L’ENFANT VIOLENTÉ d’AHMED LAMIHI OU
LE ROMAN MYTHIQUE SOCIALISÉ
Dès son premier
roman, « L’Enfant violenté », Ed. Afrique Orient, 2016, Ahmed
Lamihi, docteur ès Sciences de l’éducation, enseignant à l’ENS de Tétouan, frappe
par l’originalité de sa fiction s’apparentant vivement au roman mythique socialisé,
nous faisant remonter à la mythologie grecque et son archétype de l’enfant
naturel balloté par l’hostilité des hommes et le hasard des événements jusqu’à
sa mort, elle-même accidentelle. Un coup d‘œil sur le destin de son héros
enfant Hamdan fils de Fatna, mère abandonnée, avec Kaddour son frère et
sa soeur Malika, ses deux aînés, par un mari subalterne, sans cesse absent, ramène à
l’esprit l’image d’Héraclès et de son tragique destin. «En tant que fils
naturel de Zeus, lit-on dans « Mythologie grecque » : « Héraclès
s’attira aussitôt la haine et la rancune d’Héra, qui essaya de le supprimer dès
le berceau […]. Plus tard, marié à Mégarée, fille de Créon, roi de Thèbes, il eut
d’elle trois fils qu’il tua de ses propres mains dans un moment de folie
introduit par Héra. […] Après ses douze travaux [d’expiation], le héros […]
finit par épouser Déjanire qui causa sa mort malgré elle. » - www.mythologie. grecque.over-blog.fr
Dès les premières
pages, le narrateur suggère de manière opportune : « Il est vrai
qu’«une mère, on n’en a qu’une », comme l’a écrit un jour, un grand homme,
un grand philosophe étranger ! Mais la science avance, et tout le monde
sait depuis cette grande découverte, qu’un père, on ne peut en avoir qu’un seul
aussi, même si la plus légère des mères multiplie, dans la même soirée, les
partenaires à l’infini… Qu’importe ce que je dis ; l’important c’est que
Hamdan n’avait plus de père depuis de longues années. » (p.6) Gérard
Gengembre définit ce genre romanesque : «Roman mythique […] : il s'agit d'un système de
représentation dans lequel toute une série de convergences d'éléments, qui
peuvent être empruntés à une simple vie quotidienne, vont être transformés,
métamorphosés, transmutés en éléments symboliques qui vont prendre sens et qui
vont permettre une lisibilité du réel comme ensemble de fonctions et
d'événements qui peuvent être rapportés à de grandes vérités.» - «Roman et
écriture du social », www.bmlisieux.com , p.1.
Le
roman de Lamihi semble pleinement installé dans ce cadre de
l’enfance malheureuse, mythe qui remonte à la nuit des temps. Agrémenté d’un
quotidien semi-campagnard semi-urbain, gorgé de violence et de solitude avec un
chien trouvé au hasard, le récit mythique cristallise les maux de l’enfant
héros en évoquant ses craintes les plus intimes : « Hamdan
souffrait de trois choses, qu’il considérait terreurs étant graves pour
lui : « la mort de son père au moment où il avait le plus besoin de
lui, comme tout enfant de son âge ; la catastrophe dont seul lui et sa
mère en connaissent le secret ; l’attitude, l’agressivité, le mauvais
traitement de son frère Kaddour non seulement à son égard ; mais aussi
vis-à-vis de sa propre mère et de sa propre sœur… » (p.115) Naissance
et enfance précaires, entre quasiment sporadique entre la campagne et la ville
de Safi, vie et jeunesse tumultueuses, précocement interrompues par une mort tragiquement
accidentelle, Hamdan, notre Héraclès socialisé, est fauché, le jour même de son
mariage, par la voiture paternelle d’un jeune nanti chauffard, écervelé, encore
mineur, sans permis de conduire, et ainsi la boucle est presque bouclée de cet
admirable, saisissant et très instructif roman mythique socialisé (v. en un carrefour
commémoratif, symbole de la mort brutale
de J. F. Kennedy), en ces termes :
« Le chauffard avait deux
copains, l’un devant, l’autre derrière. […]
- Ralentis, Farid, tu vas finir par nous
tuer… […]
- Non, Farid, ne l’écoute pas ; plus
fort la musique, à fond la caisse…
N’écoutant que sa cervelle, le chauffard
continue sur sa lancée. Et c’est le choc. Un accident terrible. La mort
instantanée.
Adieu petit Hamdan, adieu hbibou.» (p.141).
Toutefois, une projection symbolique optimiste
se profile à l’horizon, en « Epilogue » de ce drame, car Malika
baptise son nouveau-né Hamdan, du nom de son défunt frère un an après
l’accident fatal qui l’a emporté :
«Un an après la mort de Hamdan,
Malika donne naissance à un beau bébé. Elle l’appellera Hamdan, pour ne jamais oublier
son petit frère, pour ne l’oublier jamais, jamais, jamais. » (p.142).
En un mot, ce petit roman, «L’Enfant
violenté », de Lamihi, issu d’une main de maître, augure d’un futur
prometteur du roman mythique socialisé, celui de l’enfant au Maroc et dans le
monde actuel, tel que le souligne éminemment Mélina Plante : «L'enfant,
dit-on, n'a jamais été autant choyé qu'à partir du XXe siècle. Dans les
sociétés occidentales, il est devenu le lieu de toutes les attentions et de
tous les espoirs. » - «De l’aurore à aurore : La présentation de
l’enfant dans le cinéma québécois de fiction pour adultes 1951-2005», www.archipel.uqam.ca, p.1.
Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED
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