«Zéjeles de Las dos orillas» : Une
petite anthologie d’un trio
poétique
zégéliste du Portugal, d’Espagne et du Maroc
Pour la première fois
vient de paraître sous les Presses d’Edita Estrechando, à Tétouan 2013, «Zéjeles
de Las dos orillas» (Les Zajales des deux rives), une petite
anthologie d’un trio poétique zégéliste luso-hispanophone des poètes Maria do
Sameíro Barroso (du Portugal), Patricío González García (d’Espagne) et Mohamed Ahmed
Mgara (du Maroc) – in 14,50x20, 62 p. Le prologue de l’œuvre souligne
sciemment : «On pourrait parler d’une résurgence du zajal dans cette
nouvelle Andalousie, ou bien d’une simple réunification du champ créatif et
intellectuel de la Péninsule.» (p.3). Or, décrivant le zajal d’origine
arabo-andalou, G. Cirot et M. Darbord indiquent notamment : «L’influence
arabe sur la lyrique castillane semble s’être produite par la diffusion d’un
type de chansons, appelées zejel, qui n’est pas nécessairement d’origine
orientale et a pu naître sur le sol andalou, dans sa forme populaire. Le zejel
le plus courant, dont la moaxaha [la muwachaha] est une forme plus
érudite, et constituée par des strophes de quatre vers, de 6, 8, 10 ou 12
syllabes, dont les trois premiers (tristique monorime) riment entre eux, et le
dernier avec les deux vers à rimes constantes du refrain. Ce dernier se chante
en chœur avec accompagnement.» - «LITTÉRATURE ESPAGNOLE EUROPÉNNE», Paris, Ed. Armand Colin, 1956,
p.26.
Certes, l’ouvrage se compose de trois
parties respectivement : 1) MARIA DO SAMEIRO BARROSO (9 poèmes), 2)
PATRICIO GONZALEZ GARCIA (15 poèmes), 3) MOHAMED AHMED MGRA (15 poèmes). Le
prélude reconnaît par ailleurs le mérite de Patricio Gonzalez initiateur d’une
telle résurgence en Andalousie en signalant : «Patricio Gonzalez porte
l’illustre pari à faire récupérer par l’Andalousie ce moyen d’expression
populaire authentiquement séculaire. Tout cela est né en 2009, lors de sa
présence à Dar Sanaa – Escuela de Artes y Oficios Tradicionales ubicada
-, à Bab Okla, dans la cité de Tétouan, au cours d’une rencontre de zajalistes
pendant laquelle ont eu lieu des lectures et des activités parallèles.»
(Ibid.). Pour illustrer cet effort de renaissance zajaliste luso-hispanique, et
en donner un avant-goût charmeur, faisons un bref aperçu illustré des maîtres
artisans cette initiative luso-hispano-marocaine hautement exemplaire, à travers
la contribution de notamment :
+ MARIA SAMEIRO BARROSO (BRAGA,
PORTUGAL, 1951) :
La pôétesse portugaise Maria do Sameíro
Barroso est née en 1951, à Braga. Elle est diplômée en philologie allemande, en
médecine et chirurgie de l’Université de Lisbonne. Elle est membre du Pen Club
portugais. Initialement dédiée à la poésie, elle élargit son activité à la
traduction d’auteurs allemands et en histoire de la médecine. Elle a écrit «Le
Crimson de coquelicot» (1987), «La Litanie rose » (1997), «Poèmes
soir incomplet» (2010), etc. Ainsi, de «Zéjeles de Las dos orillas»,
citons d’elle par exemple :
ZÉJEL
À SILVES
«Lys et parole, fleur de lumière,
caverne de feu et éblouissement.
Comme une émeraude noire
traque sa proie,
la nuit demeure de fièvre,
parce que à Silves, en ses ruines,
vit le roi Al Mutamid.
En ses patios de soie et de fraîcheur
De sa belle douceur,
Avaient vécu Maures et poètes
Guerriers de fer et de prophéties,
C’est pourquoi à Silves, en ses
ruines
Vit le roi Al Mutamid.» (p.11).
+ PATRICIO GONZÁLEZ
GARCIA (ALGÉSIRAS, ESPAGNE, 1955) :
L’écrivain et poète espagnol, Patricio González
Garcia est né en 1955, à Algésiras. Il a été ancien maire d’Algésiras, pendant
trois mandats (12 ans), député
provincial et directeur des relations avec le Nord du Maroc, par le biais de
Las dos Orillas Fondation (la Fondation des Deux Rives). Il est actuellement à
la retraite suite à une maladie cardiaque majeure. Il a donné des conférences
notamment à l’Université Abdelmalek Essaadi de Tanger-Tétouan, à l’Université
de Cadix, à l’Université internationale d’Andalousie. Il est aussi le
présentateur d’innombrables livres et d’écrivains, chroniqueur d’information au
‘Phare’, ‘Viva-Campo’ de Gibraltar et à ‘Teleprensa.es’ et commentateur sur ‘Onda
Cero Radio Television’ de San Roque et dans ‘Le hispaniste’ Tetuan. De sa
contribution dans ce même ouvrage, citons par exemple :
EL
DOLOR
«J’ai l’âme chagrinée cette nuit.
Ne te fais aucun reproche.
Cette douleur est intérieure.
De tant de mal comme je rencontre.
Quand dans la nuit je rentre.
La douleur est une prodigalité.
J’ai l’âme chagrinée cette nuit.
Ne te fais aucun reproche.» (p.39).
+ AHMED MOHAMED MGARA (MARTIL, Maroc, 1954) :
Le poète et écrivain polygraphe hispano-arabophone marocain,
Ahmed Mohamed Mgara est né en 1954, à Martil près de Tétouan, au Maroc. C’est
le fils de l’un des archivistes de la Combe Blanche. Il fait ses études
primaires et secondaires à Tétouan et supérieures en Andalousie (Malaga et
Grenade), en génie industriel et social. Il a créé un journal ‘El Eco de
Tetuan’ (1996) et publié des dizaines de livres dont ‘Tetuan… Andalouse charme’
(1997), avec Amour’ (2003),
‘Divagations’ (2005), ‘Les Femmes hispano-marocaines poésie’ (2009),
etc. Il a reçu le premier Prix de la Culture Fondation Mariano Bertuchi
d’Algésiras des deux rives, de la province de Cadix. De ses poèmes au sein de
cette anthologie en tant que représentant de la part morisque, citons à titre
d’exemple :
DE
RONDA À TÉTOUAN
«De Ronda je tiens à mon aimée,
à Tétouan personne ne m’attends.
De la lune je tiens la timidité;
l’apparition par la corniche
plane mon âme de lumière et de rire.
À Ronda retourne une nymphe.
De Ronda je tiens à mon aimée,
à Tétouan personne ne m’attends.
En ses vues on entend des chants
et des siècles d’amour, et en ses
marches,
pour Tétouan, Ronda et autres
demeures.
Morisque chrétienne… bienaimée.»
(p.45).
Or, de ce merveilleux joyau taillé avec tact
par ce trio zajaliste luso-hispano-marocain, soulignons avec force la
renaissance ibérique de ce genre poétique arabo-andalou par excellence, ce dont
A.M. Mgara situe l survivance hispanique
oralo-lyrique, en Amérique latine, arabo-islamique en Afrique du Nord et au
Moyen Orient, et dont pourrait se
réclamer son actuelle résurgence en Espagne, au Portugal et au Midi de la
France. À cet égard, le critique brésilien José Guilherme Merquir
rappelle en particulier : En effet, ‘l’oralité’ qui détermine
l’orientation de la littérature latino-américaine [v. le zajal] et qui est la marque
stylistique du statut social de l’écrivain [v. du poète zégéliste] n’opère pas dans
le domaine de la chosification, nommée ‘la métonymie de la langue’, mais dans
‘le registre de la langue’ (…). Enfin, l’oralité de la littérature créole n’émane
pas d’une translation supposée vers l’art populaire (…). La simplicité n’a pas
entravé l’imitation mécanique permanente des moules transatlantique [v. le
zejel arabo-andalou].» - César Fernabdez Morino : «AMERICA LATINA EN SU LITERATURA », Kuweit, Ed. M.S., 1988, p.258. En un mot, une petite
anthologie interculturelle grandiloquente à saluer et une voie exemplaire à
suivre entre les deux rives du Détroit de Gibraltar et de par le monde.
Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED