LES CONTES ARABES PARAGONS
DES CONTES FRANÇAIS DU VIe AU XXe s.
Pour s’assurer du fait des «contes
arabes parangons des contes français, du VIe au XXe s.» il suffit de
reconnaître a priori le foisonnement intarissable de ce genre littéraire tant
oral qu’écrit avec les études entreprises par l’UNSCO ayant abouti à ce constat
historique: «Nulle civilisation n’a cultivé avec plus de passion que les
Musulmans au Moyen-Âge l’art de conter et de rapporter…». Ce jugement
convient-il toujours au conte populaire dans le monde arabe à la fin de ce
siècle [XXe s.] ? «J.R. », le «Dallassois», n’a-t-il pas
envahi l’imaginaire arabe, tout en chassant les «Contes d’Antar» et du «Zir
Ben Salem»? Quelle structure régit ce conte pour qu’il puisse se perpétuer
et se régénérer d’un siècle à un autre? - « Traditions orales
arabes : Le conte populaire arabe» - www.unesco.org , p.1.
Quant à la question des contes arabes parangon des contes français, elle s’explique
déjà chez la Fontaine, selon Adrien Cart et Melle G. Fournier, en
ces termes: «Car il [La Fontaine] a découvert les conteurs orientaux, et cette
découverte, entre 1672 et 1678, l’a frappé au point qu’il s’imagine que la
plupart de ses sujets viennent de là. Peut-être sous l’influence d’une mode
littéraire – le public s’intéressait à des histoires turques ou arabes… »
- «Fables choisies II», Ed. Classiques Larousse, 1934, pp.6-7. Pour
mieux s’en rendre compte, observons les faits, les contextes et contes exemples
suivants :
I. Faits et contextes ayant présidé à
génération des contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s. :
Du fait, Waël Rabadi remarque le déficit
comparatiste prévalant, à ce jour, dans le domaine des contes arabes et
français entre autres : «Il y a des œuvres occidentales médiévales [v.
françaises et même postmédiévales], internationalement connues, qui n’ont
jamais fait l’objet d’une étude comparative avec des œuvres, non moins
célèbres, du Moyen Orient, alors que nous savons qu’il existe au sein du tissu
intertextuel «des valeurs constantes et des valeurs variables. Ce qui change,
ce sont les noms (et en même temps les attributs) des personnages ; ce qui
ne change pas, ce sont leurs actions, ou leur fonctions…» - «Portraits croisés
d’amoureux légendaires : Tristan et Iseult et Hind et Bchr : étude
comparée de deux récits médiévaux», www.journals.yu.edu.jo ,
p.1. Ce qui nous amène de prime abord à identifier les points de jonction
culturelle qui ont historiquement prévalu dans cette généricité arabe des
contes français multiséculaire, comme suit :
1. L’Andalousie point de jonction
culturelle des contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s. :
En ce qui concerne l’Andalousie point de
jonction culturelle des contes arabes parangons des contes français du VIe au
XXe s., Sigrid Hunke rappelle : «Innombrables sont les brèches par
lesquelles le flot de civilisation issu du réservoir andalou [l’Andalousie] se
déverse su l’Espagne septentrionale puis par-delà les Pyrénées sur le reste de
l’Europe (…). Et puis enfin il y a le flot de moines, prêtres et chevaliers
qui, de France et de Bourgogne, se déverse sans arrêt sur toute la péninsule
ibérique, sans parler de la meute plébéienne qu’on ne manque jamais de
rencontrer là où l’on peut compter sur des combats et leur butin. Quant aux
Juifs ils ne sont ni les derniers ni les moindres intermédiaires. Qu’ils soient
marchands, érudits ou médecins, ils rapportent en Occidents les fruits de la
science et de la littérature arabes et prennent une large part à l’œuvre de
traduction entreprise à Tolède ainsi qu’à sa diffusion. C’est par tous ces
canaux qu’un grand nombre de récits arabes [contes] parviennent en Occident où,
sous un nouveau travesti, ils apparaissent dans les contes, légendes et
ballades d’Europe [v la France].» - «Le soleil d’Allah brille sur l’Occident»,
Ed. Albin Michel, 1963, pp.376-377.
2. L’Italie point de jonction
culturelle des contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s. :
Le même auteur remarque à propos de l’Italie
point de jonction culturelle des contes arabes parangons des contes français du
VIe s. au XXe s. en l’occurrence : «En 1064 par exemple, le légat du pape
Alexandre II «général en chef des troupes romaines» composées de bandes
normandes, françaises, bourguignonnes, se présente soudain devant la place
forte arabe de Barbastro. Après une vaine défense, la garnison se rend, forte
de la promesse qui lui est faite de pouvoir se retirer librement. Mais à peine
les soldats rabes ont-ils abandonné les portes de la vile qu’ils sont massacrés
jusqu’au dernier (…). À lui seul le légat du pape ramène en Italie plus d’un
millier de femmes arabes. En 1064 ! Quelle merveilleuse perspective de
propagande culturelle et d’invasion de chants rimés!» - «Le soleil d’Allah
brille sur l’Occident», Op.cit., p.378.
3. La Normandie, la Bourgogne, la
Provence et l’Aquitaine point de jonction culturelle des contes arabes
parangons des contes français du VIe au XXe s. :
Précisant
dans le même sens, au sujet de la Normandie, la Bourgogne, la Provence et
l’Aquitaine point de jonction culturelle des contes arabes parangons des contes
français du VIe au XXe s., S. Hunke évoque : «D’autres prisonnières
arabes, femmes et jeunes filles, pénètrent par milliers en Normandie,
Bourgogne, Provence et Aquitaine. L’un des vainqueurs, en effet, qui s’en
revient de la conquête de Barbastro avec un riche butin de musiciennes et de
chanteuses n’est autres que le duc Guillaume VIII d’Aquitaine, compte de
Poitiers. Or, ce gentilhomme français a une descendance digne de retenir
l’attention. Par sa fille Inès, il est le beau-père du roi Alphonse VI de
Castille – le «demi-Arabe» - qui, comme nous le savons, à la mort d’Inès
épousera Saïda, la fille de l’un des plus grands poètes andalous. Quant à son
fils, et successeur depuis 1071, le beau-frère d’Alphonse et de Saïd et époux
de d’une princesse d’Aragon, il n’est autre que Guillaume IX, le célèbre
premier troubadour [français] !» - Op.cit., Ibidem.
4. La Sicile point de jonction culturelle
des contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s. :
Quant
à la Sicile point de jonction culturelle des contes arabes parangons des contes
français du VIIe au XXe s., l’orientaliste allemande S. Hunke souligne : «C’est
dans la Sicile des Normands et de Frédéric qu’est né l’Occident moderne dont
l’esprit arabe fut l’accoucheur (…). De cette jonction entre l’Orient et
l’Occident, une vision inédite du monde est née sous les espèces d’une science
laïque nouvelle : la science expérimentale. De cette union, le monde
moderne a tiré ses fondements, tout comme c’est à elle que l’architecture, la
musique et la poésie [les troubadours et les contes arabes] doivent non
seulement certains procédés de style, mais aussi une inspiration neuve et
constructive. Voilà d’ailleurs qui suggère cette autre voie par laquelle les
influences arabes sont parvenue en Occident : l’Espagne [v. la France].» -
Op.cit., pp.302-303.
5. L’Irlande point de jonction
culturelle des contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s. :
À propos de l’Irlande
point de jonction culturelle des contes arabes parangons des contes français du
VIIe au XXe s., , Aboulafia
ibn Sabbah rapporte : «Selon des enseignements transmis oralement par
Noble Drew Ali [1886-1929], le fondateur du Temple de la Science Moorish
d’Amérique : l’Irlande était autrefois une partie de l’Empire Maure
(Moorish); c’est-à-dire que les Celtes étaient Musulmans et il y avaient des
Maures noirs d’Afrique du Nord présents en Irlande. Mais les Maures furent
expulsés par le Christianisme (…). Ensuite, que peut-on faire avec ces croix
celtiques, inscrites avec des bismillah («Au nom de Dieu», mot d’ouverture du
Koran) écrits en arabe koufique, trouvées en Irlande? L’Eglise Celtique, avant
sa destruction par la hiérarchie romaine, avait maintenu un lien étroit avec
les moines-ermites du désert d’Égypte. Il est possible que ce lien a persisté
jusqu’au-delà des 7e/ 8e siècle et que le rôle des moines
a été repris par les Musulmans. Par les Soufi en contact (…). Le savoir païen
celtique a été attaché dans diverses traditions des Romans [des contes] et
spécialement dans le fond arthurien. Encore une fois, nous trouvons dans un
univers de croix-arabo-celtique. Car les Romans [les contes] sont imprégnés de
conscience « islamique». Dans la Mort d’Arthur de Malory et le Perzifal
d’Eschenbach beaucoup de chevalier Sarazins (Musulmans/ Maures) sont dépeints
non en tant qu’ennemis mais alliés des Celtes… » - «La Ligue de l’Épine
Noire», www.search.yahoo.com ,
pp.1-2.
Aussi pourrions-nous
nous convaincre de la réalité de ces contes arabes parangons des contes
français du VIe au XXe s., à travers les textes arabes
et français suivants :
II. Textes illustrant la génération des contes
arabes parangons des contes français du VIIe au XXe s. :
Il va de soi et sans le moindre conteste que les contes arabes ont
hantés les lieux géographiques de l’hexagone où les Arabes se sont fixés et où
ils ont agi comme parangons sur la génération future des contes français. À cet
égard, S. Hunke constate : «En 711, tandis que l’étendard du Prophète est transporté vers l’est jusqu’au-delà de
l’Indus, en Espagne l’empire wisigoth tombe tel un fruit mûr et véreux entre
les mains des guerriers arabes, ceci malgré leur infériorité numérique
manifeste. L’hostilité à l’égard de l’usurpateur Roderic, la haine envers un
clergé fanatique, l’indignation provoquée par l’esclavagisme hérité des Romains
et maintenu depuis lors, ouvrent toutes les portes aux Musulmans. Alors,
presque sans coup férir, ils occupent Narbonne en 720, Carcassonne et Nîmes en
725, remontent ensuite le Rhône et poussent à l’ouest vers Bordeaux.
C’est en 732 seulement que Charles Martel parviendra à stopper leur
avance à l’intérieur de son royaume. La bataille s’engage à Tours et à Poitiers.
Mais la nuit les Arabes, qui viennent de perdre leur chef Abd al-Rahman, se
retirent subrepticement pour aller se retrancher dans Narbonne. Cinq puis sept
ans plus tard Charles Martel devra de nouveau leur livrer combat, à Avignon
d’abord, puis à Nîmes, sans parvenir toutefois à les chasser définitivement du
royaume. Ils se fixent, en effet solidement – et pour près d’un siècle – en Provence,
dans les Alpes occidentales et en Aquitaine, toutes régions où plus tard des
boutures de la civilisation arabe prendront racine [v. les contes]. » - «Le
soleil d’Allah brille sur l’Occident», Op.cit., pp.212-213. D’où ici le
florilège de contes arabes parangons des contes français dont voici des
textes exemples :
1. Exemples du florilège de contes
arabes parangons des contes français du VIe au XIIe s. :
Au sujet de l’exemple du
florilège de contes arabes parangons des contes français du VIe au XIIe s., J.
Bogaert et J. Passeron explicite historiquement : «Les textes les plus
anciens que nous possédons ne remonte pas au-delà du XIIe siècle (…). Ce sont
des personnages historiques du VIIIe siècle que nos auteurs mettent
en scène le plus souvent (…). Mais ce ne sont ni les faits ni les mœurs de ces
siècles révolus que nous y trouvons représentés. Nulle intention de
reconstruction érudite, nul souci de vérité historique. C’est l’esprit
féodal du XIe siècle qui anime nos Chansons de geste [v. contes français],
c’est l’âme aventureuse et dévouée des seigneurs et des petites gens, prêts à
partir pour la croisade (…). Ces «roman de chevalerie» sont inspirés par les
événements du XIe siècle, par les expéditions répétées faites en
Espagne pour en rejeter les Sarrasins [v. contes arabes parangons]…» - «MOYEN-AGE»,
Ed. Magnard, 1954, pp.27-28. En révèlent, à titre d’exemple, la génération de
similarité le conte arabe parangon «Hind et Bchr» (Ère médiévale) et le
conte français «Tristan et Iseult» (XIIe siècle). D’où en
émane la similitude comparative suivante :
a. Le texte du conte arabe parangon
«Hind et Bchr» (VIe s.):
«Il était un jeune nommé Bchr qui
fréquentait souvent le Prophète. Il appartenait à la tribu Bany Ossd ben Abd al-Azy.
Lors de ses allers et retours, il passait par Juhayna : un jour, une fille
(…) nommée Hind le regarda et l’aima. Hind était la fille de Fahd et avait un
mari nommé Sa’ad ben Saïd. Hind avait une grande part de beauté. Les sept
premières lettres échangées avant le moment où Bchr pénètre dans la maison
d’Hind grâce à la ruse de la vieille rebouteuse Djanoub. Aussi, est-ce en
larmes que Bchr, contrit, raconte son aventure à son juge: «Par Dieu, oh
messager de Dieu, je n’ai plus menti depuis que j’ai cru en vous et je n’ai pas
commis l’adultère depuis que j’ai juré qu’il n’y a de Dieu que Dieu». Apprenant
l’attitude de Bchr, le mari d’Hind s’écrit : «Dieu merci ! Il y a
encore dans le pays de Mahomet quelqu’un qui ressemble à l’ami Joseph que la
femme de l’Excellence sollicita de sa personne et qu’il refusa tout net, en
répétant : Je crains le Dieu des mondes». Plus tard, le divorce d’Hind
influence Bchr. Hind, vexée d’avoir été par lui obligée de se justifier devant
le prophète se nourrit de colère contre Bchr. L’amour entré dans son cœur, Bchr
perd l’appétit et meurt, suivi d’Hind en quelques mois. Une fois les amants mis
en terre, il pousse sur leurs tombes des arbustes, toujours forts et vigoureux,
qui s’enlaçant couvrent les tombeaux d’une ombre protectrice.» - «Portraits
croisés d’amoureux légendaires : Tristan et Iseult et Hind et Bchr :
étude comparée de deux récits médiévaux», Op.cit., pp.2-9.
b. Le
texte du conte français «Tristan et
Iseult» (XIIIe s.) :
«Le
roi Marc, de Cornouailles, a chargé son neveu d’aller lui chercher en Irlande Iseult,
la femme dont deux hirondelles lui ont apporté un cheveu d’or et qu’il veut
épouser. Tristan obtient la jeune fille, après avoir délivré le pays d’un
monstre, le Morholt. Mais sur la nef qui revient à Tintagel, la ville du roi
Marc, Tristan vint vers la future reine, demeurée seule avec une petite
servante Brangien, et tâchait de calmer son cœur. Comme le soleil brûlait et
qu’ils avaient soif, ils demandèrent à boire. L’enfant chercha quelque
breuvage, tant qu’elle découvrit par erreur le coutret confié à Brangien par la
mère d’Iseult. Celle-ci but à longs traits, puis le tendit à Tristan qui le
vida. Or, c’était le philtre que la mère d’Iseult lui avait donné pour l’unir
d’un amour inaltérable au roi Marc. Dès lors, les deux jeunes gens éprouvèrent
l’un pour l’autre une passion fatale. Auparavant, Tristan blessé à mort par
Morholt fut conduit par hasard à Iseult qui le guérit par la magie celtique familiale.
Mais, Surpris une fois par le roi Marc, ils
furent chassés du palais. Trois ans plus tard, celui-ci les trouva endormis
sous une hutte dans une forêt. Il consentit à reprendre Iseult la blonde à
condition que Tristan s’exilât. Le jeune homme
alla épouser en Bretagne Iseult aux blanches mains. Enfin blessé pour la
troisième fois, il envoya son beau frère et ami Kaherdin chercher Iseult, sa fée. Une tempête
l’empêcha d’arriver à temps à son chevet. Une voile noire au navire devait
annoncer sa venue et une voie noire son absence. Mais sa femme, qui connaissait
la convention, par jalousie, lui annonça que le bateau portait une voile noire.
Désespéré, Tristan expira. Iseult la blonde débarqua et de douleur mourut sur
le corps de son ami.» - Marcel Braunschvig, «NOTRE LITTÉRATURE ETUDIÉE
DANS LES TEXTES», Lib. Armand Colin, 1925, p.36.
Outre, les ressemblances structurales du
récit, des termes arabes comme «coutret » (gouttes) et Kaherdin (prénom
arabe Khayr Addin : bienfait de la religion) dans le texte français,
incitent, selon W. Rabadi, à tirer plus avant le fil de retrouver les bribes
d’un écheveau originel, voire le conte parangon arabe - «Portraits croisés
d’amoureux légendaires : Tristan et Iseult et Hind et Bchr : étude
comparée de deux récits médiévaux», Op.cit., p.9.
2. Exemples
du florilège de contes arabes parangons des contes français du VIe au XIIIe s. :
Commentant, les contes
versifiés des troubadours et des trouvères français du XIIe et XIIe siècle, Marcel
Braunschvig remarque : «La poésie lyrique est le genre qu’a surtout
cultivé la littérature du Midi de la France (XIIe s.). Et, bien que le Nord
n’ait pas attendu le Midi pour cultive aussi ce genre, il est certain que la
poésie lyrique du Nord (XIIIe s.) a fortement subi l’influence de la poésie
lyrique méridionale (…). Les poètes du Midi s’appelaient des troubadours,
ceux du Nord des trouvères. Troubadours et trouvères étaient des poètes
originaux, tandis que les jongleurs ou ménestrels allaient de ville en ville,
de château en château, chanter des œuvres qu’ils n’avaient pas composées.» - «NOTRE
LITTÉRATURE ETUDIÉE DANS LES TEXTES», Op.cit., pp.60-61. D’où
comparativement les textes arabes et français de cette période suivants :
a. Le
texte du conte arabe parangon «Antar et Abla» (VIe s.):
«Antar appartenait par sa naissance à la tribu des Banû Abs qui se
rattachaient à la grande tribu de Modar;
il était le fils de Chaddâd, fils de Mouâwiya et d’une esclave abyssine nommée
Zabiba ; il devait à sa mère sa couleur noire qui le fit surnommer l’un
des trois corbeaux des Arabes. Sa naissance illégitime l’avait condamné à la
condition d’esclave ; Soumaya, la femme légitime de Chaddâd, avait excité
la haine de son époux contre le bâtard qui en était réduit à garder les
troupeaux et à traire les vaches. Après avoir refusé de prendre part à la
guerre en tant qu’esclave, son père lui dit : «Bas-toi et tu es
libre !». Par la vaillance qu’il déploya à cette occasion en anéantissant
l’armée d’une tribu voisine, il sut conquérir la bienveillance de son père qui
le reconnut pour son fils et l’inscrivit sur les tables généalogiques des Banû
Abs. De ce moment date la vie guerrière d’Antar ; il devient le défenseur
attitré, le plus ferme soutien de sa tribu, à laquelle on reprocha souvent,
dans ce monde aristocratique des bédouins d’avoir un nègre pour protecteur.
Ses prouesses étaient déterminées par le
désir de se rapprocher de sa cousine Abla la potelée dont il était épris et
dont il n’obtint la main qu’après maintes aventures périlleuses et qu’à force
d’héroïsme. Il serait mort, blessé, la nuit, d’une flèche empoisonnée et
jusqu’à son dernier souffle se sacrifiant pour sa tribu et sa femme bienaimée Abla.»
- «Le roman d’Antar», www.cosmovision.com ,
pp.1-3.
b. Le texte du conte français «Aucassin
et Nicolette» (XIIIe s.):
«Aucassin, fils du comte de Baucaire, aime
une jeune esclave sarrasine, Nicolette, mais on père ne consent pas à la lui
donner pour femme. Par dépit, Aucassin refuse de prendre part à la guerre qui
oppose Baucaire et Valence. Sur la prière du comte, Nicolette est jetée en
prison par le «vicomte», dont elle est captive. Aucassin ne sait ce qu’est
devenue celle qu’il aime – et il va, à la ville, trouver le vicomte pour
s’enquérir de Nicolette. Cependant le vicomte de Valence mène durement l’assaut
de Baucaire. Su la promesse que Nicolette lui sera rendue, Aucassin se lance
dans la mêlée ; tout à la pensée de son amour, il se laisse encercler,
mais sort brusquement de sa rêverie et accomplit force merveilles dans une
bousculade très étrangère aux combats courtois ; il fait prisonnier le
vicomte de Valence qu’il traîne par le nasal jusque devant le comte de
Beaucaire ; comme celui-ci refuse encore de lui rendre Nicolette, Aucassin
libère l’ennemi en le priant de faire à Beaucaire le plus de mal possible.
Aucassin, à son tour, est jeté en prison.
Mais Nicolette s’évade, passe au pied de la tour où est détenu Aucassin, se
concerte avec lui et s’échappe dans la forêt où Aucassin, libéré, ne tarde pas
à la rejoindre. Sur son chemin, à la recherche de Nicolette, il rencontre un
bouvier qui se lamente sur la perte de l’un de ses bœufs. Aucassin retrouve
bientôt Nicolette auprès de la loge de feuillage que la jeune fille avait
élevée à un carrefour de la forêt. Puis, Aucassin et Nicolette fuient tous deux
au pays de Torelore, un monde «à l’envers». Au bout de quelques années, ils
sont enlevés par des pirates, mais Aucassin est renvoyé à Beaucaire où il
hérite du trône de ses pères tandis que Nicolette lui revient déguisée en
jongleur. Elle est en réalité la fille du roi de Carthage. Ils couleront
désormais au pays de Beaucaire des jours heureux.» - «MOYEN-AGE»,
Op.cit., pp.157-161.
Suscitant la controverse, le conte arabe parangon «Antar et Abla»
(VIe s.) face au conte français «Aucassin et Nicolette» (XIIIe s.) font
dire à Mario Roques sous la plume de Desnay Fernand : «Pour M. Roques, Aucassin
et Nicolette serait une sorte de mime (…), c’est-à-dire une composition
dramatique dont l’objet (…) est l’imitation de la réalité par le geste et la
voix (…). Quant aux sources du récit, l’éditeur, s’écartant délibérément de
l’opinion qui faisait remonter Aucassin et Nicolette à une origine
byzantine ou arabe… » - «Mario Roques. Aucassin et Nicolette», www.persee.fr ,
p.1.
3. Exemples du florilège de contes
arabes parangons des contes français du VIe au XIVe s. :
Comme
exemples du florilège de contes arabes parangons des contes français du
VIIe s. au XIVe s., il faut citer le conte arabe parangon de «Jeha volant
les oignons» (VIIIe s.) et son correspondant français «Estula» (XIVe
s.). Adil Abderrahim remarque au sujet de Jeha : «Durant des siècles, Jeha
a fait rire les millions d’hommes, il fut l’un des plus rusés et des plus
intelligentes choses qu’avaient tissé les Arabes parmi les légendes et les
contes par ses récits cocasses. Il se nommait Abu al Ghosn Dujayn al Fizazi qui
vécut au 1er siècle de l’Hégire (VIIIe s.). Il fut le contemporain
de l’Etat omeyyade (VIIe s.) et survécut jusqu’au règne de d’Al Mahdi
abbasside. Il passa le plus clair de son temps, 90 ans, à al Kufa. – «Jeha
wa himaruhu… Idhak mina
al qalbi wa taalami al dakaa», www.us.moheet.com, p.1. Ainsi pourrait-on constater la
similarité entre les contes arabe et français suivant :
a. Le texte du conte arabe parangon «Jeha
volant des oignons» (VIIIe s.):
«Un jour, Jeha alla voler des oignons dans
un jardin potager. Il se mit à en remplir les couffins, les chargea sur le dos
de son âne et le poussa à marcher en
direction de la sortie du potager. Au même instant, le propriétaire le surprit
sur le fait et lui dit : «Qu’est-ce que tu es venu faire ici?». Jeha lui
dit : «Observe le silence ! Une forte tempête de sable m’a fait
survoler et m’a jeté ici !». L’autre lui dit : «Admettons ! Nous
pourrions dire que cela est possible; et ces oignons qui les a arrachées du sol
où elles étaient plantées?».
Jeha lui dit : «Une autre tempête
était venue et s’était mise à me faire survoler alors que je m’accrochais à
elles ; il m’en est resté dans les mains. Le propriétaire du potager lui
dit : «Celle-là aussi, passons-la ; et qui a mis les oignons dans les
couffins ?». Jeha lui dit : «Observe le silence ! C’est à quoi
tu m’as trouvé en train de réfléchir. Jeha était pris à son propre piège. Et le
propriétaire lui dit : «Admettons, il ne te reste qu’à le condamna à la corvée de ramasser en
réparation toutes les oignons, comme châtiment de ce délit !».
b.
Le texte du conte arabe parangon «Estula» (XIVe s.):
«Deux mauvais sujet pénètrent une nuit
dans la demeure d’un riche bourgeois pour lui voler, l’un des choux de son
potager, l’autre les brebis de son étable. En entendant le bruit, le bourgeois
envoie son fils appeler le chien de garde, qui avait nom Estula. Le jeune homme
crie : «Estula! Estula!». Le voleur, qui était dans la bergerie, se
croyant appeler par son complice, répond : «Oui, je suis ici !». Effroi
du jeune homme qui s’imagine que le chien a parlé. Le père, prévenu, voit là de
la sorcellerie et fait aussitôt chercher le curé. Celui-ci étant pieds nus,
monte sur les épaules du jeune homme, après avoir revêtu son étole. Le voleur,
qui cueillait les choux, en voyant la forme blanche du prêtre, croit que son
camarade porte un mouton sur le dos et s’écrie : «Vite, jette-le bas, mon couteau
est aiguisé, je vais lui couper la gorge.» À ces mots le curé, convaincu qu’on
l’avait attiré dans un guet-apens, saute à terre et s’enfuit tout éperdu, en
laissant son surplis accroché au pieu, tandis que les voleurs, sans rien
comprendre à cet incident, s’en vont de leur côté, les épaules chargés de
butin.» - «NOTRE LITTÉRATURE ETUDIÉE DANS LES TEXTES», Op.cit.,
p.48.
M. Braunschvig remarque au sujet des contes
français, appelés les fabliaux : «Les fabliaux sont des poèmes assez
courts (…). La plupart ont un caractère satirique (…) ; ils se moquent des
vilains (…) ; ils ont même parfois une attitude peu respectueuse envers
des personnages sacrés… Quelques-uns enfin sont tout simplement de petites
comédies amusantes (Estula,…).» - Op.cit., pp.46-47.
4. Exemples du florilège de contes arabes
parangons des contes français du VIe au XVe s. :
À propos des exemples du florilège de contes
arabes parangons des contes français du VIIe au XVe s., M. Braunschvig écrit à
propos de la farce (dont celle de «Maître Pathelin» : 1464) :
«C’est du XVe siècle que datent les principaux genres de comédies : farces,
sotties et moralités). (…) Les deux plus célèbres sont La Farce de Cuvier
(…) et la Farce de Maître Pathelin…» - Op.cit., pp.98-99. D’où les textes
conjoints arabe parangon et français ci-après :
a. Le texte du conte arabe parangon «Jeha
juge de paix» (VIIIe s.):
«Autrefois, Jeha fut nommé juge de paix de
la ville. Un homme accompagné d’un autre étaient venus chez lui réclamant
justice. Il était debout à la porte de sa demeure avec sa femme. L’homme lui
dit : «Monsieur le juge ! Cet homme m’a dérobé ma marchandise sans me
la payer et a méconnu avoir fait cela à la fin!». Jeha lui a répondu en
disant : «Le droit est de ton côté!». Puis il se tourna vers l’autre et
lui dit : « Et toi que dis-tu de cela ?». Celui-ci lui
dit : « Monsieur le juge, tout cela est pur mensonge!». Et Jeha de
lui répondre : «Le droit est de ton côté !». L’ayant entendu faire,
sa femme lui dit : «Sais-tu que tu es en train de juger ces gens sans
discerner la raison du tord!». Jeha lui réplique en disant : « Le
droit est aussi de ton côté! Ne sais-tu
pas que le juge de paix devait réconcilier les états d’âme et celui qui
réconcilie les états d’âme demeure sans état d’âme!»
b. Le texte du conte français «Maître
Pathelin» (XIVe s.):
«L’avocat besogneux Pathelin, qui a acheté
au marchand Guillaume Joceaume six aunes de drap sans les payer, défend
justement devant le tribunal le berger du drapier, Thibaud Agnelet, accusé
d’avoir tué les moutons de son maître pour les manger. Mais voilà qu’au moment
d’exposer au juge sa plainte contre le berger, Guillaume reconnaît dans
l’avocat d’Agnelet celui qui lui a volé du drap, et embrouille dès lors les
deux affaires, celle du drap et celle des moutons. Impatienté de ne rien
comprendre au récit du drapier, le juge le déboute finalement de sa plainte et
absout le berger, qui, sur le conseil de son avocat, a répondu à toutes les
questions par le seul mot de «bê». Mais quand Pathelin réclamera à Agnelet le
paiement de ses honoraires, celui-ci continuera à répondre par «bê».
En rappel de la veine orale, le conte
parangon arabe, du conte français, M. Braunschvig relève non sans étonnement la
négligence de celle-ci par la transmission littéraire écrite en ces
termes : «Sans doute faut-il penser qu’il existât une littérature orale
dénuée de toute préoccupation artistique, dont fut négligée la transmission. À
partir de 1500, par contre, on assistera à une floraison d’œuvres [v. contes] comiques :
moralités, farces, sotties, monologues, sermons joyeux… Tout Rabelais est là en
puissance, avec la même verve un peu grosse, la même bouffonnerie
jaillissante.» - «MOYEN-AGE», Op.cit., p.260.
5. Exemples du florilège de contes arabes
parangons des contes français du VIe au XVIe s. :
Concernant
les exemples
du florilège de contes arabes parangons des contes français du VIe au XVIe s. et le thème du gigantisme,
Jean-Yves Pouilloux indique notamment : «Le thème du gigantisme s’offre
dans toute sa naïveté, dans toute sa plasticité aussi ; une fois posé le
principe, la réalité des dimensions
exceptionnelles a plutôt tendance à disparaître, même s’il offre au conteur
matière à rire (…). Prétexte à rire, le géant est aussi prétexte à réfléchir,
et le plaisir des nombres n’a pas toujours la naïveté qu’on lui prête (…). La
fantaisie se fait parfois maîtresse de raison.» - «LE GARGANTUA», www.renaissance-france.org ,
pp.1-2. En ce sens, citons le conte parangon arabe et le conte français
suivants :
a. Le texte du conte arabe parangon «Ouraj
bnu Inaq» (VIIIe s.):
«Ouraj bnu Inaq"
(Longues jambe fils de long cou) est le conte populaire ancien marocain d'un
bébé qui vite se fait homme géant et s'érige en défenseur de sa cité contre les
envahisseurs à coups de troncs d’arbres arrachés et de rochers soulevés à tour
de bras. Mais en contrepartie, ses parents et les habitants de la ville doivent
à grands frais entretenir son gigantesque estomac en y mettant toutes leurs
réserves en denrées alimentaires et en tissus aidés des agriculteurs et maîtres
artisans pour lui façonner vêtements coiffes et chaussons à sa taille. Des
armées d’éboueurs doivent à tour de rôle et nettoyer les environs des
immondices qu’il délaisse et qui bouchent les artères de la ville, dès qu'ils
cessent de subvenir à ses énormes besoins. Ceci finit épuiser leurs ressources,
au point que ces parents lui ordonnent de quitter le pays. On raconte qu’il
est-il parti par monts et vallées pour finir ses jours dans une contrée
inconnue où il finit ses jours à vivre de la chasse, de la pêche et de la
cueillette. On ne l’avait plus jamais revu depuis ce jour – in Conte de littérature
orale populaire marocaine ici transcrit (NDL).
b. Le texte du
conte français «Gargantua» (1532) de François Rabelais (XVIe
s.) :
«Adoncques monta Gargantua sus sa grande jument,… Et trouvant
en son chemin un hault et grand arbre (lequel communément on nommoit l'Arbre de
Sainct Martin, pource qu'ainsi estoit creu un bourdon que jadis Sainct Martin y
planta), dist : «Voicy ce qu'il me falloit. Cest arbre me servira de bourdon et
de lance». El l'arrachit facilement de terre, et en osta les rameaux, et le
para pour son plaisir... Gargantua, venu à l'endroict du bys de Vede, feut
advisé par Eudemon que dedans le chasteau estoit quelques restes des ennemys,
pour laquelle chose sçavoir Gargantua s'escria tant qu'il peut : «Estez vous
là, où n'y estez pas? Si vous y estez, n'y soyez plus; si n'y estez, je n'ay
que dire» Mais un ribauld canonier, qui estoit au marchicoulys, lui tira un
coup de canon et le attainct par la tempe dextre furieusement ; toutesfoys
ne lui feist pour ce mal en plus que s’il luy eust guetté une prune. « Qu’est
celà? La vendange vous coustera cher» ; pensant de vray que le
boulet feust un grain de raisin (…). Ponocrates l'adivisa que n'estoient
aultres mouches que les coups d'artillerie que l'on tiroit du château. Alors
chocqua de son grand arbre contre le chasteau. Par ce moyen feurent tous rompuz
et mis en pièces ceulx qui estoient en icelluy." – "Gargantua,
XXXVI », in «Morceaux choisis du XVIe eu XIXe siècles",
Ed. Librairie Delagrave, 1922, pp.11-12.
a. Le texte du conte arabe
parangon «Jeha et le rôtisseur» (VIIIes.):
«Un jour, Jeha est
sorti de sa demeure au souk de la ville où il se mit à se promener en regardant
les étalage de marchandises en se lamentant parce qu’il n’avait d’argent pour
en acheter. Il passa devant une rôtisserie
et y resta longtemps à humer l’odeur de la viande rôtie et à souhaiter
posséder assez d’argent pour en manger. Jeha
pensait s’aventurer et sortir le peu d’argent qu’il avait en poche et s’acheter
de la viande rôtie et en déguster, mais il se ravisa que s’il le faisait il ne
pourrait pas subvenir à ses besoins et à ceux de son foyer le reste du mois! Soudain,
il eut une idée fort intelligente. Il alla vite l’exécuter. Il alla chez le
boulanger, acheta une miche de pain, revint à la rôtisserie et se mit à la découper en bouchées qu’il passa
dans la fumée qui s’en dégage avant de les manger. Il s’imaginait ainsi qu’il
était en train de manger les mangeait avec de la viande rôtie. Et le rôtisseur
l’observait en silence.
Mais lorsque Jeha
voulait partir, le rôtisseur survint et lui demanda le prix du rôti. Jeha lui
dit : «Mais je n’ai mangé pas mangé de ton rôti, comment veux-tu que je
t’en paye le prix ?». Le rôtisseur persiste à réclamer le prix de son
rôti, puisqu’i a profité de sa fumée, et lui dit : «Cette fumée dont tu as
profité de son odeur et de sa saveur avec le pain n’aurait pas existé sans le
charbon de bois et la viande rôtie, c’est pourquoi tu m’en verser le prix!». La
querelle se tourna en empoignade, un agent de police vint et conduisit Jeha et
le rôtisseur au commissariat de police. Les ayant écouté, le commissaire dit à
Jeha : « Tu dois lui payer le prix du charbon et de la viande qui
exhalaient la fumée dont tu as profité!». Là, Jeha eut une idée pouvant de le
sortir de ce pétrin, il sortit un dirham de sa poche et dit au rôtisseur :
« Combien veux-tu pour ce délicieux repas ?». L’homme lui dit :
« J’en veux deux dirhams !». Jeha se saisit du dirham et le frappa
deux fois contre le sol en en faisant entendre le son. <Et dit au
rôtisseur : «As-tu entendu le son des deux dirhams ; encaisse le prix
de ton plat!».
Le commissaire
s’en étonna et dit à Jeha : «Que fais-tu là, comment veux-tu qu’il
encaisse ce son ? ». Et Jeha de lui dire : «C’est ça le prix de
son plat, puisqu’il dit que la fumée ne sort que du rôti, et ce son de deux
dirhams ne sort que du dirham! L’un pour l’autre !» - « Jeha wa bâï3
al chawaâ» - www.kasbahalmontada.com , p.1.
b. Le texte du
conte français «LE FAQUIN, LE RÔTISSEUR ET LE FOU SEIGNEY JOAN (1532) de François
Rabelais (XVIe s.) :
«À Paris, en la
roustisserie du petit Chastelet, au devant de l’ouvrouoir d’un roustisseur, un
faquin mangeoit son pain à la fumée du roust, et le trouvoit, ainsi parfumé,
grandement savoureux. Le roustisseur le laissoit faire. Enfin, quand tout le
pain feut baufré, le roustisseur happe le faquin au collet, et vouloit qu’il
luy payast la fumée de son roust. Le faquin disoit en rien n’avoir ses viandes
endommaigé, rien n’avoir du sien prins, en rien ne luy estre debiteur. La fumée
don estoit question evaporoit par dehors : ainsi comme ainsi se
perdoit-elle ; jamais n’avoit esté ouy que dedans Paris on eust vendu
fumée de roust en rue. Le roustisseur replicquoit que de fumée de son roust
n’estoit tenu de nourrir les faquins, et renioit, en cas qu’il le payast, qu’il
luy bousteroit ses crochetz. Le faquin tire son tribart et se mettoit en
defense. L’altercation feut grande. Le badault peuple de Paris accourut au
debat de toutes pars.
La se trouva à
propous Seigny Joan le fol, citadin de Paris. L’ayant apperçeu, le roustisseur
demanda au faquin : «Veulx-tu, sus nostre different, croire ce noble
Seigny Joan ? – Ouy, par le sambreguoy», respondit le faquin. Adoncques
Seigny Joan [après] avoir leur discord entendu, commanda au faquin qu’il luy
tirast de son baudrier quelque piece d’argent. Le faquin lui mist en main ung
tournoys Philippus. Seigny Joan le print et le mist sus son espaule guausche,
comme explorant s’il estoit de poys;
puys le timpoit sus la paume de sa main guausche, comme pour entendre s’il
estoit de bon aloy ; puis le posa sus la prunelle de son œil droict, comme
pour veoir s’il estoit bien marqué. Tout ce feut fait en grande silence de tout
le badault peuple, en ferme attente du roustisseur et desespoir du faquin. En
fin, le feist sus l’ouvrouoir sonner par plusieurs foys. Puis, en majesté
présidentale, tenent sa marote n poing, comme si feust un sceptre,… toussant
préalablement deux ou trois fois, dist à haute voix : «La cour vous dict
que le faquin qui a mangé son pain à la fumée du roust civilement a payé le
roustisseur au son de son argent. Ordonne la dict cour que chascun se retire en
sa chascuniere, sans despens, et pour cause.» - "Pantagruel, IV, 18 »,
in « Morceaux choisis du XVIe eu XIXe siècles", Op.cit., pp.14-15.
Un parangon traditionnel a présidé à la création du conte
français de Rabelais selon J.-Y.
Pouilloux : «Profitant d’une
tradition déjà ancienne et bien établie, exploitée par « les Grandes et
inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua », parues
en 1532, Rabelais semble s’attacher d’abord à nous convaincre de l’existence de
ses personnages principaux, mais il n’invente, en matière de gigantisme, que
des détails ; il brode sur un thème connu, comme d’autres conteurs ont
essayé avant lui. Pas plus qu’il n’invente ses personnages, ou du moins leurs
silhouettes, il n’innove en matière de forme littéraire : le Gargantua
« s’inspire simplement des romans chevaleresques [v. les contes parangons
arabes], de leurs parodies, de la tradition légendaire et des faits du jour.» -
«LE GARGANTUA», Op.cit., p.1.
6. Exemples du florilège de contes
arabes parangons des contes français du VIe au XVIIe s. :
Pour ce qui est des exemples du florilège de contes arabes parangons des
contes français du VIe au XVIIe s. M. Braunschvig remarque à propos du
conte fable : «Les fables [les contes] indiennes, d’abord écrites en sanscrit,
furent traduites au VIe siècle en vieux persan moderne, au VIIIe
du vieux persan en arabe [contes arabes parangons des contes français], et
enfin au XVIIe du persan moderne en français dans un recueil
intitulé : Le livre des lumières ou la conduite des rois, composé
par le sage Piplay (…). C’est dans ce livre que La Fontaine a connu les
apologues de l’Inde, ainsi que dans un autre recueil en latin du P. Poussines,
publié à Rome en 1666 sous ce titre (…); (Le modèle de la sagesse des
anciens des anciens Indiens).» - «NOTRE LITTÉRATURE
ETUDIÉE DANS LES TEXTES», Op.cit., p.692.
a. Le texte du conte arabe parangon «Le
berger et la cruche de beurre» (VIIIes.) :
«Un berger avait une cruche pleine de beurre
suspendue au plafond de sa hutte. Alors qu’il était assis dans son gourbi au
coucher du soleil, appuyé sur son bâton, il se mit à réfléchir à ce qu’il
ferait du beurre qu’il avait conservé. Il se dit : «Je m’en irai demain avec
le beurre au souk et je le vendrai. J’achèterai avec son prix une brebis grosse
qui mettra à bas d’autres brebis, et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’en aie un
grand troupeau. Puis je louerai n’importe quel
salarier pour garder mes agneaux. Je me bâtirai un grand palais. Et
lorsque mon fils grandira je lui ferai venir un précepteur qui lui apprendra à
lire, à écrire. Je lui ordonnerai de m’obéir et de me respecter. Et s’il ne le
fait pas, je le frapperai de ce bâton. Et il souleva sa main avec son bâton si
haut qu’il cassa la cruche au-dessus de
lui. Le beurre se répandit sur sa tête et tous ses vêtements. Ainsi le projet
s’envola avec les rêves qu’il a en vain caressés. Il se chagrina tant de cette
perte et se dit : «C’est la récompense de celui qui écoute ses folles
imaginations !» - «…Qum min tahi al jarrati !», www.dafatiri.com ,
p.1.
b. Le texte du conte français «La
laitière et le pot au lait» (1580) de Jean de La Fontaine
(XVIe s.) :
«Perrette,
sur sa tête ayant un pot au lait
Bien
posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère
et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant
mis, ce jour-là, pour plus agile,
Cotillon simple et souliers
plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa
pensée
Tout le prix de son lait, en employait
l’argent ;
Acheter un cent d’œufs, faisait
triple couvée :
La chose allait à bien par son soin
diligent.
Il m’est, disait-elle,
facile
D’élever des poulets autour de ma
maison;
Le renard sera bien habile
S’il m’en laisse assez pour avoir un
cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu
de son ;
Il était, quand je l’eus, de
grosseur raisonnable :
J’aurai, le revendant, de l’argent
bel et bon.
Et qui m’empêchera de mettre en
notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et
son veau,
Que je verrai sauter au milieu du
troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi,
transportée :
Le lait tombe ; adieu veau,
vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d’un
œil marri
Sa fortune ainsi
répandue,
Va s’excuser à son
mari,
En grand danger d’être
battue.
Le récit en farce en
fut fait ;
On l’appela le pot au
lait.
(«Fables
choisies II», Op.cit., p.19)
7. Exemples
du florilège de contes arabes parangons des contes français du VIe au XVIIIe s.
:
Henri Bénac atteste dans la perspective des
exemples du florilège de contes arabes parangons des contes français du VIe au
XVIIIe s. : « Les premiers contes [de Voltaire] (entre 1747 et 1752)
comprend de petits récits qui illustrent une vérité morale (…) : la forme en est
parfois précieuse, l’influence du conte oriental [v. contes arabes parangons] est
très nette, la philosophie surtout morale, témoigne d’un équilibre raisonnable
et indulgent (…). Cependant les derniers contes semblent s’orienter vers des
préoccupations locales : l’Éloge historique de la raison est le
dernier bulletin de victoire de cette lutte contre les charlatans qui dure
depuis plus de vingt ans et comme tous les bulletins de victoire, il nous
paraît aujourd’hui bien optimiste. Mais après avoir triomphé à droite, Voltaire
essaye de se garder à gauche, car sous l’influence de certains encyclopédistes
le matérialisme et l’athéisme se sont développés. Déjà l’Homme aux quarante
écus démasquait, parmi les exploiteurs de la crédulité publique, Needham
qui fabriquait des aiguilles avec de la farine…» - «Romans et contes»,
Ed. Classique Flammarion, 1960, pp. III-VII. D’où en l’occurrence :
a. Le texte du conte arabe parangon «Partage
injuste» (VIIIes.) :
«Un bédouin arabe fut reçu en hôte chez
un citadin qui avait beaucoup de poulets, une épouse, deux garçons et deux
filles. Celui-ci dit à s a femme : »Fais-nous rôtir un poulet et
sers-le nous !». Une fois le met arrivé ils s’étaient tous mis à table. Le
citadin poussa le plat vers le bédouin et lui dit : «Partage-le entre
nous !». L’hôte dit : «Je n’excelle pas le partage, mais si vous
consentez, je fais le partage.». Ils lui dirent : «Nous
consentons ! ». Il prit le poulet et lui coupa la tête, et dit : «Le
chef au chef! ». Puis, il coupa les ailes et dit : «Les ailes
aux deux fils !». Ensuite il coupa les cuisses et dit : «Les deux
cuisses aux deux filles !». Il coupa le croupion et «Le croupion à la
vieille !». Et mangea le poulet entier. Le lendemain, le citadin dit à sa
femme : «Fais-nous rôtir cinq poulets !».
Et au moment du repas, le citadin dit à son hôte : «Fais le
partage !». Il leur dit : «Je crois que vous étiez mécontents du partage
de la veille !!». Ils dirent : Non !». Il dit : «Prière
nocturne paire ou impaire ?». Ils lui répondirent : «Impaire !».
Il dit : «Toi et ta femme et un poulet ça fait trois; tes deux fils et un
poulet ça fait trois; et tes deux filles et un poulet ça fait trois !».
Puis, il prit les deux poulets restants pour lui. Il vit que fixions du regard
les deux poulets et dit : «Que regardez-vous, Je suppose que vous êtes
satisfaits de mon partage!». Ils lui dirent : «Faites le partage à la
paire!». Il s’empara des poulets et dit : «Toi, tes deux fils et un
poulet ça fait quatre; la vieille et ses deux filles et un poulet ça fait
quatre ; et moi et trois poulets ça fait quatre !». Et il accapara les trois poulets restants.».
–
Mohamed El Fassi et alii, «Al
Adab wa al Nusus, t.4», Ed. Maktabat al Wahda al Arabiyya,1962, p.52.
b. Le texte du conte
français «Partage juste» (1775) de Voltaire (XVIIIe
s.) :
«Pangloss, Candide, et Martin, en
retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le
frais à sa porte sous un berceau d’oranger. Pangloss qui était aussi curieux
que raisonneur lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait
d’étrangler. « Je n’en sais rien, répondit le bonhomme, je n’ai jamais su
le nom d’aucun vizir (…); amis je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à
Constantinople ; me contente d’y
envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive.» Ayan dit ces mots, il fit
entrer les étrangers dans sa maison ; ses deux filles et ses deux garçons
leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu’ils faisaient eux-mêmes, du
kaïmak piqué d’écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons,
des ananas, des pistaches, du café moka qui n’était point mêlé avec le mauvais
café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles parfumèrent les barbes
de Candie, de Pangloss, et de Martin.
«Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une
vaste et magnifique terre? – Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ;
je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois maux,
l’ennui, le vice, et le besoin.» Candide, en retournant dans sa métairie, fit
de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à
Martin : «Ce bon vieillard me s’être fait un sort bien préférable à celui
des six rois [détrônés] avec qui nous avons eu l’honneur de souper.» - «Romans
et contes», Op.cit., pp.220-221.
L’inversion de la moralité et la quasi
similitude des personnages dans la composition entre le conte arabe parangon et
le conte français font dire à H. Bénac : «Nous comprenons alors qu’il ne faut pas demander
aux Contes l’organisation définitive du meilleur des mondes : il
faut au contraire puiser en eux le courage de ne pas s’endormir et de ne pas et
de ne pas laisser faire du mal.» - Op.cit., p. XII.
Il y
va de même de :
a. Le
texte du conte arabe parangon «Sidi Ben al Abbas et l’envieux» (XIIe
s.) :
«Sidi Ben al Abbas (1129-1204) quitte à 16 ans, Ceuta pour Marrakech
alors accablée, et assiégée par les terribles campagnes militaires almohades
d’Abd al Moumen (1146). Les hagiographies du saint, Sidi Ben al Abbas, indiquent
qu’il grimpa au mont du Jbel Guéliz, où il entama une longue retraite sur ses
pentes désolées. Son compagnon spirituel, un dénommé Messaoud, un maçon,
subvenait à ses besoins matériels. Il fit dès son arrivée une forte impression aupès
des populations désemparées de la cité.
Mais
la renommée du saint est surtout due à ses prêches sur la voie publique,
inhabituelle chez les maîtres soufis qui privilégient généralement l’ascèse et
les causeries entre initiés. Son comportement iconoclaste suscite parfois des
complexités voire l’hostilité des fuqaha (des doctes orthodoxes). Il
vilipende l’avarice des grands, responsables selon lui des fléaux que connaît
le pays comme la sécheresse. Il va jusqu’à mettre en cause le souverain Yaqub
al Mansur lui-même. Or voilà qu’un envieux parmi les gens de la cour qui remit
au sultan un écrit satirique dirigé contre
Yaqub al Mansur prétendument écrit de la main d’Abu al Abbas Sebti.
Celui-ci dut comparaitre dans le cadre d’un procès devant le souverain, pour
hérésie et lèse-majesté.
Or, la pièce à conviction, le faux écrit injurieux contre la personne
royale devait être lu en présence de la cour et du prévenu. Serein et confiant
Sidi Ben Abbas dit sans ambages : « Je suis à la disposition de la justice ;
que l’on lise l’écrit en question pour me confondre !». C’est alors que
les propos injurieux qui y étaient inscrites s’étaient mués en propos
solennellement élogieux. Le souverain en personne en vérifia texte et fut
obligé de s’excuser et d’élargir le saint homme. C’est à l’issue miraculeuse de
ce procès que la légende d’Abu al Abbas Sebti se répandit au Maroc jusqu’aux
confins de l’Andalousie et de l’Egypte. Yaqub al Mansur lui confia alors la direction d’un hospice
d’enseignement et un logement de
fonction de Marrakech. Simple mesure de contrôle politique de son pouvoir
mystique, disent encore ses adeptes aujourd’hui.» - «Abu al-Abbas as-Sabti», www.wikipedia.org ,
p.1-2.
b. Le texte du conte français «Zadig et l’envieux» (1775) de
Voltaire (XVIIIe s.) :
«Zadig est heureux : cela
suffit pour que l’envieux Arimaze lui veuille du mal et cherche l’occasion de
lui nuire. Voici comment il la trouva : un jour que Zadig se promenait
dans son jardin avec une dame et deux amis, il écrivit des vers improvisés sur
les feuilles d’une tablette ; puis, trouvant ces vers détestables, il
déchira la feuille et jeta les deux moitiés dans un buisson de roses. Or,
Arimaze, qui était aux aguets, avait vu cette scène. L’envieux qui resta dans
le jardin, chercha tant qu’il trouva la moitié de la feuille. Elle était
tellement rompue que, que chaque moitié de vers qui remplissait la ligne faisait
un sens, et même un vers d’une petite mesure ; mais par un hasard encore
plus étrange, ces petits vers se trouvait former un sens qui contenait les
injures les plus horribles contre le roi ; on y lisait :
Par les plus grands
forfaits
Sur le trône
affermi,
Dans la
publique paix
C’est le seul
ennemi.
L’Envieux (…) fit parvenir jusqu’au roi
cette satire écrite de la main de Zadig ; on le fit mettre en prison, lui
ses deux amis, et la dame. Son procès lui fut bientôt fait, sans qu’on daignât
l’entendre (…). Telle était la loi à Babylone. On le fit donc aller au supplice
à travers une foule curieux dont aucun n’osait le plaindre, et qui se
précipitaient pour examiner son visage et s’il mourrait avec bonne grâce. Ses
parents étaient seulement affligés, car ils n’héritaient pas. Les trois quarts
de son bien étaient confisqués au profit du roi, et l’autre quart au profit de
l’Envieux.
Dans le temps qu’il se préparait à la mort, le perroquet du roi s’envola
de son balcon, et s’abattit dans le jardin de Zadig sur le buisson de roses.
Une pêche (…) était tombée sur un morceau de tablettes à écrire auquel elle
s’était collée. L’oiseau enleva la pêche et la table, et les porta sur les
genoux du monarque. Le prince curieux y lut des mots qui ne formaient aucun
sens et qui paraissaient des fins de
vers. Il aimait la poésie (…). La reine, qui se souvenait de ce qui avait été
écrit sur une pièce de la tablette de Zadig, se la fi apporter.
On confronta les deux morceaux, qui s’ajustaient ensemble parfaitement.
On lut alors les vers tels que Zadig les
avait faits :
Par les plus grands forfaits
j’ai vu troubler la terre.
Sur le trône affermi, le roi sait tout
dompter.
Dans la publique paix
l’amour seul fait la guerre
C’est le seul ennemi qui
soit à redouter.
Le roi ordonna aussitôt qu’on fît venir
Zadig devant lui, et qu’on sortir de prison ses deux amis et la belle dame. Il
revint, et plut encore davantage. On lui donna tous les biens de l’Envieux qui
l’avait injustement accusé ; mais Zadig les rendit tous ; et
l’Envieux ne fut touché que du plaisir de ne pas perdre son bien.» - «Morceaux choisis du XVIe eu XIXe
siècles", Op.cit., pp.156-158.
8. Exemples du florilège
de contes arabes parangons des contes français du VIe au XIXe s. :
Les exemples du florilège de contes
arabes parangons des contes français du VIe au XIXe s. trouvent déjà leurs
échos dans cette remarque de Charles Martens : «Au XVIIe
siècle, Huet, évêque d’Avranches, auteur de Traité de l’origine des
romans, le premier l’idée que les contes, fruit de l’esprit humain,
inventif et amateur de fictions, devaient être surtout attribués aux orientaux
(en général), ceux-ci étant doués au plus haut point de cette faculté. Cette
vague idée se précisa un peu au siècle suivant et, grâce au succès énorme qui
accueillit les Mille et une nuits, les Arabes furent considérés comme
les principaux inventeurs des contes. » - «L’origine des contes populaires»,
www.www.persee.fr ,
p.1. D’où pour le XIXe siècle par exemple :
a. Le texte du conte arabe parangon «La
flûte magique» (XIIe s.) :
«On dit qu’un village fut infecté de
rongeurs, les rats, au point que ces sales bêtes étaient venu à bout toutes
choses et que les habitants décidèrent d’abandonner le village, et même que
beaucoup d’entre eux l’avaient effectivement quitté pour un village voisin. Et
avant que le peu d’entre eux qui y restait le quittât, le salut leur vint! Il
leur vint un magicien porteur d’une flûte magique! Il se chargea de les
délivrer de ce fléau mortel contre un certain prix. Les gens du village
consentirent à lui donner plus que le prix qu’il avait demandé. Le magicien se
mit à jouer de sa flûte magique entraîna derrière lui tous les rats et les
conduisit jusqu’à la mer où il les noya. Les habitants s’en réjouirent et
firent fêtes.
Le magicien revint réclament ce dont ils
avaient convenu avec lui. Mais ces derniers ne respectèrent pas leurs
promesses, et les renièrent en lui disant : «Ha…ha…, les rats sont noyés;
d’où pourrais-tu le faire revenir à nouveau? Et pourquoi voudras-tu qu’on donne
ce que tu demandes?». Et ils avaient oublié que le magicien peut faire des
merveilles, des bizarreries et des maléfices. Alors, le magicien se vengea
d’eux en se dirigeant vers la mer où il joua de sa flûte magique l’air du
retour. Et les rats revinrent derrière lui et les fit rentrer dans le village
qui avait repris son premier état de village sinistré.» - «Al mizmar al sihri»,
www.ahewar.org ,
p.1.
b.
Le texte du conte français «LE PRENEUR DE RATS» (1829) de Prosper
Mérimée (XIXe s.) :
«Il y a bien des années, les gens de
Hameln furent tourmentés par une multitude innombrable de rats qui venaient du
Nord, par troupes si épaisses que la terre en était toute noire, et qu’un
charretier n’aurait pas osé faire traverser à ses chevaux un chemin où ces
animaux défilaient. Tout était dévoré en moins de rien ; et dans une
grange c’était une moindre affaire pour ces rats de manger un tonneau de blé
que ce n’est pour moi de boire un verre...
Souricières, ratières, pièges, poisons étaient inutiles. On avait fait
venir de Bremen un bateau chargé de onze cents de chats ; mais rien n’y
faisait (…). Bref, s’il n’était venu remède à ce fléau, pas un grain de blé ne
fût resté dans Hameln, et tous les habitants seraient morts de faim.
Voilà qu’un certain vendredi se présente
devant le bourgmestre de la ville un grand homme, basané, sec, grands yeux,
bouche fendue jusqu’aux oreilles, habillé d’un pourpoint rouge, avec un chapeau
pointu (…). Il offrit [au bourgmestre], moyennant cents ducats, de délivrer la
ville du fléau qui la désolait. Vous pensez bien que le bourgmestre et les
bourgeois topèrent d’abord. Aussitôt l’étranger tira de son sac une flûte de
bronze ; et, s’étant planté sur la place du marché, devant l’église, mais
en lui tournant le dos, notez bien, il commença à jouer un air étrange (...). Voilà
qu’en entendant cet air (…) rats et souris, par centaines, par milliers,
accoururent à lui. L’étranger, toujours flûtant, s’achemina vers le
Weser ; ayant tiré ses chausses, il entra dans l’eau suivi de tous les
rats de Hameln qui furent aussitôt noyés…
Mais quand l’étranger se présenta à l’hôtel de
ville pour toucher la récompense promise, le bourgmestre et les bourgeois,
réfléchissant qu’ils n’avaient plus rien à craindre de rats, et s’imaginant
qu’ils auraient bon marché d’un homme sans protecteurs, n’eurent pas honte de
lui présenter dix ducats au lieu de cents qu’ils avaient promis. L’étranger
réclama : on le renvoya bien loin. Les bourgeois firent de grands éclats
de rire à cette menace (…). Le vendredi suivant, à l’heure de midi, l’étranger
reparut sur la place du marché, mais cette fois avec un chapeau de couleur
pourpre, retroussé de façon si bizarre. Il tira de son sac un flûte bien
différente de la première, et, dès qu’il eut commencé d’en jouer, tous les
garçons de la ville, depuis six jusqu’à quinze ans, le suivirent et sortirent
hors de la ville avec lui…
[Les habitants de Hameln] les suivirent
jusqu’à la montagne de Koppenberg, auprès d’une caverne qui est maintenant
bouchée. Le joueur de flûte entra dans la caverne et tous les enfants avec lui.
On entendit quelque temps le son de la flûte ; il diminua peu à peu ;
enfin on n’entendit plus rien. Les enfants avaient disparu et depuis lors on
n’en eut jamais de nouvelles.» - «Chroniques du règne de Charles IX,
chap. I», in «Morceaux
choisis du XVIe eu XIXe siècles», Op.cit., pp.227-229.
Dans la même optique, Ch. Martens
indique : «En 1859, Théodor Benfey traduisit en allemand le Pantchatantra
(recueil de contes indiens provenant de la même source sanscrite que le Calila
arabe) et fit précéder son travail d’une colossale introduction où il édifiait
son système. Il prétendait y établir, non plus seulement le rapport bibliographique
et l’origine indienne des multiples recueils orientaux où puisèrent
vraisemblablement Straparole, Boccace, La Fontaine – mais l’origine indienne de
toutes les histoires populaires, soit qu’elles aient été puisées dans
les recueils traduits au Moyen Âge, soit qu’elles viennent des bords du Ganges
par transmission orale [v. arabe].» - Op.cit., pp.1-2.
c. Le texte du conte arabe parangon «Le Sultan
des Étudiants» (XVIIe s.) :
«Le fête de Soltan Tolba [le Sultan des
Étudiants] fut initiée par le premier sultan alaouite Moulay er-Rachid
(1664-1672) qui fréquentait lui-même les madrasas [les instituts d’études]
avant sa proclamation. Il en résultera une tradition séculaire qui marquera
notamment les villes de Fès et de Marrakech. Le premier acte de parodie,
consiste à élire un «sultan» parmi les étudiants, le second consiste à recevoir
de la part du sultan régnant les insignes de souveraineté. Parmi les attributs
du «sultan» des tolbas, celui d’exiger des redevances, de sceller de son cachet
des dahirs, des édits fictifs, et d’expédier aux dignitaires de l’État et aux
notables des missives aux sujets saugrenus. Cette liberté accordée pour une
semaine aux étudiants sert en quelque sorte les intérêts du sultan régnant en
leur permettant d’étaler publiquement les malversations des agents du pouvoir
(…).
Auparavant, le sultan et ses tolbas
accomplissent l’habituel pèlerinage aux mausolées de deux savants :
l’andalou Ibn ‘Arabi al-Ma’âfirî, fameux qâdî de Séville au XIIe siècle, et le
fassi Sidi Hrazem, également du XIIe siècle, le saint patron des étudiants.
Après quoi, le cortège arrive enfin à sa destination finale, au bord d’Oued
al-Jawâhir. Là, le service d’intendance du palais royal a dressé une
gigantesque ville de tentes, campement démesuré d’une N’zaha [pique-nique] pou
le sultan éphémère et des tolbas en quête de victuailles. La ville de toile a
son pacha, son service d’ordre, sa Mosquée-Jâmi’, les bniqas (offices) des
vizirs et des secrétaires. Au cœur du camp, la grande tente du sultan,
surmontée de l’étincelant jamour aux trois boules en cuivre, burlesquement
défendue par une ligne de canons en carton-pâte…
Les adeptes des confréries religieuses
entament, en fin de journée, leurs mesures extatique ; les professeurs et
les intellectuels parmi les tolbas poursuivent leurs débats littéraires dans
une ambiance conviviale, car il est un fait remarquable qu’à la N’zaha les
barrières habituelles dressées entre maître et disciple tombe ; et c’est
le maître qui donne le ton en proclamant dès le début : «Je suspens ma
qualité de shaykh, et vous, votre condition d’élèves» (…). Il en est ainsi du
sixième jour quand le sultan régnant se présente en personne. C’est alors qu’a
lieu cette curieuse scène : Sultan éphémère et sultan régnant m
l’inversion des rôles. Le sultan régnant se présente devant la tente du sultan
des tolbas qui le reçoit sans quitter son cheval et s’adresse à lui en ces
termes : « D’où viens-tu ? Quel est ton nom et quel est le nom
de ton père ? Qui donc te rends si hardi de pénétrer jusque dans nos
domines…
La harangue se déroule au milieu des rires
et des joies des foules. Mais cela dure quelques minutes à peine, puis la
situation se renverse et la farce s’achève de manière impromptue : le roi
des Tolbas se précipite de sa monture et vient baiser l’étrier du sultan. Après
quoi, c’est le tour du défilé de la h’dyas [la donation] royale : une
bonne somme d’argent pour fêter majestueusement l’ultime journée de fête, des
dizaines de moutons et de bœufs, des centaines de poulets et pigeonneaux, des
kilogrammes de pains de sucres et de thé, des gâteaux aux amandes, des bougies
en quantité… C’est à la veille de la fin des festivités qu’a lieu cette khutba [le
prêche] devant la tente du sultan entouré de son makhzen. Véritable parodie du
prône solennel du vendredi; elle lui emprunte le style qu’elle transpose sur le
mode burlesque et ramène tous ses attributs, à caractère pieux, au domaine des
victuailles.» - Hamid Triki, «Soltan Tolba : ou comment les étudiants
festoyaient…», www.universidadipatrimonio.net,
pp.1-3.
d. Le texte du conte français «LA FÊTE
DES FOUS» (1482) de Victor Hugo (XIXe s.) :
«Le 6 janvier 1482, les Parisiens
s’éveillent au son de toutes les cloches de la capitale. Les bourgeois s’habillent
rapidement et sortent. Ils se dirigent vers la place du Palais de Justice entre
les boutiques aux portes fermées. C’est «la fêtes des fous». Ce jour-là, chaque
année, une pièce de théâtre est jouée à midi précis ; un pape des fous est
désigné par les religieux ; on l’habille en évêque et le peuple est
autorisé à le promener dans les rues en se moquant des chefs de l’église. Le
soir un grand feu est allumé sur la place de l’Hôtel-de-Ville, la célèbre place
de Grève, en dessous du gibet où on pend les condamnés… Si les Parisiens
se dépêchent, c’est que, dit-on, des ambassadeurs étrangers viennent d’arriver.
Ce sont des bourgeois flamands, mais le bruit court qu’ils sont magnifiquement
habillés et qu’ils assisteront aux fêtes (…).
La
salle du Palais de Justice, où va se jouer la pièce de théâtre, est, dit-on, la
plus grande du monde (…). Derrière ce mur, dans l’immense salle, la foule
devient plus épaisse d’instant en instant, et, comme une mer, elle commence à
monter le long des murs, à s’accrocher aux portes, aux fenêtres, aux colonnes,
aux statues. La gêne, l’impatience, l’ennui, la liberté d’un jour de folie, la
fatigue d’une longue attente commencent à rendre tout ce peuple nerveux (…).
Les étudiants qui sont nombreux, font tout ce qu’ils peuvent pour augmenter la
mauvaise humeur générale et piquent, pour ainsi dire, les bourgeois.
- Ah ! dit l’un de ceux-ci, quelle
honte ! Des étudiants qui parlent de cette façon ! De mon temps, on
les aurait battus sur la place publique, brûlés ensuite. Des réponses partent
de tous côtés :
- Quel est l’oiseau de malheur qui parle
ainsi !
- Je le reconnais ; c’est maître
Andry Musnier !
- Le libraire de l’université, qui prend
notre bon argent pour ses mauvais livres !
- Que le diable vous emporte tous !
gronde le bon gros homme.
- Maître Andry, tais-toi ou je tombe sur
ta tête, dit Jehan Frollo, le frère de l’archidiacre de Notre Dame (…).
Le recteur passé, c’est le tour des
professeurs et des médecins. Les étudiants se moquent d’eux (…). Après les
ambassadeurs arrivent des professeurs que les sergents ont empêché d’entrer à
la suite du recteur. Personne ne peut ou
ne veut entendre. Quand le calme est revenu, le mendiant, de sa lucarne, tend
de nouveau son chapeau en criant d’une voix déchirante :
- Pitié messeigneurs !
Les étudiants répètent ce cri. Les
bourgeois veulent faire taire tout le monde. C’est alors qu’un marchand flamand
à la joyeuse figure, Jacques Coppenole, se lève et dit :
-Messieurs les bourgeois de Paris, je ne
sais pas ce que nous faisons ici, je vois bien, sur cette scène, des hommes qui
s’agitent ; mais je ne comprends rien de ce qu’ils disent (…). On nous a
promis une fête des fous. Chez nous, on ne désigne pas un pape, on l’élit.
Voici comme nous faisons : chacun à son tour passe la tête par une lucarne
– il y en a justement une ici – et fait une grimace. Celui qui fait la plus
laide est élu (…).
Tout
à coup, un visage plus extraordinaire encore que le précédent remplit la
lucarne (…). D’un seul mouvement, sans discuter, sans hésiter, sans prendre le
temps d’applaudir, la foule s’élance et le pape d’un jour sort, porté sur des
épaules (…). Alors toute la foule le reconnaît et crie d’une seule voie :
- C’est Quasimodo, le sonneur de
cloches ! C’est Quasimodo, le bossu de Notre Dame ! Bravo
Quasimodo ! vive Quasimodo !...» - «NOTRE DAME DE PARIS», Ed.
Hatier, 1969, pp.9-19.
Ch. Martens affirme : «Pour prouver
ce fait : l’influence de l’Orient et de l’Inde par voie littéraire et par
voie orale, sur la tradition populaire au Moyen Âge (XIe-XIIe
sicles), les orientalistes remarquent : a) l’absence presque complète de
contes dans l’antiquité et dans le haut Moyen Âge ; b) l’apparition des
contes européens coïncidant avec celle des traductions occidentales de ces
recueils et l’établissement de rapports plus intimes entre l’Orient (v. arabe)
et l’Occident (v. français).» - «L’origine des contes populaires», Op.cit.,
p.3.
9. Exemples du florilège de contes arabes
parangons des contes français du VIe au XXe s. :
Dans le cadre des exemples du florilège de
contes arabes parangons des contes français du VIe au XXe s., on pourrait
encore évoquer avec Ch. Martens : « Des groupes de contes indiens qui
ont rayonné autour de leur pays d’origine, et passé par voie littéraire en
Chine, dans le Tibet, chez les Kalmouks,
(de là Siddhi-Kur kamlouk et mogol), principalement en Perse [v.
arabe], arrivent aussi, dans des recueils successivement remaniés, en Europe [v.
en France], s’y répandent fans la vie populaire et – joints aux innombrables
contes transmis de bouche en bouche par migration parallèle [v. l’Andalousie],
- y provoquent une efflorescence d’histoires inconnues jusqu’alors.» - Op.cit.,
Ibid.
a. Le texte du conte arabe parangon «Sindibad
à l’île des monstres» (XIIe s.) :
Sindibad le marin fut un riche parmi les
riches de Bagdad dont la réputation était si grande au temps du calife Haroun
a-Rachid. Il était célèbre par ses
voyages au cours desquels il s’exposa à tant de périls et de risques et
rencontra tant d’horreurs. Sindibad dit : «Après avoir passé une durée
l’esprit tranquille et le cœur reposé des peines de la m«L’origine des contes
populaires», Op.cit., p.3.
er,
des périls et des risques, mon âme aspira au voyage et au grand profit.
J’achetai beaucoup de marchandises et louai avec un groupe de négociant un
bateau qui mit les voiles vers le large.
Nous naviguions d’une mer à l’autre, d’un
pays à l’autre, admirant, vendant et
achetant, jusqu’à ce qu’un vent violent souffla et nous fit perdre la voie.
Nous errâmes dans la mer, sans savoir quelle direction prendre. Nous aperçûmes
au loin une grande île. Nous ne pûmes y arriver et que le capitaine du vaisseau
la voit qu’une lame frappa l’avant du bateau qui replia les voiles et nous
cria : «O passagers du bateau ! Nous sommes finis ; les
destinées nous ont jetés dans l’îles des nains sauvages!».
Le capitaine n’eut pas le temps de finir
sa parole que nous fûmes encerclés par ces nains semblables à des singes dont
la taille ne dépassait pas deux pieds (…). Ils dirigèrent rapidement le bateau
vers la côte de l’île, nous y fîmes descendre, après avoir rompu les cordes de
leurs dents; puis ils s’emparèrent du navire et mirent les voiles vers un lieu
inconnu, en nous nous laissant dans l’embarras. Nous marchâmes dans l’île en
mangeant de ses fruits et ses herbes, et bûmes de ses ruisseaux. Nous y
aperçûmes un grand et haut palais dont la porte était fermée. Nous nous sommes
entraidés pour l’ouvrir et nous y pénétrâmes et nous trouvâmes dans sa cour un
amas d’ossement humains. Cela nous affligea et nous terrorisa.
Nous persistâmes ainsi toute la
journée ; au coucher du soleil, la terre tremble sous nos pieds et nous entendîmes
un écho dans l’air. Puis un géant entra dans le palais, au visage énorme, à la
taille aussi haute qu’un grand palmier, et aux yeux comme rougeoyant des
flammes (…). Il me tâta comme un boucher tâtant l’agneau à égorger et me trouva
faible et chétif. Il prit un autre homme (…) et le rejeta. Ensuite, ce fut le
tour du capitaine du bateau, qui fut gras et large d’épaules, très costaud. Le
géant prit une broche, le transperça, le mit à rôtir sur un grand feu. Une fois
cuit, il le mangea en le déchiquetant de ses griffes et en jetant ses os autour
de lui et s’endormit (…).
Après sa sortie, nous nous mîmes d’accord
pour bâtir une barque (…) et décidâmes de tuer ce grand monstre. Le géant
revint au palais, dîna en dévorant l’un d’entre nous et s’endormit en ronflant.
Nous mîmes deux broches au feu jusqu’à ce qu’elles devinssent rouges comme des
braises et nous les lui enfoncèrent de toutes nos forces dans les yeux. Il
hurla de douleur (…). Nous accourûmes vers la barque. Nous le poussâmes vers la
mer, et montâmes dedans. (…) Mais Non loin de là, nous fûmes assaillis par un
groupe de ses semblables qui nous jetaient de gros rochers. La plupart d’entre
nous y périr et n’en restaient que trois, moi et deux autres. - «Al Qirâatu al Musawaratu, t.2»,
Ed. Maktabat al Wahda al Arabiyya,1932, pp.63-64.
b. Le
texte du conte français «Suzanne et ses noyés» (1921) de Jean
Giraudoux (XXe s.) :
«[Quelque temps avant la guerre de 1914,
une jeune fille de Bellac, SUZANNE, échappe à un naufrage et trouve refuge dans
une île déserte, mais accueillante, du Pacifique où elle vit agréablement parmi
les oiseaux. Mais un jour elle entend tonner le canon (c’est le combat de
Coronel, du 1er novembre 1914) ; puis un noyé aborde à son île,
et bientôt sa solitude va être peuplée de corps jetés par la mer…]. Soudain
(j’eus la terreur d’un philosophe qui sentirait sa pensée non se poursuivre par
chaînons et écluses mais se reproduire en grouillant comme une culture), je des
cadavres aborder partout (…).Je les comptai ; j’en trouvai d’abord
dix-sept, puis seize ; puis le disparu revint. Les uns avaient la tête ;
les autres les pieds tournés vers la mer. De la tête s’envolait toujours
quelque oiseau, plus curieux que sont les oiseaux des visages que des corps
(…). Mais à mesure que le soleil chauffait, cette troupe que je croyais d’abord
uniforme, je la vis se diviser en deux. L’alliance que tous les noyés ont
contre la nuit était rompue.
Il y avait de sortes de tricots, deux
sortes de bérets ; c’est qu’il y avait eu deux navires ; il y avait
deux sortes de têtes, de mains, même dans la mort deux attitudes ; il y
avait deux coupes de cheveux : c’est qu’il y avait deux races… Alors je
vis la guerre. D’abord la compagnie des sept géants à chair blanche, jeunes
tous et de taille égale comme un peuple mythique, les plus défigurés et les
plus gonflés, comme s’ils n’avaient pas, eux, l’habitude de cette mort dans
l’Océan (…) ; et dix corps en basane et en muscles, avec des cous
d’otarie, avec des fils de laiton pour cheveux, de la corne pour ongles, de
l’or pour dents, tous divers ressemblant tous (avais-je donc oublié à quoi
ressemblent les hommes ?) à des chiens, à des chevaux, à des dogues (…),
mais dont presque tous portaient le nom et les aventures, l’un avec la même
Molly de Dakar, l’autre avec toute la bataille de Hastings, un troisième sa vie
décrite depuis le cou en cinq ou six lignes, naissance, engagement, naufrage du
Sunbeam, naufrage du Lady-Grey, et il restait à inscrire sa mort toute
une place réservée jalousement, sans doute des noms de femmes, tout le
sternum.
[Bref,«c’était sept matelots allemands
contre dix de la Grande-Bretagne. » Lorsque Suzanne peut enfin regagner la
France, le Prince Charmant qui éveille cette Belle au bois dormant lui
dit : « Je suis le contrôleur des poids et mesures, Mademoiselle…
Pourquoi pleurer?...]».
-
«Suzanne et le Pacifique », chap. VIII, in Lagarde & Michard, «XXe
siècle», Ed. Bordas, 1966, pp.448-449.
Les versions inverses l’une de l’autre, des
monstres intramuros dans l’île du conte de Sindibad (conte arabe parangon) et du
monstres extramuros, dans l’île de Suzanne (conte français), nous conduisent à
constater avec Ch. Martens, à propos des contes modernes, notamment
français : «Si nous prenons un recueil de contes modernes, par
exemple : les quatre-vingt-quatre contes recueillis par M. Cosquin dans un
seul petit village du Barrois [v. les Arabes en Normandie], nous voyons que ces
récits, apparentés avec d’innombrables contes de tous les pays du monde [v.
l’Andalousie], trouvent aussi, en grand nombre, des similaires dans l’actuelle
tradition orale en Inde [v. le Monde arabe]. La frappante similitude de leurs
versions prouve que chacun d’eux vient de quelque part; elle ne prouve
évidemment pas que ce berceau commun est l’Inde.» - «L’origine des contes
populaires», Op.cit., Ibid.
Pour conclure, on peut dire après ce tour
d’horizon illustratif des «contes arabes parangons des contes français du VIe
au XXe s. », que les preuves sont faites d’une telle réalité, au-delà des
partis pris historico-idéologico-religieux, au-delà de toutes les cécités occultistes et européocentristes. Néanmoins,
nous convenons avec Ch. Martens quant à sa mise en garde contre tout
pharisaïsme à cet égard : «Dédaigneux des interprétations mythiques, il
[Théodor Benfey] déclare – et toute l’école après lui – que la question de
l’origine [v. du parangon] des contes est une question de fait, une
question historique qui peut et doit se résoudre par l’étude critique
des versions, en dehors de tout esprit de système (…). Mais disent les
orientalistes, il est un double fait historique, qui rend ce transport de
l’Inde à l’Europe [v. à la France] hautement probable : c’est la
transmission littéraire qui s’est produite au Moyen Âge, par voie des recueils
orientaux [v. arabes] et la transmission orale qui a dû l’accompagner [v.
l’Andalousie, le Midi de la France, etc.].» - «L’origine des contes populaires», Op.cit.,
p.3.
Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED