait, double masque impitoyable,
Le
présent blême.
Et
je fus sommé d’apposer,
Sous
le siroco déchaîné,
Mon
empreinte sur le sable.
C’est
alors que, dans la déroute de ma nuit,
M’éclairèrent
tes yeux mauves.
Et
nous dérivâmes à l’unisson
Sur
la crête des vagues…
Écoute
Le
craquement des germinations sous le givre.
Vois
De
nouveau, s’allumer les Yeux des sémaphores.
Que
ma voix de vent te raconte la geste éphémère…»
ABDELAZIZ KACEM
Abdelaziz
Kacem, poète et essayiste tunisien de langue française et arabe, est né le 23
mars 1944. Il publie plusieurs recueils de poésie dont «Le Frontal»
(Tunis, Edit. M.T.E.- 1983) des essais sur la littérature générale et comparée.
Il reçoit le Grand prix de l’Académie française, en 1998, la Médaille vermeille
du rayonnement de la langue et littérature françaises. Son dernier ouvrage est
«Culture arabe/ culture française – La parenté reniée». Voici un poème
de son recueil :
«Toi héritier d’Éros»
«Toi héritier d’Éros
Sans ailes ni carquois
À travers les passions tombées en
déshérence
Braconnier des zones inexplorées
Semeur de sillons tirés au soc des
éclairs
Sans répit j’ai glané les épis de
ta braise
Depuis le soir où je me suis laissé
duper
Par tes marchands de sable
Le soleil m’a bu jusqu’à la
dernière goutte
Le soleil m’assiège et je n’ai plus
d’ombre
Éros habile escroc des rêves en
mévente
Pour outrage à l’impossible retour
Tu es condamné à mille ans de
souvenirs
Au jour hybride
Sorti de ta morsure dans la masse
ardente
Je t’ai follement aimée nuit qui me
renies
L’oubli chante déjà mes songes
délavés
Et mes bouteilles sont prisonnières
des algues
Dussé-je étouffer aussi le dernier
message
Dans l’inhabitable mémoire
J’enjamberai le cours fluvial des
cycles
Martelant à pas lourds les berges
de l’absence
Je vous appelle
Sons évadés du camp des signes
Comment décrypter les hoquets de
l’ineffable
Dans les buissons défraîchis de l’enfance
Tu as en vain chevauché ce destin
perclus
Mer arable des champs visuels en
jachère
Mer aux yeux rougis par mes veilles
Aucune saignée n’a pu me vider de
l’autre
Ne pourrais-je enfin fermer les
sillons
De ma déveine
Voici venir le galop fantastique
Des avirons fantômes
Voici gronder l’avalanche des ombres
AMINA SAÏD
La
poétesse, écrivaine et traductrice tunisienne de langue française, Amina Saïd
est née en 1953, à Tunis, d’un père tunisien et d’une mère française. Elle
réside à Paris depuis 1979. Mais retourne régulièrement dans son pays où vit
toute sa famille. Elle a étudié la langue et littérature anglaise à la Sorbonne
et a traduit l’écrivain philippin Fransisco Sionil José. Il publie des recueils
de poésie dont «Paysages», «Nuit friable» (Paris, Edit.
Barbare-1980) et «La douleur des seuils», «Marcher sur terre»
(Paris, Edit. la Différence- 1994). Elle reçoit le prix Jean-Malrieu de la
revue Sud (1989), le prix Charles Vitrac (1994) le prix international de poésie
Antonio Viccaro (2004). Dans sa poésie, elle est à la quête du monde et
d’appartenance. Voici des extraits de sa muse inspirés de cette veine :
«L’homme mesure la
distance»
«L’homme mesure la distance
entre le monde et lui
dans le miroir qu’il soulève
pour se donner un visage
le monde ne le regarde pas.
(…)
en tout lieu
régnaient la nuit le rêve
en sa première forme
du ciel déraciné
naquirent le soleil et la lune
l’ombre la lumière
et la sève
et ce désir de créer
entre feu et larmes
le ciel déraciné
nous pûmes toi et moi
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
MAROC : POÈTES
MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 50 : 5
Kamel Zebdi 6
Mohamed Aziz Lahbabi 8
Jean-Pierre Koffel 10
Zaghloul Morsy
12
Abdellah Baroudi 16
Aïssa Ikken
19
PREMIÈRE
PARTIE
MAROC : POÈTES
MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 70 :
20
Mohamed Khaïr Eddine
21
Abdelatif Laâbi
23
Mostafa Nissaboury
25
Abdelmajid Benjelloun
27
Tahar Ben Jelloun 30
Mohamed Loakira
32
Kacem Loubay
35
Mohamed El Jerroudi
38
Abderrahman Benhamza
40
PREMIÈRE
PARTIE
MAROC : POÈTES
MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 80 :
43
Moha Souag
44 Rachida Madani 47
Abderrahmane Laghzali 50
Fatéma Chahid 53
PREMIÈRE
PARTIE
MAROC : POÈTES
MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 90 : 55
Abdellah Bounfour 56
Siham Benchekroun 58
Ridouan Lamkadmi 60
Mohamed Bidi 62
Jalal Hakmaoui
65
Mohammed Hmoudane
67
PREMIÈRE PARTIE
MAROC : POÈTES
MAROCAINS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 2000 :
70
Kamal Zerdoumi 71
Fatima Chbibane Bennaçar
74
Khalid Hachimi Idrissi
77
Rachid Khaless 79
Omar Koussih
82
DEUXIÈME
PARTIE
ALGÉRIE : POÈTES
ALGÉRIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 50 :
84
Mouloud Mammeri
85
Mohammed Dib
90
Malek Haddad
93
Myriam Ben 95
Anna Greki 99
Nadia Guendouz 101
Djamel Amrani
103
Djamel Amrani
103
Assia Djebbar 106
Mourad Bourboune 108
DEUXIÈME
PARTIE
ALGÉRIE : POÈTES
ALGÉRIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 70 : 109
Bachir Hadj Ali
110
Ismaïl Aït Djafer 113
Jamel Eddine Bencheikh
115
Messaour Boulanouar 118
Youcef Sebti 122
Nabil Farès
120
Ahmed Azeggagh 124
Hamou Belhalfaoui
126
Hamid Tibouchi
128
Abdelmajid Kaouah
132
TROISIÈME
PARTIE
TUNISIE : POÈTES
TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 50 : 136
Marguerite Taos Amrouche 137
Claude Benady
139
Abdelmajid Tlatli
141
Hédi André Bouraoui
144
Mario Scalesi 146
TROISIÈME
PARTIE
TUNISIE : POÈTES
TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 70 :
148
Salah Garmadi
149
Sophie Goulli
151
Ali Hamouda 154
Majid El Houssi 156
Salah Khelifa
159
Moncef Ghachem 161
Larbi Ben Ali
163
Tahar Bekri
165
TROISIÈME
PARTIE
TUNISIE : POÈTES
TUNISIENS
DE LANGUE FRANÇAISE
GROUPE DES ANNÉES 80 :
166
Mohamed Aziza Abdelaziz Kacem 170
Amina Saïd
172
Wikipedia : « Hamid
Tibouchi » et extraits de poèmes : «Mille feu d’artifice de chair et
de sang», « Enfant », www.algerie-dz.com , p.1.