Dr. MOHAMMED SOSSE ALAOUI
PETITE
ANTHOLOGIE
DES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC1858-1994
TETOUAN
2016
2016
INTRODUCTION
Il est d’emblée évident que le corpus de cette « Petite
anthologie des écrivains francophones au nord du Maroc 1883-1994 »,
exige une mise en exergue de ses repères historico-géographiques des écrivains
francophones, marocains ou non, voire linguistique, au nord du Maroc. Cela
conduit impérativement à ce qui suit :
1. L’aire
historico-géographique des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :
Pour cerner le
repère de l’aire historico-géographique des écrivains francophones, au nord du
Maroc, 1858-1994, il y a lieu de recourir à la thèse de Julien Le Tellier définissant,
en 2006, la recomposition territoriale du nord marocain : «Le Maroc du Nord est découpé en plusieurs
régions administratives et les provinces du Rif sont comprises dans des régions
qui contiennent des entités non rifaines. […] D’une part, à l’ouest, la route
Tétouan - Chefchaouen - Ouazzane. D’autre part, à l’est, la route Nador -
Guercif.
A l’extrémité
occidentale du Rif, seul l’axe reliant Chefchaouen […], via Ouazzane, est assez
bien aménagé. De plus, le pouvoir central a favorisé la convergence vers Oujda
des routes qui partent de Nador. […] Les bretelles récemment aménagées
permettent de relier Nador à Guercif, Taourirt, Berkane et Oujda […]. Pour
tenir compte de l’ensemble […], il faudrait ajouter, aux provinces et
préfectures […] de la péninsule tingitane (région Tanger-Tétouan) […] dans les
provinces de Taounate (et de Taza). […]
P.132» - « Les recopositions territoriales dans
le Maroc du nord », www.archivesouvertes.fr ,
p.127
D’où donc pour
nous ici le repère de l’aire historico-géographique des villes :
Tanger, Tétouan, Chefchaouen, Ouazzane, Alhoceima, Nador, Oujda, Guercif, voire
Figuig, Taourirt, Berkane, Taounate et Taza. D’où les trois axes géographiques
suivants :
- Axe
(I) : Tanger, Larache,
T étouan, Ksar El Kebir, Ouazzane ;
- Axe (II)
: Alhoceima, Taounate, Taza, Chaouen ;
- Axe (III) :
Melillia, Nador, Oujda, Jerada, Taourirt.
2. Les
appartenances historico-géographiques des écrivains francophones au nord du
Maroc 1858-1994 :
Quant au repère
concrnant les appartenances historico- géographiques des écrivains
francophones au nord du Maroc 1883-2015, on peut voir avec Leïla Houari les
écarts entre les écrivains du Maroc, de France et d’ailleurs, dans : « Les
écarts entre l‘écriture de l‘exil [des
écrivains au nord du Maroc] et celle de l‘immigration sont illustrés par les
écrivains maghrébins de langue française [francophones], Driss Chraibi,
Abdelkebir Khatibi entre autres, et les jeunes auteurs d‘origine maghrébine [v.
marocaine du nord du Maroc]. Les premiers sont explicitement maghrébins et de
France, et ils écrivent sur l‘évolution Socio-culturelle de leur pays d‘origine
[au nord du Maroc]. Les seconds écrivent de France, sur la France où ils sont
nés et qui les tient à distance, dans ses périphéries. Le statut d‘immigré empêche
les auteurs de l‘entre-deux de s‘intégrer pleinement aux littératures
nationales de leur pays d‘origine et les distingue profondément des écrivains
européens de souche. Apparaît alors une nouvelle catégorie d‘écrivains
européens, non pas nationaux, mais que j‘appellerai désormais’ de label d‘origine
[au nord du Maroc]. » -
D’où, corpus à l’appui,
l’ébauche d’une possible typologie d’appartenances
historico- géographiques des écivains francophones au nord du Maroc 1883-2015 :
- Écrivains né(e)s et mort(e)s hors du nord du Maroc ;
- Écrivains né(e)s et résident(e)s au nord du Maroc ;
- Écrivains né(e)s et résident(e)s hors du nord du Maroc ;
-
Écrivains né(e)s et mort(e)s hors du nord du Maroc ;
-
Écrivains installé(e)s et mort(e)s au nord du Maroc ;
-
Écrivains installé(e)s et résident(e)s au nord du Maroc ;
- Écrivains marocain né(e)s à l’étranger et mort(e)s au
nord du Maroc ;
- Écrivains marocain né(e)s au nord du Maroc et résident
(e)s à l’étranger ;
- Écrivains étranger(ère)s né(e)s au nord du Maroc et
mort (e)s hors du nord du Maroc ;
- Écrivains étranger(ère)s né(e)s au nord du Maroc et
mort(e)s hors du nord du Maroc ;
- Écrivains marocain(e)s né(e)s au nord du Maroc et résident
(e)s hors du nord du Maroc.
3. La chronologie générationnelle des
écrivains francophones
au nord du Maroc 1858-1994 :
Le repère de la chronologie
générationnelle des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 se
manifeste, selon Dr. Toufik Majidi, à travers l’histoire du colon (Protectorat franco-espagnole :
1912-1956), en explicitant : « Tout comme le français [au sud du
Maroc], la présence de la langue espagnole [au nord du Maroc] dans le champ
linguistique marocain est liée à une histoire de colon, celle du Protectorat
espagnol instauré par le traité du 27 novembre 1912. Ce traité renforça
l’ancrage de la langue espagnole [et de la langue française] dans les zones
Nord (Nador, Tétouan, Tanger) et Sud (Sidi Ifni, Tarfaya, Saquiet El Hamra,
Oued Eddahab).» - «Interculturalité et aménagement linguistique au Maroc :
diversité et identité culturelle », www.gerflint.fr, p.1.
Dans ce sens, Taha
Adnane précise du point de vue générationnel migratoire des écrivains
marocains : « C’est aussi un fait que la perméabilité des Marocains aux
cultures et aux langues écrites va de pair avec leur ouverture sur le monde et
leur curiosité pour les lieux les plus reculés. Et c’est peut-être sous cet
angle qu’il faut considérer la migration des Marocains [v. du nord du Maroc] aux
quatre vents. En ne prenant que la Belgique comme exemple, on constate q ue les
auteurs marocains de plusieurs générations, de genres littéraires différents et
de langues diverses se sont établis dans ce pays et en ont fait leur lieu de
résidence. D’ici, ils alimentent la littérature marocaine [francophone] et
l’enrichissent.» - « La Littérature marocaine : un arbre généalogique
en floraison », www.moussem.be , p.1.
À ce propos,
Viviane H. T. Diamitani remarque notamment : « Ainsi, l’hégémonie
culturelle est véhiculée en vue de maintenir la soumission et l’acculturation
mais surtout en vue d’assurer la domination de la première langue [l’arabe/
l’espagnol] par la seconde [v. le français au nord du Maroc]. Le roman beur de
par son essence est une littéraure d’exil intérieur plutôt qu’une littérature
de l’immigration, car il n’y a d’immigration ou de mouvement migratoire que
d’un espace géospatial à un autre, mais cet exil de beurs est intérieur et
diffère de celui des parents [v. chronologie générationnelle] qui est un exil
géospatial du fait du déplacement de leur sol natal sur un autre sol [au nord
du Maroc]. » - « La pluralité des exilset leur problématique dans la
littérature francophone dans la diaspora nord africaine », www.books.google.fr , pp.4-7.
4. La pluralité des exils et la dispora
interne et externe des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :
Le repère de la pluralité
des exils et la dispora interne et externe des écrivains francophones au nord
du Maroc 1858-1994, nous amène à considérer avec Iem Van Der Poel les pays
d’accueil occidentaux, voir en sus ici : le nord du Maroc : «La
plupart des études critiques qui s’intéressent au lien entre littérature et
diaspora se concentrent sur la terre d’accueil [v. ici le nord du Maroc] plutôt
que sur le pays d’origine. En témoigne, pour ce qui est de la littérature
francophone, Immigration and Identity in Beur Fiction, l’ouvrage d’Alec
Hargreaves qui a fait date, et de nombreuses publications récentes sur
l’émergence d’une littérature migrante dans plusieurs pays occidentaux [v. le
Maroc]. » - « Le drame des harragas vu de près et de loin. Youssef
Amine Elalamy rencontre Hafid Bouazza, Iem Van Der Poel, Université
Amsterdam », www.dare.uva.nl , p.1.
Il ajoute à cet
égard : « Parmi les trois littératures « migrantes » principales du
Maroc (en français, en espagnol et en néerlandais), la littérature
néerlandophone fait figure d’exception pour trois raisons. Pour commencer, et à
l’opposé du français et de l’espagnol qui en tant que langues héritées de
l’époque coloniale, sont toujours en usage au Maroc [Protectorat français/
espagnol au nord du Maroc], le néerlandais est inexistant dans ce pays. Par
conséquent, la littérature marocaine d’expression néerlandaise se limite
strictement aux Pays- Bas. » - Ibid., p.2.
5. Le monolinguisme et plurilinguisme des
écrivains franco- phones au nord du Maroc 1858-1994 :
Le monolinguisme
et plurilinguisme des écrivains franco-phones au nord précolonial du Maroc, 1858-1994,
constitue également un repère, dans la perspective de Francis Manzano disant au
sujet de la situation linguistique et du français au Maroc : « Très
logiquement le français [la francophonie] y a rencontré la langue espagnole,
qui notamment dans le nord du pays semblait relativement bien diffusée, pour
des raisons d’Histoire et de proximité, avant même les protectorats respectifs
de l’Espagne et de la France. Le français semble alors avoir du mal à sortir de
cette zone septentrionale. Il existe à ce moment quatre écoles à Tanger appartenant
à l’Alliance française ou subventionnées par la France. On voit des cours de
français ou des écoles françaises s’ouvrir à Al-Kazar-el-Kébir (…) et à Tétouan
[au Nord du Maroc], ce qui achève de dessiner les contours de la zone «hispanophone»
du Maroc, préparatrice de la pénétration européenne. » - «Sur
l’implantation du français au Maghreb : Système et fractures identitaires
au tournant des XIXe et XXe siècles », www.unice.fr , p.16.
Et le même auteur
de commenter plus loin liant monolinguisme/ plurilinguisme, terrain
d’implantation des écrivains francophones au nord du Maroc en spécifiant :
«Comme on l’a souligné, le français n’était pas arrivé sur un terrain lisse.
Bien au contraire, ce terrain se présentait au XIXe siècle comme une forme de
mosaïque où, aux côtés des langues du Maghreb (berbère, arabe), existaient
aussi bien des langues d’origine étrangère (espagnol, italien, turc) que des
interlectes relativement répandus (lingua franca). […] Mais que les failles
soient anciennes ou créées, […] par la France coloniale, elles sont devenues
peu à peu des traits constants du paysage linguistique [littéraire mono-/
plurilingue] comme on l’a souligné ici, et c’est sur ce type de base,
notamment, que la langue française a pu se légitimer et s’intégrer pour
longtemps au sein du paysage maghrébin [v. marocain]. » - Op.cit., p.40.
6. Le
multiculturalisme et le multiconfessionalisme des écrivains francophones au
nord du Maroc 1858-1994
:
Pour ce qui est du repère du multiculturalisme
et le multiconfessionalisme des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994,
Mechtild Gizmer relève l’unicité et la diversité de linguistiques et
confessionnelles de ces derniers axés sur leur francophonie, tant au nord du
Maroc qu’en exils : « En prenant comme point de départ la définition
de Mathis-Moser (qui est de dire que la littérature française est celle
produite sur le territoire de la France), il conviendrait donc de parler dans
le cas de la « littérature migrante d’origine marocaine [v. via le Maroc]»,
Littérature migrante francophone d’origine marocaine au Québec […]». Mais dans
le cas du Québec il est de coutume de parler justement de « littérature
migrante » qui désigne [...] dès le milieu des années 80, l’apport des
littératures dites ‘ethniques’ à la littérature majeure […]. » - « Littérature
migrante francophone d’origine marocaine au Québec », www.kanada-studien.org, pp.10-11.
De ce fait, le
multiconfessionlisme judéo-musulmano-marocain y est aussi manifeste et c’est ce
que celui-ci souligne en l’occurrence à ce propos au Québec :
« Alors qu’un
certain nombre de Juifs sont partis du Maroc après l’Indépendance en 1956, (une
migration qui s’échelonne jusqu’à la fin des années quatre-vingts avec un temps
fort dans les années soixante), une autre migration, arabe celle-là, n’a
commencé que plus tard. Par ailleurs la migration juive séfarade ne s’est pas
déroulée pour tous de la même manière : alors que les uns sont allés
directement au Canada, d’autres ont fait des détours soit par Israël, soit par
d’autres pays avant d‘atterrir finalement à Montréal ou Québec. Les uns étaient
des écrivains avant leur émigration et le sont restés, les autres ont exercé
divers métiers d’abord et ont trouvé une vocation d’écrivain ensuite. » -
Op.cit., p.11.
En conclusion, cette
« Petite anthologie des écrivains francophones du nord du Maroc 1858-1994»,
constitue en soi une petite somme des écrivains marocains et étrangers francophones du nord du Maroc qui reste à parachever à l’avenir tant du point de vue corpus
que du point de vue critique et historico-littéraire, à multiplier pour d’autres
régions du Maroc et d’ailleurs.
L’auteur
(I)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
AXE
TANGER-LARACHE-
KSAR EL
KEBIR-
TÉTOUAN- OUZZANE
1883-1968
(A)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
NATIFS ET
RÉSIDENTS
À TANGER
1883-1965
Elisa Chimenti
Née le 8 novembre
1883, à Naples, et morte, le 15 août 1969, à Tanger, Elisa Chimenti, fille de Rosario
Ruben, médecin, réfugié à Tunis, avec sa femme Maria Luisa Ruggio Conti, sa fille de quelques mois et Maria Girardi
enceinte. Elisa y parle l'arabe de ses nurses et s’initie aux saintes Écritures
par Rabi Eliezer. En 1890-1899, la famille vit Tanger, où le père sert le sultan
Moulay Hassan Ier, à la veille du Proctectorat. En 1925, Tanger pré-internationale,
abrite une population cosmopolite à majorité musulmane et juive et des réfugiés
de divers pays, hôtes d’un makhzen tolérant. Elle suit son père au Rif et
ailleurs, et voyage en Europe. Diplômée littéraire, elle enseigne à Tanger. Après
un mariage raté, elle écrit Marra, recueil de poésie (1924), et
sur le Maroc : Eves Marocaines (1935), Chants des femmes arabes
(1942), Légendes Marocaines (1950), Au coeur du Harem (1958), Le
Sortilège et autres chants séphardites (1964), Les petits blancs
marocains, feuilleton dans les journaux (1950-1960), etc.
Histoire
du fqih de Tanger El Balia
Un savant avait
épousé une femme jeune et belle, Yamna, qui l’aimait et qu’il aimait. Cesavant
était ambitieux et avide de savoir et après quelques mois de mariage, il
négligea safemme et s’adonna à l’étude de la science de Ghazès et de Giaffar le
Sévillan, car, ilprétendait approfondir le mystère de la vie et de la mort et
commander aux espritsinnombrables qui peuplent les quatre éléments et exercent
une influence tantôt néfaste, surla nature organique et inorganique. Il se fit
initier aux rites obscurs et redoutables quisoumettent les génies à la volonté
de l’homme, pria et jeûna longuement, brûla le santal etl’encens noir et, ayant
tracé le cercle magique qui éloigne les démons, cessa de respirer etattendit :
des animaux gigantesques, des monstres affreux, apparurent à ses yeux étonnés,
et des génies, si beaux, qu’il les prit pour des anges.Une djenia d’une grande
beauté vint en dernier lieu.
Elle enseigna au savant quels esprits apparaissent
aux hommes sous leur forme véritable, et, quelles sont les apparences
querevêtent les démons; lui expliqua comment les premiers ne craignent pas la
lumière, cependantque les autres la fuient ; lui dit quelles gemmes servent à
combattre l’influence des astres,quelles substances font brûler les lampes
éternelles et lui confia le secret de la préparation del’élixir qui prolonge
l’existence des enfants d’Adam au delà des limites naturelles.Séduit par ses
vastes connaissances et sa beauté merveilleuse, le savant prit l’habitude
des’entretenir avec elle, et finit par lui demeurer «enchaîné». Il divorça
Yamna son épouse etgarda la fille des génies, qui fut pour lui une compagne
charmante et dévouée. Elle luiapporta de grandes richesses, l’aida dans ses
recherches, remplit ses nuits de délices, luidonna de beaux enfants et demeura
jeune et charmante à travers la vie.
Vingt ans s’écoulèrent dans le bonheur, puis
le savant sentit un ennui vague, indéfinissablese glisser en lui; un grand
besoin de solitude le prit, et une lassitude de son bonheur trop parfait. Il
eut l’ardent désir d’un bien ignoré et le regret de l’existence triste et
joyeuse qu’iln’avait pas connue et qui est le partage des hommes. Il négligea
ses études, rechercha lasociété des sages et fit de longues promenades pour se
distraire de ses pensées.Un jour qu’il revenait de la campagne, il se sentit
las, eut soif et s’arrêta au bord d’une sourcepour boire. Il vit dans l’eau
transparente et limpide l’image d’un vieil homme aux cheveuxblancs, au visage
douloureux, dans lequel il hésita à se reconnaître.
[...] Il n’osa rentrer chez lui et se
demanda : que dirai-je à Nejma la djenia ? Elle ne peut compatir à ma
peine ni comprendre ma douleur et la crainte que la mort m’inspire, car elle
ignore les tristesses du vieil âge et les regrets de la jeunes se perdue. Elle
est, elle, la fille desgénies presque éternels et moi je ne suis qu’un homme
dont les jours soient comptés avec parcimonie. Il se souvint, alors, de Yamna,
la femme au savoir limité, à la beauté périssable, de Yamna qui pouvait
comprendre l’horreur de la tombe car elle était mortelle et compatir aux
faibles ses et aux malheurs qui sont le partage du serviteur. Il désira
ardemment la voir... Rhazes (Zakarya al-Razi, 865-932), médecin, alchimiste et
philosophe perse. Il s’agit probablement d’Abu Jafar ibn Harun al-Turjali (XIIe
siècle), médecin et alchimiste de Séville.
Èves marocaines, Éd. du Sirocco & Senso Unico,
2010
Ahmed Beroho
Né en 1936, à
Tanger, Ahmed Beroho est un écrivain marocain franco-anglophone, journaliste de
formation et ancien diplomate. Il a étudié à Tanger, à FSEG de Tunis et à
l’université de Floride, USA (1978). Il
a un talent puissant de scénariste, à l’esprit satirique tempéré d’ironie. Il
traite, dans ses écrits, différents aspects de la société tangéroise
dont : l’intégrisme-islamiste et ecclésiastique-, l’histoire, la drogue,
la corruption, le renseignement. Il tend vers une esthétique de la singularité,
de la cocasserie et de l'étrangeté. Il puise aussi son inspiration dans des
faits historiques mêlant le réel à la fiction. Il est l’auteur d’(e) : Une saga à Tanger, trilogie
(1997), Réminiscences (1998), Le Consul et l’Indigène
(1998), Le Général (2008). Sahara marocain et convoitises
algériennes (2015), etc.
Le complot
Tanger -
Ville moderne
10 juillet 1971
13 heures 25
10 juillet 1971
13 heures 25
Les portes des magasins étaient fermées, les rideaux des grands
commerces baissés, la rue déserte : Tanger faisaient la sieste ; la police,
patrouilles pédestres, patrouilles cyclistes, estafettes, faisait tranquillement
ses rondes habituelles.
Aux accès de la ville, des barrages sont dressés : police, gendarmerie et police militaire contrôlaient tout véhicule entrant à Tanger.
Aux accès de la ville, des barrages sont dressés : police, gendarmerie et police militaire contrôlaient tout véhicule entrant à Tanger.
La médina
13 heures 25
13 heures 25
Sur les terrasses des maisons, des femmes et des enfants, des jeunes,
des moins jeunes, des vieillards, qui avaient écouté Radio Rabat diffusant le
communiqué du Conseil de la révolution, orientaient, ahuris, les antennes de
leurs transistors vers rue Goya où se trouve Radio Tanger.
Depuis la diffusion du communiqué de l’adjudant-chef Aqqa par Radio Rabat, Radio Tanger ne cessait d’émettre des chansons à la gloire du roi Hassan II.
Depuis la diffusion du communiqué de l’adjudant-chef Aqqa par Radio Rabat, Radio Tanger ne cessait d’émettre des chansons à la gloire du roi Hassan II.
Radio
Tanger
13 heures 27
13 heures 27
La star marocaine Abdelouahab Doukkali
chantait Habib al jamahir quand il fut interrompu par la voix bien timbrée de
Mostapha Abdellah, l’un des meilleurs journalistes de tous les temps :
«Chers auditeurs, le gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger demande votre aimable attention. »
Aussitôt, la voix chargée d’émotion, le verbe haut, le ton de circonstance, le gouverneur annonça :
« Sa Majesté le Roi, que Dieu le glorifie, est vivant. Il n’a été victime d’aucune agression. Ce que vient de diffuser Radio Rabat est une imposture. »
Mostapha Abdellah reprit le micro :
« Chers auditeurs, vous venez d’écouter le communiqué du gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger. Le Roi, que Dieu le préserve, est vivant. Le communiqué de Radio Rabat est donc une imposture. »
Habib l’jamahir occupa de nouveau les ondes de Radio Tanger pour être encore une fois interrompue par Mostapha Abdellah :
«Chers auditeurs, le gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger demande votre aimable attention. »
Aussitôt, la voix chargée d’émotion, le verbe haut, le ton de circonstance, le gouverneur annonça :
« Sa Majesté le Roi, que Dieu le glorifie, est vivant. Il n’a été victime d’aucune agression. Ce que vient de diffuser Radio Rabat est une imposture. »
Mostapha Abdellah reprit le micro :
« Chers auditeurs, vous venez d’écouter le communiqué du gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger. Le Roi, que Dieu le préserve, est vivant. Le communiqué de Radio Rabat est donc une imposture. »
Habib l’jamahir occupa de nouveau les ondes de Radio Tanger pour être encore une fois interrompue par Mostapha Abdellah :
« Chers auditeurs ! Une dépêche de dernière
minute : "Un contingent d’anciens combattants vient de dégager Radio
Rabat. Dans un bref échange de coups de feu entre les forces loyalistes et les
rebelles, le lieutenant colonel
M’hammed Ababou, noyau dur du coup d’Etat
avorté, et son garde du corps, l’adjudant-chef Aqqa, le prétendu porte-parole
officiel du Conseil de la Révolution, ont été abattus, le général Mohamed
Medouh, membre de la conjuration, s’est suicidé, leurs complices sont arrêtés
ou en fuite :"Vive le Roi !»
Radio
Tanger
13 heures 29
13 heures 29
Radio Tanger diffusait la suite de Habib
al jamahir lorsque Mostapha Abdellah intervint pour la troisième fois, la joie
dans la voix :
« Chers auditeurs, la Sûreté régionale de Tanger nous a, à l’instant, appris l’arrestation du lieutenant-colonel Mohammed Ababou, le frère du précédent. Il était le dernier militaire rebelle à être mis hors d’état de nuire… Vive le Roi ! »
« Chers auditeurs, la Sûreté régionale de Tanger nous a, à l’instant, appris l’arrestation du lieutenant-colonel Mohammed Ababou, le frère du précédent. Il était le dernier militaire rebelle à être mis hors d’état de nuire… Vive le Roi ! »
Le
Complot, Ed. Corail, 2001
David Bendayan
Né en 1941, à Tanger, David Bendayan est né
à Tanger, est un écrivain marocain franco-hispanophone. Après des études au
lycée français, il enseigne dans les écoles primaires et secondaires
tangéroises. Émigre en 1966 au Canada, il poursuit ses supérieures à
l'Université McGill, à Montréal. Il est professeur de français et d'espagnol et
chargé de cours à l'Université de Montréal. Il est l’auteur de : Le
silence et l’aveu dans Mithridate et Phèdre de Racine (1971), Une Jeunesse à
Tanger, roman (2004). Il s'intéresse à la culture sépharade et en écrit une
série d'articles dans la revue La voix sépharade, sous le titre Histoire des
Juifs d'Espagne (2001-2005). Il œuvre au comité culturel francophone de la
Bibliothèque publique juive de Montréal qu’il a aussi présidé. Il publie dans des
revues marocaines : voyage d'Alexandre Dumas à Tanger, Un epílogo a La vida
perra de Juanita Narboni, pastiche du roman du tangérois Angel Vásquez, Noces
juives tangéroises vues par Eugène Delacroix et Alexandre Dumas, etc.
Tanger, terre d'élection
De tout temps, Tanger, terre d'élection, a exercé une puissante
fascination sur ses citadins et ses voyageurs. De Delacroix à Paul Bowles, en
passant par Matisse et Morand, peintres et écrivains ont tous succombé au
charme de ses collines insouciantes. C'est donc dans cette ville mythique que
s'imbriquent mes émerveillements d'enfant, mes émois d'adolescent et mes
désarrois d'adulte.
Aujourd'hui, cet amour se transforme en devoir de mémoire et ma nostalgie revêt la force du témoignage. Toutefois, le lecteur ne saurait trouver dans ces pages ni un récit autobiographique classique, riche en confessions nuancées, ni des images, des esquisses de choses vues de l'extérieur, impassiblement. J'y ai cherché surtout à reconstituer, à travers des jeux de mémoire, un univers disparu à tout jamais.
Aujourd'hui, cet amour se transforme en devoir de mémoire et ma nostalgie revêt la force du témoignage. Toutefois, le lecteur ne saurait trouver dans ces pages ni un récit autobiographique classique, riche en confessions nuancées, ni des images, des esquisses de choses vues de l'extérieur, impassiblement. J'y ai cherché surtout à reconstituer, à travers des jeux de mémoire, un univers disparu à tout jamais.
Mais de quel univers s'agit-il ? Question ardue, car comment saisir
l'essence d'une ville protéiforme ? Est-ce le Tanger en carton-pâte
véhiculé par les films hollywoodiens ou le bazar d'illusions colporté par les
romanciers américains ? La ville de toutes les jouissances permises ou le
repaire des aventuriers et des contrebandiers ? L'espace des âmes errantes
en quête de paradis artificiels ? Chacun a son propre Tanger.
Une
Jeunesse à Tanger, Ed.
Latitudes, 2004
Lotfi Akalay
Né, en 1943, à
Tanger, Lotfi Akalay est un écrivain, journaliste francophone marocain. Il a
fait ses études à Tanger et à Paris (maîtrise en sciences politiques.
Entre 1990-1994, il écrit des chroniques
humoristiques pour le quotidien de gauche marocain Al Bayane, puis pour La Vie Economique, la voix
des milieux d'affaires. En 1997, il donne des chroniques d'humeur au mensuel Femmes
du Maroc. En 1995, Charlie-Hebdo avait publié l’une de ses nouvelles, Le
Candidat, en feuilleton. En mai 1996, il publie un roman, Les Nuits d'Azed, traduit
en néerlandais, italien, portugais, grec, coréen, turc, chinois, espagnol... En 1998,
il fait paraître Ibn Battouta, Prince des voyageurs, récit de voyages du
premier explorateur du monde, Tanger, c'est Tanger (2014), etc. Il est aussi le directeur de l'agence de
voyages Calypso de sa cité.
Prends le premier avion pour Tanger
Le patron m’a dit : « Vite,
prends le premier avion pour Tanger, cette fois-ci, ça va barder pour de bon.»
A peine arrivé au Maroc, une grosse déception m’attend : c’est le calme plat.
Où sont les cadavres qui jonchent les rues ? Pas la moindre volute de gaz
lacrymogènes à cause d’un violent Charki réactionnaire et valet du
colonialisme, qui souffle dans la ville. Pas même une carcasse de voiture
calcinée à se mettre sous l’objectif, j’en ai été réduit à photographier
quelques crève-la-faim qui traînaillaient en sniffant la colle de rustine. Des
banques saccagées ? Nos lecteurs en ont vu d’autres, on ne fait pas trois
heures d’avion pour montrer un guichet détruit, Villeurbanne ou La Courneuve
auraient suffi.
À l’hôtel quatre étoiles qui en vaut une, j’ai appris par les informations de Tele-Cinco qu’un haut fonctionnaire du ministère espagnol de la justice a été victime d’une lettre piégée qui lui a arraché trois doigts. Sans être troufion de Polytechnique, j’en ai déduit que ce magistrat s’est trouvé à deux doigts de perdre la main tout entière. Pauvre homme !
À l’hôtel quatre étoiles qui en vaut une, j’ai appris par les informations de Tele-Cinco qu’un haut fonctionnaire du ministère espagnol de la justice a été victime d’une lettre piégée qui lui a arraché trois doigts. Sans être troufion de Polytechnique, j’en ai déduit que ce magistrat s’est trouvé à deux doigts de perdre la main tout entière. Pauvre homme !
Que vaut un juge sans l’index
accusateur ? Ah ! si seulement cet attentat s’était produit au Maroc ! Je vois
d’ici le titre : «L’institution judiciaire marocaine gravement ébranlée à la
suite d’une mystérieuse agression à l’explosif survenue en plein cœur de la
capitale chérifienne. Un observateur qui a requis l’anonymat redoute une
flambée de violence. » J’aurais eu mon scoop... Hélas, l’attentat, non,
l’incident n’a eu lieu qu’en Espagne, capitale journalistique du bidonnage
professionnel, bastion de la démocratie, de la sécurité et de la stabilité.
Tanger,
c'est Tanger, Ed. Fromageraie, 2014
Noufissa Sbaï
Née à Tanger, en 1944, de
formation littéraire, Noufissa Sbaï est diplômée de l'Ecole Normale Supérieure
de Saint-Cloud, à Paris, et Licenciée de l'Université de Bordeaux en
Civilisation Arabo-Musulmane. Professeure, enseignante auprès du MEN au Maroc,
elle a participé, depuis 1979, au mouvement associatif mocain, en particulier à
la création d'associations féminines nationales et internationales. Elle est
l’auteur de romans : L'enfant endormi (1987) et L'Amante du Rif
(2005), adaptés au cinéma, par Yasmine Kassar et Narjis Nejjar. Grâce à sa
société Jbila Méditerranée Productions (SJMP), elle est produit des
films dont : "Yeux Secs" avec Narjis Nejjar, des
documentaires sur la femme marocaine, et des courts métrages. Elle est
coscénariste de téléfilms, et membre de jury dans plusieurs festivals.
www.africultures.com
www.africultures.com
L'odeur du kif
... De temps en temps, il me lançait des bouffées de kif
sur le visage, dans la bouche […]. Je finis par
m'évanouir et lorsque je repris mes esprits, je l'entrevoyais au-dessus de moi
en train de m'asperger d'eau de Cologne, me giflant pour me tenir réveillée.
Ensuite, il me balança contre le mur en me hurlant : réveille-toi
"puta" et écoute-moi bien : désormais tu ne pourras vivre avec aucun
autre homme que moi. Même si tu te maries avec ton cousin, tu me reviendras
comme une chienne haletante, cherchant l'odeur du kif près de moi. Personne ne
pourra aimer une fille qui a grandi au milieu de la fumée de notre délicieuse
herbe, de notre jasmin, de notre menthe du Rif. Ha, Ha, Ha. Et il éclata de
rire...
L'Amante du Rif, Ed. Paris-Méditerranée, 2004
Rachid Tafersiti
Rachid Tafersiti est né en 1944 à la clinique Anderson au Marshan, à Tanger.
Ses parents habitent la rue Gzennaya en Médina. Ils emménagent, de 1946 à 1995,
à l'avenue des Etats-Unis. Après l'école primaire franco-arabe Poncet et
secondaires, au lycée Ibn Al Khatib, il s'engage à Bank Al Maghrib, en à
Meknés, en 1968, sans lien avec sa vocation de matheux, ni avec ses dons de
peintre et de poète. Depuis 1969, il est
muté directeur-adjoint, à la B.P. de Tanger. Il s’active dans le
socio-culturel : trésorier du Syndicat d'Initiatives et du Tourisme et du
Comité Régional du Croissant Rouge Marocain, SG de la Jeune Chambre Economique,
vice- président du Conseil Régional des Sports de Tanger, président fondateur
de l'Itthad Riadi de Tanger - Basket Ball, en 1981. Il est président de la
section Echecs de IRT et de la ligue du Nord-Ouest des Echecs. Il est
vice-président et cofondateur de l'Association "Al Boughaz ", et de
la Fondation Tanger Al Madina. Il publie des ouvrages sur sa cité, dont : "Tanger, réalités d'un
mythe" (1998), Tanger, cité de rêve (2002), Tanger (1999-2003), Chroniques d'une transition (2004), Retour à
Tanger, roman (2009), etc.
Mon rêve se poursuit
Cette passion, je
l’ai héritée de mon père et j’essaie de la transmettre” […]
Mon rêve se poursuit et je constate que les sites historiques ou ayant
une valeur culturelle sont épargnés. Le Gran Teatro Cervantes, devenu musée, a
été rénové et grouille d’activités [...]. Le musée Forbes (Dar Mendoub), unique
au monde, n’a pas été vendu et continue à drainer des visiteurs venus des
quatre coins du monde… […]
Le Café Hafa, frère jumeau de celui de “Sidi
Bou Saïd” à Tunis, continue à résister aux tentations. Paul Bowles et Juan
Goytisolo ne l’ont jamais quitté et sur leurs traces, de jeunes artistes
continuent à affluer en ces lieux qui n’ont rien perdu de leur charme. La vue
sur le détroit reste imprenable. […]
De nombreux sites historiques ont été classés et figurent sur les guides
touristiques. Les visiteurs continuent à admirer avec plaisir la vue du port à
partir de la nécropole phénicienne de Hafa, après avoir traversé le site
verdoyant du stade du Marshan.
Tanger, réalités d’un mythe, Ed. Persée, 1998
Tahar
Ben Jelloun
Né le 1er décembre 1944 à Fès, au Maroc, Tahar
Ben Jelloun est un écrivain et poète marocain. Il
va à l’école primaire arabo-francophone et
au lycée français de Tanger
jusqu'en 1952, et fait des études de philosophie à
l'université
Mohammed V, à Rabat. Il y écrit ses premiers poèmes, parus
dans : Hommes sous linceul de silence (1971). Il enseigne la philosophie au Maroc. En
1971, après
l'arabisation, il
part pour Paris
pour faire des études de psychologie. En 1972, il écrit au quotiden Le Monde. En
1975, obtient
un doctorat en psychiatrie
sociale, il en tire La Réclusion solitaire (1976). En 1985, il publie L'Enfant
de sable, et reçoit le prix Goncourt (1987) pour La Nuit sacrée. Il
publie aussi : La
Nuit de l'erreur, roman (1997), Le Racisme expliqué à
ma fille (1998), reçoit
le titre de docteur
honoris causa de l'Université
de Montréal (2008), puis Au pays (2009) Beckett et Genet, un thé à Tanger, (2010), Que la blessure se ferme, (2011),
Le Bonheur conjugal (2012), Mes contes de
Perrault
(2014), Le Mariage de plaisir (2016), etc.
Il était donc une fois, dans la ville
de Fès
Il était donc une fois, dans la ville de
Fès, un petit garçon prénommé Amir né dans une famille de commerçants dont on
disait qu’ils étaient descendants de la lignée du prophète.
C’était le jour des premières pluies, son petit frère venait d’avoir un
an, quand soudain le bruit se répandit dans la ville que le Mendiant était
revenu. Ceux qui l’avaient croisé racontaient que sa voix, grave et forte,
était effrayante ; que ses paupières tremblaient toujours légèrement,
nerveusement ; qu’il lui suffisait d’un geste de la main pour convaincre
quiconque de renoncer à se mettre en travers de sa route. Et tous s’accordaient
à dire qu’il dégageait une odeur insupportable, qui le précédait et restait
longtemps après son départ. Nul n’avait osé jusque-là s’approcher de lui ou lui
donner l’aumône. Son visage, pourtant, disait autre chose. Ses yeux surtout,
clairs et larges, dégageaient une étrange lumière.
Que voulait le Mendiant, d’où venait-il,
quel était son nom ? Personne ne pouvait le dire. Mais les enfants le
baptisèrent aussitôt El Ghool (le monstre), El Ghaddar (le traître) ou El Henche
(le serpent). Les adultes, eux, l’appelaient Ould Lehrâme (le bâtard), celui
qui annonce le malheur.
Quelques jours après son passage, une
épidémie de typhus se répandit dans Fès. Le petit frère d’Amir fut emporté en
quelques heures. Amir eut cependant la chance, ainsi que ses parents,
d’échapper à la maladie.
Après quelques jours d’inquiétude, Fès fut
largement épargnée. L’épidémie s’était déplacée dans les montagnes et les
villages où la mort avait tant à faire. Fès en acquit du jour au lendemain le
statut de “Ville sacrée” sans qu’aucune autorité religieuse ne s’en mêlât.
Mais Fès, en secret, redoutait le retour
du Mendiant, dont le souvenir subsistait dans les mémoires. Heureusement,
jusque-là, les prières à la Grande Mosquée semblaient l’avoir repoussé.
Le Mariage de
plaisir, Ed. Gallimard, 2016
Boubkeur
El Kouche
Né, en 1945, à Figuig, retraité en 1999, et
mort, le 12 janvier 2005, à Tanger, Boubkeur El Kouche, docteur ès lettres
française et professeur et chef de département des lettres française (1982), à
la Faculté des Lettres de Tétouan, Maroc, responsable du Groupe de recherche
sur la mémoire du Nord du Maroc (en 1996), est un écrivain francophone. Il est
l’auteur de : Regarde, Voici Tanger, Mémoire Écrite De Tanger Depuis
1800, anthologie (1997),
Une saison au paradis, romans (2005),
La ville figurée par des monuments
La
ville peut être figurée par des monuments et des lieux comme la place du Grand
Socco dominée au sud-ouest par le minaret polychrome de la mosquée Sidi Bou
Abid, le musée de la Casbah protégé par d'imposants remparts, le lycée
Regnault, pépinière de l'élite francophone, le théâtre Cervantes qui tombe en
ruines, l'hôtel El Minzah, véritable paradis pour les touristes de la Jet
Society, la Grande Mosquée du centre ville, dont le minaret dépasse largement
le clocher de la cathédrale, la Place des "Fainéants", d'où
les oisifs contemplent par temps clair les côtes espagnoles, la synagogue Chaar
Raphaêl où prient les juifs en toute quiétude, la Délégation du Tourisme qui
occupe les anciens locaux de la Maison de la Dette, le boulevard Pasteur envahi
de part et d'autre par des cafés, le Pavillon international du boulevard
Mohamed V, l'avenue d'Espagne hérissée de buildings, le port de voyageurs et
les excroissances hideuses des quartiers extérieurs.
A
cause de l'exode rural et de la poussée démographique, Tanger a connu un
développement spatial fulgurant. La ville s'est développée vers l'intérieur des
terres, du côté de la baie et sur la route de Tétouan. Tanger la blanche n'a
pas résisté en effet au délire des architectes et des parvenus. Elle s'est
encombrée de buildings prétentieux qui la font ressembler à une cité
surpeuplée, tumultueuse et redoutable. Des constructions anarchiques la défigurent
chaque jour davantage et l'éloignent de la mer.
Malgré les épreuves qu'elle a subies, Tanger est restée un lieu
souverain. C'est une ville accueillante et tolérante bercée par les eaux de
l'Atlantique et de la Méditerranée. Avec
ses mosquées, ses synagogues, sa cathédrale, son église
Notre-Dame-de-l'Assomption, son église italienne Saint-Françoisd'Assise, son
American Church et son Andrew's Anglican Church, Tanger est le symbole de la
coexistence pacifique entre les religions. C'est une des rares villes au monde
où les juifs ont pu vivre dans la sérénité pendant la Seconde Guerre mondiale.
Avec
son croissant de mer bleue, ses maisons blanches accueillantes et ses lieux de
détente, Tanger est une ville de villégiature extraordinaire. Ses plages de
sable fin, sa médina pittoresque, ses hôtels de luxe, ses palais des mille et
une nuits, ses résidences de la Vieille Montagne et ses cafés rustiques sont le
paradis des milliardaires, des poètes, des rêveurs et des artistes. Cette ville
située à moins de trois heures des principales capitales européennes attire,
chaque année, plusieurs milliers de touristes marocains et étrangers.
Regarde, voici Tanger, Ed. L'Harmattan,
1996
Rachida
Madani
Rachida Madani est née, en 1951, à Tanger, où elle a fait des études
bilingues. Licenciée en littérature française, elle a enseigné dans le
secondaire. Elle est l’un des membres fondateurs de l’ONG Karama, association
et centre d’écoute pour l’aide aux femmes en difficultés. Elle a travaillé
également comme directrice bénévole dans un établissement pour l’enseignement,
l’éducation et la formation professionnelle pour sourds muets. Elle est
l’auteure d’un roman et de plusieurs ouvrages de poésie, Femme je suis
(1981), Blessures au vent, poésies (2006), L'histoire peut attendre (2006), Ce Qui Aurait Pu Demeurer Silence (2015),
etc.
Chaque
poème est une barque
VI
Chaque poème est une barque
vers l'autre rive.
Ici le vent agite sa tête jaune
de pleureuse païenne
et les hommes tombent des branches
comme fruits pourris.
Ici les maisons se penchent de toutes
leurs fenêtres
et s'écrasent dans les rues.
Ici les poètes meurent en prison.
Ici une voiture noire l'attend.
Ici on l'a emmené ailleurs
où on lui a coupé les doigts
où on lui a bandé les yeux
et tiré dans la bouche.
Ici, juste là
on n'a pas pu l'enterrer.
Je te sauverai des villes
comme je t'ai arrachée aux sables
ma rose habillée de vents et de pluies,
nous deux dans la barque
et mon sang fou d'esclave rebelle hurlant
hurlant jusqu'à l'autre rive.
VII
Nous deux dans la barque
et bleu de rancune l'océan alentour
les noyées remontent vers nous
pendues aux algues ;
Leurs yeux ne sont pas plus creux
leurs mains ne sont pas plus vides
que le cœur d'une ville...
N'est pas moins mortel le phare
qui nous guide.
Je mourrai de trop t'aimer ma rose
je mourrai d'être simplement une mère
mais que ma mort survienne
sur l'autre rive.
Contes d'une tête tranchée, Ed. La Différence, 2006
VI
Chaque poème est une barque
vers l'autre rive.
Ici le vent agite sa tête jaune
de pleureuse païenne
et les hommes tombent des branches
comme fruits pourris.
Ici les maisons se penchent de toutes
leurs fenêtres
et s'écrasent dans les rues.
Ici les poètes meurent en prison.
Ici une voiture noire l'attend.
Ici on l'a emmené ailleurs
où on lui a coupé les doigts
où on lui a bandé les yeux
et tiré dans la bouche.
Ici, juste là
on n'a pas pu l'enterrer.
Je te sauverai des villes
comme je t'ai arrachée aux sables
ma rose habillée de vents et de pluies,
nous deux dans la barque
et mon sang fou d'esclave rebelle hurlant
hurlant jusqu'à l'autre rive.
VII
Nous deux dans la barque
et bleu de rancune l'océan alentour
les noyées remontent vers nous
pendues aux algues ;
Leurs yeux ne sont pas plus creux
leurs mains ne sont pas plus vides
que le cœur d'une ville...
N'est pas moins mortel le phare
qui nous guide.
Je mourrai de trop t'aimer ma rose
je mourrai d'être simplement une mère
mais que ma mort survienne
sur l'autre rive.
Contes d'une tête tranchée, Ed. La Différence, 2006
Ahmed
El Ftouh
Né le 24
février 1953, à Tanger, Ahmed El Ftouh est un écrivain marocain
franco-arabophone. Il est titulaire d’un DEA en Sémiologie de la Communication, de
l’Université Hassan II, Casablanca (1992), d’une licence en Communication et
langage des Médias, de la fac des Lettres et Sciences Humaines, Besançon,
France (1998), d’un diplôme de l'ENS, Cycle de formation des professeurs de Lycées,
(spécialité : Langue et littérature françaises), Besançon, France (1998),
d’un diplôme du CPR, en Langue française, de Rabat (1975). Il est l’auteur d’articles et coauteur
d’ouvrages collectifs dont : L'image, limite de l'interprétation et de
la traduction (1996), Cinéma et Education
(1999), Intégration des nouvelles technologies dans l'enseignement et la
formation des enseignants au Maroc (1997), Culture et éducaton à
l'environnement dans les manuels scolaires des lycées au Maroc (2000), Cinéma
du Maghreb, le cinéma marocain, un
Retour
aux sources des cinéastes marocains
de
l'immigration
Le thème du retour aux sources et la redécouverte des traditions et des habitudes ancestrales est un sujet qui revient en force dans le cinéma marocain des deux dernières années.
Le thème du retour aux sources et la redécouverte des traditions et des habitudes ancestrales est un sujet qui revient en force dans le cinéma marocain des deux dernières années.
Il est traité par de jeunes cinéastes issus de l'immigration et qui
reviennent au pays pour y faire du cinéma avec le concour de producteurs et de
techniciens étrangers pour certains.
Ce
cinéma réalisé par de jeunes cinéastes immigrés à l'étranger pour des besoins
d'études ou issus de la deuxième ou troisième génération de l'immigration, est
considéré par certains observateurs comme une force motrice qui va dynamiser le
cinéma marocain, lui donner une nouvelle énergie et un nouvel élan. Surtout que
ces derniers évoluent dans des milieux, des cultures, des langues et des
expériences
multiples.
Des États Unis d'Amérique où il exerce le
métier de professeur de cinéma, Hakim Belabass a réalisé un très beau film de
fiction documentaire Les fibres de l'âm (2003), sur la redécouverte de sa ville
natale Abi Jaad et sur ses traditions ancestrales. Mohamed Zineddaine, revient
de Boulogne (Italie), après s'être spécialisé dans le cinéma anthropologique,
pour reconstituer, dans son premier long métrage, Réveil (2005), l'itinéraire
du retour de l'étranger d'un écrivain marocain, pris d'un sursaut de
conscience, en mal d'inspiration et au bord de ses limites intellectuelles et
psychologiques. Narré à la première personne, ce film a la particularité d'être
un film intellectuel, singulier et d'un genre tout à fait nouveau au Maroc.
De la
France, deux cinéastes ont refait, chacun de son côté,
un
pèlerinage de redécouverte et de réconciliation avec les
sources spirituelles, Le grand voyage
(2004) de Smail Faroukhi, d'une part,
et de l'autre, avec les origines familiales, Tenja (2004) de Mohamed
Lagzouli.
Mais cette vision du cinéaste rajoute-elle-
une plus value à la connaissance du Maroc, de ses traditions et de sa culture ?
ou se limite-t-elle à reproduire des clichés et des stéréotypes forgés par
l'usage et la reproduction médiatique ?
L'image du Maroc, reconstituée par les films marocains réalisés par les jeunes issus de l'immigration, peut aider l'Autre à mieux nous connaître quand la vision du cinéaste par rapport au monde, au Maroc, à ses habitants et à leur culture, est une vision personnelle, originale, juste et proche de la réalité. Quand ce n'est pas celle d'un étranger qui vit dans la peau d'un originaire du pays.
L'image du Maroc, reconstituée par les films marocains réalisés par les jeunes issus de l'immigration, peut aider l'Autre à mieux nous connaître quand la vision du cinéaste par rapport au monde, au Maroc, à ses habitants et à leur culture, est une vision personnelle, originale, juste et proche de la réalité. Quand ce n'est pas celle d'un étranger qui vit dans la peau d'un originaire du pays.
Le
cinéma marocain, un cinéma émergent, in Magreb Cinéma, Ed. du Jeonju
International Film Festival (Corée du Sud), 2005
Tayeb Boutbouqalt
Tayeb Boutbouqalt, né en 1954, à Tanger, est
professeur écrivain marocain traducteur et journaliste francophone. Il obtient un
Bac en philosophie et
lettres de l’Académie de Bordeaux (1978), un doctorat en Sciences de
l’information, de Paris II (1982), un DEA en communication, un DEA en
philosophie du droit,Paris (1983), un DEA en finances publiques, Paris II
(1984), un DEA en islamologie, Paris IV-Nouvelle Sorbonne (1984), une licence
en droit public, Université Mohamed V, à Rabat (1982), un diplôme de l’ISJ, à
Rabat (1981), un diplôme de l’IST, à Tanger (1977) et enseigne, depuis 1988, à
l’Ecole Supérieure Roi Fahd de Traduction, Université Abdelamalek Essaadi, à
Tanger. Il publie sa thèse sur : La guerre du Rif et la réaction de
l’opinion internationale 1921-1926 (1992), Les agences mondiales
d’information, Havas Maroc (1994), La politique d'information du protectorat français au Maroc,
1912-1956 (1996), Tanger
dans l’histoire contemporaine, 1800-1956 (1991), Tanger, Espace Imaginaire, (1992), etc.
Le Sultan refusa
C’est le journaliste italien, Arnaldo
Cipolla, correspondant de la Stampa, qui rapporta ces faits :
"Tous au Maroc disent que Moulay Youssef n’est qu’un minus habens.
Mais n’en croyez rien. Moulay Youssef a démontré qu’il était capable d’énergie.
Quand dernièrement (début 1925) Lyautey lui présenta le décret sur le service
militaire obligatoire, le Sultan refusa, chose presque incroyable, d’y apposer
son sceau. Ni les instances, ni les envois du Sultan à Marrakech dans l’espoir
que le grand Caïd de la capitale du sud sur lequel les Frnçais fondent leur
protection dans l’Atlas et qui garantit leurs frontières sahariennes aurait
persuadé le Sultan à céder au Maréchal, n’y changèrent rien.
Le même journaliste faisait état de plusieurs arrestations de
« cadis » (juges musulmans) des régions de Fès et Meknès pour exercer
une pression sur les tribus, auxquelles ces cadis appartenaient, contre toute
tentative d’aides aux Rifains. Ce n’est pas un hasard si, en 1925
particulièrement, de nombreux tributs du sud et du Moyen Atlas connurent
quelques agitations artificiellement entretenues. Le pouvoir colonial faisait
tout pour faire éclater l’unité marocaine dont les signes d’ébranlement,
dataient de bien avant les années 1920. La gerre du Rif avait eu, au moins le
mérite d’avoir souligné avec le sang des failles qui risquaient de faire
sombrer la société marocaine dans l’asservissement perpétuel.
La guerre du Rif et La réaction de
l’opinion internationale 1921-1926,
Ed.Imprimerie Najah El Jadida, 1992
Mohamed Metalsi
Né le 14 juin 1954 à Tanger, Mohamed Métalsi est un écrivain, urbaniste et docteur en esthétique franco-anglo-germano-arabophone, marocain.
Après des études d'arts plastiques à Casablanca (1970-1973), et à Rabat, (1973-1975),
il est professeur certifié d’arts plastiques. Il poursuit ses études
universitaires d'urbanisme à l'Institut
français d'urbanisme
de Paris (1975-1982). Diplômé d'urbanisme, il étudie à Paris I Panthéon-Sorbonne et Paris VIII, l’histoire de l'art et l’esthétique. En 1993, il soutient un doctorat, en Esthétique, Sciences et Technologies des arts
— Formes architecturales et Organisation de l'espace d'une cité
musulmane : L'exemple de la médina de Tanger. De 1984 à 1989, il est attaché
d’étude au département musée de l'Institut du monde
arabe, à Paris. Il publie : Les
villes impériales du Maroc, (1999), The Imperial Cities of Morroco
(2000), Marokko, Die Städte der könige (2001), Fès,
la ville essentielle (2003), Maroc, les palais et jardins royaux
(2004), Tétouan,
entre mémoire et histoire (2005), Tanger (2007), etc.
Fès el-Bâli
Les portes de Fès el-Bâli sont nombreuses.
Deux portes principales ouvrent la cité au nord : Bâb Guissa et Bâb
Mahrouq ; quatre au sud : Bâb Fetouh, Bâb al-Hamra, Bâb al-Jdîd et Bâb
al-Hdîd ; deux à l’est : Bâb Sidi Boujida et Bâb al-Khoukha, et une à
l’ouest : Bâb Boujloud. Les portes de Fès Jdîd sont au nombre de six : Bâb
Dekakene, Bâb Sagma, Bâb Riafa, Bâb al-Jiaf, Bâb Boujat et Bâb Semmârîne, haute
porte à voûtes multiples, reconstruite en 1924, qui constitue la véritable
entrée.
Ces portes monumentales avaient souvent une valeur ornementale autant
qu’utilitaire. Elles furent construites en pisé, en moellon ou en briques, ou
encore avec l’un et l’autre de ces matériaux. Bordées de deux tours fortifiées,
en forte saillie, elles forment un couloir couvert et parfois coudé. Ces
passages voûtés, oblongs et peu éclairés, dans lesquels sont aménagés des
réduits, sont dans certains cas consolidés par des pilastres supportant des
arcs outrepassés et parfois ogivaux. Ils avaient pour fonction de barrer le
chemin à l’entrée de la cité. Leur disposition à simple, double, voire triple
coude, répondait à la fonction de défendre la cité en cas d’attaque, plus
précisément d’empêcher les troupes ennemies de s’en emparer pendant le siège,
et rendait quasiment impossible l’irruption en masse de la cavalerie.
À partir du moment où se développa l’artillerie lourde, les portes
fortifiées de Fès se transformèrent en édifices décoratifs qui contribuaient au
prestige de la ville et facilitaient la perception des droits d’octroi. Elles
continuaient cependant à protéger la ville des Bédouins – qui ne possèdaient
guère d’armement lourd – jusqu’au début du XXe siècle. Exclusivement
ornementées de l’extérieur, ces portes affectent, chacune à sa manière, la
forme d’une baie tantôt outrepassée, comme la porte almohade de Bâb Mahrouq,
tantôt ogivale, comme l’illustre l’arc de Bâb Fetouh ou celui de la belle porte
mérinide Bâb Dekakene, qui date du XIVe siècle. Celle-ci fait partie du système
de fortifications de la ville royale.
Elle s’inscrit dans un volume rectangulaire en maçonnerie constituant la
porte tout entière. Son ornementation est composée d’un cordon ogival dessiné
par la moulure de petits arcs décoratifs saillants et par le jeu de volume
produit par le retrait de la frise. Un riche décor, composé de figures
géométriques et calligraphiques, couronne sa partie supérieure. Sur ses
écoinçons, on remarque des motifs floraux entrelacés agrémentant sa façade. La
brique soigneusement appareillée, actuellement couverte d’enduit, a permis aux
constructeurs de sculpter des formes géométriques complexes encadrant la baie
ogivale de cette porte.
Fès. La ville essentielle, Ed. ACR, 2003
Mohammed-Saâd Zemmouri
Né en 1958, à Tanger, Mohammed-Saâd
Zemmouri, titulaire d’un doctorat de 3ème cycle en littérature et civilisation
française, à l’université d’Aix-en-Provence, en France, et d’un doctorat d’Etat
en littérature maghrébine francophone et comparée, à la Faculté des lettres de
Tétouan, de l’université Abdelmalek Essaâdi, est un universitaire et écrivain
marocain francophone. Il y enseigne la même spécialité, depuis 1985. Il a été
vice-doyen de la même Faculté (1998- 2004). Membre du Comité scientifique
international chargé de l’élaboration du Dictionnaire
sur les mythes, figures et personnages des littératures francophones du Maghreb
(2007), parrainé par l’écrivain Nabile Farès. Il est l’auteur de : Présence
Berbère Et Nostalgie Païenne (2000), Histoire de ma vie par Emily Keene, avec Sidi Mohamed
ELYamlahi (2001), La passion de l’altérité chez l’écrivain Nabile Farès (2005), L'islam et l’Occident : dialogue
nécessaire (2009), etc.
Nabile Farès écrit des textes
inclassables
Ecrivain
algérien de langue française, Nabile Farès écrit des textes inclassables qui
sortent du cadre des genres littéraires traditionnels et dans lesquels le
travail sur l’écriture atteint des limites extrêmes. Cette écriture chaotique,
éclatée, circulaire, qui s’apparente au délire participe d’une démarche qui
rappelle le courant du nouveau roman où ce qui importe ce n’est plus une
intrigue mais le travail sur les mots et les procédés langagiers. Mais les
aspects formels si importants chez cet écrivain en rapport avec le fond et donc
la signification de son œuvre n’éclipsent pas la dimension idéologique (la
vison du monde et de l’homme, l’éthique). Du point de vue idéologique, ces
textes s’inscrivent dans une contre-culture qui va à l’encontre de la culture
dominante et officielle.
D’ascendance
berbère, il se définit par cette appartenance et refuse d’admettre que
l’identité et la culture natives et authentiques de l’Algérie (du Maghreb) sont
exclusivement arabes et islamiques comme le défendent la classe dirigeante, ses
clercs, ses idéologues et ses intellectuels.
Cependant si la part de l’idéologie est importante dans les textes de Farès - qui demeure comme beaucoup d’écrivains du Maghreb un poète-citoyen - il convient aussi de souligner aussi leur signification éthique et leur portée humaine et universelle. L’écrivain poursuit dans son œuvre, qui est le lieu de la subjectivité, un questionnement sur l’homme -à travers le questionnement sur soi et les autres- au moyen de l’écriture et de l’imaginaire. A travers la création littéraire, il paraît préoccupé par la recherche du sens et fait de son œuvre un espace où s’expriment des valeurs.
Cependant si la part de l’idéologie est importante dans les textes de Farès - qui demeure comme beaucoup d’écrivains du Maghreb un poète-citoyen - il convient aussi de souligner aussi leur signification éthique et leur portée humaine et universelle. L’écrivain poursuit dans son œuvre, qui est le lieu de la subjectivité, un questionnement sur l’homme -à travers le questionnement sur soi et les autres- au moyen de l’écriture et de l’imaginaire. A travers la création littéraire, il paraît préoccupé par la recherche du sens et fait de son œuvre un espace où s’expriment des valeurs.
Cette
conception du texte littéraire nous sert d’hypothèse de lecture des œuvres de
Farès où, aussi bien à travers l’imaginaire que le discours d’idées, l’auteur
défend une vision de l’homme, des rapports humains et des valeurs qu’il désire
faire prévaloir. _L’œuvre de Farès est le lieu des paradoxes. Son écriture est
celle de la subjectivité et tourne souvent autour de la recherche, la
construction et l’affirmation du moi ; mais elle est en même temps un
appel de l’autre, une ouverture sur l’autre, voire une passion de
l’altérité. Dans nul autre texte maghrébin, à notre connaissance, on ne trouve
une expression aussi forte de la conception non seulement de l’idée que Je est
un Autre (Rimbaud) mais que l’Autre est un Je. Ce qui nous renvoie à l’équation
que posaient Ch. Baudelaire et V. Hugo. Le premier en s’adressant à
l’« hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère », le second en
s’écriant « insensé qui
crois que je ne suis pas toi ! ».
Ce qui retiendra notre attention et fera
l’objet de notre analyse, c’est la position singulière de cet écrivain devant
la dialectique de l’identité et de l’altérité et plus particulièrement sur le
désir de l’autre ou le désir d’être l’autre comme voie pour faire prévaloir la
reconnaissance d’autrui.
La passion de l’altérité chez l’écrivain Nabile Farès,
Ethiopiques, numéro 75, Littérature, philosophie et art ,2ème semestre,
2005.
Sidi
Mohamed El Yamlahi Ouazzani
Sidi Mohamed El Yamlahi Ouazzani, Né, en 1956, à Tanger, où il fait ses
étude primaires et secondaires (1969-1976 de la fcullté des Lettres de Tétouan,
il obtient une licence en sciences juridiquesde de l’universite Sidi Mohamed Ben Abdallah, à Fes (1978), un licence en Langue et Littérature
françaises(1982), un DEA en mythologie contemporaine et un doctorat en
sémiologie littéraire (1985), et un doctorat d'Etat (1994). C’est un écrivain
marocain francophone, professeur et ex-doyen de la fac des Lettres de tétouan.
Il est l’auteur de : Bachir Skiredj, Biographie d’un
rire (1997), Le Temps des mythes, roman (2004), Histoire de la
vie d'Emily Keene la Chérifa d'Ouazzane (2009), Tanger, la Trahison (2012),
etc.
Tanger,
la sirène
Tanger, les jambes croisées, un caftan tout blanc replié sur les genoux,
caresse de ses douces mains le sable fin et doré de sa grande baie. Ses doigts
fins couronnés d’alliances romantiques plongent dans l’arène humide, font un
long mouvement de cercle et finissent par dessiner un admirable collier d’ombre
sur le tapis étincelant de lumières. Un spectacle sublime sous un ciel bordé de
rimes. Son sourire envoûtant ensorcelle les milliers de vagues qui viennent
successivement se prosterner à ses pieds, allégeance solennelle, éternelle,
fidélité séculaire que n’érode ni le vent d’Est, ni les charmes de l’Ouest. Son
long regard obscur, pénétrant, fixe sans sourciller un éclatant soleil moucheté
d’azur dont les chauds et insolents rayons peignent la lisse et touffue
chevelure verte qui pend, qui se couche littéralement sur le versant nord de la
mythique et impressionnante montagne. Tous ceux qui connaissent Tanger savent
que son pouls s’accélère toujours à l’approche d’un bateau chargé d’amour, un
bateau de croisière transportant les amoureux du monde en quête de consolation,
d’idylles merveilleuses, un paquebot de pâquerettes souriantes pressées d’éclore
sur le front lumineux de la déesse du détroit, une embarcation passionnée, chargée
de rêveurs qui se dirigent droit vers le coeur.
Un soupir, une poitrine qui se gonfle, et voici Tanger qui se lève
avec son sourire radieux, sa longue robe sertie de diamants, sa ceinture aux
mille carats, sa couronne de cèdres et d’eucalyptus, avec son maquillage
bariolé de drapeaux, un teint sensationnel, irrationnel, sensuel. Avec ses mots
de bienvenue mielleux, sulfureux, gravés solennellement sur sa langue
multicolore, elle s’apprête à accueillir le nouveau venu, cet étranger éperdu, […] pour la voir de près, elle, la belle et
redoutable Tanger, Tanger, la sirène, Tanger l’amante, la menthe nageant dans
une théière brûlante, sans cesse dansant sur la braise attisée par des
souffleurs d’amour, de rêves...
Tanger, la Trahison, Ed. Tanger-Expo, 2012
Abdelouahid Bennani
Abdelouahid Bennani né à Tanger, Maroc, en 1958, est un écrivain et poète marocain franco-hispanophone.
Après des études primaires et secondaires dans sa ville natale, il est affecté
à Errachidia, à sa sortie du centre pédagogique régional, en 1982, comme
professeur collégien de français. Il écrit la langue de Molière à l'instar de Driss Chraibi, Tahar Ben Jelloun, Abdellatif Laabi, marqué particulièrement de leurs ouvrages. Il collabore aux
journaux : Servir et L'Eclaireur, dirigés par Mustapha
Ouadrassi (1975-1982), s'occupe d’activités culturelles et de critique
littéraire durant ses sept ans, sans penchant pour la politique. Il oublie : Derrière les murs de la Kasbah (2007), La rumeur du silence (2008),
Il traduit de l’espagnol en français de Mohamed Sibari : De Larache au
ciel et La Rose de Chaouen (2007), etc.
Préface, les Mille et Une Nuits
Les Mille et Une Nuits, l'orgueil de la littérature arabe et le
chef-d'œuvre pour toutes les autres depuis bien des siècles, continue à
inspirer les nouveaux écrivains comme il a inspiré les plus anciens. L'Arioste,
Boccace, Hoffman, Kipling, Selma Lagerlof, Karen Blisxen... ne s'en sont pas
privés. Raymond Matabosch non plus. Il en a puisé le style poétique,
fantastique et merveilleux. Ses personnages portent le Haik, le voile, le
turban ou le tarbouche comme les porteraient Ali, Isaac ou Raymond.
Tous les ingrédients, tous les arômes du conte sont présents et il ne
manque ni prince, ni fée, ni mendiant pour caricaturer le monde réel afin de
nous offrir l'évasion que nous ne trouvons que dans le rêve. Des contes
anonymes arabes, berbères, soufis. D'autres inspirés et adaptés d'Al Qalyubi et
de Ibn Quatayba.
Raymond Matabosch le conteur est si différent de Raymond Matabosch le
poète. Si ses « Chemins de Solitude », ouvrage que j'ai eu la joie et l'honneur
de préfacer, sont de longs chemins qui serpentent les plus hautes des
montagnes, les plus actifs des volcans, les tremblements les plus dévastateurs,
les menaces les plus probables dans l'immédiat, ses Contes, Fables et Légendes
au Pays du Couchant lointain, eux, nous mènent aux pays lointains dont rêvent
tous les hommes, nous portent sur les ailes de l'imagination dans la cour
d'Errachid, exorcisent nos fantasmes les plus profonds, les plus enfouis, les
plus beaux de nos fantasmes.
L'ouvrage compte une vingtaine de fables et de contes où les animaux
prennent l'apparence des hommes, où le vice et la vertu se livrent de durs
combats et où le lecteur, retrouvant son enfance passée, s'identifie avec tel
ou tel personnage, selon son bon vouloir. […]
Nos habitudes, us et coutumes sont si bien illustrés par Raymond
Matabosch qu'ils dépassent Voltaire en personne qui n'a rapporté, lui, qu'une
pâle image des marocains du dix septième siècle dans son conte philosophique
Candide, où ils n'étaient que des vulgaires pirates ayant attaqué le navire de la
fille du Pape et massacré tout l'équipage.
Je prédis un grand succès à cet ouvrage digne des grands conteurs qui
ont su tenir en haleine toutes les civilisations du monde en leur inculquant le
savoir faire et le savoir être par les abondants moralités, symboles et
philosophies.
Préface aux Contes, fables & légendes au Pays du Couchant
lointain, de Raymond Matabosch, Ed. Stock, 2011
Mokhtar Chaoui
Né le 26 décembre 1964, à Tanger, Mokhtar
Chaoui, docteur d’Etat en lettres (2000), actuellement enseignant-chercheur à
la Faculté des Lettres de Tétouan, appartient à la nouvelle génération
d'écrivains francophones tangérois qui critiquent haut et fort les maux et travers
de leur société. Il est l’auteur de : Refermez la nuit, poésie
(2007) et de romans controversés : Permettez-moi, Madame, vous répudier
(2006), A mes amours tordues (2009), Les Chrysanthèmes du
désert,
nouvelles (2014), Le silence blanc, fiction (2014), Les trémolos de
l'amour, nouvelles et textes courts (2015), etc.
Chez Sidi-Lalla
C’est comme
ça tous les jours d’Allah entre Baba et Mama. C’est Baba qui ferme la bouche le
premier. Mama continue de grogner toute seule. Elle a en plus les chèvres avec
qui parler. Les chèvres et nam-Ham sont ses vrais enfants. Daba, elle n’a
personne. Elle a moi et c’est tout. Elle ne me parle jamais à moi. C’est comme
si je n’étais pas son enfant. Des fois d’Allah, je voudrais devenir une chèvre
pour que Mama me parle, pour que Mama me caresse comme elle faisait avec les
chèvres, comme elle faisait avec Ham-Ham. […]
Chez
Sidi-Lalla, je ne sais plus comment je dois parler. Avec Baba-Mama je parlais
marocain. Avec Sidi-Lalla, je parle un chwiya marocain et un chwiya français.
C’est Lalla qui m’oblige à parler français. Ils vont rendre ma langue folle ces
grands. Sûr de certain que ma langue va devenir folle et moi aussi. Sidi-Lalla
sont venus me chercher dans mon douar il y a plus de trois mois. C’est SSi
Haddou qui les a amenés. Baba-Mama ont dima un garçon ou une fille à vendre.
Comme il a fait les autres fois avec mes soeurs, SSi Haddou est venu chez nous
avec Sidi-Lalla et il m’a achetée. Chaque fois qu’il vient chez Baba-Mama avec
des Sidi-Lalla, c’est pour acheter un enfant. […]
En quittant
le Mirador, seule la hantise de se suicider s’était précipitée dans le vide,
s’était écrasée contre le récif et emportée par les flots. Michel, lui, s’en
était débarrassé à
tout jamais. Désormais, il
vivrait pour Ramsès.
Le silence blanc. Ed. Salina, 2011
Le silence blanc. Ed. Salina, 2011
Bouthaïna Azami
Bouthaïna Azami est née en 1964, à Tanger.
Elle y fait ses premières études. En 1982,
elle s’installe, à Genève où elle fait des études en sciences de l’éducation et
lettres, avant d’y enseigner la littérature française. En 2010, elle s’établit
à Casablanca. Elle est l’auteure de romans dont : La Mémoire des temps
(1998), Etreintes (2000), Le Cénacle des solitudes (2002) et Fiction
d’un deuil (2004). Son dernier livre, Au café des faits divers
(2013), a reçu le Prix Gutenberg 2013.
Elle collabore avec des artistes, peintres et galeries d’art, et est l’auteure
d’une monographie sur Saâd Ben Cheffaj, publiée par l’Atelier 21.
Je ne sais pas mon âge
Je ne sais pas mon âge, aujourd'hui moins que jamais, regarde mon
visage, illisible, à présent, mes traits, égarés sous les travers du temps qui
ne trouve même plus place dans ma chair évidée, tourne, ne sait plus où se frayer
chemin, balbutie maintenant les promesses fourchues d'un destin qui halète dans
mon souffle dans mon sein, agonise sur mon corps, cherche à tromper sa fm
espère séduire la mort en creusant d'autres lits mais je sens que je flanche,
que je vais lui céder tant je suis vieille, vois, tant la course des vents a
érodé ma chair et s'il n'y avait ce soleil qu'on maudit chaque jour pour la
pâleur des blés, le cassant de nos herbes, délavées et nos bêtes...
Qu'importe...
Je l'ai longtemps inventé ou chaque jour, plutôt, me le réinventait, chaque
minute, chaque instant, le plus petit rien le moindre incident, le vol d'un
oiseau, un nid, une brindille, une colonie de fourmis allant, j'allais dire
clopin-clopant, et je m'agenouillais pour les observer, le nez dans la terre,
jouant à deviner ce qu'elles portaient, remettant sur leur route celles qui
s'égaraient, essayant parfois, sans succès, de soulager d'un doigt le poids des
ambitieuses qui peinaient, vacillaient sous des charges trop lourdes, perdaient
leur butin, s'affolaient, insistaient, réendossaient enfin tant bien que mal
leur bien...
Le Cénacle des solitudes, Ed. L’Harmattan, 2002
François
Vergne
Né en 1965, à Paris, François
Vergne, est l’auteur de trois romans parus chez Gallimard, Seine-Saint-Denis
(2001), Vie Nouvelle (2005) et La Piscine naturelle (2007), Tanger
fac-similé (2011), Majnouna (2012), etc. Il vit actuellement à
Tanger, au Maroc, comme professeur de français.
Et c’est
alors qu’il décida de partir
Il habitait la plus hautes de trois tours qui suploment la gare
d’Austerlitz, et de là-haut, de tout là-haut au dernier étage où il habitait,
il pouvait voir les trains lentement serpenter sur les voies et les aiguillages
avant qu’ils viennent se ranger sous les marquises le long des rails. […]
On avait commencé à se moquer se lui l’année passée au collège, et à
présent c’est la rentrée, et les garçons étaient de plus en plus cruels :
tous les jours, on lui volait son goûter. Et sa mère, elle était comme lui ou
ce n’est pas elle qui l’avait fait ? Et son père ? il ne faisait rien
pour le corriger ? Il était fier de lui ? Il n’avait jamais pensé à
se débarrasser de lui ? El ils l’encerlaient et, l’entraînant aux
toilettes, ils le déshabillaient presque entièrement à lui donner des coups,
juste assez pour qu’il ait mal sans que cela lui laisse des marques, et même
pendant les cours ils faisaient circuler des mots où ils le menaçaient – il
n’avait plus rien à faire ici, il devait changer de collège, il ne voyait pas
que tout le monde lui veut du mal ? que personne ne l’aimait ? et
s’il ouvrait sa bouche pour parler, il verrait ce qui l’attendait -, et il
était le dernier à sortir de la classe […], et il restait longtemps à traîner
dans les couloirs […], avant de franchir la porte principale et de se retrouver
en sécurité parmi la foule du soir qui emplissait les trottoirs. […]
Il faisait nuit quand il rentrait le soir. Sa mère pleurait dans la
cuisine en préparant le repas. Son père qui travaillait de plus en plus loin,
s’absentait souvent et il ne le voyait jamais. Ses frères regardaient la
télévision en faisant leurs devoirs sur la table du salon et ne lui jetaient
même pas un coup d’œil […].
Et puis un jour, il s’aperçut que des poils avaient commencé à pousser
au bas de ses jambes. […] Et c’est alors qu’il décida de partir.
Tanger
fac-similé, Ed. Bec
en l’air, 20011
Rachid
Mimouni
Né, en 1945, à Boudouaou, en Algérie,
d’une famille pauvre, et mort, le 12 février 1995, à Tanger, au Maroc, Rachid
Mimouni est un écrivain francophone algérien, maroco-tangérois d’adoption. Il a
étudié à Alger et à Montréal. Il devient professeur à l’école de commerce
d’Alger (1970). Il publie des romans satiriques contre le régime postcolonial
de son pays et le colonialisme dont : Le printemps n’en sera que plus beau
(1978), Le fleuve détourné (1982), L’honneur de la tribu, ombéza (1990), Une
peine à vivre (1991). Inquiet de la montée de l’intégrisme religieux, il le
dénonce dans : De la barbarie en général et de l’intégrisme en
particulier, essai (1992). Censuré, il s’installe avec sa famille à Tanger, au
Maroc, en 1993. Il travaille à la radio Medi 1, dont il tire son livre :
Chroniques de Tanger (1995), et meurt la même année d’une hépatite, âgé de
quarante-neuf ans.
Le carrosse redevenait citrouille
Après avoir surmonté un mouvement de répulsion, Kader se força à
contempler le visage du cadavre qu'on lui découvrait.
— Vous
le reconnaissez ? demanda le policier.
Kader se contenta de hausser les épaules. Le corps était dans un tel
état qu'il ne pouvait affirmer que c'était celui de son frère.
—
Venez avec moi, j'ai besoin de votre déclaration signée.
Leïla
l'attendait à la sortie du commissariat.
—
Alors ? C'est lui ?
— Je
ne suis sûr de rien et je ne sais comment tu as pu te montrer aussi
catégorique.
— Le
teint de la peau, les cheveux, la taille...
—
Peut-être.
— En
six mois, c'est le dixième mort non identifié qu'on me présente. C'est celui
qui lui ressemble le plus.
— Tu
connais mieux que moi le corps de ton mari.
Kader
redressa la tête pour offrir ses joues à la bruine. Il n'éprouvait nulle envie
de rentrer chez sa belle-sœur pour épuiser la soirée en un morne et silencieux
tête-à-tête.
—
J'ai envie de marcher un peu. Je serai là pour le dîner.
Il se
mit à longer la Seine sans idée préconçue. Il erra longtemps avant de déboucher
sur le parvis du Centre Beaubourg, peuplé de sa faune très singulière. […] Au
moment de gagner la sortie, il fut vivement hélé. Il eut à peine le temps de se
retourner qu'il se retrouva étouffé dans les bras de l'escogriffe qui avait
fait vibrer l'estrade et la salle par son poids et ses répliques à la Scapin.
[…]
— Tu
te souviens de moi ? demanda le géant en desserrant enfin son étreinte.
— Bien
sûr, bien sûr, lui certifia Kader, heureux de pouvoir enfin respirer de
nouveau, tout en fouillant vainement dans sa mémoire.
—
Comment as-tu trouvé le spectacle ?
—
Excellent, affirma Kader avec aplomb.
— Tu
vis en France, maintenant ?
— Non,
je ne suis là que pour quelques jours.
— Si
tu n'as rien à faire de ta soirée, viens dîner avec nous. […]
La salle
fut bruyamment investie et plusieurs tables mises bout à bout. Kader occupa la
seule chaise restée libre et se retrouva assis face à une grosse femme qui ne
cessait de crier à Viva Nicaragua ?! […]
La
jeune fille assise à la gauche de Kader ne put s'empêcher de pouffer de rire
avant de lui murmurer :
—
Ghislaine est une chic fille. Pourquoi tu lui cherches des crosses ?
— Elle
m'emmerde.
— Tu
n'es pas obligé de l'écouter. […]
Kader
ne s'en montra guère affligé. Il décida de rentrer, estimant que sa belle-sœur
devait être couchée à cette heure tardive.
— Où
est la station de métro la plus proche ?
— Je
m'appelle Louisa. Suis-moi, j'y vais aussi. Tu viens d’Alger ?
—
Oui. […]
Il
fixa les grands yeux de Louisa, qu'un sentiment de regret commençait à
troubler.
— A
la réflexion, dit-il, je crois que je saurai trouver tout seul la bouche de
métro. […]
Ils se retrouvèrent à la table d'un café.
—
Désolée pour tout à l'heure, lâcha Louisa. […]
—
Dans quel hôpital travailles-tu ?
— A
Mustapha.
—
Alors à bientôt.
Kader
n'eut pas le temps d'esquisser un geste d'adieu.
Elle
avait déjà disparu. Il eut l'impression que minuit venait de sonner et que le
carrosse redevenait citrouille.
La Malédiction, Ed. Stock, 1993
(B)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À LARACHE
1945-1954
Abdeslam
Sarie
Né en 1945, à Larache, Abdeslam Sarie est
syndicaliste et écrivain francophone belgo-marocain. Après une scolarité à
Tanger, il devient instituteur durant trois ans, avant de quitter le Maroc pour
la Belgique. Il poursuit ses études à l’Institut supérieur de culture ouvrière
et à la Faculté ouverte de politique économique et sociale. Il est responsable
national de la section arabe de la Confédération des syndicats chrétiens
(CSC), durant 25 ans. Engagé associatif, en Belgique, pour les droits et la
culture des migrants, il milite dans de nombreuses associations. Après sa
retraite, il s’active pour
le Club Ibn Batouta - Belgique, pour l’association Hiwar et tient une revue de presse hebdomadaire pour le site communautaire
Dounia.
www.dmk-online.org
Les 12 travaux d’Hercule
Tanger est une ville du nord du Maroc.
Porte obligée d’entrée et de sortie entre l’Europe et l’Afrique. Elle est le
chef-lieu de la région de Tanger-Tétouan et de la préfecture de Tanger-Asilah.
Tanger, Tingis, Tanja, métropole cosmopolite a été surnommée « ville des
étrangers» suite aux nombreuses colonisations (Phéniciens, Arabes, Portugais,
Anglais, Français et Espagnols). Actuellement, la reconversion de la ville et
plus particulièrement son port constituent une occasion unique pour réaménager
et remodeler la ville.
Depuis ma tendre enfance je me suis senti
comme un vrai Tangérois bien que je sois né à Larache. Pour moi, les vrais
Tangérois sont ceux qui aiment et chérissent la ville mystique, mystérieuse,
charmante et envoûteuse et non ceux qui y habitent et n’ont aucun respect pour
la ville où ils résident. Tanger est une ville millénaire, tolérante,
multiethnique, multiculturelle, multireligieuse et accueillante. Depuis
toujours, tous les habitants de Tanger coexistaient pacifiquement, vivaient
ensemble dans la tolérance et le respect mutuel. Un vrai melting-pot. Et c’est
vraiment ce qu’était Tanger au moment et à l’époque que je l’ai quitté et c’est
vraiment pourquoi je l’aime toujours. […]
Depuis 2014, Tanger s’est transformée en chantier. Avec le nouveau Wali
et la volonté de fer du roi Md VI Tanger est en train de devenir une vraie
métropole (2013-2017). Sa reconversion vise à positionner la ville de Tanger en
tant que destination phare du tourisme de plaisance et de croisière à l’échelle
de la Méditerranée. Bref Tanger bouge ! Le port s’ouvre complètement sur
la ville et lui offre ses meilleurs espaces et atouts pour ériger des
équipements culturels, des places publiques, des espaces de commerce et
d’animation ainsi qu’un pôle résidentiel et bureau. Le site sera desservi par
un système de téléphérique qui permettra une liaison directe entre le centre de
la ville, la marina, le nouveau port de pêche et la Kasbah. Il permettra des
visites panoramiques sur la baie, le port et la médina.
Une restauration en cours de la muraille de la médina et de la Kasbah.
1ère tranche des travaux de restauration afférente à la jonction Port – Médina,
s’étendant de Dar Elbaroud à Dar Elhajoui. Équipements culturels et un musée
sur une superficie de 15.000 m². Un palais des congrès d’une capacité de 1.500
places. Un multiplexe cinématographique d’une surface de 7.000 m². Espaces
publics 30 Hectares dont un parc et 4 grandes places allant de 2 à 8 hectares.
[…]
Ceci étant dit, c’est vraiment énorme, le
programme de la reconversion de la ville de Tanger est fantastique, rénovateur
et réformateur, surtout très ambitieux. La métropole sera tournée
irrémédiablement vers l’avenir. Une meilleure qualité de la vie, de
l’environnement social, de l’environnement économique, de l’environnement
sportif, cultuel, culturel et artistique. Le patrimoine et les atouts de Tanger
d’antan seront optimisés et mieux valorisés qu’auparavant.
Dounia news : Revue de presse hebdomadaire
www.akhbardounia.wordpress.com
Farida Diouri
Farida Diouri, née en 1953, à Larache, et décédée le 8 août 2004, est une écrivaine marocaine. Elle est la fille de l’écrivain, feu Driss Diouri, traducteur
et poète hispanophone. Elle y poursuit ses études à l'Institut espagnol. Puis,
elle rejoint le lycée Descartes de Rabat où elle obtient son bac français. Elle fait
des études d'économie à la faculté de droit. En 1993, elle devient cadre d’une
chaîne hôtelière américaine, tout en écrivant pour devenir rédactrice en chef à
la revue de l’UFM « AICHA », journaliste du quotidien l’Opinion,
«l’Echo Touristique ». En 1993, Elle publie son premier roman « Vivre
dans la dignité ou mourir », prix Grand Atlas, de l’Ambassade de France au Maroc, (1993), Dans tes yeux la flamme infernale (2000), L'ange de la misère
(2002).
Une
belle-mère qui la détestait
La pluie noyait les maisons ocre de la
ville de Marrakech et un froid glacial engourdissait les corps à peine éveillés
du long rêve de la nuit. Il neigeait sur les montagnes avoisinantes de l’Atlas,
et la ville, vêtue d’un long manteau de mélancolie, pleurait des larmes de
tristesse, sous un ciel bas, menaçant, prêt à faire éclater sa colère.
L’eau montait inexorablement et
emplissait les rues désertes. Une humidité moite pénétrait les maisons, trop
sèches en été quand les rayons du soleil incendient la Cité du sud. En cette
journée pluvieuse et sombre, il fallait quelque temps pour apercevoir ce qui
rendait Marrakech différente des autres villes du Maroc.
L’aube naissante qui caressait la cité aux " Sept saints"
éclait spontanément par vagues successives illuminant les minarets roses et la
médina, dédale de ruelles mystérieuses.
Kenza prépare ses valises pour aller à Tétouan, chez une cousine de son
père, Amal. Elle vient d’obtenir son baccalauréat et une bourse d’études pour
la faculté de droit. Kenza est enfin heureuse. Pour la première fois de sa vie,
elle est libre, libre de vivre pleinement une existence paisible, libre de
saisir tous les bonheurs terrestres. Elle est décidée à donner un nouveau sens
à sa vie, à oublier le passé. Un pâle soleil tente de réchauffer l’horizon,
bravant la fureur des nuages noirs, gorgés.
Car depuis ce départ de sa pauvre maman, il y a dix-sept ans, Kenza vit
un calvaire quotidien. Laura, espagnole de nationalité et catholique de
religion, avait dû quitter le domicile conjugal, contre sa volonté, répudiée,
humiliée et blessée dans son corps et son âme, malgré tout l’amour et tendresse
qu’elle éprouvait pour le seul homme de sa vie.
Son seul crime, une belle-mère qui la détestait et voulait à tout prix
voir son fils marié à sa nièce, Maria, la fille de son fère aîné, une adolescente
de treize ans élevée à la campagne, qu’elle considérait comme sa propre fille
et comptait façonner à son image.
Kenza a un an au moment du drame. Sa nouvelle maman a le visage d’un
ange et l’âme d’un démon. […] Toute
petite, l’enfant est enfermé dans une solitude intolérable. Comme une ombre
irréelle au crépuscule, Kenza encaissent vaillamment les injustices, les coups
du sort, les privations. Sans comprendre son père, un être si doux, tellement
bon et généreux se laisse manipuler par une femme analphabète, cupide et
méchante, une campagnarde qui n’hésite pas à l’agresser, à la faire pleurer.
Comment ces deux êtres si différents peuvent-ils vivre ensemble ?
s’interroge l’enfant perplexe. Leur vie est faite de soupçons, de doutes
continuels, d’une haine palpable qui se répercute sur toute la famille.
Dans tes yeux, la famme infernale, Ed.
L’Harmatan, 2015
Mohamed
Larbi Bouharrate
Mohamed Larbi Bouharrate est né en 1954, à
Larache, au Maroc, titulaire de plusieurs diplômes de Langue et de littérature
françaises, d’une agrégation, d’anglais, d’espagnol, et de néerlandais, il
enseigne pendant plusieurs années à Bruxelles, avant d’aller aux Pays-Bas, où
il pousuit sa carrière d’enseignant. Il publie : Je suis
nous poésie (1978), Les batailles de l'eau : pour un bien commun de l'humanité,
essai (2003), Des jours et des nuits, poésie (2006), et Contes au
féminin, à paraître (2016), etc.
Ton réveil mon délire
Larache
Ma ville/ténèbres
Enceinte rouillée
annulant le jour
Ombre éclipsée
J’épingle ma
blessure sur ton front
Je dépose ma plainte
dans tes yeux
Et j’allume tes
paupières
Regarde mon CORPS à
même l’asphalte
J’ai mal dans notre
thébaïde
Dans le vide/suicide
De nos regards
J’ai mal dans notre
sommeil homicide
Dans le mutisme
translucide
De nos mémoires
Larache
Vertige du jour dans
l´abysse
Rêve buccal au-delà
du délire
Stèle défiant le
soleil
C’est pour quand le
REVEIL ???
Je suis nous, recueil, Ed. Cremades, 1978
(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À KSAR EL KEBIR
1945-1968
Mohamed Mesbahi
Mohamed
Mesbahi, né en 1945, à Ksar El Kébir, Maroc, est un écrivain marocain
franco-hispano-arabophone. Après des études en Lettres et Sciences Humaines, à
Rabat il obtient un Diplôme de Licencié en Philosophie puis un Doctorat
d’Etat en cette même Université. Il a été durant de nombreuses années
Responsable de l’UFR : Espaces de la dans la Civilisation Arabo-islamique.
Il est membre entre autres du Bureau National de l’Association marocaine de
Philosophie et de la Société Internationale pour l’Etude de la Philosophie
Médiévale. Il participe comme membre du comité rédaction de revues d’Histoire
et de Philosophie marocaines, algériennes et espagnoles, telles que :
Madarat Falsafia (Rabat), Al-hiwar al-fikrii (Constantine) Anaquel d’estudios
arabes (Madrid). Il est l’auteur de : Problématique de l’intellect chez
Ibn Rushd (1988), Significations et apories (1996), L’autre aspect d’Averroès (2002).
Peut-on séparer quelqu'un
de son pays ?
J'ignorais
que, de l'horizon, surgiraient un jour des hommes qui n'auraient qu'un désir :
nous déposséder de notre terre.
[…]
Peut-on
séparer quelqu'un de son pays, du lieu de son enfance et des moments essentiels
qu'il y a vécus ? Aucune terre, dans son coeur, ne peut remplacer celle-ci,
même s'il peut se passionner pour d'autres lieux. La terre natale reste la
terre natale. Rien ne peut la détrôner ou faire, d'une simple décision, comme si
elle n'avait jamais existé. Se peut-il que je ne la revoie plus ? Se peut-il
qu'elle continue d'être comme elle est, lorsque je ne pourrai plus voir le jour
se lever sur ses plaines ? Je vieillirai loin de cette terre que je n'ai jamais
songé quitter, me disais-je, craignant que ce pays change en mon absence. Car
il allait forcément changer. […] Quel tribunal peut condamner à une telle peine
? Quelle faute ai-je commise pour me voir infliger, par des hommes, un tel
châtiment ? […]
D'autres
aussi, […], ont osé exprimer leur désaccord et dénoncer au grand jour cette
vilenie. Ils auraient pu craindre pour leur vie, mais ils ont choisi de
dénoncer ce qui était une honte pour la France. Le pays de la Révolution
française semblait avoir oublié qu'il s'était battu pour que le genre humain,
sans exclusive, triomphe partout dans le monde. […]
J'aimais à
l'entendre dire qu'aucune vérité n'était supérieure à une autre. C'était un
homme juste et bon qui n'imposait jamais à personne ni son avis ni sa façon de
voir les choses ou de vivre. Les hommes sont égaux, n'avait-il de cesse de
répéter, et leurs vérités, pour différentes qu'elles sont, se valent. Chaque
homme se doit, disait-il, de vivre comme il l'entend et non comme on voudrait
qu'il vive. […]
Mohamed Brinett Jaméi
Né en
1953, à Ksar El Kébir, au Maroc, Mohamed Brinett Jaméi y poursuit ses études
primaires et secondaires jusqu’au bac. Il fait carrière, dans l'aviation.
Actuellement aujourd'hui ex-aviateur, il continue ses études universitaires en
littérature française. Il écrit des poésies en arabe classique, dialecte
marocain, et en français en Alexandrin et vers libre. Il est l’auteur de :
Noir etr bleu (2015), L'Espoir de la montagne entre Le silence et l'oubli, roman (2015), etc.
La montagne majestueuse
La nature a
des doigts angéliques émerveillants. Profitant de son architecture géologique,
elle a réalisé dans cette région pré-rifaine occidentale ce qu’aucune langue
normale ou un simple esprit ne peuvent facilement raconter ou décrire. Ainsi
s’il vous arrive de réussir un jour à vous percher sur cette montagne au nord,
aussi loin, là-bas de l’autre côté de la rive de Oued Loukkos, où se niche
douar «Khandak al Hamra»: (ruisseau rouge), et qu’à partir de là, vous
planiez votre regard contemplateur sur ce que Dieu a créé de si grand et
d’aussi beau ; vous verriez en face une montagne moyenne majestueuse qui
offre tout son flanc à l’orient et au silence matinal dont les rayons dorés
caressent chaque jour les milliers d’oliviers, de figuiers, d’abricotiers, de
vignes, de grenadiers et même de roseaux qui parsemaient les champs de blé,
d’orge, de mais, de fèves, de petits pois et de pois-chiches. Une montagne avec
une arrête dorsale aplatie par l’usure des temps ; qui prend naissance à
partir de la rive sud de oued Loukkos, et qui remonte courbée vers le sud-est,
pareille à un vieillard en arc sur son bâton, accablé par le farseau des âges.
Cette arête
s’élève jusqu’à l’altitude de cent quatre vingt quatre mètres où il y a sur un
plateau des vestiges d’anciennes habitations connues de leur surnom «Al Hrer »
: (constructions démolies). Autrefois habitées par les « M’ghanens » venus des
hautes tribus « Lakhmasses » annexant la ville de Chefchaouène. Aujourd’hui il
n’en reste que des traces émiettées au profit de l’élargissement de petits
enclos en superficies agricoles un peu plus larges. A six cents mètres de
distance d’Al Hrer et à deux cents quatre vingt quinze mètres d’altitude vous
pourriez trouver un étroit plateau large d’une trentaine de mètres « Essmiâa » […].
Essmiâa est un lieu sacré populaire par « Rawda » : (petite enceinte en pierres
étroite et sans toit) où Moulay Abdessalame Ben M’chiche a laissé sa trace. Le
lieu est confondu avec le point géodésique balisé d’une pancarte métallique des
deux cent quatre vingt quinze mètres d’altitude par les topographes
colonisateurs français. « Rawda » ou « Khaloua
» : (lieu isolé pour la solitude et pour la prière) marquait bien selon les
récits de nos ascendants son passage par là lors de l’un de ses pèlerinages. Il
s’y fut arrêté quand il arriva du fond du sud du pays ; du Sahara même ; des
tribus des Béni-Arousse de Sakiate el Hamra comme on disait. Et ce fut là à
Essmiâa qu’il se fut reposé sous le grand arbre. Et qu’il y eut prié pour un
bien bout de temps. Il y eut laissé sa
« Baraka » : (bénédiction), que
les gens venaient encore chercher. Les filles pour avoir de nouveaux
prétendants. Les femmes stériles pour devenir fécondes. D’autres pour avoir
beaucoup d’enfants. Et les hommes eux ; pour avoir surtout des garçons qui
deviendraient peut être dans l’avenir des « Fkihs » : (maitres de coran) illustres,
ou au moins d’humbles « Tolbas » :
(disciples en apprentissage du coran). Car Moulay Abdessalame fut un grand
Imam.
L’espoir de la montagne entre le silence et l’oubi, Ed. Edilivre, 2015
Mohamed Saïd Raïhani
Mohamed
Saïd Raïhani, est né le 23 décembre 1968, à Ksar el Kébir, au Maroc. Il y fait ses études primaires, et va à Tétouan, suivre ses études universitaires en littérature
anglaise. Il se passionne pour les arts plastiques, faute d’accéder à l'école
des Beaux-Arts, située à 130 kilomètres, à l’âge de quinze ans, il opte pour la
littérature. Il tente d'écrire son autobiographie en française dans les années
lycée. Puis, il met à écrire des pièces de théâtre en anglais, alors épris de George
Bernard Shaw. Il était fasciné par les écrits d'Ernest Hemingway. Il publie Amoureux
(1991), Sésame, ouvre-toi ! (1994), En attendant le lever du
jour, nouvelles ( 2003), Saison de la migration vers tous les lieux,
nouvelles (2006), Les Trois
Clefs : Une anthologie de la nouvelle marocaine contemporaine
(2006-2008), L’ennemi du soleil, le clown qui s’avéra monstre, roman, (2012), Non à la violence, nouvelles (2014), Cinquante
micro-nouvelles : Liberté, micronouvelles ( 2015).
L’Oiseau de joie
La date
d'aujourd'hui sur le calendrier accroché au mur est encadrée en rouge. Est-ce
un jour de fête ?
J'ai
découvert récemment que la perception que j’ai des dates des fêtes est de
plus en plus terne. Je les oublie beaucoup et je ne m’en rappelle que par
hasard en me promenant sur le boulevard où les lumières saisonnières clignotent
misérablement sur les visages de la clientèle des cafés ombragés par des
drapeaux bien usés et des banderoles dont la plupart des lettres gribouillées
se sont essuyées.
Ce sont les
mêmes manifestations des mêmes fêtes qui se répètent à l’infini.
Cependant,
dans mon enfance, je me rappelle que je n’ignorais pas les dates des fêtes
autant que je ne le fais à présent. Je ne laissais aucune chance aux banderoles
de me surprendre. Je ne dormais même pas la veille de la fête : Je restais
éveillé devant l'horloge, à attendre l’avènement rayonnant de la fête pour
mettre mes nouveaux vêtements et puis louer une bicyclette pour joindre mes
camarades dans leurs courses à vélo vers l’infini. je ne me rappelle pas
comment le sommeil et le rêve m’emportaient loin de l’horloge et m’habillaient
de mon plus beau pull-over tout en y inscrivant les plus douces des expressions
et que mes camarades, trouvaient du plaisir à répéter en bégayant : "Comme
un oiseau"
Leur joie
m'envahit. Je cours. Je vole. Comme un oiseau. J’étends mes petits bras pour
voler, en imitant, dans mes songes, l’oiseau dans le ciel volant de ses propres
ailes, je l’imite. Il vole et je le suis sauf que mes camarades à chaque fois
sabotaient les tentatives de décollage ; ils se ruaient pour me dévorer
les aisselles et s’amusaient simultanément de mon fou rire et de mes coups
de pieds qu’ils prenaient à tort et à travers et que je leur donnais pour
me débarrasser d'eux avant que l'oiseau de fête n’apparaisse dans l'horizon
lointain attirant tous les enfants qui chantent leur joie de le revoir et
dansent leur identification à son état :
Danse, danse,
Amoureux
Je te
donnerai ce que tu veux
L'oiseau
descendait jusqu’au niveau des maisons inclinées les unes contre les autres.
Plus nous chantions, plus il dansait. Au moindre arrêt, l’oiseau volait dans le
ciel lointain mais il retournait encore et encore chaque fois que le chant
et la danse recommençaient en secouant ses ailes pour répondre à nos
chansons et nos acclamations :
Danse, danse, Amoureux
Je te donnerai ce que tu veux
Je te donnerai ce que tu veux
L'oiseau
venait nous voir le matin de chaque fête. Il volait dans le ciel en
attendant que nous sortions l’accueillir pour célébrer ensemble la fête en
dansant et en chantant... mais, au fil du temps, l'oiseau a disparu :
Probablement,
parce que les personnes ici ont vieilli,
Probablement,
parce que les oiseaux de joie n'existent plus. Probablement, encore, parce que
l'histoire dans son origine n’était qu’une simple illusion perpétuée par des
enfants innocents…
Maintenant, je tourne les pages du
calendrier, humectées par le suintement des lieux, à la recherche de
futurs jours fériés et de futures dates en rouge.
Je tourne les pages, l’une après l'autre.
Encore et encore...
Rien.
Aujourd'hui, alors, c’était la dernière fête.
Je tourne les pages, l’une après l'autre.
Encore et encore...
Rien.
Aujourd'hui, alors, c’était la dernière fête.
Recours au poème, Ed. Poésie & Monde poétique, 2014
(D)
LES ÉCRIVAINS
FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TÉTOUAN
1947-1963
Omar
Azziman
Omar Azziman, né le 17 octobre 1947, à Tétouan, est un écrivain
franco-hispano-arabophone, avocat, universitaire diplomate et conseiller royal marocain
(2011). Il fait ses études supérieures à Rabat, à Nice et à Paris. Il est en 1972, professeur à la faculté de Droit de Rabat et dans des établissements nationaux et étrangers. En
1993-1995, il est ministre délégué chargé des Droits de l'Homme
dans les gouvernements Lamrani et Filali. En 2002, il est président du Conseil consultatif
des droits de l'homme (CCDH). En 1996,
il est responsable de la Chaire de l’Unesco, pour l'enseignement, la formation
et la recherche en matière des Droits de l'homme, à l'Université Mohamed V,
membre de l'Académie du Royaume du Maroc, avocat-conseil, expert-consultant d’organismes
nationaux/ internationaux, cofondateur et président d’ONG, dont l’OMDH. En 2004,
il est ambassadeur du Maroc à Madrid, président de la (CCR), en 2010 et en 2013 président du Conseil supérieur de l’enseignement et auteur
d’ouvrages, dont : Droit civil, droit des obligations (1996), etc.
Le droit
commercial
Le
droit commercial est la branche de droit privé relative au commerce. Il
correspond aux règles applicables aux opérations juridiques accomplies par les
commerçants, soit entre eux, soit avec leurs clients. Généralement ces règles
sont applicables pour leurs rapports d’affaires.
L’article
6 du code de commerce précise que la qualité de commerçant s’acquiert par
l’exercice habituel et professionnel de certaines activités énumérées par le
même article.
La
formule légale signifie que la qualité de commerçant est subordonnée à
l’exercice d’une activité commerciale : d’une part à titre professionnel,
d’autre part à titre personnel, c'est-àdire au nom et pour le compte de
l’intéressé.
Les
commerçants sont les acteurs principaux de la vie des affaires, le législateur
a du depuis toujours protégé leurs droits en imposant une réglementation propre
à ces derniers.
Citons
par exemple, qu’en matière civile la preuve est soumise à certain formalisme
tandis qu’en droit commercial la preuve est libre, il est permis aux
commerçants de faire admettre leur comptabilité comme moyen de preuve.
Aussi
les commerçants ont droit de pouvoir déroger par une stipulation contractuelle
aux règles de compétence territoriale des tribunaux, ils sont élus dans les
chambres de commerce, Ils peuvent en outre insérer dans leurs contrats une
clause compromissoire.
Le
législateur a crée des procédures spécifiques qui sont propres aux commerçants
à savoir, le redressement et la liquidation judiciaire.
Les
commerçants bénéficient de plusieurs autres droits qui sont organisés dans une
structure appelée « fonds de commerce » ce dernier constitue le bien le plus
important dans leurs patrimoine.
On va
traiter tout d’abord les droits des commerçants qui on une relation inséparable
avec le fonds de commerce avant de s’intéresser aux droits de la propriété
industrielle.
Droit civil, Droit des obligations, le contrat,
Ed. Le fennec. 1996
Mhamed Benaboud
Né le 23 juin 1950, à Tétouan, au Maroc, M'hammad Benaboud est un
écrivain marocain franco-hspano-anglo-arabophone. Il étudie au collège
américain de Tanger et à l’Université San Diego, aux Etats-Unis, et obtient un
B.A en science politique Il obtient son Ph.D à l’Unversité d’Edinburgh, à
Scotland, U.K. (1978) et un doctorat sur L’histoire politique et sociale de
Séville sous les Abbadides, (prix du
Ministère de la culture marocain, 1983. Il est professeur d’histoire à
l’Université Mohamed V, à Rabat (1978-1989), puis à la fac des lettres de
Tétouan, Université Abdelmalek Essaadi. Il publie des ouvrages et des articles
dans des revues, à Liverpool, Tunis, Rabat, Aix-en-Provence. Il est membre d’associations dont l’UEM,
professeur invité aux universités de Madrid, Chicago, Tokyo, Lahore, Lima et
coordonne un groupe d’études maroco-andalouses sur le nord du Maroc et certains
aspects d’orientalisme. Il préside l’ONG Tétouan–Asmir (1996-2000), publiant divers
livres et un CD-ROM Tétouan patrimoine de l’humanité.
Le développement des faubourgs morisques
Quelque 10 000 Morisques s’installèrent à Tétouan et peut-être
40 000 dans la région. La population totale atteignit au milieu du siècle
le chiffre, important pour l’époque, de 22 à 26 000 habitants. Il allait
rester à peu près constant jusqu’à l’explosion démographique du xxe siècle. Cet
apport entraîna l’extension de la ville dont la surface quadrupla pour
atteindre la taille de la ville fortifiée actuelle. La topographie du site
contraignit à construire des nouveaux quartiers à l’ouest et à l’est de la
ville originelle (l’actuelle al-Blad).
Un
des deux faubourgs de l’ouest, al-Uyun, était connu à l’époque sous le nom de
Ribad al-Andalus ou quartier andalou. L’autre, le Tranqat, porte un nom
inhabituel, probablement d’origine espagnole castillane. Le plan du quartier,
en partie octogonal, indique aussi que les Morisques de la Renaissance
espagnole introduisirent le concept du plan urbain idéal, en parfait contraste
avec la croissance...
Tétouan, ville andalouse marocaine, Ed. CNRS,
2001
Mohamed El Jerroudi
Poète,
artiste peintre et critique d’art, Mohamed El jerroudi est né en 1950, à Béni
Sidel, au Maroc (RIF). Il séjourne actuellement à Tétouan. Professeur de
français, de 1972 à 2010. Il mène une vie très active, dès 1976, dans le
domaine des arts plastiques et littéraires (conférences, écrits et poèmes dans
la presse marocaine,...). Poète marocain de langue française, il publia un
premier recueil, au Maroc, Le silence décrit (1998), à Paris, Cœurs
absents (2011), Mémoire des temps futurs (2015). Poète atypique, sans
nulle obédience scolastique, épris de liberté, et d’universalité de l’humain,
il se situe par-delà les particularismes aigüs qui endeuillent le monde.
Au bord de la méditerranée
Je suis né
Au bord de la méditerranée
Chez nous tout le monde est né ici
Quand je regarde les vagues
Je me demande comment étaient mes ancêtres
….
De l’autre côté d’un rocher millénaire je suis allé voir
un vieux pêcheur
Lui qui sait comment parler aux vagues
Je l’ai salué à haute voix
Lui m’a répondu en se recueillant en silence
….
Puis il a commencé à énumérer les noms de mes ancêtres
Tu es le fils d’Adam et Êve
Puis tu as voyagé dans l’arche de Noé
Tu as sans doute débarqué à Athènes ou au Liban
Peut-être es-tu phénicien car tu vis maintenant à Tanger
Tu as confessé à l’Islam et tu as vécu à Cordoue plus
De huit siècles
Aujourd’hui tu vis au début d’un siècle où chaque
mosquée a sa religion
Je sais que tu cherches ton dieu
N’écoutes jamais ce qu’en disent les savants marchands
de prières
Crois en ton dieu vis tes rêves sois toi-même
Regarde cette lumière qui te vient de partout
Et ne fais jamais marche arrière.
Au bord de la méditerranée
Chez nous tout le monde est né ici
Quand je regarde les vagues
Je me demande comment étaient mes ancêtres
….
De l’autre côté d’un rocher millénaire je suis allé voir
un vieux pêcheur
Lui qui sait comment parler aux vagues
Je l’ai salué à haute voix
Lui m’a répondu en se recueillant en silence
….
Puis il a commencé à énumérer les noms de mes ancêtres
Tu es le fils d’Adam et Êve
Puis tu as voyagé dans l’arche de Noé
Tu as sans doute débarqué à Athènes ou au Liban
Peut-être es-tu phénicien car tu vis maintenant à Tanger
Tu as confessé à l’Islam et tu as vécu à Cordoue plus
De huit siècles
Aujourd’hui tu vis au début d’un siècle où chaque
mosquée a sa religion
Je sais que tu cherches ton dieu
N’écoutes jamais ce qu’en disent les savants marchands
de prières
Crois en ton dieu vis tes rêves sois toi-même
Regarde cette lumière qui te vient de partout
Et ne fais jamais marche arrière.
Mémoire des temps futurs, poésies, Ed. du Sygne, 2015
Boussif Ouasti
Boussif Ouasti, né en 1951, à Oujda, est un
écrivain marocain francophone. Il est professeur à la faculté des ettres de
Tétouan. Il est l’auteur de : Tétouan de Dello ou La Fille Grenade vue par
un voyageur français au seuil du Xxe siècle (1996), La Rihla d'Ibn Battuta Voyageur écrivain marocain (2006), Une Ambassade Marocaine Chez Louis-Philippe Rihlah
Al-Faqih Assaffar Ila Bariz 1845-1846 (2001).
Il est lauréat du prix
de la traduction Ibn Khaldoun-Senghor décerné, au Cercos-Maroc (2008), pour «La
raison politique en islam, hier et aujourd’hui» de Mohamed Abed al-Jabri
(2007).
Assaffâr
apprécie l’hospitalité française
En revanche, l’amassade marocaine était prise en charge par le
gouvernement français dès la ville de Tétouan. Caillé avance que la dépense
s’était élevée à 450 francs par jour, soit 14 francs par personne ce qui, selon
lui était considérable. Assaffâr qui semble apprécier l’hospitalité française,
comme d’ailleurs ses prédécesseurs sensibles à des marques de politesse et de
bienveillance de leurs hôtes, déplorent la nourriture qui n’était pas halâl
(licite en matière religieuse) bien sûr et l’incommodité des ustensiles de
toilettes destinées aux ablutions. Il déclare même que le moment le plus
ennuyeux pour était le moment du repas à cause de la nourriture et de la
méconnaissance de la langue française. Cela dit, il ne faudrait jamais croire
sur parole les écrivains qui sont des faux monnayeurs au sens gidien du terme.
Assaffâr avance aussi que l’ambassade sortait rarement pour préserver sa
dignité, or la presse de l’époque montre avec de l’iconographie à l’appui que
le richissime Ach’âch a été l’un des Bachdûr les plus mondains et qu’il a
profité de son séjour en France pour effectuer de multiples visites. […]
Assaffâr
décrit, mais de manière rapide, laudience royale ; il évoque l’échange d’allocutions
entre l’ambassadeur marocain et Louis-Philippe, d’où il ressort que la France
souhaite maintenir ses liens d’amitié et de voisinage.
Au-delà des contraintes du genre codifiées de la Rihla
d’ambassade destinée au monarque, les propos à la fois allusifs et frondeurs
manifestent le sentiment plus ou moins froissé de l‘auteur, membre d’une
commission venue en France après la défaite d’Isly pour confirmer, nous l’avons
déjà signalé, les traités de paix signés entre les deux pays.
Ambassade marocaine chez Louis-Philippe,
Ed. Méditerra, 2001
Ahmed Lamihi
Né, le 29 octobre, 1956, à Oulad Abbou,
près de Settat, Ahmed Lamihi y étudie, jusqu’au
bac. Il part préparer un doctorat en sciences de l’éducation à l’université
Paris 8. Il est professeur à l’ENS, Université Abdelmalek Essaadi, de Tétouan.
Il publie en France et au Maroc : La pédagogie expérimentale :
Maria Montessori et Ovide Decroly (1993), Les Cahiers de l’ENS de
Tétouan, magazine (1993-1995), De Freinet à la pédagogie
institutionnelle ou l’Ecole de Gennevillers (1994), Les pédagogies
auogestionnaires (1995), Freinet et l’Ecole moderne (1997), L’éducation
constitunionnelle (2008), Institution et implication (2002), Pédagogie
et implication (1998), Dossiers pédagogiques, revue (1998-2005), Les
pédagogies institutionnelles : théories et pratiques de l’école (2014),
Il prépare : L’itinéraire, une autobiographie (2015), un roman, en
2016, etc. Il est à la tête du Laboratoire Marocain de Recherche en Sciences
de l’Education (LAMARESE) de l’UAE, à Tétouan.
L’inachèvement
permanent de l’homme
En effet, demander à Georges Lapassade (1924-2010) d’écrire son
autobiographie, c’est oublier que cet homme a souvent développé des sentiments
très négatifs par rapport aux passions de son passé. C’est oublier aussi que
cet infatigable chercheur a toujours vécu dans l’ici et maintenant :
« L’exercice autobiographique, m’a-t-il dit, me gêne en son principe même,
je n’en vois pas l’intérêt, alors que je peux me passionner pour d’autres
autobiographes ».
Fidèle à sa théorie de « l’inachèvement permanent de
l’homme », tout ce qu’il dit, tout ce qu’il écrit, il le remet aussitôt en
cause, le considérant déjà comme quelque chose d’inachevé.
J’en veux pour preuve ces entretiens mêmes : réalisés pour la
première fois en mai 1994, en plusieurs versions, nous avons dû travailler
encore une fois, durant la première moitié de l’été 1997, à ce que Lapassade se
plaisait à appeler, comme toujours, une « avant dernière
version » ! […]
Les entretiens que nous publions ici, tant par leur contenu thématique
que par la forme d’un dialogue qui se construit continuellement dans un climat
d’incertitude et d’inachèvement, sont l’expression vivante de cette recherche
institutionnelle.
Introduction à : George Lapassade, ou la
pédagogie de linachèvement, Entretiens, Ed. des Dossiers pédagogiques, 2013
Najib Bendaoud
Né, le 13 juillet 1963, à Tétouan, au Maroc, Najib Bendaoud est un écrivain
et poète marocain francophone. Il y fait ses études primaires et secondaires.
Il prépare une thèse de psychologie 3e cycle, à l’université de
Toulouse 2, en France (1984). Il devient enseignant-chercheur à l’ENS de
Tétouan et publie des recueils de poésies dont : Les beaux mots,
récit (2009), Les seins pénible (2010), Gitane (2011), Mon ami le
printemps (2012), Hanan (2013), etc.
En
route pour Assilah
Hier peut-être,
C’était un beau soir,
Un brin magique d’espoir,
Une portion de blanc dans mon noir...
Ou peut-être avant-hier,
Une belle terre féerique
Est venue loger mon air
Tendrement : tendresse est son nom,
Un rendez-vous aléatoire !
Hier, elle est apparue dans mon voyage
Au long d’un parcours sans rivages.
Le ciel, elle, et mon café léger et noir
En silence se sont racontés des choses,
Des gens murmuraient, au fond,
Mon éventuel désespoir ;
De grosses voitures incertaines
Et de moins grosses confuses,
Attendaient le départ de son départ.
La mer, le vent et tout Assilah
- La ville de mes amours fous,
Croyaient en son mystère :
Serait-elle cette hôtesse de mes lieux
Ou cette autre de mes cieux ?
Hanan, Ed. Epingle à nourrice, 2013
(E)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À OUAZZANE
1887-1955
Saïd Guennoun
Saïd Guennoun,
né en 1887, à Ouled-Aïssa en Kabylie, et mort en 1940, à Meknès, est un
écrivain romancier francophone, et officier des Affaires Indigènes d’origine
algérienne. Il est l’aueur de romans et de monographies sur la pacification des
tribus au Moyen-Atlas marocain. D’une famille dont les terres ont été
confisquées, il fait des études bilingues, en 1871, il obtient un brevet
supérieur en français et un diplôme de la médersa. En 1902, il s’engage dans le
régiment des tirailleurs algériens. En 1912, il est sous-lieutenant, à Khénifra
à l’assaut des troupes françaises à El-Hehri. Naturalisé français, en 1916, il
devient capitaine. Après la Grande Guerre, il revient décoré au Maroc, en 1920.
Il est le premier officier à pénétrer à El-Kebab, en 1926. Il est muté pour
indiscipline à un poste au nord, près d’Ouazzane. Il publie : Dujiouchs
et rodeurs (1929), Montagne berbère, essai sur Aït Oumalou, prix de
l’Académie française (1930), La voix des monts, roman (1934), etc.
Commandant des Affaires Indigènes, il meurt en 1940, à Meknès.
Les désertions successives des spahis
En quelques jours, un escadron de spahis,
particulièrement atteint par le mal, perdit par les désertions successives,
plus de la moitié de son effectif. Des petits postes entiers partaient chaque
matin avec leurs fusils et leurs cartouches après avoir assassiné leurs
brigadiers français ou algériens qui refusaient de les suivre en dissidence. On
dut désarmer ce qui restait encore de l’unité et confier les chevaux à des
tirailleurs algériens volontaires, chargés désormais du service de vedettes.
[…]
Engagée de force – parmi des centaines
d’autres- à servir de porteuse et de cuisinière auprès des colonies militaires
françaises, qui pénétraient jadis progressivement dans le territoire
montagnard, une femme des Ayt Ayyach Ounzegmir lançait cette complainte :
usiġ aġrum d waman
aġulġ d asrdun ittﻉtaqen s uﻉggadi
usiġ tamnt usiġ isufar
usiġ i wrumiy taggwatt
g usmmid giġ udad n ﻉari
ar akkaġ aﻉllaf i wrumi y ad inġ winu
J’ai porté force pain et de
l’eau
Je suis réduite à une mule,
je me nourris du bâton
J’ai porté du miel et encore
des épices
J’ai porté le baluchon lourd
du Roumi
Dans le froid, je suis le
mouflon des montagnes
Et j’ai nourri le Roumi qui
donne la mort à mes proches.
La montagne berbère, Ed. Omnia, 1933
Abderrahmane Laghzali
Abderrahmane
Laghzali, né à Ouezzane en 1955,
professeur de français à Mohammedia, a publié un recueil de nouvelles « Au
cœur de la nuit », dans « Côté Maroc », dans Tel Quel,
Agora, Al Bayane et Libération. Il est traducteur d’auteurs palestiniens
(Mahmoud Shukair, Gassane Kanafani), du Syrien Zakari Tamer et lauréat du prix
de la nouvelle « Auteur Inaperçu du Maghreb ». Il est aussi
l’auteur : En dépit des épines, poésie (2014), etc.
Tard la nuit
Un soir au
milieu de la nuit, mon stylo s’est arrêté d’écrire. Je l’ai jeté violemment sur
le bureau. J’ai pris un livre et je suis allé au lit. En ôtant d’un geste
fébrile, mes chaussettes que j’avais gardées à cause d’un froid hivernal
rigoureux, j’entendis cet appel : « Soupirant, amoureux fidèle, je me livrerai
» J’étais seul à la maison. Seul, avec moi-même, dans une chambre située dans
un coin écartant d’elle tous les bruits de la rue. Toutes les portes à la
maison étaient fermées. Toutes les fenêtres aussi. Les habitants de
l’appartement voisin, bien qu’ils soient nombreux, ne font jamais de bruit ni
le jour ni la nuit. La pluie était torrentielle, et les rues désertes. J’ai
tendu l’oreille, je l’ai collée à la porte, bien des minutes…
Au milieu
de la pièce, à proximité de la table sur laquelle j’allais poser mes lunettes,
une chaleur intérieure m’envahit. Mes oreilles bourdonnaient, ma langue
séchait, mon front suait, mais, mes mains devenaient froides ! Je grelotais.
Subitement, je vis comme un éclair passer, et sui partis en même temps que lui.
C’était un long et lointain voyage dans les labyrinthes de l’histoire, mon
histoire, notre histoire… Des sensations en désordre, des images me parvenaient
de quelque part en moi. […]
Je m’assis
au bureau, et, involontairement, je fermai les yeux très forts. Aussitôt, le
bourdonnement revint et cette fois-ci, ce que j’entendis était exhortant, beau
comme un poème, majestueux comme la mer. « Courage ! dit solennellement la voix
mélodieuse. Je suis l’ennemie du silence duquel tu cherches à guérir, ce
silence qui t’étrangle et que moi, je déchire. Je suis celle qui t’habite, qui
te hante mon bohémien ; celle sans laquelle tu ne peux plus rien. Mon pouvoir
est la purification. Mon pouvoir est la libération. Je suis euphorie et
douleur. Vos joies, vos rêves, vos malheurs, vos cris, et vos pleurs je les
nomme. Je t’affranchis du réel et je le transforme…Ébauche, tâtonne, et
trompe-toi. Aie confiance en ton moi dont les racines ne peuvent être que dans
le soi. Veuille, ose, endure. Le chemin est long et dur. Crois et
persévère, assume et ôte les barrières.
- Et nous,
ajoute une voix douce et consolante, nous sommes les serviteurs de celle qui te
captive et te libère, de l’irrésistible par qui tu apprends à résister… Si tu
nous cherches sans nous trouver, ne t’irrite pas. Sache que tantôt nous venons
vite, tantôt, nous mettons du temps. Patience.
Au coeur de la nuit, nouvelles, Ed. El Moutaki Printer, 1999
(II)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
AXE AL
HOCEIMA-TAOUNATE-
TAZA-
CHAOUEN
1858-1980
(A)
LES
ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
NATIFS
ET RÉSIDENTS
À AL
HOCEIMA
1950-1957
Mhamed Lachkar
Mhamed Lachkar est né le 17 mai 1950 à
Alhoceima où il a poursuivi ses études primaires et secondaires qu'il achève à
Tétouan. En 1970, il va à la faculté de médecine de Rabat et s'engage militant
de la gauche radicale dans l'UNEM. En 1973, il est arrêté et détenu plusieurs
mois dans divers centres dont Derb Moulay Chrif et Courbis. En 1980, il est médecin
chirurgien, à l'hôpital public puis dans sa propre clinique privée. Il est actif
dans la vie civile et associative. En 1995, il crée l'ONG Asasha, qu’il dirige toujours.
Il est membre actif de nombre de réseaux associatifs internationaux. Il publie
régulièrement des articles d'opinion et d'analyse sur son blog de Mediaprt.fr. Il
est marié, a trois enfants et deux petits enfants. Il publie : Courbis :
Mon chemin vers la vérité et le pardon, récit carcéral (2011), etc.
C’était au cours d’une nuit de
Ramadan
C’était au cours d’une nuit de
Ramadan (octobre 1973) que j’avais pu apercevoir de ma cellule le Dr Khattabi
sortant de la porte des toilettes. Je ne le connaissais pas physiquement, mais
l’aspect particulier de ce détenu n’allait pas me laisser indifférent. C’était
plutôt sa tenue blanche et correcte (un polo et un pantalon) qui allait attirer
l’attention de tout le monde. […] Plus tard au Courbis, des jeunes du groupe de
Bni Ahmed de la même cellule voisine à
la nôtre, racontent que les gardes lui réservaient un traitement particulier.
Il était très respecté et avait même droit à un livre du Coran. Il passait tout
son temps à lire. […]
La dernière fois que je l’avais vu, c’était en avril 2006, dans son lit
de malade à l’hôpital militaire Mohamed V de Rabat. Physiquement il était
affaibli et malgré son âge avancé, près de 80 ans, il continuait à transmettre,
par ses paroles et ses gestes, les mêmes depuis toujours, le même espoir qu’il
avait toujours nourrit, de voir un jour le Maroc changer et devenir un pays où
il est digne de vivre.
Mais j’ai vu aussi ce jour-là en lui, un
homme courageux, sûr de lui et sûr qu’il allait s’en sortir. Il m’avait promis
que dès qu’il se rétablira, il viendra s’installer une fois pour toute à
Alhoceima à côté de nous. […] Quand il venait dans le Rif, c’était surtout pour
passer au maximum deux ou trois jours. Alors il […] tenait à passer les
dernières années de sa vie au bord de la mer dans le calme et la quiétude pour
écrire ses mémoires.
Mon
chemin vers la vérité et le pardon, Ed. Edilivre, 2011
Abdelkader Lamgari
Né en 1955, à Alhoceima, retraité, Abdelkader Lamgari est un écrivain
et poète francophone marocain. Il a travaillé, à l’usine Sucrafor (Zaio) et à
la fonderie de plomb de Zellija (Oued el Heimer). Il a quitté l’école tout
jeune pour devenir ouvrier, durant huit ans, avant de reprendre ses études en
allant en France. Il devient professeur de français dans les centres de
formation professionnels, à Al Hoceima. Il est l’auteur : Éloge de
l’errance, poésie (2008), Chronique d’un village oublié, Oued-el-heimer,
roman (2014), etc.
Je
voudrais larguer les amarres
Je voudrais larguer les amarres
et rompre avec les chaînes,
les certitudes,
les déceptions accumulées,
les révoltes vite assagies,
les victoires trop vite déclarées,
une mémoire déjà usée...
Je voudrais rompre avec le
mensonge et la corruption
érigés en institution,
rejeter les a-priori,
les peut-être,
les axiomes établis,
les miettes des jours arides,
détruire les châteaux d’illusions trop
longtemps nourries,
rompre avec les fers,
n’attendre désormais plus rien,
abandonner jusqu’aux rêves mesquins,
rejeter l’encre et la plume.
Servent-elles encore à quelque chose ?
Ne plus penser.
Ne plus écrire.
Éloge de l’errance, poésie, Ed. Edilivre, 2008
(B)
LES
ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
NATIFS
ET RÉSIDENTS
À
TAOUNATE
1959-1980
Bouchta
Es-Sette
Bouchta Es-Sette, né le 12 juillet 1959, à Taounate (Maroc), écrivain
marocain, professeur de littérature française à la faculté des Lettres de
Meknès (Maroc), membre de l’association Les Amis de Valentin Bru (France), de l’équipe
“Esprit nouveau en poésie Apollinaire Queneau” Sorbonne Nouvelle, il a publié
des articles sur internet et, actuellement, une étude littéraire «Esthétique de
la contrainte littéraire» à la faculté des Lettres de Meknès. Il publie : Si
tard après minuit, roman (2007), etc.
L’argent ne ment pas
L’argent est
sincère, l’homme est hypocrite. Celui-ci extériorise facilement l’ensemble de
ses désirs ; quand il a besoin de quoi que ce soit, il trouve les moyens
d’exprimer ces désirs, même les non naturels font l’objet d’une expression
aussi aisée. L’homme dit en effet son besoin de liberté, son besoin d’égalité
et de justice. Il dit aussi son besoin de manger, de boire et de faire l’amour.
Pour se réaliser, il adhère à des associations et partis politiques, participe
à des manifestations, à des organisations et à toute autre activité susceptible
de concrétiser ce vers quoi il tend. Comme il peut dire son désir de ce qu’il
appelle la démocratie, des droits de l’homme, de l’égalité entre l’homme et la
femme et de moult autres envies qui chatouillent ses appétits. Il affiche avec
grande solennité ses préférences pour toutes les vertus qui emplissent le
creuset dont s’alimentent les humains quels que soient leur âge, sexe,
religion, couleur, ethnie et pays. Qui de nous ne rêve pas d’une société où
règne l’égalité, la liberté, la fraternité, la sincérité, l’amour, le respect
des autres… Qui peut cacher son admiration pour toutes ces vertus ? Vu
sous cette perspective, l’être humain passe pour une entité sociable avec
laquelle il est facile de cohabiter. Si tel était réellement le cas, l’homme
serait fidèle à lui-même, fidèle aux multiples images et idéaux dont il cherche
à se couvrir.
Hélas,
l’homme qui, en fait, fait partie d’un ensemble naturel complexe est si
imprévisible qu’il a souvent tendance, pour exprimer ces désirs cités, à dire
ceci et à faire cela, à penser ceci et cela tout à la fois, à adopter en
définitive des attitudes paradoxales, voire répréhensibles. Aussi est-on en
droit de se demander pourquoi tant de paradoxes et d’amalgames. Ne serait-ce
pas parce que l’homme ne cherche pas à satisfaire uniquement ses besoins
naturels, et qu’il tend à s’en imposer d’autres plus compliqués et foncièrement
artificiels ? Ses démarches paradoxales rendent ces interrogations
légitimes : l’homme est-il fait pour mentir ? Le mensonge est-il une
propriété inhérente à sa nature ? Tout de lui concourt à soutenir ce
postulat. Qu’on en juge par cette merveilleuse science qu’il a découverte et
qu’il a eu l’audace d’appeler « science politique » au lieu de lui
donner une dénomination plus adéquate et qui serait « l’art de la
duperie ». C’est une discipline que le temps a rendue indispensable, un
art basé sur la supercherie et qui a pour vertu la possibilité de tout réaliser
sans forcément passer par les voies de la légalité et/ou de la légitimité…
Le jeudi 2 février 2012
Mohamed Ezzouak
Mohamed Ezzouak est né, en 1980, à Douar Taounate. En 2002, il quitte le
Maroc, à l'âge de deux ans, et vit aujourd'hui, dans le 13ème arrondissement,
près de la Bibliothèque François Mittérand, à Paris. Il est informaticien et
webmaster de yabiladi.com. Il est le rédacteur en chef du journal en ligne la
"Gâchette du Maroc". Il l’a lancé, en 2002, en tant que
journal satirique sur le site indiqué, d'où on peut le télécharger. Il y publie
des articles humoristiques où, les "Zmagris", mitraillent
satiriquement tous les journaux qui font des articles bidon, au Maroc.
Maroc 2010 ?
Une année s'achève, une autre voit le jour. Pour le compte à rebours a
commencé. Plus que cinq années avant la date fatidique de 2010. Cette année
porteuse de tant d'espoir constitue le but ultime de la vision Maroc 2010, un
vaste programme visant à faire entrer notre pays dans le 3ème millénaire...
avec 10 années de retard.
C'est pour cette raison que nous avons choisi de répartir ce numéro de La Gâchette en deux avec la première consacrée à
divers éléments qui ont fait l'actualité du mois de Décembre. De nombreux
articles traitent des médias au Maroc qui pour le mois dernier ont encore fait fort
: plagiat, propagande, ou information bidon.
La deuxième partie quelque peu originale nous projette en Janvier 2010.
Votre magazine, toujours vivant, sort son numéro de Janvier après plus de 5 ans
d'existence et vous informe sur ce Maroc de 2010 présent dans l'imaginaire de
millions de marocains.
Nous profitons de cet edito pour vous adresser au nom de toute l'équipe
de La Gâchette du Maroc, pour vous adresser nos meilleurs vœux pour 2005 avec
un peu de retard comme d'habitude. Un retard qui vient tout simplement du fait
que nous sommes toujours à l'heure, mais à l'heure marocaine.
Bouchta Jebli
(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TAZA
1959-1980
Noureddine Bousfïha
Noureddine Bousfïha, né en 1948, à Taza, au
Maroc, est enseignant et chercheur, membre de l'ADELF, est un écrivain et poète
marocain francophone Il fait étudie au Maroc, puis à l’École des Hautes Études
et Sciences Sociales, à Paris, et y obtient un doctorat en sociologie,
sémiologie des arts et des littératures (1982). Il enseigne la poésie à la Fac
des lettres de Marrakech et y dirige le département de Langue et littérature
françaises. Il publie : Safari au sud d'une mémoire (1980), Les Fables du doute (1984), Poésie arabe et lumière, anthologie (1990),
Juste avant l'oubli, poésie (1990), Versants retrouvés (1995), Veillées d’âmes de Kamel Zebdi (2009), et
des articles dans des revues de poésie à Dijon, Toulouse, Cadiz, Bari,
Columbus, et un essai sur la poésie de Mohamed Khaïr-Eddine.
Dans ces journées de tristesse, j’ai essayé de
retrouver un peu de vie intérieure en lisant ou en relisant quelques poèmes.
J’ai
retrouvé sur mes étagères deux petits fascicules de poètes marocains. Et les
feuilleter m’a permis de me souvenir que le Maroc est à la fois UN et PLURIEL.
En
effet, les poèmes de Kamel ZBDI, fils de la bourgeoisie r’batie, ancien
diplomate, poète de cour pour certains, peintre, artiste jusqu’au bout des
mots, orfèvre de la langue française, ne procure pas les mêmes émotions que les
textes de Abdellah ZRIKA, fils du quartier populaire casablancais de Ben M’Sik,
ancien prisonnier politique, violeur de la langue arabe
traditionnelle, qu’il torture avec l’art consommé de celui qui a
été torturé lui-même par la vie.
La lecture de poèmes de Kamal ZEBDI, nous
plonge dans un monde magique, bien loin de la réalité quotidienne. Un
monde subtil, fin, où les thèmes récurrents sont la beauté, l’amour, l’homme.
Pour Nouredine Bousfiha, préfacier du recueil « VEILEES D’AMES » (Slatkine,
Genève, 1988), Kamel ZEBDI « nous offrira dans ces poèmes qui ont la
puissance des vents incontrôlables, la fragilité d’une lèvre vierge qui
balbutie les serments qui lient à jamais l’homme épris de liberté à la mer et à
toute l’éternité ». […]
D’abord,
Kamel ZEBDI, disparu en 1997 :
Menace
sur la création
Prends garde à la douceur des mots
Le miel savoureux
A ses rancoeurs
Le velours génétique ses flamboyances
Ses indécences
Son déclin.
Pour une poignée de menthe fraîche
(À une captive)
Libertés dont les joyeux blessés
Ruissellent sur un front baisé
Détresses profondes qui végètent
Sur les parois de pierres sourdes
Les printemps succèdent aux printemps
Sans t’apporter leur sourire.
Préface de Nouredine Bousfiha,
au recueil poétique de Kamel Zebdi, Veillées d’âmes, Ed. Slatkine, 1988
Aïcha
Mekki
Née en
1952, à Taza, et morte en 1992, à Casablanca, Aïcha Mekki, de son vrai nom Rkia
Fethi, était une journaliste marocaine spécialisée, depuis 1969, dans la
rubrique « chronique judicaire », consacrée aux droits des femmes
violentées, dans le quotidien national marocain L’OPINION. Plus tard, sa
famille émigre, dans les bidonvilles des Carrières centrales, à Casablanca. L’école,
représentait tout son rêve. Adolescente, elle assiste à la violence subie par sa
mère, de son mari, alcoolique. Après le secondaire, elle arrête ses études, pour
travailler, être autonome en se livrant à l’écriture ! Abdeljalil Lahjomri
publie un livre à sa mémoire : PLeure Aïcha tes chroniques égarées
(2001).
Un prix Aïcha Mekki
Mais elle commence par diffuser des spots publicitaires à l’antenne de
la radio et de la télévision marocaine, quand un jour elle croise le chemin
d’une mère analphabète qui lui demande de l’accompagner au tribunal pour
assister au procès de son fils. La prenant pour une journaliste, un jeune homme
lui tend une lettre, dans l’espoir quelle en fasse bon usage pour les laissés
pour compte :
« ….Dix ans de cellule, dix ans d’une malédiction héritée de mille
et une choses, pourriture d’un siècle nucléaire, c’est toi ma condamnation :
Une société des mots-cratiques…
Salut ! Amateur de paroles vitreuses. Vous êtes le maître. Me
revoilà, sauf votre respect, Monsieur le juge, me revoilà, je souffre.»
Cette lettre, eut l’effet de déclic pour Rqia, elle quitte le monde de
la publicité et malgré son manque de diplôme décroche le poste de journaliste à
« L’Opinion », et devient ainsi Aïcha Mekki.
Elle fait des procès judiciaires sa spécialité, et devient la confidente
des drogués, des prostituées, des alcooliques, des handicapés, des malades
mentaux, des sans abri, des femmes battues, des petites bonnes maltraitées,
bref des marginaux de tous genres !
Parallèlement aux procès judiciaires, Aïcha Mekki mène des enquêtes, Elle
a ainsi abordé l’inceste, la prostitution, le viol collectif, la
sorcellerie, la drogue, les enfants martyrisés, les petites bonnes exploitées
et martyrisées, les femmes battues, l’alcoolisme, à l’époque où le
métier de journaliste était « masculin » et où les femmes
s’intéressaient plus à des sujets « mignons » qu’aux sujets
« glauques »… […]
Aujourd’hui, l’histoire n’a pas ASSEZ retenu son nom ni son combat, mais
il y a bien un prix Aïcha Mekki qui est institué pour recomposer les
meilleures chroniques judiciaires du royaume.
Pleure Aïcha, tes chroniques égarées, par Abdeljalil
Lahjomri, préface d’Abderrahman Slaoui, Ed. Malika, 2001
Omar Seddiki
Né en 1960, à Taza, au Maroc, Omar Seddiki est
un écrivain, romancier, poète et artiste peintre et cadre administratif
marocain, franco-arabophone. Titulaire d’un Bac littéraire et d’une licence en
sciences politiques, de la faculté de droit de Fès (1993), il publie en
arabe : L’amoureuse (2007), Ahlam (2012), Mémoire à cœur ouvert, roman
(2014). Intéresse par l’histoire, il participe à un séminaire, tenu à Paris,
sur : la muséologie et l’animation culturelle (2005), et dirige un musée
d’histoire. Il mène des actions socioculturelles : expositions de peinture,
conférences, colloques, salon du livre et publications. Il publie en
français : Maux croisés, Mémoire partagée, roman (2015), etc.
Les circonstances de ma naissance
Dans la plupart du temps, maman s’arrêtait à ce
niveau-là, afin d’essuyer ses larmes. Mais, elle n’avait jamais oublié de
rappeler cette longue introduction et d’évoquer avec regret tous ces souvenirs
poignants, chaque fois qu’elle voulait relater les circonstances de ma
naissance. Un joyeux événement qu’elle fait coïncider avec de vagues repères
temporaires. C’était un fait réel au Rif, les gens ne possédaient pas encore de
livret familial ; j’entendais souvent les femmes dire :
– « Non, ma fille est née quelques mois après
la guerre d’octobre, par contre ton fils a vu le jour juste avant la saison du
labour... Donc, elle est la plus jeune... » !
En
réalité, chacune avait un but précis ou une visée derrière la tête : en général,
un jeune homme ne peut pas se marier avec une femme plus âgée que lui !
C’est la tradition.
Maman me disait par exemple, que je suis né
un certain lundi soir correspondant au quatorzième jour du mois sacré de
Ramadan, pendant que papa se trouvait à l’Est... C’est ainsi que les rifains
nommait le pays voisin, l’Algérie. […]
Maman était bienheureuse de son bébé
masculin survenu suite à la naissance de ses quatre sœurs classées l’une après
l’autre, telle une série de casseroles importées. Personnellement, je n’en
connais que les deux encore vivantes malgré tant de peines. Quant aux autres,
personne ne se souvient d’elles et aucun membre de la famille ne m’a parlé de
leur brève existence, alors qu’on m’avait toujours parlé de notre vieux chat
«Minoch», et de notre chien « Assass» mort noyé dans un puits.
Mes deux sœurs m’avaient relaté tant
d’amusantes histoires à propos de ces deux fidèles «amis» de la famille, que je
désignais tous les chats et tous les chiens respectivement Minoch et Assass.
Maman souriait quand je lui disais que j’ai vu trois petits Minoch sur le toit
!
Effectivement,
toute la maison attendait avec impatience la naissance d’un bébé de sexe
masculin qui pourrait dissiper enfin, cette «malchance» de ne voir naître que
des filles au sein de notre famille durant d’interminables années. «La
malheureuse a dû accoucher de quatre filles successives, avant d’avoir ce
garçon...! », disaient nos voisines. Aussi l’ignorance de quelques maris de la
campagne responsabilisait-elle cruellement toute femme qui n’enfantait que des
filles :
– « Encore une de plus, hurlaient-ils.
Alors mange-la, moi j’en ai marre...» !
Maux
croisés, Mémoire partagée,
Ed. Edilivre, 2015
(D)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À CHAOUEN
1858- 1959
Charles
Eugène de Foucauld
Charles Eugène de Foucauld de Pontbriand, né le 15 septembre 1858 à Strasbourg (France) et mort le 1er décembre 1916 dans le Sahara algérien, est un officier de l'armée française devenu explorateur et géographe, puis religieux catholique, ermite et linguiste. Il a été béatifié le 13 novembre 2005. Il parcourt le Maroc, déguisé en juif (1883-1884). Et réussit
même à pénétrer dans Chaouen, cité sacrée coupée du monde et interdite au non
musulmans sous peine d’être exécuté. Rentré en France, il en rend compte
rapporte dans son livre : Reconnaissance du Maroc (1888). En 1916, il est
assassiné, à Tamanrasset, au Sahara algérien, par les Snoussis.
www.books.google.fr
Un
itinéraire elevé à la boussole
«Tout mon itinéraire a été relevé à la boussole
et au baromètre. En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres
carrés caché dans le creux de la main gauche ; d’un crayon long de deux
centimètres qui ne quittait pas l’autre main, je consignais ce que le chemin
présentait de remarquable, ce qu’on voyait à droite et à gauche, je notais les
changements de direction, accompagnés de visées à la boussole, les accidents de
terrain, avec la hauteur barométrique, l’heure et la minute de chaque
observation, les arrêts, les degrés de vitesse de la marche, etc. (…)
Jamais personne ne s’en aperçût, même dans
les caravanes les plus nombreuses ; je prenais la précaution de marcher en
avant ou en arrière de mes compagnons afin que, l’ampleur de mes vêtements
aidant, ils ne distinguassent point le léger mouvement de mes mains. (…) La
description et le levé de l’itinéraire emplissaient ainsi un certain nombre de
petits cahiers ; dès que j’arrivais en un village où je puisse avoir une
chambre à part, je les complétais et je les recopiais sur des calepins qui
formaient mon journal de voyage.
Je consacrais mes nuits à cette occupation ;
le jour on était sans cesse entouré de Juifs : écrire longuement devant eux
leur eût inspiré des soupçons. La nuit ramenait la solitude et le travail. »
Reconnaissance
du Maroc (1883-1884), Ed. Les Introuvables, 1888
Mohamed
Cherif
Né le 5
mars 1959, à Talamboute, près de Chaouen, Mohamed Cherif, est professeur
chercheur et écrivain franco-hispano-arabophone en historiographie andalouse
sous les Almohades à la faculté des lettres de l’Université Abdelmalek Essaadi
de Tétouan. Il est l’auteur nombreux
articles et ouvrages dont en français : Notes sur les activités
commerciales de Gênes à Ceuta aux XIIe et XIIIe siècles (19993), Ceuta
dans les écrits récents (1994), L’importance de Ceuta dans le réseau du
commerce méditerranéen : XIIe-XIIIe siècles (1999), Ceuta aux
époques almohades et mérinides (2000), en arabe : Ceuta Musulmane (1996),
la traduction du français en arabe de : La vérité sur le protectorat
franco-espagnol : L’épopée d’Abdlkhaleq Torrès, de Jean Wolf (2003),
etc.
Ceuta comme tous les ports
Comme
tous les ports, Ceuta se trouvait à la croisée des chemins de terre et d’eau.
Vers l’intérieur, l’itinéraire le plus fréquenté était celui de Ceuta- Fès (ou
Fès – Ceuta) en passant par Tanger, Azila, Basra et Qurt. Au XIè et XIIè
siècles, la liaison de l’intérieur avec le littoral méditerranéen se
précise : le premier itinéraire était doublé par une deuxième qui partait
directement de Ceuta à Fès via Zağğan ? (Ouazzan ?) sans passer par
Azila. Al Idrīssī assigne une durée de sept journées à la première route et de
huit journées à la seconde. C’est par ces deux itinéraires que passait
l’essentiel de la production de Mrarrakech, Fès et l’intérieur du Maroc vers
Ceuta et la côte méditerranéenne en général.
Ainsi, Ceuta jouait le rôle de débouché principal de la région
intérieure, riche et industrieuse. C’était le principal débouché d’autnt plus
que les autres ports méditerranéens tels qu Badis, Ghassassa, Meillia ou Mezama
- n’ont jamais pu atteindre – vu leur position géographique – l’importance de Ceuta
est contrebalancée par son attraction commerciale devenue très traditionnelle. […]
L’importance de l’axe Fès-Ceuta ne semble pas avoir diminué malgré la forte
concurrence de l’axe Fès-Tlemcen via Taza.
En
revanche, il connaîtra une certaine diminution de son rôle au fur et à mesure
de l’accroissement du nombre de routes vers le littoral atlantique et
d’importance que prendra cette façade à partir de l’époque Almohade, et surtout
la zone comprise entre Salé etSafi (Fadala, Anfa, Mazagan). Ce changement
n’affecta pratiquement pas la vie commerciale de Ceuta. Ses navires et ses
marchands étaient habitués depuis longtemps à aller chercher leurs marchandises
sur les côtes atlantiques avec lesquelles ils avaient instauré es relations
commerciales de bonne heure.
L’importance
de Ceuta dans le réseau du commerce méditerranéen : XIIe-XIIIe siècles, in Revue de la Faculté des Lettres Tétouan,
N°5-1991
(III)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
AXE MELILLIA-NADOR-
OUJDA-JERADA-TAOURIRT
1882-1994
(A)
LES
ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
NATIFS
ET RÉSIDENTS
À MELILLIA
1932-1969
Fernando
Arrabal
Né le 11 août 1932, à Melilla, au nord du
Maroc, avant la guerre civile, Fernando Arrabal est un écrivain franco-hispanophone,
fils d’un condamné à mort, au début de la guerre, puis aux travaux forcés à
perpétuité. Le 4 novembre 1941, il fuit et disparaît à jamais. Cela a marqué à
vie son œuvre, d’où : Viva la
muerte-Baal
Babylone (1979)
et travaille à Tolosa à l’Institut du Papier. Il écrit ses premières pièces
dramatiques. En 1951, il réussit son bac, à Valence et publie, en 1952 : Le
toit, Le Char de foin, La blessure incurable, etc. En 1953, tuberculeux,
il publie Le tricycle. En 1955, il est boursier, à Paris, et hospitalisé
à Bouffemont. Il se marie, en 1958, avec Luce Moreau, traductrice de son oeuvre
en français. En 1959, il va aux Etats-Unis, boursier de la fondation Ford. En
1963, il voyage, à Sydney, en Australie. En 1966, il s’installe, à Paris. De
retour en Espagne, 1967, il est arrêté pour dédicace contre le régime. En 1968,
il publie ses pièces de théâtre, etc. Il est traduit, dans nombre de langues,
et est l’un des auteurs francophones les plus traduits en Europe.
Ils m'ont dit qu'il fallait aimer la
patrie
Papa est mort. Peut-être cela vaut-il mieux
pour tous. Il aurait été une lourde charge. D'ailleurs il a été puni à cause de
ses péchés ; n'oublie pas que même Dieu punit les coupables ; dans
l'histoire sainte il dit : "Je châtierai Baal à Babylone."
Mais, il faut que tu le saches, je n'ai rien, moi, à me reprocher. Je n'ai vécu que pour vous. J'ai toujours été trop bonne. […]
Mais, il faut que tu le saches, je n'ai rien, moi, à me reprocher. Je n'ai vécu que pour vous. J'ai toujours été trop bonne. […]
Mon père, qui était un "rouge", était né à Cordoue, en 1903.
Sa vie, jusqu'à sa disparition, fut l'une des plus douloureuses que je
connaisse. Je me plais à penser que j'ai les mêmes idées artistiques et
politiques que lui. Et comme lui je chante l'émotion tremblante, les miroirs
nageant dans la mer, et le délire. […]
Ils m'ont dit qu'il fallait aimer la patrie, qu'il fallait se sacrifier
pour elle, qu'il fallait être fier de ses héros, qu'il fallait respecter
l'ordre du pays, qu'il fallait dénoncer les traitres, qu'il fallait haïr les
ennemis. Toi aussi tu me l'as dit. Quand je leur ai posé une question ils m'ont
répondu. Puis je n'ai plus posé de questions.
Mimoun Charqi
Natif de Melilla, en 1956, Mimoun Charqi
est l'auteur de plusieurs livres de droit et d'histoire. Major de sa promotion,
en une formation de base en sciences politiques, il soutient, en 1986, une
thèse de doctorat d'Etat en droit, avec mention très honorable. Il devient ensuite
professeur de droit, dans plusieurs grandes écoles de management, dont l'E.N.A,
ainsi qu'à la faculté de droit de Rabat Agdal, tout en poursuivant une carrière
bancaire. Il est l’auteur de : Le recouvrement de créances au Maroc
(2012), Droit du
micro-crédit (2012),
Le recouvrement de créance privée et
publique
Le
recouvrement de deniers ou de créances est un problème auxquel peuvent se
retrouver confrontées autant les entités publiques, agissant en vertu des prérogatives
de la puissance publique, que les entreprises privées, notamment les banques et
les établiessements de crédits, voire les particuliers,… Pour le recouvrement
des deniers publiques, outre les dispositions du droit commun, le législateur a
prévu un Code spécial qui met à la disposition de l’administration fiscale,
dela Trésorerie Générale du Royaume et de certains établissements publics des
privilèges et des prérogatives pour le recouvrement selon une procédure ad hoc.
Les établissements de crédit, les sociétés de financement, les
entreprises privées, ainsi que les particuliers, quant à eux, n’ont d’autres
voies que celles du droit commun. C’est ainsi qu’en matière de recouvrement de
créance, il faut ditinguer selon le caractère privé ou public, et selon les
procédures prévues par le législateur.
Le
recouvrement de créances, au Maroc, Ed. Collection Banque & Entreprise, 2012
Fauzaya Talhaoui
Fauzaya Talhaoui, née le 1er novembre
1969, à Melillia, vit à Anvers en Belgique. Cette polyglotte, diplômée en droit
de l’Université d’Anvers, a été élue Sénatrice (2011), chargée des affaires
économique et sociales et des relations internationales. Elle a été membre de
la Fondation du roi Baudouin (2001-2007). En 2009, elle a fondé l’Institut
d’études marocaines et méditeranéennes (IMaMS), où elle continue à assumer des
activités de recherche. Elle a organisé plusieurs conférences et rencontres
internationales sur la place de la diaspora maocaine en Belgique et sur l’islam
en Europe. Elle est l’auteure de plusieurs publications sur les questions
cultuelles, de genre - dont la Moudawana - et de droits des migrants.
Les polémiques autour de l’euthanasie
Certaines questions d’éthique médicale
déclenchent depuis des années des débats sociaux passionnés. Les polémiques
autour de l’euthanasie et de l’avortement en sont probablement les exemples les
plus connus mais certainement pas les seuls. Au fil des années, toutes sortes
d’individus, de groupes et d’instances ont développé leurs opinions sur
certaines questions de bioéthique et après bien des débats sociaux, sectoriels
et politiques, on est parvenu, dans certains domaines, à un nouveau consensus
sur le plan légal et à une nouvelle pratique médicale. Ce consensus est à
l’origine de la loi relative à l’euthanasie adoptée en 2002.
Mais l'élaboration d'une loi ne signifie pas
pour autant la fin de tout débat ou de toute discussion. Bien au contraire.
Ainsi, le regard différent que certaines minorités ethnoculturelles peuvent
porter sur l’euthanasie ou l’approche qu’en ont certaines conceptions
philosophiques et religions a rarement fait l’objet d’une analyse approfondie.
C’est pour cette raison que Le 11 juin 2012
en collaboration avec la sénatrice Marleen Temmerman j’ai organisé un colloque
sur ce thème. Nous avons essayé de voir quel regard certaines communautés
portent sur l'euthanasie et quelles sont les différentes attentes ou les
différents besoins de certaines religions et conceptions philosophiques. Quelle
est, par exemple, l’opinion des érudits musulmans à propos de l’euthanasie ?
Dans quelle direction les libres penseurs
veulent-ils orienter la législation ? Comment les milieux catholiques
jugent-ils aujourd'hui l'euthanasie ? Quelle est la pratique des communautés
juives en matière d’euthanasie ? Autant de questions qui restent souvent sans
réponse.
L'objectif du colloque n'était cependant
pas tant de mettre sur pied un dialogue interreligieux, mais plutôt d'amorcer
un dialogue parlementaire permettant de jeter les bases du futur travail
législatif.
L’Euthanasie
dans les diverses religions et conceptions philosophiques, Ed. Fauzaya
Talhaoui, 2013
(B)
LES
ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD
DU MAROC
NATIFS
ET RÉSIDENTS
À NADOR
1954-1960
Issa Aït Belize
Né en
1954, dans la région Nador, Issa Aït Belize, écrivain maroco-belge francophone,
vit à Liège. Il est l’auteur, il y a quelques années, d'une Chronique du pou
vert (2001), qualifié par Salim Jay dans son Dictionnaire des écrivains
marocains d'un des romans «les plus ambitieux que l'on doive à un auteur
marocain de langue française vivant en Europe». Il a publié en Nounja, à la
folie(2003), avril (2005), une trilogie
comprenant :
Le fils du péché : Racines et Epines (2005), Le fils du péché (2006), Calendes
maghrebines :
Le fils du péché (20008), Echo
et Narcisse un amour impossible (2012), Noces sarrazines (2015), etc.
www.belgeaumaroc.canalblog.com
Une enveloppe fermée
À la veille de l'aube où Soliman m'avait tiré du lit pour m'avertir de
l'arrestation des Mouhammad, alors que nous venions, heureusement d'ailleurs,
de terminer les examens de fin d'année, Hayat s'approcha de moi pour me prêter Les
Mille et Une Nuits, l'odyssée orientale par excellence, anonyme et
merveilleuse, (j’avais lu, bien des années auparavant, une ancienne version du
livre achetée au souk pour quelques dirhams, chez un de ces bouquinistes qui
vendaient des grimoires et autres images populaires à la naïveté déconcertante.
Mais qui peut prétendre avoir tout lu, tant les versions sont multiformes ?!
J'acceptai le volume, une version écourtée d'al-Boulaq qui faisait autorité. Je
le fourrai dans mon cartable tout en la remerciant de son attention.
Le soir, avant de m'endormir, je l'ouvris et y découvris avec surprise
une enveloppe fermée. Elle m'était adressée, et mon nom était calligraphié en
lettres coufiques tracées au vernis à ongles écarlate. J'admirai le trait et
ouvris avec une précaution infinie cette lettre que je me mis à lire avec une
certaine appréhension : tu me trouveras peut-être hardie, mais je crois que je
t'aime. Je n'arrête pas de regarder ta feuille calligraphiée et de penser à
toi. C'est bientôt les vacances, et je ne sais comment je pourrai attendre le
mois d'octobre avant de te revoir... Et c'était signé : Celle que tu sais !
La prudence était en effet de rigueur : aucune fille dotée d'un sou
de jugeote n'aurait pris le risque d'apposer son nom au bas d'un tel billet,
surtout si elle s'avançait, solitaire et sans filet, pour clamer sa passion.
Dans notre société maghrébine, nos parents ne pouvaient en aucune façon
tolérer, et encore moins encourager, nos amours, fussent-elles platoniques et
adolescentes. Mais même l'oiseleur, malgré ses filets, pièges et ruses, ne
maîtrisait les coeurs qui s'éveillent à cet âge pour chanter des mélodies
jusque-là inconnues. Bien entendu, des mots cannelle et poivre se murmuraient,
un regard alangui ou de braise s'envolait dans les airs, mille lettres
parfumées ou imbibées de larmes s'échangeaient sous cape. Sortis ce soleil
impitoyable, beaucoup de jeunes de mon époque se consumaient sans la moindre
économie. Pour ma part, je les trouvais niais et inconséquents. Je me disais,
comme si j'avais déjà atteint le pinacle de la sagesse et du détachement, que
moi, en tout cas, je ne verserais jamais dans cette mièvrerie idiote.
Noces
sarrazines, Ed. Luce
Wilquin, 2006
Halima Ben-Haddou
Née le 6 mars 1954, à Oran, Halima
Ben-Haddou est une écrivaine marocaine
francophone, de parents marocains rifains. À 11 ans, elle est atteinte de paraplégie, diagnostiquée en poliomyélite. Cela l'empêchant d'aller en classe, elle cesse ses études.
La lecture devient son seul refuge. Elle suit ses parents au Maroc, à Oujda, puis à
Monte Arruit, près de Nador, où elle écrit Aïcha la rebelle (1973). En 1982, édité par Jeune Afrique, il devient un best-seller, surtout au Maroc. Mariée en 1985, elle vit aujourd'hui à Paris, en
continuant d’écrire. Elle pratique le dessin. Elle publie son second roman : L'orgueil
du père (2010), etc.
www.wikipedia.org
C’est
encore une fille
La
pièce principale, la jeune fille étendue sur un matelas de laine, gémit à
intervalles réguliers. Elle affronte dans l’indifférence de la sage-femme les
ultimes douleurs de l’accouchement. Après tout, pourquoi s’agite ? Ce
n’est qu’une naissance. La longue robe de la jeune femme enceinte relevée sur
son ventre et elle pétrit ce tas d’étoffe entre ses mains, puis elle ouvre les
bras en croix et crie. Sa mère, assise dans un coin de la chambre la regarde
sans bouger, égrenant un chapelet.
La sage-femme retrousse ses manches et fait un signe de la tête à son
assistante qui vient appliquer ses genoux contre le dos de la femme enceinte et
la tire de toutes ses forces vers elle. La femme s’accroche à elle comme aux
branchesd’un arbre et agippe ses vêtements. La sage-femme passe ses mains
épaissessur le ventre en travail, demande qu’on chauffe l’eau et que tout le
monde quitte la pièce à l’exception de la mère qui, came et résignée, attend,
occupée à ses prières psalmodiées.
La jeune femme écarte les cuisses et pousses de toutes ses forces, en
silence, sans respirer, puis reprend haleine en criant et retombe sur le
matelas, sa t^été battant de droite à gauche.
-
Courage encore Fatima, posse ! crie la sage qui voit apparaître une petite
tête humide. Elle recule et essaie de maintenir les jambes de la jeune femme
qui lui échappent.
Toute la famille était mobilisée pour que l’enfant ne souffre pas
trop.ce serait une grande fête si c’était un garçon ! Le grand’père
s’était occupé du mouton, le sacrifice, au septième jour, après la naissance,
pour accéder au prénom de l’enfant. Le père, lui, priait pour que ce soit un
garçon. Il s’occuperait plus tard des provisions d’huile, de sacs de farine,
depains de sucre et se chargerait de tout le reste.
Pour l’instant, il se consacrait à la prière, les yeux fermés, les dents
serrées. Mon Dieu faites que ce soit un garçon !
Le visage de Fatima se crispe, ellehurle
de toutes ses forces. La sage-femme se met genoux. L’assistante tire vers elle.
La mère prie à haute voix. Soudain, le jeune femme ne bouge plus, elle paraît
mote, blanche comme la glace et sans souffle. Entre ses jambes, une boule e
chair crie.
Une lumière douce règne dans la maison. Les deux filles aînées jouent
dans la cour ouverte sur le ciel.
Les mains tremblantes, la sage-femme
coupe le cordon, fait un nœud se mord les lèvres et dit :
- C’est encore une fille.
L’orgueil du père, Ed. L’Harmattan, 2010www.amazon.fr
Abderrahmane
Aisati
Né en
1960, à Midar (Nador) Abderrahmane Aisati, enseignant à l’université de
Tilburg. il fait ses études au Maroc jusqu’en 1989, et obtient un D.E.S. en
phonologie amazighe et soutient un doctorat (1996) à l’université de Nimègue
(Pays-Bas) sur l’érosion linguistique de l’arabe marocain chez les enfants de
la deuxième génération. Il écrit sur la situation sociolinguistique des
Marocains aux Pays-Bas et la politique linguistique au Maroc. Il
s’int éresse aussi à la culture de la lecture au Maroc, l’acculturation
des enfants marocains issus de l’immigration, ainsi qu’à l’identité marocaine
dans un contexte de globalisation. Il collabore avec l’université Mohamed V, et
y codirige des thèses en langue maternelle et langue académique. Il est membre
du conseil administratif de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM),
jusqu’en 2012.
Des enseignants arabophones mal disposés
à enseigner l’amazigh
Après avoir réalisé que les minorités
ethniques ne sont pas un phénomene temporaire, les Pays-Bas ont commencé à
penser et à formuler des lois pour l’integration de ces minorités au sein de la
société néerlandaise. En 1985, une loi fut adoptée, précisant l’aide financière
aux écoles avec concentration d’immigrés (l’école recoit pour chaque élève issu
de l’immigration un poids de 1,9, ça veut dire presque le double de ce qu’un
enfant issu des couches priviligiées autochtones reçoit (Richters, 1998). Avec
ces moyens financiers, l’école peut donc se payer des enseignants de l’ELCO,
mais elle n’est pas obligée de le faire. Plus tard, des inspections montreront
que ces moyens financiers ont étés utilisés pour maintenir le batiment de
l’école, ou pour ce procurer du matétriel qui n’avance en rien la position des
élèves issues des minorités ethniques.
En 1983 fut conclu un accord bilateral entre le Maroc et les Pay-Bas,
spéciafiant que les autoritées néerlandaises se chargeraient du payement des
enseignants, tandis que le Maroc s’occuperait du recrutement de ces
enseignants. Il est à souligner ici qu’apparamment les deux tiers des
enseignants sont arabophones, donc mal disposés à enseigner l’amazigh, à moins
qu’ils aient une formation et dans langue et dans la didactique de
l’enseignement de cette langue. Il n y a pas à notre conniassance d’enquête
publiée qui pourrait confirmer cette remarque.
Dans cet accord culturel, l’ELCO s’exerce dans la langue arabe, langue
officielle du pays d’origine. Ce choix, peu surprenant, peut être justifié par
le désir de la communauté marocaine qui est d’abord musulmane, et qui veut
–dans sa majorité- rester en liaison avec la langue du Coran. Une autre raison
est le fait que l’arabe peut servir dans la plus part des régions du pays comme
langue de communication (géneralement on n’oublie de distinguer entre les
differentes variantes de l’arabe). Des enquêtes entre les parents d’élèves
montrent que la majorité voudrait que leurs enfants apprennent l’arabe à
l’école (voir plus bas).
Le choix de l’arabe dans l’ELCO a rencontré plusieurs problèmes et reste
l’enseignement de langue qui souffre le plus de mauvais résultats. Une raison
qui nous paraît importante à cet égard est le fait que la majorité d’enfants
d’immigrés sont d’origine amazighe. Il se trouve donc face à une troisième
langue dés un âge précoce. Le fait d’insisiter que l’arabe est langue d’origine
ne fait que semer la confusion entre les élèves mais aussi entre le personnel
de l’école qui ne cesse pas de se demander pourquoi ces enfants ont tellement
de problèmes à apprendre leur langue propre?! Une approche plus réalistique
aurait pu bénéficier les élèves. Il fallait définir l’arabe comme troisième
langue pour les berbereophones, et comme langue relativement plus accessible
pour les enfants arabophones, au moins au niveau du lexique. D’autres facteurs
comme la durée des cours (deux heures et demi à l’interieur de l’école et deux
heures et demi à l’extérieur) ont été soulignés (voir Saidi 2001 pour plus de
détails). La constatation de Driessen (1990) concernant le niveau d’arabe chez
les enfants marocains le conduit à conclure que leur niveau est si bas en arabe
standard qu’il vaudrait mieux concentrer les efforts sur un enseignement oral.
«L’amazigh et l’enseignement des langues
minoritaires aux Pays-Bas», in Les actes du colloque
amazigh : «Education et langues
maternelles : l’exemple de l’amazigh », Casablanca, le mardi 17 juin
2003
(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À OUJDA
1931-1994
Née en 1931, à Oujda, au Maroc, Yvette
Katan, ou Yvette Katan Bensamoun, d’origine française, est une écrivaine, universitaire
marocaine francophone. Agrégée d’histoire et de géographie, elle s’installe en
France, et devient maître de conférences, à l’Université Paris I, Ponthéon-
Sorbonne, spécialisée d’histoire de la ville d’Oujda, du Maroc et du Maghreb.
Elle est l’auteure de : Paris et la Région Île – de – France (1992), Oujda, Une Ville Frontière du Maroc
(1907-1956)- Musulmans, Juifs Et Chrétiens En Milieu Colonial (2000), Le
Maghreb – De l’Empire Ottoman à la Fin de la Décolonisation Française
(2007), etc.
Les
colons parisiens en Algérie
On peut se poser à nouveau le problème de savoir si envoyant des
Parisiens seulement (seul le dix-septième convoi deux cents gardes républicains
lyonnais), le gouvernement provisoire avait fait, du point de vue de
colonisation, un choix si déplorable ? Ce colon parisien était-il le pire
qui puisse arriver en Algérie pour assurer le succès de ces colonies agricoles
crées à grands frais par l’État ? Assurément, a-t-on dit, car ce citadin
était tout à fait inapte à son nouveau rôle. Or, nous avons vu que souvent ce
colon, de par son origine provinciale, avait une expérience de l’agriculture.
Expérience que la Commission avait
cherché à détecter comme l’indiquent les mentions explicites du registre su IVe
arrondissement de Paris.
Par ailleurs, l’exigence de certificats de bonnes mœurs et les
professions laissent apparître que loin d’avoir encourager le départ des gens
sans métier, d’ »agités, ouvriers en barricades», la Commission
semble avoir favorisé les hommes qui avaient un contact avec la terre, et aussi
ceux qui avaient qualification professionnelle précise, ouvriers dans la force
de l’âge qu’on pouvait supposer courageux au travail. Or, c’est bien cette
ardeur à l’ouvrage qui transparît dans les premier rapports des directeurs de
villages, ceux-là mêmes, qui par la suite incrimineront les colons trop
indépendants, trop républcains à leur goût.
D’ailleurs, il nous a été donné de confronter le rapport officiel rédigé
par Louis Reybaud après l’enquête de 1849 dans les colonies agricoles, avec un
rapport confidentiel du même auteur, évidemment plus objectif. Celui-ci rejette
la responsabilité de l’échec (à cette date) des villages agricoles, non sur les
colons […], mais sur les directeurs des colonies […].
Ils apportaient ainsi la preuve que l’échec (ou semi-échec car les
colonies prospérèrent par la suite) était imputable non aux Parisiens mais aux
difficultés inhérentes à toute colonisation naissante.
Les colons
de 1848 en Algérie : mythes et réalité, in Revue d’histoire moderne
et contemporaine, Tome 31.
Mohamed
Amri
Né en 1940, à Oujda, Mohamed Amri
part travailler en France en 1964. Ancien ouvrier de l’usine
Renault-Billancourt, dans la région parisienne, il s’est consacré à la défense
des droits des travailleurs et des immigrés, à travers son activité syndicale.
Ex-président et membre du conseil d’administration de l’Association des anciens
de Billancourt, ATRIS, il milite pour faire entendre la voix ouvrière dans les
négociations pour la reconversion de Renault-Billancourt. Il a participé à la
collecte de témoignages, parus dans l’ouvrage : Les hommes de
Renault-Billancourt, Mémoire ouvrière de l’île Seguin 1930- 1992 (2004), sous
la direction d’Emile Temime et Jacqueline Costa-Lascoux.
Renaut-Billancourt sur
l’île Seguin
Fin mars 2004, les pelleteuses ont commencé à éventrer l’usine Renault
de Bologne-Billancoourt. Les coups de boutoir contre son armature métallique et
la valse des camions qui chargent les gravats au cœur de l’île Seguin
soulignent davantage encore sa singulière allure d’usine paquebot industriel
immobilisé depuis 1930 au milieu de la Seine. Sur les berges, des badauds armés
d’appareils photos ou de caméscopes observent la destruction lente et
méthodique de ce qu’ils appellent pudiquement un "parimoine
important". Un artiste a installé son chevalet et sa toile de peinture.
Sous ses yeux, les barges ne transportent plus des voitures flambant neuf de la
marque au losange, mais les déblais des structures ratatinées de l’usine. Le
spectacle a quelque chose de surréaliste, fort différent du foudroyage soudain
d’immeubles de banlieue, même si l’on retrouve là des entreprises qui
dynamitent les barres des cités, au 4000 de la Courneuve ou ailleurs. C’est que
la "forteresse ouvrière", même vidée de toute vie humaine depuis plus
de dix ans, semble coriace, comme si elle refusait obstinément de rendre l’âme.
[…]
La presse écrite et audiovisuelle a bien évoqué de multiples projets
culturels et architecturaux, séduisantes esquisses infographiques à l’appui,
mais seul l’homme d’affaires François Pinault est certain d’installer une
fondation d’art contemporain sur une partie de l’île Seguin. Pour le reste, les
revirements successifs proquent le doute, et certains craignent sa transformation
en "Fort Boyard pour yuppies". Dans un virulent réquistoire intitulé
"Boulogne assassine Billancourt", publié à la "une" du
journal Le Monde, le 6 mars 1999, l’architecte Jean Nouvel s’en prend déjà à
"l’idéologie verte", de ceux qui en préconisant la disparition
complète de l’usine, font table rase de ce haut lieu de la mémoire ouvrière.
Les hommes de Renault-Billancourt, Mémoire ouvrière de
l’île Seguin 1930- 1992, Ed.
Autrement, 2004
Mohammed Allal Sinaceur
Mohamed Allal Sinaceur, né en 1941, à Oujda, et mort
le 8 juin 2010, à Rabat, est un philosophe, écrivain franco-arabophone et politicien
marocain. D’une famille d'intellectuels militants et de notables, il alterne
l'école coranique le matin et l'école française le soir. Il étudie au Lycée
Moulay Youssef, de Rabat, et est l’un des fondateurs de l'UNFP (1959), actuel l'USFP (1973).
Agrégé de philosophie, il publie nombre d’ouvrages sur la philosophie, les sciences humaines, la pensée islamique et devient directeur de la division de
la philosophie et des sciences humaines à l'Unesco (1975-1987). Il est membre de
l'Académie du Royaume du Maroc. Il est ministre des Affaires culturelles
(1992-1995), et auteur de : avec Richard
Dedekind de : Analytica Publié avec Continuité et nombres
irrationnels : Que sont-ils et à quoi servent-ils ? (1979), Penser avec Aristote , études (1992), avec Pierre Aubenque
de : Aristote aujourd'hui (1992), de La Mosquée
Hassan II (1996), Cours de philosophie positive, avec
Auguste Comte (1998), etc.
L’humanisme de Mohamed Arkoun
Le terme adab dérive de da’b : modèle,
coutume ; il est post-islamique. Il désigne ici la «culture» du IVème/Xème
siècle. Il eut des acceptations différentes au cours de l’histoire, du début de
l’Islam à nos jours ; cf. l’article de adab» de l’encyclopédie de l’Islam,
dû à F.Gabriell. […] La controverse sur l’adab : un «humanisme», mais
insuffisamment vulgarisateur (cf. Pellat, in Classicisme et déclin culturel
dans l’histoire de l’Islam, Paris, 1957, p.84, et R. Arnaldez, ibid., p.156) ou
incapable d’élaborer une pensée inspirée par les progrès réalisés, etc, n’a pas
de sens : elle s’appuie sur des notions extérieures à la pensée arabe.
Qui, en Occident, a connu le besoin d’établir la philosophie sur des principes
éprouvés ailleurs avant Descartes ? Ou présenté une théorie
de la vulgarisation avant le positivisme ?
(…)
Mais en tout cela une idée est moins en quête de son expression actuelle que de
sa meilleure version ancienne. On explicite par un déjà-dit. Ce que l’on
constate et ce que l’on voit recule devant ce qui s’est transmis ; il s’y
immerge, fût-il complètement neuf. Tout récit projette un scénario,
toute scène a son modèle ancien.
Mais
ce recours à l’ancien n’est rien moins que soumission, consentement aveugle,
délaissement pour le rêve qui amplifie, embellit ou altère comme ce pouvait
être le cas du temps des collecteurs et des transmetteurs de récits
bédouins. Il n’est ni respect arbitraire ni déférence obstinée. La
tradition est réappropriée, comme la philosophie grecque, comme l’héritage
persan, car « le poids intellectuel des textes reçus » aiguillait la
pensée sur la voie de ses questions, de ses audaces, de ses inquiétudes (p.
216) ; car l’adab du IVème siècle avait ses traditions d’irrévérance,
de contestation, ses traditions du défi, de la révolte et du nouveau. Il se
développe dans une société menacée en son organisation, ébranlée dans son
idéologie, soucieuse de substituer à l’unité religieuse perdue une unité de
raison et de convention. Voilà d’abord pourquoi l’on use des traditions
avec liberté, que l’on en donne des interprétations malicieuses,
qu’un Tawhidi ose insinuer que les jouissances sensuelles des élus ne sont que
paradisiaque ennui !
Voilà pourquoi, ensuite, non seulement le présent ne perd pas ses droits mais est promu à une catégorie de pensée sous l’espèce de l’évidence, du témoignage oculaire, de l’expérience ; du regard et de la vue non seulement comme métaphores de la lumière et de l’éblouissement opposés aux ténèbres, mais comme symbole du visible et de ses priorités, comme moyen d’information privilégié (p. 210 et s.). Voilà pourquoi, enfin, l’autre source du savoir paraît être la logique, apanage de l’élite (p. 182, 188), au-dessus des contingences du Temps (p.219), de l’arbitraire des sectes, des hérésies, des écoles juridiques, de tous doctrinaires et
Voilà pourquoi, ensuite, non seulement le présent ne perd pas ses droits mais est promu à une catégorie de pensée sous l’espèce de l’évidence, du témoignage oculaire, de l’expérience ; du regard et de la vue non seulement comme métaphores de la lumière et de l’éblouissement opposés aux ténèbres, mais comme symbole du visible et de ses priorités, comme moyen d’information privilégié (p. 210 et s.). Voilà pourquoi, enfin, l’autre source du savoir paraît être la logique, apanage de l’élite (p. 182, 188), au-dessus des contingences du Temps (p.219), de l’arbitraire des sectes, des hérésies, des écoles juridiques, de tous doctrinaires et
multiples déités (p.230).
L’humanisme arabe de Mohamed Arkoun, in Critique,
n°298 Mars 1972
Abderrahmane Zenati
Né
en 1943, à Oujda, Abderrahmane Zenati est un écrivain, poète francophone et
peintre, issu d’un milieu pauvre, orphelin de père à 5 ans, il est placé par sa
mère, comme apprenti chez un artisan cruel et malveillant qu’il fuit pour la
rue. En 1955, à cause des conditions difficiles de sa vie, dans les rues
d’Oujda, il se retrouve, sur un lit d’hôpital, atteint de tuberculose. Là, éveillé à la vie par amour du savoir, il
se met à dessiner sur des bouts de papier qu’il ramasse, à apprende à lire et à
écrire. En 1961, avec l’aide de son médecin Sauvaget, il est employé comme aide
soignant public. Il écrit des romans, dont : Les cigognes
reviendront-elles à Oujda ? (1994), Goût de cendre(2009), Adieux
Oujda ma bienaimée (2011) etc. Il a été décoré par SM Mohamed VI, en 2009.
Les enfants de
la rue
Nous
n’étions que de petits enfants et le destin avait condamné chacun de nous à
vivre dans la rue livré à lui-même.
Nous
vivions misérablement dans la nature comme les herbes folles qui croissent à
leur fantaisie. Nous avions grandi en toute liberté, sans jamais connaître la
contrainte d’un parent ou d’un maître d’école… Fort de l’impunité que nous
conférait notre liberté et notre ignorance, nous nous amusions, avec d’autres
gamins, à chiner les nombreux fous du quartier, les chiens et les chats. Nous
le faisions par jeu, parfois cruellement, mais toujours sans véritable
méchanceté.
Je
me revois portant une longue chemise rapiécée, un pantalon sale, en loques et
une vieille veste trop large. J’avais toujours sur la tête un chapeau de paille
dont le large bord roulé me retombait sur les yeux.
Mes
pieds aux ongles déchiquetés, aux talons fendillés, se posaient
douloureusement, l’un après l’autre sur la terre pleine de cailloux pointus,
sur des ronces et des épines…
Comme des centaines d’autres enfants, Khoubi, Jab’Allah, Tchita et moi,
vivions de n’importe quoi. Nous couchions tard, dans la rue, à la belle étoile
et nous vidons le lieu aux aurores pour faire les poubelles, afin de dénicher
quelque nourriture, pour survivre.
Nous hantions les terrains vagues, les dépotoirs publics, les vergers et
les champs de vignes. Nous pénétrions parfois frauduleusement dans des maisons
et des fermes. On s’amusait à chasser les gerboises, les chauves-souris, les
caméléons et les lézards. Nous disputions, par tous les temps, notre nourriture
aux chiens errants et aux chats de gouttières. Nous chassions, à mains nues,
les serpents venimeux et les scorpions hideux. Dans notre vie misérable, les
enfants de riches se moquaient de nos mines tragiques, austères et nous
évitaient comme si nous avions la lèpre. Les adultes détournaient leur regard
ou faisaient semblant ne pas nous voir. Ce fut une bien grise enfance que la
notre. Notre rire évoquait le râle de ceux qu’on torture. Notre sourire avait
l’air désolé des cicatrices. Nous étions repoussés, abominés, maudits, sans
issue, sans avenir.
Nous
n’étions pas heureux du tout. Certains jours, nous regrettions même d’être
venus au monde…
Mémoire de la fourmi, récit autobiographique,
Ed. Persée, 2011
Brick Oussaïd
Brick Oussaïd, né en 1949, à Sidi Lahcen, de
la tribu berbère Ouled Amar, près de d’Oujda, est un écrivain marocain
francophone. Après ses études primaires et secondaires, au Maroc, il a quitté
ses terres pour faire ses études supérieures, en France, où il obtient un
diplôme d’ingénieur de l'Institut polytechnique de Grenoble (1977). Il est
l’auteur de : Les Coquelicots de l'Oriental, récit autobiographique
(1988), traduit en anglais sous le titre : Mountains
Forgotten : the Story of a Moroccan Berber Family (1989), etc.
Il fallait vivre
Juin ramenait la canicule torride,
invivable. Je composai sans conviction et attendis les résultats, sans espoir.
Je reçus les félicitations de l’Administration, l’éloge du lycée et une foule
de prix comme jadis au collège. Mais les applaudissements de l’assistance ne
purent ni m’arracher à ma tristesse ni soulager ma rancune.
Nous quittâmes le lycée. Je retournai à
Jerrada pour travailler. Il fallait vivre, gagner son pain, lutter encore. Mon
professeur de physique, originaire de Belgique, s’appelait Madame Henneighen.
Connaissant mes problèmes, elle me tendit la main. Je lui avouai que je
haïssais mon pays, que je voulais partir, partir, m’éloigner. Ce n’étais pas
mon pays, c’étais celui des nantis, de ceux qui avaient les moyens de le
découvrir, d’y savourer la joie de vivre. Pour moi, mon pays était synonyme de
misère, d’ignorance, de mort lente.
Mon pays me rappelait l’indifférence du
fonctionnaire, la peur de l’autorité, la hantise de la faim, le supplice des
nuits à la belle étoile. Il me rappelait l’injustice, l’humiliation, la
souffrance, la mort prématurée de ma mère.
Elle me
ramena chez elle, me servit un jus d’oranges, bon, frais. C’était la première
fois que je buvais un jus de fruits dans le pays des orangers !
- Vous
allez faire une demande pour faire des études en France, me dit-elle.
Elle
écrivit pour moi une lettre, m’expliqua où signer, comment faire ; elle me
donna de l’espoir. Elle n’était pas d’ici, elle était belge.
Ça y était ! J’étais accepté ! Mais
je ne pouvais pas encore partir, je n’avais pas de passeport. Alors je pris un
congé et courus supplier pour réunir les nombreux papiers nécessaires pour
constituer un dossier.
J’attendis
un mois mais n’avais toujours pas de passeport : mon dossier était perdu !
Ah non ! Je sortis les justificatifs, les récépissés. A la préfecture la
queue était longue ; beaucoup, comme moi, voulaient aussi partir.
Trois semaines encore, le dossier était
reconstitué mais le passeport n’arrivait pas. Je quittais le travail, dormant
dans les terrains vagues, forçant les portes et importunant les illustres
fonctionnaires. A chaque fois j’étais repoussé, ignoré et bientôt la hantise de
rater la porte de sortie devint une obsession.
Chafi, encore lui, vint m’aider. Il supplia pour moi, assiégea les
bureaux, utilisa tout son pouvoir. Je lui dis que j’avais envoyé un télégramme
à un ministère pour demander assistance, alors il sourit, puis changea de
sujet.
J’étais paumé, naïf, j’appartenais à un
monde qui vivait selon d’autres principes. Je devenais un étranger dans ma
cité, je ne comprenais pas la valeur des choses. J’étais un rescapé déchiqueté,
foulé aux pieds dans un monde d’hyènes. Sans argent, je dérangeais, j’aurais dû
crever, disparaître.
Les
Coquelicots de l’Oriental, Ed. Maspéro, 1988
Aberrahman Tenkoul
Né en 1953, à Oujda, Aberrahman Tenkoul, docteur
de 3ème cycle de l’université d’Aix-en-Provence, et docteur d’Etat ès lettres
de l’université Paris 8, est un universitaire marocain spécialiste de la
littérature marocaine et écrivain marocain francophone. Il est, depuis décembre
2010, président de l’université Ibn Tofaïl de Kénitra, Il a publié de nombre d’articles
sur la littérature marocaine de langue française et arabe. Il est l’auteur
de : Littérature marocaine d’écriture française - Essai
d'analyse sémiotique (1985), etc.
Au seuil de l'acte poétique
La
poésie est mémoire du langage et de l'Histoire. Les Arabes disent qu'elle est
leur diwan : on peut y lire leur passé, leurs gloires et leurs déboires.
La poésie marocaine de langue française veut cependant aller au-delà de cette
fonction d'inscription du vécu collectif et de l'espace identitaire. De texte
en texte, elle cherche à faire émerger du réel une vision de soi et de l'autre
totalement transformée par le jeu déroutant qu'elle opère sur le signe et sa
trace, la parole et le silence, le dit et le non-dit... C'est qu'elle est
conçue par la plupart des poètes d'aujourd'hui comme une aventure risquée au
seuil de l'exil et de l'interdit, une mise en péril des langages institués.
Que
dit cette poésie évoluant en marge des feux de la rampe, presque oubliée par
les cercles de consécration ? Elle chante les blessures d'un peuple qui
refuse l'amnésie et la servitude. Ce peuple est muselé mais son corps tatoué
parle comme un livre ouvert entre ciel et terre, inaccessible à toute censure.
Ses phrases tombent l'une après l'autre et s'incrustent sous forme de marques
indélébiles en tous lieux de la terre natale. Le verbe du poète s'enroule dans
ces traces et leur donne forme et réalité, se dresse en rébellion et installe le
blasphème au coeur du sacré. […]
L'histoire de cette poésie est d'ailleurs pleinement significative à cet
égard : elle témoigne à la fois du douloureux combat que mènent les poètes
marocains pour la prise de la parole, et de leur quête inlassable d'une écriture
de l'écart.
La littérature maghrébine de langue française,
Ed. Edicef-Aupelf, 1996.
Patrick
Cintas
Patrick Cintas, alias Matorral, né, le 2
janvier 1954, à Oujda, au Maroc, est un, est un Franco-espagnol-marocain,
écrivain musicien, artiste plastique et éditeur franco-hispanophone. Il est aussi
compositeur et artiste plastique. Directeur de la Revue d'art et de
littérature, musique, il contribue à diffuser la littérature francophone et
hispanique. Comme éditeur, il dirige les Éditions du Chasseur abstrait. Il est
l’auteur entre autres de : Ode
à Cézanne, poème (1988), Gisèle, théâtre (2007), Vieja (2007), Cosmogonies, essai sur le roman (2007), Anaïs K., roman, trilogie
(2008), Mon siège de Robbe-Grillet, discours (2008), Dix milliards de
cités pour rien, roman (2009), N, roman (2015), etc.
Les
Vermort
Il fallait sans cesse lui
expliquer, comme s’il ne saisissait pas le sens profond de ce qu’il souhait lui
donner à penser. Les soirs où ils ne recevaient pas (ils reevaient trois fois
par semaine, le dimanche étant réservé à sa famille, elle avait un nombre
incalculable «de « membres »), ils ne s’atardaient pas longtemps dans
le salon atenant à la salle à manger ; ils venaient de partager un repas
équilibré pour la nuit, ils étaient épuisés par le silence que le télépoint ne
réussissait pas à troubler ; ils avaient un peu parlé des jours à
venir ; elle tenait à un projet dont elle ne comprenait pas la finalité.
Comme il ne dormait pas s’il avait absorbé trop de protéines, elle avait
longuement calculé les valeurs énergétiques sur un abaque découpé dans un
magazine. Il regardait sans s’approcher.
Il ne tenait pas à entrer dans les raisons suffisantes de ces algoritmes. Les
quatre soirées où ils ne recevaient pas ne se suivaient pas et il lui faisait
remarquer qu’elles se ressemblaient étrangement.
Elle ne répondait pas à cette question mais ne pouvait s’empêcher de la
chercher dans les conversations qui animaient la maison trois fois par semaine.
L’une de ces soirées était définitivement, depuis de longues années déjà,
consacrée au Vermort chez qui on allait rarement malgré d’insistantes
invitations qui en conséquence se faisaient plus rares. Les Vermort, néanmoins,
demeuraient fidèles à la soirée du mardi. Ils arrivaient à huit heures et
repartaient à minuit passé. Quatre heures perdues avec un esprit certes
brillant et une beauté indéniable ne justifiaient pas l’insomnie qui le
terrassait ensuite à la porte du sommeil et au pied de la femme avec laquelle
il avait, un jour, choisi de vivre. Les Vermort l’ennuyaient à ce point. Leur
départ de conversation était considérable, peut-être les trois quarts du temps
qu’ils demeuraient avec eux, ces mardis soirs.
Anaïs K. I-II, Ed. Le chasseur abstrait, 2008
Fouad Laroui
Fouad Laroui, né le 12 août 1958, à Oujda, est un écrivain maroco-néerlandais francophone. Il vit à Amsterdam. Après une enfance joyeuse et riche en enseignements à El
Jadida, il étudie au lycée Lyautey à Casablanca, il intègre l'École
nationale des ponts et chaussées (ENPC) en France, dont il sort ingénieur. Après son poste de directeur à l’usine de
phosphates à Khouribga, au Maroc, il va, quelques années, au
Royaume-Uni, pour un séjour à Cambridge et à York. Lauréat d’un doctorat en sciences
économiques, il vit à Amsterdam et y enseigne l'économétrie, les
sciences de l'environnement à l'université
libre d'Amsterdam.
Il publie : Les Dents
du topographe , prix
Albert-Camus (1996), De quel amour blessé, prix Radio-Beur FM
(1998), Méfiez-vous des parachutistes (1999), Le Maboul,
nouvelles (2000), La Fin tragique de Philomène Tralala ( 2003), Une
année chez les Français, prix de l'Algue d'Or (2010), La
Vieille Dame du riad ( 2011), Les Tribulations du dernier Sijilmassi (2014), L’Oued et le Consul,
nouvelles (2015), etc.
Au-dessus
de la mer d’Andaman
Un jour, alors qu’il se trouvait à trente mille pieds d’altitude, Adam
Sijilmassi se posa soudain cette question : — Qu’est-ce que je fais ici ? Ce
n’est pas qu’il volait de ses propres ailes, comme un oiseau : il était en fait
rencogné dans le siège 9A d’un avion de ligne peint aux couleurs de la
Lufthansa. Il venait de se poser la question (« Qu’est-ce que je fais ici ? »)
et il en examinait maintenant les tenants et les aboutissants. Il s’assura par
un coup d’œil circulaire que per-sonne ne l’observait car il ne pouvait méditer
à sonaise que s’il était seul dans son coin, ignoré de tous, sans importance
collective. […]
Le Boeing, c’était autre chose. Neuf cents kilo-mètres par heure…
Pourquoi cette hâte, grands dieux ? À travers le hublot, l’univers se signalait
par la couleur bleue, lacérée parfois de blanc trans-lucide, mais aurait-il été
niellé de mauve ou d’or que cela n’aurait pas changé grand-chose, car ce
n’était pas la nature qui était en jeu mais plutôt l’histoire des hommes, la
distribution de l’espèce à travers la planète. […] Une boule d’angoisse se
forma dans son ventre, quelques gouttes de sueur apparurent sur son front, sa
main droite fut prise d’un tremblement incontrôlable.
— Qu’est-ce que je fais ici ?
Comme en écho, une autre phrase
résonna dans son crâne :
— Tu vis la vie d’un autre.
Il
jeta de nouveau un regard circulaire dans la cabine de l’avion. Partout, des
hommes d’affaires penchés sur des revues, des rapports, des écrans… Il lui
apparut qu’ils lui ressemblaient tous, qu’ils portaient le même costume sombre,
la même che-mise blanche, la même cravate. Sans doute pouvait-on lire dans
leurs yeux les mêmes préoccupations, les mêmes chiffres…
— Est-ce cela que je suis ?
Il pensa à son grand-père, le hadj Maati, digne vieillard assis,
immobile, dans le patio de sa demeure, qui occupait ses jours et consumait ses
nuits à compulser traités composés mille ans plus d’augustes tôt à Bagdad ou en
Andalousie, des trésors dont les lettres tracées en coufique ou ennaskhî
révé-laient du monde autre chose que les prix du bitume ou de l’acide – ou le
compte en banque de l’acheteur indien.
Les tribulations du dernier
Sijilmassi, Ed. Julliard en 2008
Jean Molla
Jean Molla, né le 28 décembre 1958, à Oujda, au Maroc, est un auteur français de livres
pour la jeunesse. Après des études de lettres et de
tourisme à Tours et à Poitiers. Passionné de lecture, il se met à écrire, à
l'âge de 10 ans, mais il ne publie ses œuvres qu'en 2000. Il est enseignant de français au collège P. de Ronsard, zone d'éducation prioritaire, de Poitiers, cité où Il réside désormais.
Il est l’auteur de : Comptines
à dormir debout, roman (2000), Copie conforme (2001), Coupable
idéal (2002), Sobibor (2003), Que justice soit faite
(2004), Le grand secret de Tim (2005), Le jardin des sortilèges
(2006), La Revanche de l'ombre rouge (2007), prix des Incorruptibles (2009), Le puits des âmes perdues (2008), Le parfum du ruban vert (2009), Amour en
cage, nouvelles (2010), etc.
J'avais
toujours faim
J'avais toujours
faim. C'était la seule réponse que j'avais su trouver pour apaiser ma peur de
devenir une femme.
Un jour, j'ai découvert dans mon miroir le reflet d'une fille trop grosse à mon goût. J'ai décidé de reprendre mes rênes en main. Je me suis privée de tout ce que j’aimais : sucreries, gâteaux, chocolat, pain, charcuterie, fromage. J'ai entrepris un régime sauvage et désordonné. Comme je déjeunais à la cantine, il m’était aisé d'échapper au contrôle de mes parents.
Un jour, j'ai découvert dans mon miroir le reflet d'une fille trop grosse à mon goût. J'ai décidé de reprendre mes rênes en main. Je me suis privée de tout ce que j’aimais : sucreries, gâteaux, chocolat, pain, charcuterie, fromage. J'ai entrepris un régime sauvage et désordonné. Comme je déjeunais à la cantine, il m’était aisé d'échapper au contrôle de mes parents.
Je ne tolérais désormais que les crudités, les légumes verts, les
fruits, traquant les calories, les bannisant sans pitié dans mon assiette. Le
soir, je boudais le dîner, prétextant d'abondants goûters. J'ai maigri. Beaucoup. Très vite. Trop
peut-être.
J'étais constamment fatiguée,
facilement irritable.
Mon régime à tourner à la catastrophe. Ma perte de poids excessive et brutale avait proviqué l'apparition de vergetures sur ma peau. J'étais désepérée. Je ne supportais plus mon corps, je me trouvais laide, détestable. J'aurai voulu mourir. Je me suis mise à manger comme quatre, alignant crise de boulimie sur crise de boulimie. Je ne contrôlais plus rien. J'ai de nouveau grossi. J'avais honte de
Mon régime à tourner à la catastrophe. Ma perte de poids excessive et brutale avait proviqué l'apparition de vergetures sur ma peau. J'étais désepérée. Je ne supportais plus mon corps, je me trouvais laide, détestable. J'aurai voulu mourir. Je me suis mise à manger comme quatre, alignant crise de boulimie sur crise de boulimie. Je ne contrôlais plus rien. J'ai de nouveau grossi. J'avais honte de
moi. [...]
Cette situation a duré deux ans, et puis, vers le milieu de mon année de
seconde, j'ai rencontré Julien. Le coup de foudre. Moi pour lui, lui pour moi.
Mon ciel était devenu bleu. Il me plaisait, m'attendrissait, me faisait rire.
Dans ses yeux, je me voyais exister.
Enfin j'étais jolie ; j'avais oublié mes kilos superflus. Un beau jour d'avril, un an après notre
rencontre, je lui ai demandé, par barvade, comment il me trouvait vraiment.
Depuis quelques jours, j'étais perturbée, fragilisée par un je-ne-sais-quoi
dont j'ignorais la cause.
J'avais peur des paroles que Julien allait prononcer mais c'était plus fort que moi, il fallait que je sache. Mon ami m'a dit qu'il m'aimait et qu'il me trouvait belle. J'ai insisté. Je voulais qu'il soit sincère, le plus exactement sincère. Alors, il a ajouté, en hésitant un peu - je me souviens de chacun de ses mots :
J'avais peur des paroles que Julien allait prononcer mais c'était plus fort que moi, il fallait que je sache. Mon ami m'a dit qu'il m'aimait et qu'il me trouvait belle. J'ai insisté. Je voulais qu'il soit sincère, le plus exactement sincère. Alors, il a ajouté, en hésitant un peu - je me souviens de chacun de ses mots :
- Tu
es peut-être un peu ronde... Je l'ai haï.
Sobibor, Ed. Gallimard 2003
Karim
Nasseri
Né en
1969, à Oujda, au Maroc, Karim Nasseri est un écrivain marocain
francophone. En 1989, il quitte son pays pour à Paris, où il obtient un DEUG en
physique chimie. Il s'y installe et travaille pour un musée. Il est l’auteur
de : Chronique d’un enfant du hammam (1998), Noces et funérailles (2001),
Des Nouvelles du Maroc (1999), Le marin
Saad voulait en finir avec sa femme
Les voisins
commencèrent à allumer leurs lumières et à se pencher qui de sa fenêtre qui de
son balcon pour assister au massacre. Saad voulait en finir avec sa femme. Il
était décidé à la tuer. Il était complètement saoul mais arrivait encore à
tenir sur ses pieds. «C’est ce soir que je sauve mon honneur », criait-il. «
J’ai trop fermé l’oeil. Je n’en peux plus de courber le dos et de laisser
passer les tempêtes. Ce soir je fais face à tous les défis.» Et traînant sa
femme par terre comme un vieux chiffon, Sâad de continuer : « Tu n’es qu’une
pute à rabais. Une traînée. Une bâtarde à deux sous. Tu n’as jamais su fermer
ta fente. Le premier venu se soulage sur ton bas-ventre. ».
Il commença
à lui cogner la tête contre le mur, à lui arracher des touffes de cheveux et à
lui donner des coups de pieds sur les reins et le visage. Pendant ce temps, les
voisins, contemplaient le beau travail de l’ivrogne sans broncher. J’avais beau
boucher mes oreilles avec du coton et mettre l’oreiller sur ma tête, les
gémissements, de plus en plus sourds, de la pauvre Najat me fondaient le coeur.
Quand, finalement, maman Zoubida décida d’appeler la police, une voix grave, de
quelqu’un qu’on venait de réveiller d’un sommeil profond, lui répondit que la
police ne se déplace que si la victime est ensanglantée. […]
L’aube
n’avait pas encore pointé son nez quand maman Zoubida mit sa djellaba terne,
son fichu blanc et ses sandales en caoutchouc. Tout en me versant un reste de
café froid, la tenancière me somma de me dépêcher : « Avale ton café pour
m’accompagner. Je dois faire une course importante dans un faubourg pauvre et
lointain. Tu mets tes vieux vêtements et ces bottes usées. Nous ne devons pas
attirer l’attention des habitants de Ben Msîk. Il faudrait passer inaperçus.
Ils n’aiment pas les intrus. »
Nous prîmes deux bus, un taxi puis nous marchâmes
presque une heure pour atteindre un gigantesque campement de logis de fortune. […]
Des jeunes garçons désœuvrés assis sur des cartons et fumant des joints ou
sirotant du thé dans des verres ébréchés nous dévisagèrent de la tête au pied. […]
Je pris la main de maman Zoubida, la serra très fort et baissai la tête. La
tenancière, elle, avançait avec assurance comme dans un terrain connu.
Le marin
de Mogador, Ed. Le Manuscrit,
2006
Khalid EL Morabethi
Khalid El Morabethi, né le 10 juillet 1994, à Oujda,
au Maroc. En 2006, il se met à écrire, à l’âge de 12 ans. Après le bac, il
poursuit ses études à la Faculté de Lettres Mohamed Ier, à Oujda, en langue et littérature
françaises. Il est l’auteur de : Juste que…, recueil de poésie
(2013). Il a reçu, la même année, le prix spécial Coup de cœur, au concours
d’écriture Geand prix du Jour et de la Nuit (2013).
Oublier
Il a oublié
Que ses yeux étaient bleus,
Le ciel aussi,
La mer,
Il a oublié le sourire de sa grand-mère,
Et ses histoires qui le faisaient dormir.
Il a oublié,
Que la pluie le faisait réfléchir,
Que la pluie avait toujours un effet étrange sur lui.
Aujourd’hui,
Il fêtait ses soixante-dix-neuf ans,
Il a oublié ce vieil amour qui dormait à ses côtés, depuis longtemps,
Cette chambre, ce lit,
Cette maison,
La joie, le bonheur,
Son petit jardin,
La balançoire fixée a une grosse branche et les fleurs,
Il a oublié ses réussites, ses combats, ses pertes, ses espoirs,
Et ses blessures.
Ouvrant les yeux, il aperçut d’autres yeux aux murs,
Ils le fixaient,
En entendant les tic-tac des secondes,
Il a oublié qu’ils attendent,
Qu’attendent-ils ?
Oublier.
Que ses yeux étaient bleus,
Le ciel aussi,
La mer,
Il a oublié le sourire de sa grand-mère,
Et ses histoires qui le faisaient dormir.
Il a oublié,
Que la pluie le faisait réfléchir,
Que la pluie avait toujours un effet étrange sur lui.
Aujourd’hui,
Il fêtait ses soixante-dix-neuf ans,
Il a oublié ce vieil amour qui dormait à ses côtés, depuis longtemps,
Cette chambre, ce lit,
Cette maison,
La joie, le bonheur,
Son petit jardin,
La balançoire fixée a une grosse branche et les fleurs,
Il a oublié ses réussites, ses combats, ses pertes, ses espoirs,
Et ses blessures.
Ouvrant les yeux, il aperçut d’autres yeux aux murs,
Ils le fixaient,
En entendant les tic-tac des secondes,
Il a oublié qu’ils attendent,
Qu’attendent-ils ?
Oublier.
Le juste
que ..., recueil,
Ed. Persée, 2013
(D)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À JERADA
1928-1951
Anne-Marie Marcelli
Née, en 1928, à Jerada, au Maroc, Anne-Marie
Marcelli est une poétesse et écrivaine franco-marocaine, pieds-noirs, de mère
espagnolel, et de père corse. Elle écrit, âgée de neuf ans. Après un bac littéraire, et deux ans de
classe préparatoire en lettres classiques, elle étudie la philosophie à
l’Université de Bourgogne et obtient sa maîtrise sur les pratiques magiques, un
D.E.A. sur les représentations de la mort chez les Bantous. Mariée à l’écrivain
congolais Daniel Biyaoula, elle reçoit le prix de la Littérature d’Afrique
Noire pour L’Impasse, poésie (1997) et suit la genèse des romanciers centreafricains
: Alain Mabanckou, Jean Bofane, etc. Elle enseigne la philosophie en Bourgogne,
puis à Paris. Elle fait aimer la poésie aux gens de Bobigny, et mobilise leur
créativité. Elle est conseil littéraire aux Editions Tanawa Convergence, et
écrit : Si Noire Rivière, poésie (2008), Une mouche dans le
champagne (2010), et deux romans : Le chanteur silencieu, et
La fille qui ne voulait pas pleurer, à paraître, etc.
Je vis
« Je vis
Que les pierres
Même les pierres
Se froisseraient comme du papier ...
Et nous sommes
Moins que pierre » (...)
« Ecoutons
Les murmures étouffés
De la source du verbe
Qui tremblent dans nos os » (...)
« Faisons la paix
Avec le temps
Silence
Prière ».
Prémonitoires
– poèmes, Ed. Menaibuc, 2015
Ali Tizilkad
Ali Tizilkad, né en 1951, à Jerada, Maroc,
est écrivain, journaliste et raducteur marocain franco-arabophone. Il est enseignant, traducteur des œuvres d’Abdellatf
Laabi et de Jean Genet. Il a dirigé des rédactions pour de l’agence marocaine
de presse. La MAP, à Paris, des magazines Citadine et Médina et du quotidien Aujourd’hui
le Maroc. Il a exercé comme consultant et expert en médias, pour la HACA. Il
est l’auteur de : «la
Colline de Papier», prix Grand Atlas (2007), et cotraducteur de : L'allégresse
du temps - Poèmes à Wallâda, traduction
en français (2012), etc.
La rue
La rue a de tous temps été
clémente et miséricordieuse pour moi. Du moins depuis qu’elle a fait son
intrusion dans mon univers. Cette intrusion, je l’ai vécue d’abord comme une
agression. Mais on se trompe souvent dans ce genre de premières impressions.
Avant
la rue, n’existaient pour moi que de grands espaces illimités, que seules mes
peurs et mes angoisses personnelles, parfois infondées et souvent illusoires
pouvaient restreindre. L’ogre, le noir, la vipère tapie dans un recoin, et
quelques autres animaux plus ou moins fantastiques dont on n’a, en fait, jamais
vu un seul spécimen, font partie de ma mythologie personnelle. Les adultes
n’étaient pas avares de détails sur leurs supposées rencontres avec ces fauves,
ces créatures fantastiques ; récits saupoudrés d’un zeste d’imaginaire et
d’affabulation.
La première scène, lovée depuis toujours dans un recoin de ma mémoire, avec deux ou trois détails d’une netteté troublante, même plus d’un demi-siècle plus tard, constitue comme une sorte de délivrance.
La première scène, lovée depuis toujours dans un recoin de ma mémoire, avec deux ou trois détails d’une netteté troublante, même plus d’un demi-siècle plus tard, constitue comme une sorte de délivrance.
Une tempête de poussière âcre soulève sur son passage de gigantesques
flammèches de poudre de charbon au-dessus des monticules et terrils, parsemant
le paysage, au fond de cette Cuvette noire de Jérada, véritable camp retranché
en dehors du temps et de l’humain.
Sous la tente en lambeaux dont les rebords sont relevés pour cause de chaleur étouffante, même si l’on était déjà en plein automne, des ombres de personnages s’échinent à clore un drame dont les laves avaient éclaboussé, quelques jours plus tôt, l’environnement alentour : la séparation est presque convenue et il ne reste plus que quelques détails de forme et de convenances à régler, dont moi.
Quelques années plus tard - trois ou quatre selon mes estimations -, de retour dans la Cuvette noire, et éveillé petit à petit aux jeux de la mémoire et de son ravaudage, je me mis à ramasser des bribes, ici et là, comme pour en faire un viatique de fortune ou une besace pleine de : «Ah voilà pourquoi !».
Sous la tente en lambeaux dont les rebords sont relevés pour cause de chaleur étouffante, même si l’on était déjà en plein automne, des ombres de personnages s’échinent à clore un drame dont les laves avaient éclaboussé, quelques jours plus tôt, l’environnement alentour : la séparation est presque convenue et il ne reste plus que quelques détails de forme et de convenances à régler, dont moi.
Quelques années plus tard - trois ou quatre selon mes estimations -, de retour dans la Cuvette noire, et éveillé petit à petit aux jeux de la mémoire et de son ravaudage, je me mis à ramasser des bribes, ici et là, comme pour en faire un viatique de fortune ou une besace pleine de : «Ah voilà pourquoi !».
La scène est insoutenable. Mohamed, mon père, revenant du carreau
de la mine, après sa journée en premier poste, rejoignait le douar aux
dernières lueurs du soleil couchant. Les tentes des familles des mineurs,
pauvres hères descendus de leurs montagnes et plateaux ou venus de leurs
lointaines plaines inhospitalières, plantées côte à côte et pêle-mêle,
commençaient à confondre leurs aspérités et contours pour se fondre
progressivement dans l’antre de la nuit toute proche. Hlima El Yaznasnia, ma
grand’mère paternelle, aux gestes soigneux, au port et à l’élégance troublants,
debout, là-bas au fond de la tente, son espace intime, entamait les prémices,
longues et quelque peu empesés, de sa prière d’Al Maghrib.
La colline de papier, Ed. Tizi, 2007
www.minculture.gov.ma
(E)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TAOURIRT
1882-1944
Paul
Gusdorf
Paul Gusdorf, né en 1882, en Allemagne. Né d’une famille juive, installé
en France, depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon,
dont il dirige le bureau de Bordeaux, il s'est engagé durant la guerre, dans la
Légion Étrangère, dès août 1914, pour obtenir la nationalité française. Il
épouse Marthe, une allemande, à Bordeaux, le 16 septembre 1908, dont il a eu
trois enfants. Il est affecté au 1er Étranger, et envoyé à Bayonne, où il fait
ses classes, avant de partir, début décembre 1914, pour Lyon. Il y passe un
mois avant de recevoir son affectation au Maroc. Ses capacités intellectuelles
et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylo lui ont valu, à Bayonne
comme à Lyon, de confortables postes administratifs. Il s'embarque,
début janvier 1915, pour l'Algérie, où de nouvelles aventures
l'attendent... Il est le père de Georges Gusdorf, le futur philodophe
(1912-2000). Il est l’auteur des lettres en voyées à sa femme Marrthe
(1914-1918), dont :
D e Taourirt
à Oujda
Madame P. Gusdorf 22 rue du Chalet 22 Caudéran
Gebla,
près Bou Ladjeraf, le 13-9-15
Ma chérie,
J’ai tes lettres des 4 et 5 courants et te confirme mes 2 cartes d’ici,
envoyées par un muletier à Bou Ladjeraf, puisqu’il n’y avait pas encore de
boîte à Gebla. Nous sommes toujours très primitivement installés et couchons -
comme des sardines en boîte - sous la guitoune. Il paraît cependant que les
marabouts arriveront demain ; peut-être aurons-nous même des paillasses ou des
lits au courant de cette année !
En ce qui concerne la situation géographique, Gebla est situé à environ
4 km de Bou Ladjeraf qui est la dernière station avant Taza sur la ligne
Oujda-Taza. Voici les principaux postes situés sur cette ligne : Oujda, El Gun,
Taourirt, Debdon, Guercif, M’Conn, Oued Aghbal, Bou Ladjeraf et Taza. La ligne
sera conduite jusqu’à Fez qui est à environ 100 km à l’Ouest de Taza. J’ai
laissé de côté des stations ou postes de peu d’importance et ajoute que le
train met 1 jour pour aller de Taza à Guercif, 1 deuxième de Guercif à Taourirt
et un 3° de Taourirt à Oujda.
Le nouveau poste de Gebla que
nous construisons en ce moment aura probablement, le camp 4° au début ; Bou
Ladjeraf sera supprimé, du moins le camp 5°. Il ne restera que la gare, en forme
de blockhaus - comme toutes les gares des petits postes - où l’on laissera 1
section 6°. Gebla est situé sur une crête à l’endroit où se trouvait autrefois
un grand village marocain, détruit il y a 16 mois lors de la prise de Taza par
notre artillerie. Les pierres et briques des maisons en ruine nous servent
maintenant à construire les murs & tranchées ainsi que les divers
baraquements. Mais le pays en face - non soumis - est encore inconnu.
Il y a quelques jours nous avons vu derrière les mamelons - nous
faisions corvée de bois - une ville au moins aussi grande que Taza, car elle a
5 mosquées et appartient, paraît-il, aux Rhiatas, tribu non soumise. Ces
Messieurs nous ont du reste attaqués dès notre arrivée ici, c.à.d. le premier
jour, revenant ensuite la nuit et le lendemain. Ils ont été cependant repoussés
par l’Artillerie qui disperse tous les jours leurs rassemblements. Avant-hier,
dans la nuit, ils avaient allumé de grands feux sur les crêtes et on voyait
distinctement des hommes autour du brasier. Une batterie de 75 ouvrit aussitôt
le feu et le 2° obus tomba juste au milieu ! Il est probable que s’ils
continuent leurs attaques, on va bombarder un de ces 4 matins leur ville avec
les 5 mosquées.
Les autres tribus soumises viennent déjà vendre leur bétail, des
volailles, oeufs, raisins, noix etc. Une de ces tribus, qui nous aide à chaque
occasion, est campée à 2 km de nous avec des troupeaux énormes, formant des
ronds très réguliers avec leurs tentes, ronds dans lesquels ils enferment le
bétail pendant la nuit.
La colonne Derigoin reste avec nous jusqu’au 17, jour où nous pourrons
nous installer en-dedans de l’enceinte fortifiée. D’après les bruits qui
courent, nous ne resterions ici que 2 à 3 mois au plus, pour descendre ensuite
à l’arrière, peut-être à Guercif, le dernier poste où il y a quelques maisons
européennes. Mais on ne peut pas trop se fier à ces bruits. La nourriture,
exécrable au début, s’est améliorée quelque peu maintenant. On nous donne
depuis 3 jours - oh miracle - 2 quarts de vin par jour. Mais nous avons
énormément de travail et vivons comme des sauvages. […]
Depuis avant-hier le bruit court que l’Allemagne a fait une proposition
de paix et qu’on négocie déjà ferme à Washington. L’Allemagne rendrait tous les
pays envahis et l’Alsace, l’Italie aurait Trente, mais l’Allemagne demanderait
la Courlande et le Maroc. Cette proposition, si elle est vraie, indiquerait
tout de même une lassitude de l’Allemagne et le désir d’en finir avant le
désastre. Ce serait le premier pas qui coûte le plus cher et qui laisserait
prévoir de nouvelles concessions indispensables ! […]
Paul
www.lettresdepaulgusdorf14-18.blogspot.com
Abdelaziz
Meziane Belfkih
Né en 1944, à Taourirt, près d'Oujda, et mort le 9 mai 2010, à Rabat des
suites d'un cancer, Abdelaziz Meziane Belfkih est un écrivain francophone et homme
politique marocain, ingénieur en génie civil de l'École nationale des
ponts et chaussées de Paris (1974), et
de l'Institut national des sciences appliquées de Lyon (1978). Revenu au Maroc, il est directeur de
l'inspection générale au ministère de l'Equipement et de la Promotion nationale
(1980), directeur des routes et de la circulation routière (1983), secrétaire
général du ministère des Travaux Publics, de la Formation professionnelle et de
la Formation des cadres (1992), ministre de l'Agriculture (1995), ministre des
Travaux Publics de la Formation professionnelle et de la Formation des cadres (1997),
ministre de l'Agriculture de l'Equipement et de l'Environnement, conseiller royal
(1998), président la Commission spéciale éducation-formation (COSEF), nommé
par feu SM Hassan II d’élaborer une Charte nationale de l'Education et de la
Formation. Il est décoré de l’Ouissam du Trône de l'Ordre de Chevalier.
www.wikipedia.org
"L'agenda
21", un programme d'action concret
Cette rencontre a lieu à un moment
où la Communauté Internationale s'apprête à fêter la "Journée mondiale de
l’envirronnement". Elle coïncide avec le premier anniversaire d'un
événement mondial et historique, à savoir le Sommet de la Planète Terre ou
Conférence des Nations Unies pour l'Environnement et le Développement, tenu à
Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992.
En effet, la Communauté Internationale se devait de relever le défi de
la conciliation entre le nécessaire développement économique et social, et les Indispensables
protections de l'environnement, et gestion durable des ressources naturelles.
Ce défi est d'autant plus difficile à relever que le monde fait face à de profondes
mutations et à des changements spectaculaires sur les plans : politique,
économique et social. Il fait face
également à la dégradation grandissante de certains écosystèmes et certaines
ressources naturelles vitales et aux problèmes
alarmants de la pauvreté et du
sous-développement.
La
déclaration solennelle de Rio, qui est une sorte de "Charte de
laTerre", et le Plan d'action pour le 21ème siècle, dit "agenda
21", adoptés l'année dernière, constituent des instruments importants pour
gagner l'enjeu d'un développement durable et équitable. […]
Le Maroc qui a pris une part active aux travaux de la Conférence de Rio,
se rallie à l'engagement international de faire de "l'agenda 21" un
programme d'action concret, et d'agir pour renforcer les bases d'un développement
durable.
Extrait de son allocution,
alors ministre, in la Journée d’Information Agriculture-Environnement, le 5 juin 1993.
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