LES ARCHETYPES DES CROISADES
DANS LA POESIE AMERICAINE CONTEMPORAINE
Parler de poésie contemporaine aux Etats-Unis d’Amérique, revient à parler, dirions-nous avec Alexis Tocqueville (1805-1859), de la “religion civile” qui foncièrement la sous-tend. De l’avis de Sacvan Bercovitchch, éminent analyste canadien de la littérature américaine de l’Université Harvard: “Aux Etats-Uni, l’idée d’être Américain a toujours été liée à celle d’une identité spirituelle. Autrement dit, être Américain, ce n’est pas seulement être un citoyen de ce pays, c’est aussi être le représentant d’un idéal universel. Et à la place de la Bible, ou plutôt avec la Bible, les Américains ont sanctifié la Constitution. Mais s’ils ont pu faire d’elle leur Bible, c’est à cause des Puritains, pour qui ces idéaux avaient une résonance univeselle (…). C’est pourquoi, au siècle dernier [XIXes.], Tocqueville parlait d’une religion civile aux Etats-Unis.” – “La politique dans le miroir du puritanisme”, www.cjf.qc.ca, p.1.
0. L’hypothèse de travail :
En fait, il s’agirait pour nous ici d’explorer: “les archétype des croisades dans la poésie américaine comtemporaine”. Or, tel que le définit Edmond Rochedieu l’archétype est à la fois image et émotion. Donc, poésie. “Les archétypes, dit-il, sont à la fois image et émotion, à tel point qu’on ne peut parler d’archétype que lorsque ces deux aspects se présentent simultanément.” - “Jung”, Paris, Ed. Seghers, 1974, p.38.
De plus, “l’archétype
des croisades”, remonterait, avance Jean-Louis Sagot-Duvauroux, au premier
conflit “meurtrier” entre Abel et Caïn. “A travers les siècles et les modes de
production, relativement insensibles aux révolutions de l’histoire, écrit-il,
la résonance émotionnelle et poétique de cet archétype, la pensée qu’il
exprime, trouvent un écho répété dans les nostalgies des hommes [l’Antéchrist]
et dans leurs espérances [le Messie].” – “La gratuité”, www.1.libertaire.free.fr,
p.4.
C’est
ainsi qu’on observera chez les poètes américains contemporains: 1) les
archétypes des êtres sacrés et profanes, 2) les archétypes des lieux sacrés et
profanes, et 3) les archétypes des reliques sacrées et profanes.
1- Les achétypes des êtres sacrés
et profanes des croisades dans la poésie
américaine contemporaine:
De façon explicite,
lit-on dans un
article d’ “Oboulo” :“Le paysage
religieux des Etats-Unis [le Nouveau Monde] du fait de leur histoire, se
distingue des autres sociétés occidentales [le Vieux Monde] (…), par sa
capacité à s’adapter et à se transformer: «pays de nouveauté, des réveils
religieux, des croisades…».” – “Religion et politique aux Etats-Unis”, www.oboulo.com,
p.1. Mais, tel que
l’explicite singulièrement le Pr. Edward W. Saïd de l’Université
Columbia, les néoconservateurs
alliés
d’Israël et
les extrémistes chrétiens des USA préparent le second avènement du Messie en Terre
sainte. “L’une des bizarreries de l’alliance entre ces néoconservateurs
zélotes de l’Etat juif et les extrémistes chrétiens, observe-t-il, est que ces
derniers encouragent le sionisme, car il se propose de ramener tous les juifs
sur la Terre sainte en vue du second avènement du Messie.” – “Une autre façon de voir les Etats-Unis”, “Le Monde
diplomatique”, Mars 2003, p.20. Ce qui nous amène à repérer les archétypes
des êtres sacrés et profanes [AESC/
AEPC] des croisades dans la poésie
américaine contemporaine.
A- Les archétypes des êtres sacrés des
croisades chez les poètes américains contemporains:
“C’est
ainsi que, pour E. Rochedieu et Jung, le personnage du héros
[sacré ou profane] que l’on admire et auquel rêvent les jeunes, qui de tout
temps a existé et que l’on retrouve sous de multiples visages, est un
archétypes.” –
Op.cit., p.39. Et c’est le cas notamment des archétypes
des êtres sacrés des croisades [AESC] chez des poètes américains
contemporains, tels que:
+ Vachel
Linsay (1879-1931) dans son poème “Le général
Booth entre au ciel” (1912) où il consacre William Booth (1829-1912), protestant
londonien, fondateur de l’association internationale de l’“Armée
du Salut” (1864),
dont le poète était partisan aux USA (croisé
de l’Evangile d’amour), pour prédire le retour du Messie (l’Agneau
mystique/ le Christ), l’Antéchrist, Jérusalem
(un monde peuplé de Saints avilis, de tueurs, de lépreux, de drogués et de
légions malpropres sur les chemins de la Mort apocalyptique):
“Booth marchait fièrement en tête
avec sa grosse caisse [les croisades]/ (Etes-vous lavés dans le sang de
l’Agneau?)/ Les Saints sourirent gravement et dirent: le voilà./ (Etes-vous
lavés dans le sang de l’Agneau?) [le Messie]/ Suivaient en rang derrière les
lépreux,/ Tueurs dandinant hors des fossés humides;/ Pierreux, blêmes drogués;/
(Esprits encore en proie aux passions, frêles esprits) Saints couverts de
vermine, à l’haleine moisie,/ Légions malpropres des chemins de la Mort
[l’Antéchrist]/./ ( Etes-vous lavés dans
le sang de l’agneau?)” – in “Panorama de la littérature
contemporaine aux Etats-Unis” de John Brown, Paris, Ed. Gallimard,
1954, p.473.
+ Thomas Stearn Eliot
(1888-1965) dans un fragment du recueil: “La Terre vaine” (1922),
où il annonce l’Apocalypse, à travers
les [AESC] de l’Antéchrist, du Messie et du saint (les invaincus aux USA), au
secours des nations d’Asie (Jérusalem) en détresse, en clamant:
“Quand les nations sont en détresse
et que l’anxiété/ Règne aux rives d’Asie [Jérusalem] ou sur les Boulevards
[USA/ Monde]./ La curiosité des humains fouille le passé et l’avenir/ Et se
cramponne à cette dimension. Quant à saisir/ Le point d’intersection du règne
intemporel [l’Apocalyse]/ Avec le temps, c’est là l’occupation du saint -/ Non
pas même
l’occupation: quelque chose qui est donné/ Et reçu, au long du mourir
d’amour d’un temps de vie/ …/ L’allusion à demi devinée, le don à demi compris
est l’Incarnation [Jésus/ le Messie]./…/ Nous qui ne restons invaincus [les
croisés]/
Que pour avoir persévéré;/ Contents en fin de compte si/ Notre reversion
temporelle/ Nourrit (mais pas trop loin de l’if)/ La vie du sol signifiant [le
Monde/ Jérusalem].” – Op.cit., pp.487,489.
+ Marianne Moore
(1887-1972) dans son poème “L’esprit est chose charmante” (1935) à
l’aide duquel elle glorifie le Christ, comme prélude au retour du Messie, à
travers les AESC, des Hérode: Hérode Ier (73-4 av. J.-C.) roi
juif, auquel est imputé le “massacre des Innocents”, destiné à faire
disparaître Jésus nouveau-né ou d’Hérode Agrippas Ier, roi
des juifs (10 ans av. J.-C. – 44 ans apr. J.-C.) à qui Ponce Pilate, procureur
romain de Judée, aurait envoyé Jésus pour le juger. En témoigne ces vers:
“parce qu’une certitude superbe
l’atteste,/ il est une puissance d’un/ grand charme [le Messie]./…/ Il arrache
le voile, arrache/ de ses yeux la tentation, la/ brume que porte le cœur,/ …/
La non-confusion met/ sa confusion à l’épreuve les [les croisades]; il n’est/
pas un serment d’Hérode [l’Antéchrist] qui ne saurait changer [l’Apocalypse].”
– Op.cit., pp.515-517. Ainsi, comme l’observe E. W. Saïd en 2003: “Les
références à Dieu [le Christ/ le Messie] imprègnent la vie de la nation…Le
socle du pouvoir de M. Bush est composé de millions d’hommes et de femmes qui, comme lui, croient (…) être sur terre
pour accomplir l’œuvre de Dieu [les croisades]” – Op.cit., Ibid.
+ Robert Lowell
(1917-1977) dans “Tel un platane au bord de l’eau” (1947) où il chante
sous forme d’AESC la venue messianique du Christ Roi, à Jéricho,
et de Sainte Bernadette Soubious (1844-1879), la paysanne française qui vit la
Vierge dans une grotte de Lourdes (1858, canonisée en 1953) “la tombe avalée par le Christ” sur
“le rempart atlantique” des USA, dans cet extrait:
“D’un Atlantique glacé et les yeux
de Bernadette/ Qui virent Notre-Dame présente à Massabielle/ Qui la virent sur
le roc si droite que sa vision/ Aveuglait les yeux de la raison [le Messie]./
La tombe/ Large ouverte est avalée par le Christ./ O Murs de Jéricho! [L’Antéchrist]
Toutes les rues qui mènent/ A notre rempart atlantique sont chantantes:/
Chante, chante pour la résurrection du Roi [les croisades/ USA]./” - Op.cit.,
p.545.
De la sorte, les AESC dans la poésie
américaine contemporaine corroborent l’archétype du héros mythique décrit par
E. Rochedieu selon Jung: “Pensons par exemple, note-t-il, au vieux mythe universel du héros, qui n’est
somme toute que le développement dramatique de l’archétype du héros que nous
avons évoqué précédemment. Toujours il se réfère à un homme-Dieu [le Messie],
qui triomphe du mal incarné par (…), des démons, et qui libère son peuple
[croisés] de la destruction et de la mort [l’Antéchrist].” – Op.cit., p.46.
B- Les archétypes des êtres
profanes des croisades dans la poésie américaine
contemporaine:
Parallèlement, les archétypes des êtres
profanes des croisades [AEPC] dans la poésie américaine contemporaine sont
avant tout tirés du mythe grec, de l’histoire réelle ou littéraire mythifiées.
J. Brown en reconnaît l’artifice chez
H. Hart. “En tout cas, avise-t-il, cette nostalgie d’un mythe qui apparaît à
travers la poésie moderne, américaine ou européenne, d’un mythe qui donnerait
au poète le principe organisateur de son œuvre (…), est particulièrement
visible dans l’œuvre de Crane. Mais le mythe ne se crée pas de toutes pièces:
il est ou il n’est pas.” - “Panorama…”,
p.283. Or, ces AEPC sont pourtant manifestes chez des poètes américains de la
taille de:
+ Walt Withman
(1819-1892), dans son poème “Un domaine vaste, inexploré” (1855)
où il invite, à travers des AEPC, la Muse à quitter tant la Grèce (Achille,
Enée, Ulysse) que la Palestine (Jérusalem, Jaffa et Moriah) pour l’Amérique
(USA/ le nouvel Jérusalem), un domaine
vaste, inexploré et épicentre d’un monde profane à venir (croisades), en
prônant:
“Viens, Muse, quitte la Grèce et
l’Ionie,/ Je t’en prie, fais une croix [croisades] sur ces comptes
démesurément/ surpayés,/ Cette histoire de Troie et du Courroux d’Achille, les vagabon-
/ dages d’Enée et d’Ulysse [l’Antéchrist],/…/ Fais de même à Jérusalem, place
l’écriteau tout en haut de la/ porte de Jaffa et sur le mont Moriah
[croisades],/…/ Car sache qu’une sphère meilleure, plus neuve, plus active/
t’attend, qu’un domaine vaste, inexploré, te réclame [USA/ Messie]…” – “Panorama”,
p.248.
+ Thomas Strearn Eliot
(1888-1965) dans un fragment du poème “La terre vaine” (1922) dans
lequel il évoque par les AEPC du devin aveugle mythique de Thèbes (Grèce/
l’Orient) Tirésias (le prédicateur/ croisé méconnu) qui, dans l’attente du visiteur
prévu (le Messie), prêche (croisades) en vain
Penthée (l’Antéchrist) qui s’aveugle et en subit le sort.
Vision apocalyptique en corrélation avec la mythification d’un “Bradfordien
milliardaire” (Anglais) de passage chez une trafiquante de la chair démonique, le tout préfigurant le chaos du
monde moderne (l’Antéchrist). Il en prédit
la destinée
dans:
“Moi Tirésias, vieillard aux
mamelles ridées,/ Battant entre deux vies , bien qu’aveugle je vois/ A l’heure
violette, à l’heure tardive qui s’efforce [l’Apocalypse]/…./ Moi Tirésias,
vieil homme aux mamelles ridées,/ De percevoir la scène et de prédire le reste
[croisades],/ Attendant, moi aussi, le visiteur prévu [le Messie]./…/ Au chef
de quelque Bradfordien milliardaire /…/ Quelque chose lui dit que l’instant
était propice/…/ (Quant à moi, Tirésias, j’ai comme pré-souffert/ Tout ce qui
s’accomplit sur ce divan ou lit,/ Moi qui me suis assis au pied des murs de
Thèbes,/ Moi qui suis descendu aux tréfonds des enfers.) /…/ «When lovely woman stoops to folly.»
[L’Antéchrist]” – Op.cit., pp.485,487, Edith Hamilton, “Mythologie”,
Paris, Ed Marabout, 1978, p.58.
+
Randall Jarell (1914-1965) dans son poème “Prisonniers”
(1965) par lequel il met en scène les AEPC à travers l’histoire cyclique
mythifiée des camps de prisonniers de guerre (les trois en bleus/ le gardien en
kaki/ les recrues en treillis/ les noirs visiteurs) purgeant une peine de
captivité
sans fin, des soldats gardiens en kaki
armés et bâillant et de nouvelles recrues (croisés), s’entraînant chacun de son côté à la guerre (
l’Antéchrist), au nom du monde nouveau (USA /le Messie), en y décriant:
“Derrière les barbelés, en train de décharger les poubelles,/ les trois
en bleus sales (le cercle blanc sur le dos/ Signale son froid «Nord», à six
mètres, aux noirs visiteurs tournants/ Du fusil, aux yeux du gardien qui bâille)/
Sont punis toute la journée; pendant des mois et des années,/ Ils continuent à
décharger, à décharger; ils soupirent du soupir/ d’un enfant ou d’un animal – du soupir du désespoir
[l’Antéchrist],/…/ Le gros gardien sombre en kaki, ils regardent la poussière
de la/ plaine brûlante [le Monde],/ Ils regardent les recrues qui courent et
qui rampent dans leurs treillis/ verts, salis et fripés [ les croisés]./ Les
prisonniers, le gardien, les recrues –
tous subissent à leur façon/ un entraînement./ De tels moments, répétés à
jamais, sera fait notre monde nouveau [le Messie].” – Op.cit., p.553. Ceci nous
conduit à explorer les archétypes des lieux sacrés et profanes [ALSC/ ALPC] de
cette poésie.
2- Les archétypes des lieux sacrés et
profanes des croisades dans la poésie américaine contemporaine:
La
notion d’archétypes des lieux sacrés [ALSC] et profanes [ALPC] de
Massachussetts, de Virginie, (Jérusalem), de colons anglais trouvant le salut,
faits de guerre (croisés/ Messie), au pays de l’ouest en devenir sans histoire
ni art (USA/ Jérusalem), déjà perceptible dans le poème de Robert Frost
(1875-1963) “Le don total” (1913) dans lequel il proclamait:
“Le sol était à nous avant qu’il ne nous posséde./ Il était notre sol
plus de cent ans avant/ Que nous fussions son peuple. Il nous appartenait/ Dans
le Massachusetts et dans la Virginie [Terre promise/ USA] ,/ Mais nous restions
Anglais, nous étions des colons [des croisés]/…/ En nous abandonnant, nous
avons trouvé le salut [Messie]/ Et, tel que nous étions, nous nous sommes
donnés/ (Ce don valait maints faits de guerre [croisades])/ Au pays qui, à
l’ouest, déjà prenait réalité,/ Mais encore sans passé, sans art et sans
apprêts,/ Tel qu’il était, tel qu’il deviendrait [le nouveau Jérusalem].” –
Op.cit., p.477. Aussi verrons-nous plus précisément:
A-
Les archétypes des lieux sacrés des croisades dans la poésie américaine
contemporaine:
Dans cette poésie, les archétypes des lieux
sacrés des croisades [ALSC] de se manifestent aussi dans l’optique puritaine de
la religion civile des USA. “Pour les Puritains [américains], indique S.
Bercovitch, le nouvel Israël de l’Ancien Testament [Jérusalem] devenait
chrétien, et la Terre promise s’appelait désormais l’Amérique [USA], un
nom ainsi investi d’une forte charge
symbolique [Apocalypse/ Messie]. ” – Op.cit., p.2. Autrement dit selon Mircea
Eliade:
“L’homme religieux réactualise donc la cosmogonie [l’ALSC/ le
Monde sacré] non seulement toutes les fois qu’il «crée» quelque chose (son
«monde à lui» - le territoire habité – ou une cité, une maison [le monde
profane/ l’Antéchrist], etc.), mais aussi lorsqu’il veut assurer le règne
heureux à un nouveau souverain [USA/ Messie], ou lorsqu’il lui faut sauver les
récoltes compromises, ou mener avec succès une guerre, une expédition maritime
[croisades],etc. ” – “Le Sacré et le Profane”, Paris, Ed.
Gallimard, p.71. Ceci est manifeste chez des poètes américains tels que:
+ Walt Withmam
(1819-1892) dans son poème “Un domaine vaste, inexploré” (1855) où il
convie la Muse à émigrer de Jérusalem, de Jaffa et du mont Moriah [anciens
lieux désacralisés] vers les USA [nouveaux lieux sacrés], en déclamant:
“Suspends l’écriteau «Changement de
domicile» et «A louer»/ sur les rochers de ton Parnasse neigeux [Grèce],/ Fais
de même à Jérusalem, place l’écriteau tout en haut de la/ porte de Jaffa et sur
le mont Moriah [Antéchrist],/…/ Car sache qu’une sphère meilleure, plus neuve,
plus active [USA/ Messie]/ t’attend, qu’un domaine vaste, inexploré, te
réclame…[croisades]/” – “Panorama”, p.248.
+ Thomas
Stearn Eliot (1888-1965) dans un fragment de son poème “Quatre
quatuors” (1935-1942) où il prêche
l’Incarnation du Christ [Messie] et la croisade du saint (USA) contre le
mal [l’Antéchrist], au secours des nations en détresse sur les rives d’Asie (le
Monde/ Jérusalem), en psalmodiant:
“Quand les nations sont en détresse et
que l’anxiété/ Règne aux rives d’Asie ou
sur les Boulevard [Antéchrist]./…/ Le point d’intersection du règne intemporel
/ Avec le temps, c’est là l’occupation du saint [Apocalypse/ croisades]/…/
L’allusion à demi devinée, le don à demi compris est l’Incarnation [Messie]./…/
Nous qui restons invaincus/ Que pour avoir persévéré [croisés/ USA];/ Contents
en fin de compte si/ Notre reversion temporelle/ Nourrit (mais trop loin de
l’if)/ La vie du sol signifiant [Monde/ Jérusalem].” – Op.cit., pp.487-489.
B- Les archétypes des lieux
profanes des croisades dans la poésie américaine contemporaine:
De la même manière, les archétypes des lieux
profanes des croisades [ALPC], le plus souvent mythifiés, sont repérables dans
la poésie américaine contemporaine. C’est aussi l’espace profane de l’œuvre des
hommes sur terre. “Par contre, affirme M. Eliade, ce que les hommes font de
leur propre initiative, ce qu’ils font sans modèle mythique [sacré] appartient
à la sphère du profane…” – Op.cit., p.83. Aussi, les ALPC s’entre-croisent-ils
avec le sacré chez des poètes
américains, comme:
+ Thomas Stern Eliot
(1888-1965) dans “Quatre quatuors” (1943) où il relègue l’histoire du
Vieux Monde profane à la barbarie (l’Angleterre/ l’Antéchrist) et glorifie le
modernisme du Nouveau Monde (USA/ le Messie), pays sans histoire (chapelle
écartée, intemporelle), dans une croisade puritaine contre le vieux monde (pécheur, racheté par
le Christ), lieu profane d’une histoire temporelle, périmé. “Aux Etats-Unis,
explique E. W. Saïd, l’Histoire est expulsée du discours public, le mot
lui-même est synonyme de néant ou d’insignifiance, notamment dans la phrase
méprisante, typique du dédain, «you’re histry» («vous êtes dépassé»)” –
Op.cit., p.20. Aussi T. S. Eliot claironne-t-il:
“Le moment de la rose [rose de
Jéricho/ Moyent-Orient] et le moment de l’if [arbre ornemental/ îlot
méditerranéen-prison d’Etat de François Ier]/ Sont d’égale durée. Un
peuple sans histoire/ N’est pas racheté du temps, car l’histoire est motif
[Antéchrist]/ De moments intemporels [Apocalypse/ Messie]. Ainsi, quand le jour
baisse/ Par un après-midi d’hiver, dans cette chapelle écarté / L’histoire,
c’est maintenant [USA/ Jérusalem] et l’Angleterre [lieu profane périmé/
Antéchrist]./ ” – “Panorama”,
p.274.
+ Ezra Pound
(1885-1972) dans son poème “Portrait d’une femme” (1926) où il campe les
USA / statue de “La Liberté éclairant le monde”, au port de New York
(1886), du sculpteur Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904), par les (ALPC) des
navigateurs (croisés de Londres), en quête de Terre promise, de liberté et de foi puritaine (le nouvel Jérusalem) au
large de la mer des Sargasses (au S-E. de la Floride et à l’est des Bahamas, où
se situe l’île San Salvador découverte, en 1492, par Christophe Colomb, aux
abords du Nouveau Monde), accueillant: taxation, science et trafic exotique, lieu profane, à
l’affût d’une épave possible, que l’esprit gagne à connaître aujourd’hui
(croisades/ Jérusalem). Pound les
glorifie dans :
“Vous êtes, pour l’esprit, notre mer
des Sargasses [le nouveau Jérusalem/ USA]/./ Depuis vingt ans, autour de vous,
Londres déferle/ Et de brillants vaisseaux vous ont versé des droits/ Divers:
idées, ragots, bazar hétéroclite,/ Curieux débris de science et trésors défraîchis
[Antéchrist]./ De grands esprits vous ont recherchée, faute d’autres./ Vous
veniez en second, toujours. Est-ce tragique [Apocalypse]?/ …/ Oh! vous avez
quelque patience. On vous a vue/ Des heures à l’affût d’une épave possible./ On
gagne à vous connaître, aujourd’hui, - largement./ Vous n’êtes pas sans
intérêt, on vient à vous/ Et l’on repart nanti d’un étrange profit/…/ Ambre,
idoles, incrustations rares, aussi:/ Voilà votre trésor, vos richesses.
Poutant,/ Malgré ce butin de mer et de biens caducs,/ Curieux bois détrempés,
nouveautés plus brillantes/…/ Non, il n’est rien, ni pris en bloc ni pris à
part,/ Rien qui soit tout à fait à vous./ Pourtant, c’est vous [USA/ Messie]./”
– Op.cit., pp.491,493.
+ William Carlos Williams
(1883-1963) dans “Le printemps et le reste” (1922) où il mythifie par
des ALPC de lieux naturels, de sites archéologiques (le monde des feuilles
d’arbres, les grottes préhistoriques des Pyrénées, les grottes des Trois
Frères), nostalgie peut-être d’un lieu sacré, refuge des Cathares lors de leur
poursuite par les croisades en France [Jérusalem/ Messie], au XIIe
siècles , ou d’un lieu profane, victime
d’un Hercule éploré [Antéchrist]. “Les Grottes de Lombrive, écrit
Pierre Ripert, sont un important réseau
de galerie (8 km) qui communique avec les célèbres Grottes des Trois- Frères
et de Niaux (…). Fou de douleur, il [Hercule, à la mort de sa bien-aimée
Pyrène] se mit à accumuler des roches, formant un amas imposant, qui s’appelle
depuis la Chaîne des Pyrénées. Dans ces grottes, on peut admirer le Tombeau
de Pyrène et le Trône de Berryx, son père.”- “Alamanach
historique”, Paris, Ed. A.H., 1998, p.157. Ainsi le poète clame-t-il, en voiture:
“Aussi bien je ne fais/ rien
d’extraordinaire/ Je conduis ma voiture [lieu profane/ USA]/ Je pense aux/
grottes préhistoriques/ des Pyrénées/ à la grotte dite/ Les Trois Frères [lieux
sacré et profane/ Messie et Antéchrist].” – “Panorama”, p.527. A
cela s’adjoignent en outre les archétypes des reliques sacrées et profanes des
croisades [ARSC/ ARPC].
3- Les archétypes des reliques sacrées
et profanes des croisades dans la poésie américaine contemporaine:
Certes, les archétypes des reliques des
croisades se perçoivent également, avec
tout leur pouvoir suggestif sacré et profane [ARSC/ ARPC], dans la poésie
américaine contemporaine. “Il est clair, souligne E. Sapir, que le pouvoir de
suggestion que détiennent les symboles tangibles [les reliques] persiste dans
les formes les plus élevées de la religion [les archétypes] qui s’accrochent
aux temples, aux églises, aux reliquaires, aux crucifix…” – “Anthropologie”,
Paris, Ed. Minuit, 1967, p.202. Ceci est aussi visible chez des poètes
américains, tels que:
+ Vachel Lindsay
(1879-1931) dans le poème “Le général Booth entre au ciel” où il
consacre par des [ARSC]: la passion du Christ, symbole du passé (Jérusalem/
croisades) et du futur (l’Apocalypse/ le
Messie) de la “Couronne d’épines”, de l’“Agneau de Dieu” et le “Soldat de Dieu”
(Jésus/ le croisé), dans ce couplet au ton messianique:
“Le Christ vint doucement avec une
robe et une couronne / Pour Bouth le soldat, et la foule s’agenouilla
[l’Antéchrist/ le croisé]./ Il vit le Roi Jésus [Messie/ USA]. Ils étaient face
à face/ Et il s’agenouilla en pleurant dans ce lieu sacré [Jérusalem/
l’Apocalyse]./ (Etes-vous lavés dans le sang de l’Agneau?)/” – “Panorama”,
p.475.
+ Robert Lowell
(1917-1977) dans le poème “Tel un platane au bord de l’eau” dans lequel
il incarne le retour du Christ en Messie
pour rétablir l’ordre divin par le glaive (Croisades) à Babylone qu’est devenue Boston (USA/ le
Monde) sous le joug du mal (l’Antéchrist), dont le verset prophétique se trouve
dans la Bible de Mathieu: “Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le
glaive.” – “Mt.” 10,34-35, www.protestants.org, p.7. Lowell
y présage alors:
“Ténèbres font appel aux ténèbres, et
la honte/ Sous nos fenêtres se meut
dans cette Babel voulue/ De Boston, notre argent seul y règne [Antéchrist]/…/
D’une terre d’attente où s’égare la Vierge [les croisades];/ Des roses
encadrent son visage d’émail/ Où tombent en miettes dans les rues poussiéreuses
[Apocalypse]./ Notre-Dame de Babylone, passe, passe, écarte-toi./…/ Sur les
cités flottantes où ce langage d’or/ Envoûte les maçons de la Tour de Babel/
Qui élève au soleil la cité de demain/ Soleil qui brûle sans arrêt les rues
infernales/ De Boston; l’éclat de tes rayons est un glaive/ Qui frappe celui
qui garde en lui seul le Seigneur [USA/ Messie]./” – “Panorama”,
p.543.
+ Wallace Stevens
(1879-1955), dans le poème “L’identique, à jamais toujours le même”
(1954) où il met en scène les ARSC par le biais de “la vigne des évêques” [la
vigne du seigneur / les croisades de conversions], “la révolution” vaine du
“concile de connaisseurs” (Antéchrist/ le Monde], l’“étain” sur l’”ébène” [le
négrier blanc et le nègre asservi], l’“espoir à venir” [USA/ Messie]. W.
Stevens y scande:
“Aller d’un gâchis/ A l’autre,
quitter le gâchis/ désespéré du passé [l’Antéchrist]/ Pour le gâchis plein
d’espoir à venir /…/ Syllabes grandiloquentes, étain sur ébène [l’Antéchrist/
le Monde],/ Concile dans la vigne des évêques, toute heureuse/ apparence [les
croisades]/ Que la révolution prend pour les connaisseurs [USA/ Messie]…/” –
Bernard Dekle, “Ecrivains américains du XXe siècle”,
Bordeaux, Ed. Nouveaux Horizons, 1973, p.104. Il en va de même des ARPC.
B- Les archétypes des reliques
profanes des croisades dans la poésie américaine contemporaine:
Quant
aux archétypes des reliques profanes des croisades [ARPC], ils se réduiraient
anthropologiquement, suivant E. Sapir, à des symboles sociaux primitifs. “On
connaît, opine-t-il, l’importance des symboles qui sont attachés à des groupes
sociaux. Les slogans politiques, les pavillons nationaux [drapeaux], les
emblèmes des loges maçonniques ou les insignes de la royauté ne sont
aujourd’hui qu’une pâle image du pouvoir attaché aux symboles sociaux par les
sociétés primitives (…). Le totémisme correspond tout à fait à la
représentation que se fait un chrétien sincère de la croix, qu’il identifie dans
son esprit à un système cohérent de pratiques, de croyances et d’émotions
religieuses.” – Op.cit., p.158. Or, ceux sont remarquables chez des poètes
américains, de la trempe de:
+
Vachel Lindsay (1879-1931) dans son poème “Petit
Vademecum des clochards” (1916) où il se portraitise comme un “prêcheur
d’Evangile de beauté” (croisé / Messie profane), sans argent ni bagages, dans
le Sud des Etats-Unis, troquant ses poèmes contre le souper et le gîte
(l’Antéchrist). Il y donne sa formule de sa vie
d’“Évangéliste”, partisan de l’Armée du Salut [USA/ le Monde]. Il y
prône stoïquement:
“1)
pas d’argent et pas de bagages [Antéchrist];/ 2) demander le déjeuner vers 11 h
15;/ 3) demander souper et gîte vers 4 h 45 ;/
4) voyager seul [pèlerin/ Jérusalem];/ 5) être propre, sérieux, chaste,
et bien élevé [croisades];/ 6) prêcher l’Evangile de la beauté [Messie/ USA].”
– “Panorama”, p.258.
+ Walt Whitman (1819-1892) dans son élégie sur “La
mort du président martyr, Abraham Lincoln” (1860) où il exalte son
deuil, à travers les ARPC, d’“une trinité” profane, inchangeable, d’un “retour
du printemps éternel” (Messie/ USA), d’un “lilas” florissant (arbuste odorante
du Moyen-Orient/ Jérusalem), de “l’astre” solaire en baisse trop tôt (l’Antéchrist)
“sur l’horizon nocturne à l’Ouest” (soleil de justice/ Apocalypse) et de
“l’amour du martyr mythifié, toujours sollicité comme un printemps éternel
(croisades). Il fredonne ainsi :
“La dernière fois que les lilas fleurirent dans la cour [Jérusalem/
USA],/ Et que, dans la nuit , à l’ouest, le grand astre, de/ bonne heure,
baissa sur l’horizon / J’ai pris le deuil, et je le prendrai de même à/ chaque
retour du printemps éternel [l’Antéchrist/ le Monde] ./ Printemps éternel, tu
m’apportes une trinité qui ne/ change jamais,/ Le lilas qui fleurit année après
année, l’astre qui/ baisse sur l’horizon à l’ouest, / Et la pensée de celui que
j’aime [croisades/ le Messie]./” – “Ecrivains américains”,
Op.cit., pp.17-18.
+ Richard Wilbur (1921- Encore vivant) dans le
poème “La grâce” (1950) où il
exalte les ARPC de “la chair faite verbe” (l’homme/ le Christ), “profit de la
grâce” (faveur divine/ artifice du chorégraphe russe Valslav Fomitch Nijinsky:
1890-1950/ du cerveau d’Hamlet) ou du“
soldat doué de grâce, non mû par son fusil ” (croisé profane doué de raison).
Le poète mythifie le fusil d’un soldat
profane, dans ces vers:
“Un
goût pour le réflexe animal et léger; la
chair faite Verbe [le Christ]/…/ Et Nijinsky ne connaissait pas les mots qui
formulent les lois/ Qui enseignent à flâner en l’air;/…/ La grâce complexe du
cerveau de Hamlet [l’Antéchrist];/ Toute grâce qui n’est pas barbare implique
un choix/…/ Par la grâce silencieuse de la réticence. Il faut alors/ Se libérer
de tout frein: choisir, défier, sauter, se ramasser, courir [les croisades]…/
Et le soldat admirable, doué de grâce,/ Ne devrait pourtant pas être mû par son
fusil [ soldat de Dieu/ Messie].” – “Panorama”, p.549.
Il
s’avère donc que les archétypes des reliques profanes des croisades [ARPC],
comme ceux des êtres et des lieux – de la poésie américaine contemporaine ne
sont pas sans liens avec les archétypes sacrés des croisades correspondants.
C’est ce qu’affirme M. Eliade à cet égard: “Quel que soit le degré de la
désacralisation du Monde auquel il est arrivé, l’homme qui a opté pour une vie
profane ne réussit pas à abolir le comportement religieux. On verra que l’existence même la plus désacralisée
conserve encore des traces d’une valorisation religieuse du Monde.” – “Le
sacré et le profane”, Op.cit., p.23.
En
conclusion, il faut dire que la poésie américaine contemporaine contient, de
toute évidence, des archétypes des croisades, émanant de ce que S. Bercovitch
voit comme “un nouvel ordre mondial” d’inspiration biblique. “Lorsqu’ils
discutèrent du premier emblème du nouveau pays [USA], note-t-il, Franklin, John
Adams et Jefferson (…), ont envisagé la
traversée de la Mer rouge par les Israélites. Ils n’ont finalement pas retenu
cette idée, mais ils ont adopté l’expression, dans le même esprit, d’un «nouvel
ordre du monde» (New World Order) (…). On pouvait bien sûr prendre à la lettre
cette idée de terre promise, comme c’est par exemple le cas pour les Mormons,
partis chercher Sion dans le désert de l’Utah. Mais on pouvait aussi entendre
cet appel comme une métaphore, une reconstruction symbolique de la Terre
promise [le Monde].” – Op.cit., p.2. Mais, il faut aussi avouer avec le prince séoudien Walid Ibn
Talal l’ignorance des USA par le Monde arabe. “Je sais, dit-il, que, à part
quelques cours et quelques séminaires sur la littérature et la politique
américaines éparpillés parmi les universités du monde arabe, il n’y a jamais
rien eu qui ressemble à un centre universitaire pour l’analyse systématique et
scientifique des Etats-Unis (…). Même pas dans des institutions comme les
universités américaines du Caire et de Beyrouth.” – E.W. Saïd, Op.cit., p.20.
Et il est temps, à notre humble avis, d’y remédier.
Dr. SOSSE
ALAOUI MOHAMMED
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