L’INSERTION
DES VERS POETIQUES DANS LES ROMANS
DES
CINQ CONTINENTS : 1788-2015
Un des traits frappant du roman dans le
monde continue d’être manifeste jusqu’à nos
jours, c’est celui de l’intercalation des vers poétiques au sein de la prose
narrative. Ainsi avons-nous eu l’idée de sonder ce phénomène littéraire à
travers un corpus dans le cadre de la question : «L’insertion des vers
poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015». C’est ce
que François Laurent définit en ces termes : «La formule «insertion
lyrique» désigne donc l’intercalation en contexte narratif d’une chanson [v.
d’un poème]
citée intégralement ou partiellement,
attribuée à l’auteur du roman ou à un autre poète, les principaux genres étant
susceptibles de servir de farcitures.» - «Les insertions lyriques
dans les romans en vers du XIIIe siècle », www. epublications.unilim.fr , p.8. Ainsi aborderons-nous les faits suivants :
I. Les tirades des
Mille et une nuits base de l’insertion des vers poétiques dans les romans des
cinq continents : 1788-2015.
II. La structure et
le croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans
des cinq continents : 1788-2015.
III. Les romantiques
et l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents :
1788-2015.
IV. Les fonctions
des poèmes dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents :
1788-2015.
V. Les exemples
d’insertions des vers poétiques dans les romans des cinq continents :
1788-2015.
I. Les tirades des Mille et une nuits
base de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq
continents : 1788-2015 :
Certes, il est à signaler, selon A.-A.-C. Buchon, Ed. A. Desrez, citant M. Fauriel
[1772-1844], que les tirades des Mille et une Nuits, du
fameux roman feuilleton arabe, ont alors servi de base à l’insertion des vers
poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, en
affirmant : « M. Fauriel, dans son travail sur L’épopée
chevaleresque, n’hésite pas à regarder comme certain que c’est aux Arabes
que nos romanciers ont emprunté leurs tirades monorimes ; le même savant
fait remarquer que la manière dont les vers et la prose sont séparés dans le
roman d‘Aucassin et Nicolette est précisément la même que celle que l’on
observe dans les romans arabes populaires, et il ne doute pas que le romancier
chrétien n’ait imité les formes de la narration arabe.» - «Les tirades en vers
et prose des romans empruntées aux Mille et une Nuits.», www.books. google.co.ma , p.26.
Plus
précisément, indique ces deux auteurs, a titre d’exemples : «Quelque temps
après le poète Ruteboeuf [1230-1285], le poète Adenès [1240-1300] composait son
roman en vers de Clamades et Clarmonde [1275], qui, plus tard, fut
rédigé en prose et que le comte de Tressan [1705-1783] a analysé dans ses Extraits des romans de
chevalerie. Le spirituel mais peu exact abréviateur avait déjà fait
remarquer que le poème d’Adenès reposait sur la même donnée que l’Histoire
du cheval enchanté dans les Mille et une Nuits ;
mais il ne pouvait savoir que […] Adenès déclare qu’il été lui-même en Orient [1248].»
- Op.cit., pp.26-27.
En fait, Dominique Peyrache-Leborgne
abonde dans ce sens que ce mélange des genres vers et prose n’est guère une
invention du roman romantique du XIXe siècle, mais bien une tradition
médiévale, donc d’origine arabe, en affirmant : « Le roman romantique
n’a pas inventé le mélange des genres, qui existait bien avant lui, comme
l’attestent les traditions anciennes du prosimètre et du roman médiéval à
insertion lyrique. […] En effet, dans les années 1800, apparaît un phénomène
nouveau : la création, paradoxale pour l’époque, d’une forme prosaïque qui
puisse s’ouvrir entièrement à son contraire, le poème versifié, et ce phénomène
parvient à subvertir presque complètement les distinctions et les hiérarchies qui
existaient précédemment entre vers et prose.» - «Le récit romantique
(Allemagne-Angleterre victorienne)», www. atlantide.univ-nantes.fr ,
p.2.
II. La structure et le croisement des
genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq
continents : 1788-2015 :
Pour ce qui est de la structure et du
croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des
cinq continents : 1788-2015, Michał Obszynski relève, en 2015, écrit, à
propos du roman [v. Texaco, 1994] de Chamoiseau [Patrick Chamoiseau :
1953-], notamment : «Hétérogène au niveau de la structure et du contenu,
fusionnant récit autobiographique, dialogue imaginaire et poème, le texte de
Chamoiseau se situe au croisement des genres et des styles.» - «Manifestes
et programmes littéraires aux Caraïbes francophones: En/jeux idéologiques et
poétiques », www.books.google.co.ma,
p.217.
Par
ailleurs, Dominique Peyrache-Leborgne
indique quant à la structure et du croisement des genres dans l’insertion des
vers poétiques dans les romans dont relèvent ici les romans des cinq
continents : 1788-2015, une pratique da citation exemple à l’appui, en
indiquant : « Quand le roman inclut des formes poétiques, c’est
surtout au niveau d’une pratique de la citation: par exemple, La nouvelle
Héloïse (1761) place fréquemment dans les lettres de ses personnages des
vers de Pétrarque [1304-1374], de Métastase [Pietro Metastasio :
1698-1782], du Tasse [Torquato Tasso :1544-1595]. Mais cette pratique de
la citation ne rompt pas l’unité générique du récit en prose. » – «Le
récit romantique (Allemagne-Angleterre victorienne) », Op.cit., p.3.
III. Les romantiques et l’insertion
des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :
Partant
des romans chez les romantiques, il est possible d’observer historiquement, au
sujet de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq
continents : 1788-2015, avec D. Peyrache-Leborgne l’apport du romantisme
franco-allemand notamment : «Et il faudra attendre les prémisses du
romantisme, avec le roman gothique et les premières formes de récits dits
«arabesques» [structures et du croisement des genres] au sein du romantisme allemand, pour qu’une
pratique systématique de la forme mixte se mette à nouveau en place,
accompagnée d’une nouvelle réflexion sur le roman comme genre poétique. Il
conviendra donc d’examiner ici deux aspects de cette constitution [v. structure
et croisement] progressive de ce que l’on peut appeler le roman-poème
romantique: d’une part à travers le genre romanesque du romance anglo-saxon, et
d’autre part en fonction de la nouvelle conception du roman élaborée par le
romantisme allemand.» - Op.cit., Ibid.
En outre, le même auteur y inscrit
l’apport romantique du roman gothique
et du roman historique incarné par l’œuvre de Walter Scott [1771-1832] en
remarquant : «Walter Scott, qui reste sans doute le plus fameux des
antiquaires romantiques, collecte et réécrit des ballades issues de l’ancienne
tradition des ménestrels, qu’il publie en 1802-1803 dans Minstrelsy of the
Scottish Border.[…] Il est donc tout naturel que Scott ait poursuivi la
pratique formelle du romance médiéval ou gothique en conservant dans la
forme même du roman historique qu’il invente une place importante pour
les ballades et chansons. Cette pratique assez systématique de la forme mixte
s’explique chez lui à la fois par son travail de poète-antiquaire, par sa
contemporanéité avec le romance gothique et enfin par l’influence et de
l’ancien roman de chevalerie qui reste un des matériaux de base pour le
roman Historique.» - « Le roman romantique et les citations poétiques », Op.cit., p.5.
De son côté, Philippe Postel note le
parallélisme paradoxal existant entre l’insertion des poèmes dans la prose plus
abondante dans les romans classiques chinois [v. la proximité avec les romans
populaires arabes et le les romans romantiques et médiévaux français] que dans les romans préclassiques occidentaux,
d’ailleurs critiquée et moquée par les auteurs de l’antiroman [Jean-Paul Sartre, à propos de
Nathalie Sarraute, 1948], soulignant : «Un roman chinois classique
peut surprendre le lecteur occidental à bien des titres, mais en particulier
par l’abondance des poèmes qui viennent s’insérer à l’intérieur de la prose.
C’est oublier que la pratique des formes faisant alterner vers et prose est
bien vive encore à l’époque préclassique dans notre propre littérature. Les
auteurs d’antiromans [1940-1960] s’emploient du reste à la moquer.» - «L’insertion
des poèmes dans le roman classique en Europe et en Chine», www.atlantide.univ-nantes.fr , p.1.
IV. Les fonctions des poèmes dans
l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents :
1788-2015 :
En ce qui regarde les fonctions des poèmes
[v. les vers poétiques] dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des
cinq continents : 1788-2015, Philippe Postel relève une série de fonctions
de portées : dramatique, lyrique,
distanciative par
rapport à l’énoncé, descriptive, commentative, énonciative, structurante,
réflexive, etc., qu’il résume ainsi : « Les poèmes insérés
remplissent donc des fonctions fort diversifiées. Nous avons distingué deux
fonctions – dramatique et lyrique qui sont bien ancrées dans l’énoncé, puis
deux autres fonctions qui marquent une distance par rapport à l’énoncé, sans
pour autant s’y soustraire – la description et le commentaire –, enfin deux
dernières fonctions qui concernent non plus l’énoncé mais l’énonciation, dans
la mesure où elles renvoient à l’acte même de raconter : la fonction
structurante et la fonction réflexive. Il faut ajouter que les poèmes relèvent
la plupart du temps de plusieurs fonctions à la fois : un poème à fonction
lyrique pourra déclencher une réaction de la part des personnages dans la trame
narrative, et jouer donc aussi sur le plan dramatique, etc. » - «L’insertion des poèmes dans le roman
classique en Europe et en Chine», Op.cit., p.44.
Or, la pratique systématique de ces
fonctions de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents :
1788-2015, peut, selon D. Peyrache-Leborgne, prendre différentes formes –
récits épistolaires, historiettes en vers, citations poétiques, et épigraphes de
tous genres, qu’il inventorie dans : «Certes, le roman a souvent été pensé
comme le non-genre par excellence, la forme la plus souple qui soit, apte à
contenir d’autres formes : récits épistolaires, historiettes en vers, citations
poétiques et épigraphes en tous genres.» - « Le roman romantique et les citations poétiques », Op.cit., p.2.
C’est ainsi que se
matérialise ce phénomène littéraire de l’insertion des vers poétiques dans les
romans des cinq continents : 1788-2015, observable à travers le corpus de
15 romans étudiés, répartis au nombre de : 8 pour EUROPE avec la
France (2), l’Irlande (2), l’Angleterre (1), l’Allemagne (1), la Russie (1), la
Roumanie (1) ; 2 pour l’AFRIQUE avec le Maroc (1), le Sénégal (1) ;
3 pour l’AMÉRIQUE avec les USA (1), le Canada (1), Haïti (1) ; 1
pour l’ASIE avec la Chine (1) ; et 1 pour l’OCÉANIE avec
l’Australie (1).
V. Les exemples d’insertions des vers
poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :
Pour illustrer ce parcours du corpus
(sus-indiqué) sondé des insertions des vers poétiques dans les romans des cinq
continents : 1788-2015, citons en à titre d’exemples les extraits
d’auteurs géo-représentatifs suivants :
1. Les exemples d’insertions des vers
poétiques dans les romans du continent européen : 1965-2006 :
Concernant l’Europe, les exemples des insertions
des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs
parutions, dans le corpus pris au hasard
étudié, entre 1965 et 2006, à savoir :
·
La Roumanie : «Le
triangle», Pop Simion (1930-2008), Ed. Arta Grafica, 1965 :
«Enfin il [Kirilã] la [la cigarette] reprenait et se met imiter le
pope, en chantant d’une voix nasillarde, à la manière des bedeaux :
- Roulons-nous cigarette,
Bien bonne, bien
doucette,
Car
c’est bien pour ça
Qu’est fait le tabac.
Sa jeune moitié [Leontina] le traitait d’antéchrist, le frappait avec la louche,
menaçait de le priver du gésier du volatile.»
(p.36)
·
L’Irlande : «L’auberge
du Dragon volant», Joseph Sheridan Le Fanu (1814-1873), Ed. Marabout, 1967:
«Quelques instants plus tard, la dame se mit à chanter une drôle de
petite chanson. Je n’ai pas besoin de vous rappeler combien une voix qui
chante s’entend de plus loin qu’une voix qui parle. Je pus distinguer les paroles. La voix était
de ce genre délicieusement doux que l’on nomme, je crois, un
semi-contralto ; elle avait quelque chose de pathétique et, en même temps,
me sembla-t-il, d’un peu moqueur. Voici, traduites maladroitement mais aussi
exactement que possible, les paroles de cette chanson :
«La Mort et l’Amour, ensemble
mariés,
Sont là qui guettent, en
patiente embuscade ;
A l’aube claire, ou à la nui tombée,
Chacun fait choix de fille
ou de garçon,
Soupir brûlant, ou bien souffle glacé,
Affole ou transit la fille
ou bien le garçon ;
Amour ou Mort sa victime saisit,
Matin et soir en patiente embuscade. » (p.19)
·
La Russie : «Le premier
cercle», Alexandre Soljenitsyne (1918-2008), Ed. Robert Laffont, 1968:
«- Non, cher professeur [Razvodovsky, professeur d’histoire, prisonnier]
pardonne-moi [Lev Grigoritch, ancien soldat, prisonnier]. Tu n’as qu’à
lire Vladimir Dahl. « Bonheur » vient du mot qui désigne le sort […].
- Peu importe ! Laisse travailler ceux qui s’occupent de philologie
comparative. […]
- Va te faire voir. Ecoute... As-tu
lu la seconde partie de Faust [Tragédie en vers, de Goethe, 1808]? […]
- Tu ferais mieux de me demander si j’ai lu la
première partie. Tout le monde dit que c’est une œuvre de génie, mais personne
ne l’a lue. Ou alors les gens ne la connaissent qu’à travers Gounod [Charles
Gounod, musicien : 1818-1893].
- Non, la première partie n’est pas difficile du tout.
« Je n’ai rien à dire du
soleil ni des mondes,
Je ne vois que les tourments
des humains…»
- Ah ! j’aime ça !
- Ou bien :
«Ce dont nous avons besoin, nous ne le connaissons pas,
Ce que nous connaissons nous
n’en avons pas besoin. »
- Formidable ! » (p.56).
·
La France : «Les
déclassés», Jean-François Bizot (1944-2007), Ed. Le Sagittaire, 1976 :
«Avant de se coucher, le barman mettait
des discours de Malcolm X [1925-1965]. Sa voix hachée et chaude pulvérisait la
misère. Il scandait, le frère Malcolm, ces phrases comme des jets de
saxo :
Je ne suis pas Américain
Le dernier crétin d’émigrant
débarqué est Américain
Il suffit d’avoir les yeux bleus
pour être Américain
Je suis là depuis un siècle et je ne
suis pas Américain.
Right on ! appuyait le barman. Right on ! criait
le disque. » (p.178).
·
La France – La Guadeloupe :
«Traversée de la Mangrove», Maryse Condé (1937-), Ed. Gallimard, 1992 :
« Aujourd’hui, Francis Sancher était mort. Une main secrète avait
accompli la vengeance à laquelle sa lâcheté ne se décidait pas. […]La route
était libre». [Lors de la veillée funèbre, Dinah chante le psaume suivant] :
Louez l’Eternel!
Louez l’Eternel
du haut des cieux;
Louez-le dans les
cieux très hauts!
Louez-le, vous,
tous ses anges!
[Les chœurs des
femmes s’élèvent] :
Nous te louons, ô
Dieu, nous célébrons tes louanges
Et ton nom est
présent parmi nous
Tu racontes tes
merveilles. »
(pp.48-228)
·
L’Angleterre: «Ivanhoé», Walter
Scott (1771-1832), Ed. Oxford University Press, 1996 :
Ayant atteint la petite clairière
éclairée par la lune, ils eurent devant eux la chapelle révérée, quoique en
ruine, et le grossier ermitage qui convenait si bien à la dévotion ascétique du
moine qui l’habitait ; alors Wamba dit tout bas à Gurth :
– Si c’est ici l’habitation d’un voleur,
il justifie le vieux proverbe : « Plus on est près de l’église, plus
on est loin de Dieu. » Et, par ma crête de coq ! ajouta-t-il, je
pense qu’il en est ainsi. Écoutez seulement ce noir Sanctus qui se chante à
l’ermitage.
En effet, l’anachorète et son commensal
entonnaient, en donnant toute l’extension possible à leurs puissants poumons,
une vieille chanson bachique dont voici le refrain :
«Passe-moi
le pot d’ale brune, /Allons, Joseph, joyeux garçon, / Passe-moi le pot d’ale
brune. / Au buveur sourit la fortune; /Lâche qui boude boisson!», […] /Vers le
pays tournant ses pas; [… ] /Sur son écu mainte prouesse / Est gravée avec
son devoir. / Sous le balcon de sa maîtresse, /Il chante ainsi dans l’air du
soir.» (p.224).
·
L’Allemagne : «Les Années d’apprentissage de
Wilhelm Meister», J.
W. Von Goethe (1771-1832), Ed.
Folio, 1999 :
«Lorsque le lendemain matin lorsque Wilhelm
demanda Mignon, on lui dit qu’elle était sortie avec M. et Madame Mélina, qui
étaient venus la prendre pour les aider à transporter chez eux la garde-robe du
théâtre. […]
Après être resté quelques heures seul dans sa chambre, il entendit à la
porte une douce mélodie […], mais il reconnut presque aussitôt les sons d’une
guitare et la voix de Mignon ; aussi s’empressa-t-il de la faire entrer,
et l’aimable enfant chanta les strophes suivantes :
«Connais-tu le pays des citronniers en fleur?
Dans le feuillage
obscur flambe l’orange d’or,
Un doux vent
souffle du ciel bleu,
Le myrte est là,
paisible, et fier s’élance le laurier,
Le connais-tu,
dis-moi? ». (p.123)
·
L’Irlande : «Ulysse», James Joyce (1882-1941), Ed. Gallimard, 2006:
«Alors et ainsi de suite, comme je disais, le vieux chien quand il voit
que la boîte elle est vide il se met à renifler la souris autour de Joe et de
moi. Je te le dresserais, moi, par la douceur, si c’était mon chien. Lui
donnerais un de ces bons coups de pieds bien placés de temps en temps, là où ça
le rendrait pas aveugle.[…]
Et il se met à le tirer à l’agacer et à lui parler en irlandais et le
vieux tueur à gronder et à faire sa partie comme dans un duo d’opéra. Un
concert pareil j’avais jamais entendu
qu’ils faisaient tous les deux. […] Grondant, grognant et ses yeux injectés de
sang tellement il avait le gosier sec et
l’hydrophobe qui lui dégoulinait de la gueule. […]
Peut-être faudrait-il ajouter que les
effets se trouvent notablement accrus si l’on récite les vers d’OIwen relativement
lentement et indistinctement afin de suggérer une rancune contenue.
Que la malédiction soit sur toi
Barney Kierman, qu’elle soit sur toi sept fois
Etre sans loi qui me mets aux abois
sans une gorgée d’eau pour me donner la foi
tant et si bien que j’en ai mal au foie
Qu’après Lowry je ferai n’importe quoi
L’ami Lowry du musichall le roi
Afin qu’il me recueille sous son toit.
Barney Kierman, qu’elle soit sur toi sept fois
Etre sans loi qui me mets aux abois
sans une gorgée d’eau pour me donner la foi
tant et si bien que j’en ai mal au foie
Qu’après Lowry je ferai n’importe quoi
L’ami Lowry du musichall le roi
Afin qu’il me recueille sous son toit.
Alors il a dit à Terry
d’apporter de l’eau pour le chien et il l’a lapée bon Dieu, on aurait
pu l’entendre un kilomètre à la ronde". (p.135)
2. Les exemples d’insertions des vers
poétiques dans les romans du continent africain : 1981-2003 :
Pour l’Afrique, les exemples des insertions
des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs
parutions, dans le corpus pris au hasard
étudié, entre 1981 et 2003, à savoir :
· Le Maroc : «La prière de l’absent», Tahar Ben Jelloun (1947-), Ed. du Seuil, 2006 :
«Sindibad
s’était retiré sous un olivier chétif et récitait à voix haute des vers d’Al
Hallaj [Mansour : 857-952] :
Tuez-moi, ô mes amis
Ma vie est dans ma mort
Et ma mort est dans ma vie
Et ma vie c’est de mourir
Annuler mon âme
C’est me faire un don
Me laisser tel que je suis
Est le pire des maux
Mon âme porte le dégoût de ma vie
A travers les décombres.
Il
interrompit ces invocations au moment où Yamna s’approcha de l’olivier :
- Que fais-tu Sindibad?
- Je pris ! ». (pp.193-194).
· Le Sénégal : «Le ventre de l’Atlantique», Fatou Diome (1968-), Ed. Anne Carrière, 2003 :
«Ils [les amis de Madické, le frère de
Salie, resté au pays idolâtre de l’occident] se sont cotisés pour faire la fête
ce soir ». […] Mais, Salie [l’héroïne immigrée sénégalaise devenue
écrivain, à Paris], compose sur sa condition de vie dans Le Ventre de l’Atlantique, le fragment
poétique suivant :
« Clôturés, emmurés
Captifs d’une terre autrefois bénie
Et qui n’a plus que sa faim à bercer
Passeports, certificats
d’hébergement, visas
Et le reste qu’ils ne nous disent pas
Sont les nouvelles formes de
l’esclavage
Relevé d’identité bancaire
Adresse et origines
Critères de l’apartheid moderne.» (p.250).
3. Les
exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent américain
: 1934-2004 :
Pour l’Amérique, les exemples des insertions
des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs
parutions, dans le corpus pris au hasard
étudié, entre 1934 et 2004, à savoir :
· Les USA : «Une saison de coton : Trois
familles de métayers», James
Agee (1909-1955), Ed. Plon, 1934 :
«[En épigraphe, une strophe tirée du Roi
Lear, Ac.III, sc.IV, de William Shakespeare : 1564-1616] :
«Pauvres,
miséreux, nus, où que vous soyez,
Vous qui souffrez les coups de cet
impitoyable orage,
Sans abri pour vos têtes et les flancs
creux,
Comment vos guenilles sans forme,
criblées de jougs,
Vous garderont-elles contre pareilles
saisons ? Ah! je
Ne me suis point soucié de tout cela! Prends ton
Remède, Faste ;
Débarrasse-toi de ton superflu et
donne-leur
Afin de montrer les cieux plus
équitables. »
(p.146).
· Le Canada : «La pacotille», Gérard Etienne (1936-2008), Ed. L’Hexagone, 1991 :
«Guilène ne bouge toujours pas. Découpée
par mon œil tuméfié. Quelle horreur, mon Dieu. Indescriptible, le corps de
Guilène. Broyé sous les roues d’un camion, dirait-on. Tranché à la machette,
dirait-on. Alors la fin. Non. Une toute petite respiration. Juste assez pour nous
redire ces vers inoubliables.
Nous
n’irons pas au but un par un mais par deux.
Nous nous connaissons par deux nous nous connaîtrons tous. […]
Bouge Guilène, bouge ma grande. Nous avons gagné. Oh
oui. Nous avons vaincu le monstre. Regarde. […] Nulle bête autour de nous. […]
Il fallait la voir, la maudite, quand le jeune paysan, à un coup de barre de
fer, répondait par un chant religieux.Nous nous connaissons par deux nous nous connaîtrons tous. […]
Ô jour béni, jour de victoire
que je ne saurais jamais oublier.
J’ai vu, j’ai vu le Roi de gloire
apparaissant sur mon sentier.» (pp.212-215).
· Haïti : «Une saison de coton : Dernier
appel», Jean-Marie Bourjolly
(1972-), Ed. du Cindhica, 2004 :
« La composition locale qui clôturait ces concerts, le clou de ces
soirées, donnait lieu à un changement radical de la part du public. En un clin
d’œil, l’animation était à son comble. […] Les soldats de service distribuaient
des coups de rigwaz à tour de bras. Cela ne faisait qu’ajouter à l’excitation
des protagonistes, hommes et femmes, qui, en plus de danser […], trouvaient
encore le moyen de chanter : (G. Brassens, Le blason) :[…]
Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c’est fort malencontreux
Que ta fleur la plus douce et la plus érotique
Et la plus enivrante en ait un si scabreux… » (pp.16-18)
4. L’exemple
d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent asiatique : 1988 :
Pour l’Asie, l’exemple des insertions
des vers poétiques dans les romans, il se situe, selon la date de sa
parution, dans le corpus pris au hasard
étudié, en 1988, à savoir :
·
La Chine : «Une rue pauvre», Cheng
Naishan (1946-), Ed. Litt. Chin. Trim.1, 1988
«C’est le soir et il commence à
pleuvoir. Toute la rue est silencieuse, on n’entend que les gouttes d’eau qui
martèlent la terre. Zhang Xianglin, son imperméable sur le dos marche. C’est à
la radio le moment du programme musical. Par une fenêtre basse, le son de La
truite de Schubert [Franz Schubert, musicien allemand : 1797-1828]
s’échappe :
- Dans une rivière limpide
Nage une petite truite.
Dans le silence du soir,
la chanson coule dans la ruelle :
- Le pêcheur ne peut plus attendre
Il trouble l’eau
Il saisit sa proie. » (pp.163-164)
5. L’exemple d’insertions des vers
poétiques dans les romans du continent océanique : 2015 :
Pour l’Asie, l’exemple des insertions
des vers poétiques dans les romans, il se situe, selon la date de sa
parution, dans le corpus pris au hasard
étudié, en 2015, à savoir :
· L’Australie : «La mémoire des embruns», Karen Viggers (1946-), Ed. Les Escales, 2015 :
« Mis en exergue (p.4)
« Ma vie fut vaste et
sauvage,
et qui saurait sonder mon cœur ?
Là dans cette jungle
dorée
je marche
seule. »
Judith Wright
[poétesse australienne : 1915-2000]
“The
Sisters”, A Human
Pattern: Selected Poems
En conclusion à ce bref aperçu panoramique
illustré sur « «L’insertion des
vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015», il
apert que cette pratique romanesque émanant de l’âge médiéval occidental et du
récit des Mille et Une Nuits arabe oriental, trouve tout son écho
dans cette observation judicieuse de François Laurent sur le
fonctionnement global de cette pratique
textuelle encore vivace au XXIe siècle, de par le monde, formulée en ces
termes : «Ces vers narratifs «teintés»
de vers lyriques connaîtront un succès tel que de nombreux imitateurs
reprendront le procédé en le transformant et en l’adaptant à leur matière tout
au long des XIIIe, XIVe et XVe siècles [v. au XXIe siècle]. […] Sur les traces
d’une critique avançant que le roman à insertions suppose un rapprochement
entre univers fictionnels distincts, nous nous sommes demandé quelle forme
pouvaient prendre les échanges lyrico-narratifs. […] Tout d’abord, le texte
travaille la citation, la transforme, la dénature. […] L’entour narratif modifie la citation qui, par conséquent, aurait très bien pu bénéficier d’un sens bien
différent dans un tout autre contexte.
En insérant cette pièce, l’auteur lui
donne une signification et accomplit un acte critique. » - «Les
insertions lyriques dans les romans en vers du XIIIe siècle», Op.cit., pp.8-78
Dr.
SOSSE ALAOUI MOHAMMED
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