Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED
PETITE ANTHOLOGIE
DU CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
1830 - 2015
Tétouan
2015
INTRODUCTION
Pour
compulser tout et appréhender dans « Petite anthologie de l’insertion
du conte dans le roman des cinq continents : 1830-2015 » un tel fait
littéraire inter-générique d’envergure nous avons été conduits à interroger
systématiquement la pratique qui en est faite chez les romanciers de par le
monde, durant la période sus-indiquée. Et ce en relevant méthodiquement ce qui
suit :
1. Une définition du conte et du conte
inséré :
Du conte en soi, Jean Paul Sermain donne
la définition suivante : «Un conte, c’est d’abord ce qu’il raconte, des
aventures, des personnages, des épisodes, des scènes, des détails, c’est cela
qui assure sa permanence, incitant à des reprises, écrites et orales, où le
souvenir qu’il laisse se maintient dans une version nouvelle de ce qu’il
raconte, des aventures, des personnages, des épisodes, des scènes, des détails. »
- «La face caché du conte», www.feeries.revues.org , p.3.
Par ailleurs, on pourrait cerner la
définition du conte inséré dans le roman chez Raymond Robert, en ces
termes : «Mais la tradition littéraire offrait d’autres moyens pour (…)
l’insertion du récit court [un conte] dans une narration plus ample, un
« récit-cadre », de type romanesque [le roman], qui l’encadre en
justifiant sa présence et, bénéfice supplémentaire à l’époque, donne au conte
merveilleux un statut plus littéraire (…). Pour essayer de reclasser les
récits-cadres utilisés pour l’édition des contes merveilleux à l’époque
classique, on peut donc utiliser comme premier critère l’importance relative
des deux types de récits, englobant/ englobé (…). Entre ces deux extrêmes,
prépondérance du roman englobant ou des récits insérés, toutes les nuances
peuvent jouer.» - «L’insertion des contes merveilleux dans les récits-cadres »,
www.feeries.revues.org, pp.2-3.
2. Procédés d’insertion du conte dans
le roman :
Parmi les procédés d’insertion du conte
dans le roman, on peut citer avec Jean Paul Sermain : «Le terme de cadre [v.
roman] et ses voisins, encadrement, enchâssement, emboîtement, considèrent cet
élément narratif dans la perspective du conte, et disent bien, par une
métaphore, son rôle subalterne, sinon facultatif ?) (…). Elle [l’édition]
ne pourra restituer tous les espaces d’encadrement (des romans à eux
seuls) : ainsi la première version du conte de La Belle et la Bête due à
Mme de Villeneuve (1740) figure dans un roman (…). Les contes insérés
peuvent émaner d’une scène archaïque follement médiévale ou romanesque, ils
sont de même nature et de même auteur que le roman où ils figurent.» - Op.cit.,
pp.1, 2, 11.
A cela s’ajoute le jeu de compression et
d’expansion du conté inséré dans le roman dont parle Seun-Kyong You : «Cette
substance commune entre le conte et le roman met en évidence un point important
qui anime l’écriture du conte : le jeu de compression et d’expansion (…). Quant
au brouillage de la frontière entre conte et roman, nous remarquons tout
d’abord l’inclusion de petits contes dans les grands romans, comme dans Le Roi
des Aulnes, à travers les deux récits [v. contes] insérés. », - «Le conte
et le roman», www.theses.univlyon2.fr, pp.1-2.
3. Différents Types de conte inséré
dans le roman :
La
disparité des différents types du conte inséré dans le roman distingue, au
niveau des textes critiques, notamment : le conte mise en abyme, le conte
résumé et le conte miroir dans le roman, selon
Seun-Kyong You : «Cette présence de traits caractéristiques du
conte dans le roman, ne cesse de s’accroître, au fil du temps : ce qui
paraissait être au départ un élément romanesque (…) devient par la suite, une
véritable mise en abyme qui réfléchit l’univers romanesque.» , Op.cit.,
p.3.
Il assure peu après, en ce sens :
«Ce conte fonctionne comme un [un type de] résumé, ou encore un miroir
microcosmique qui réfléchit l’univers romanesque entier (…), exprimant le
caractère du «conte qui cherche en vain le roman» - Op.cit., p.4.
Par ailleurs, Blondine Gonssolin décèle les
types de conte inséré juxtaposé et digressif dans le roman, en
remarquant : «Maryse Duggan propose, ainsi, de lire Tecserion (1737) comme
une juxtaposition de deux contes [v. insérés, juxtaposés] antagoniques. Il
semble pourtant que l’enjeu réside alors plus dans une intrigue inspirée du
roman galant qui se voit doublée d’un plan de lecture allégorique que dans une
composition en diptyque appuyée.» - «Deux contes insérés au cœur d’un
roman », www.feeries. revues.org , p.2.
De son côté, Edourda Keating indique le
conte inséré digressif dans le roman en observant : «Il s’agit de récits
fondés sur la digression narrative : l’intrigue «principale » y est « évincée »
ou du moins très retardée par la prolifération de récits seconds [contes
digressifs] qui n’ont le plus souvent rien à voir avec l’histoire initiale [le
roman], (…) (comme dans l’histoire de Shahrazade, par exemple).» - «Le conte
digressif dans le roman », www.encls.net/files, p.3.
En outre, Franz Hanh signale le conte
inséré intercalé dans le roman, en soulignant : «Tout d’abord, on peut
alléguer que la forme du conte était peut-être la plus apte à s’intégrer aux
formes littéraires déjà existantes [v. le roman]. La structure caractéristique
du roman-fleuve (type Scudéry) se distingue par des récits [insérés] intercalés
et indépendants du récit principal [du roman]. Ainsi, il n’y a rien de plus
aisé que de mettre un conte de fées à la place d’un tel récit [inséré] intercalé,
tout en gardant, dans l’ensemble, la forme traditionnelle [du roman]. » -
«François Pétis de la Croix et ses Mille et un jours », www.books.google.fr, p.18.
4.
Différentes fonctions du conte inséré dans le roman :
Quant aux différentes fonctions du conte
inséré dans le roman, il y lieu de remarquer avec Raymonde Robert : «La
fonction des récits insérés n’est plus alors, seulement, la distraction
[fonction ludique] de l’auditoire, elle est souvent de type informatif
[fonction cognititive], les narrateurs expliquant les aventures [fonction
didactique], merveilleuses ou naturelles, qui les ont amenés dans la situation
dans laquelle ils se trouvent au moment de la rencontre.» - Op.cit., pp.4-5.
Pour sa part, Seun-Kyong You en
dénote trois : une fonction thématique isolatrice, une fonction sémantique
inverse et une fonction emphatique disproportionnelle du conte inséré dans le
roman, en relatant selon Michel Tournier : « A la question posée par
J-J. Brochier sur la spécificité du conte par rapport au roman, Tournier répond
que le conte «permet d’isoler un thème, quitte à inverser sa signification en
l’agrandissant. » - Op.cit., p.2.
5. Effets recherchés et produits du
conte inséré dans le roman :
Historiquement, Franz Hanh voit parmi les
effets recherchés et produits du conte inséré dans le roman, une évasion et une
rupture de l’ennui de l’ancien roman-fleuve,
en spécifiant : «La nouvelle historique, le roman-mémoire et le roman par
lettres prenaient la relève et se distinguaient du roman héroïque (type
Scudéry- XVIIe siècle) par plus de concision et par des intrigues et par des
univers plus proches de la réalité quotidienne. Or, l’avènement de ces nouveaux
[v. romans concis] ne parvint pas entièrement à dissiper l’ennui qu’inspirait
l’ancien roman (…). La structure caractéristique du roman-fleuve (type Scudéry)
se distingue par des récits intercalés et indépendants du récit principal.
Ainsi, il n’y a rien de plus aisé que de mettre un conte de fées à la place
d’un tel récit intercalé [inséré], tout en gardant, dans l’ensemble, la forme
traditionnelle [du roman]. » - Op.cit., pp.16-17.
Amadou L. Kantagba perçoit le conte inséré dans le roman des effets recherchés et produits tel que l’innovation,
l’enrichissement et le renforcement du romanesque [du roman] africain en attestant :
«Au-delà de cet univers de conte [inséré dans le roman] exploité afin de mieux
rendre compte des (…) rituels, l’on rencontre dans les nouvelles genres de la littérature
orale (…) qui viennent renforcer et enrichir les récits [v. les romans]. Le
constat établi, par Dabla Séwanou sur l’innovation du romanesque africain, s’il
reste vrai pour le roman burkinabè, l’est davantage pour les nouvelles que nous
étudions.» - Op.cit., p.1.
De la même façon, la parodie et la dérision
de l’esprit romanesque du roman par le conte inséré comptent parmi les effets
recherchés et produits du conte inséré dans le roman, tel que le décrit Blondine
Gonssolin en ces termes : «Avec les contes de Mlle de Lubert, on a affaire
à une littérature qui se plaît à faire de la lecture un véritable enjeu de
l’écriture. Ils se rapprochent de ce fait des contes [insérés] parodiques et
licencieux qui leur sont contemporains sur le terrain d’une désorganisation de
l’économie narrative. Au fil de ses intrigues tortueuses, cette conteuse
cherche à suspendre le récit [romanesque], à ébaucher ou escamoter des
possibles narratifs, introduisant des éléments métaleptiques et procédant par
surenchère ou par contamination avec les codes du roman de l’époque, pour
mettre à mal le genre.» - Op.cit., p.2.
Le même auteur remarque un peu plus loin
l’effet de dérision de l’esprit romanesque et les superstitions recherché par
le conte inséré dans le roman : « Replacer Peau d’ours [conte inséré] dans
l’économie du roman de Mme de Murat qui l’accueille s’avère d’ailleurs
profitable pour en saisir au mieux la portée parodique. En effet, les deux
contes insérés de Mlle de Lubert sont intégrés, à la manière de Mme d’Aulnoy
dans Don Gabriel Ponce de Léon (1697), au cœur d’un roman qui tourne en
dérision les superstitions et l’esprit romanesque.» - Ibid., pp.3, 9.
Au XXe siècle, Edouarda Keating observe l’effet
recherché dans le conte inséré dans le roman relatif à un renouvellement du
plaisir du conte et de l’intérêt romanesque lorsqu’elle affirme : «Il
s’agit de récits fondés sur la digression narrative : l’intrigue «principale »
y est « évincée », ou du moins très retardée par la prolifération de récits
seconds qui n’ont le plus souvent rien à voir avec l’histoire initiale,
entraînant à la fois l’«intérêt romanesque » lié au plaisir ancestral […] comme
dans l’histoire de Shahrazade, par exemple […]. A la deuxième moitié du 20e
siècle nous retrouverons ce modèle du « roman à tiroirs» comme «espace»
d’expérimentation et de réflexion sur l’écriture romanesque.» - «Le conte
digressif dans le roman», Op.cit., pp.3- 4.
Pour conclure, il nous est loisible de dire
que le pari et le gain de cette « Petite anthologie de l’insertion du
conte dans le roman des cinq continents : 1830-2015 » réside pour
nous avant tout et pour tout dans le fait de l’avoir tenté, dans un esprit de
recherche ouvert, sur l’avenir dans ce domaine. Donnant suite, hic et nunc, à ce constat lucide d’Edouarda
Keating prônant : «Tous ces romans commencent par définir un cadre
romanesque dans lequel viennent s’ancrer, soit à travers les digressions du
narrateur principal, soit par les « voix » des personnages, les histoires «secondaires
» [les contes insérés] qui dominent les récits [les romans du XXe-XXIe siècle].
L’auteur
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
(1)
L’EUROPE
1830 – 1990
FRANCE
SUISSE
RUSSIE
TCHEKOSLOVAQUIE
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
EUROPE
FRANCE
1830-1990
STENDHAL
HONORÉ DE BALZAC
THÉOPHILE GAUTIER
JEAN FRANÇOIS BIZOT
MILAN KUNDERA
STENDHAL
Henri Beyle, plus connu sous le pseudonyme
de Stendhal, né le 23 janvier 1783, à Grenoble et mort le 23 mars 1842, à Paris, est un écrivain français, réaliste et romantique français. Il voulait
se livrer au rêve, mais, il eut une vie agitée. À la mort de sa mère, il vit une
triste enfance, à Grenoble, avec un père qu'il méprise, avant d’aller étudier à
Paris, en 1799. Il se découvre une vocation pour écrire des comédies. Ses
cousins Daru l’obligent
à entrer au ministère de la Guerre à Milan, en mai 1800. Haïssant l'hypocrisie, il invente le
beylisme. À la chute de l'Empire, il se voue à
l'Italie, la musique et la peinture. Il écrit Vie de Haydn, Mozart et
Métastase (1814), Histoire de la
peinture en Italie (1815). En
1819, son chagrin d'amour pour Matilde Dembowski lui fait
écrire le traité De l'amour (1822). En 1827, il écrit les romans, Armance (1826), Le Rouge et le Noir (1830), qui reçoit une notoriété. Consul à Civitavecchia, il écrit : Souvenir
d'égotisme (1832), Vie de Henry Brulard, Lucien Leuwen (1835), Lamiel, resté inachevé. À
Paris, il écrit La Chartreuse de Parme (1839), admiré par Honoré de Balzac. Il meurt d'une crise cardiaque, dans la rue, à
Paris, le 23 mars 1842.
Une odalisque de sérail
Une
odalisque du sérail peut à toute force aimer le sultan ; il est
tout-puissant, elle n’a aucun espoir de lui dérober son autorité par suite de
petites finesses. La vengeance du maître est terrible, sanglante, mais
militaire, généreuse : un coup de poignard finit tout. C’est à coup de
mépris public qu’un mari tue sa femme au XIXe siècle ; c’est en
lui fermant tous les salons.
Le Rouge et le Noir (1830)
Stendhal
Ed. Flammarion
La mort de Danton
Le comte Altamira me racontait que, la
veille de sa mort, Danton disait avec sa grosse voix : C’est singulier, le
verbe guillotiner ne peut se conjuguer à tous les temps ; on peut bien
dire : je serai guillotiné, tu seras guillotiné, mais on ne dit pas :
j’ai été guillotiné (…). On dit que le souvenir de sa femme émut Danton au pied
de l’échafaud ; mais Danton avait donné de la force à une nation de
freluquets, et empêchait l’ennemi d’arriver à Paris…
Le Rouge et le Noir (1830)
Stendhal
Ed. Flammarion
HONORÉ DE BALZAC
Honoré de Balzac, né à Tours, le 20 mai 1799, et mort à Paris le 18 août 1850, est un écrivain français. Romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d'art, essayiste, journaliste et imprimeur, auteur de l'une des
plus imposantes œuvres romanesques française, parue de 1829 à 1855, sous le titre La Comédie humaine (1842-1852). S’y'ajoutent Les Cent Contes
drolatiques (1832), ainsi que les romans de jeunesse publiés sous
pseudonymes et quelque vingt-cinq œuvres ébauchées. Il est le maître du roman français, dont il a abordé plusieurs genres, du roman
philosophique avec Le Chef-d'œuvre inconnu (1831) le roman fantastique La Peau de chagrin (1831) ou le
roman poétique Le Lys dans la vallée (1836). Il a surtout excellé dans la veine du réalisme, dans Le Père Goriot (1835) et Eugénie Grandet (1833),
mais il s'agit d'un réalisme visionnaire, que transcende la force de son
imagination créatrice.
Les Médicis et les Pazzi à Saumur
Ces trois Cruchot, soutenus par bon nombre
de cousins, alliés à vingt maisons de la ville, formaient un parti, comme jadis
à Florence les Médicis ; et, comme les Médicis, les Cruchot avaient leurs
Pazzi (…). Madame des Grassins, mère d’un fils de vingt-trois ans, venait très
assidument faire la partie de madame Grandet, espérant marier son cher Adolphe
avec mademoiselle Eugénie. Monsieur des Grassins le banquier favorisait
vigoureusement les manœuvres de sa femme (…).
Ces trois des Grassins avaient également leurs adhérents, leurs cousins,
leurs alliés fidèles (…). Ce combat secret entre les Cruchot et les des
Grassins, dont le prix était la main d’Eugénie Grandet, occupait passionnément
les diverses sociétés de Saumur.
Eugénie Grandet (1833)
Honoré de Balzac
Ed. Flammarion
Dupé par un Israélite
Jadis,
malgré toute sa finesse, il avait été dupé par un Israélite qui, dans la
discussion, appliquait sa main son oreille en guise de cornet, sous prétexte de
mieux entendre, et baragouinait si bien en cherchant ses mos, que Grandet,
victime de son humanité, se crut obligé de suggérer à ce malin Juif les mots et les idées que paraissait chercher
le Juif, d’achever lui-même le raisonnement, dudit Juif, de parler comme devait
parler le damné Juif, d’être enfin le Juif et non Grandet. Le tonnelier sortit
de ce combat bizarre, ayant conclu le seul marché dont il ait eu à se plaindre
pendant le cours de sa vie commerciale.
Eugénie Grandet (1833)
Honoré de Balzac
Ed. Flammarion
Théophile Gautier
Théophile Gautier est né, le 30 août 1811, à
Tarbes. Issue d'une famille de petite bourgeoise établie à Paris, il fait ses
études au lycée Louis-le-grand et au lycée Charlemagne où il lie amitié avec
Gérard de Nerval. Il pense devenir peintre, mais le 27 juin 1829, il rencontre
Victor Hugo, et opte pour la littérature. En 1830, il publie des poésies
témoignant de son génie. Le 4 mai 1831, il écrit un roman épistolaire Mademoiselle de
Maupin (1835), des nouvelles La Cafetière
(1831), Le Roman de la momie (1858). En 1836-1855, il écrit dans la Presse
d’Emile Girardin, puis au Moniteur universel, jusqu'en 1868. Malgré
des difficultés d’argent, il est poète semi officiel, sous l'empire. En 1868,
nommé bibliothécaire de la princesse Mathilde, il entame Une histoire du
romantisme, inachevée, car atteint du cœur, il meurt, le 23 octobre
1872. Hugo et Mallarmé lui dédièrent
deux poèmes, réunis dans Tombeau de Théophile Gautier (1873). En 1852,
paraît Émaux et Camées (1872), recueil enrichi, jusqu'en 1872, faisant de
lui un chef d'école. Baudelaire lui
dédie Les Fleurs du mal et Théodore de Banville voit en lui le pionnier de «l'art pour l'art»,
et le précurseur du Parnasse, du beau et de la forme contre le lyrisme
romantique. En 1863, il écrit la vie de Balzac et un roman de chevalerie Le Capitaine Fracasse (1866).
L’histoire du corsaire barbaresque
-
Si vous me complimentez ainsi, fit Isabelle avec un petit air de menace, je
vais reprendre mon livre, et il vous faudra ouïr tout au long l'histoire
qu'allait raconter, dans la cabine de sa galère, le corsaire barbaresque à
l'incomparable princesse Aménaïde, sa captive, assise sur des carreaux de
brocart d'or. (…).
-
S'il en est ainsi, je me tais, fit Vallombreuse avec un air de soumission, mais
croyez que vous ne serez mariée que de ma main.» Pour se venger de la moquerie
opiniâtre de son frère, Isabelle commença l'histoire du corsaire barbaresque
d'une voix haute et vibrante qui couvrait celle de Vallombreuse.
«Mon
père, le duc de Fossombrone, se promenait avec ma mère, l'une des plus belles
femmes, sinon la plus belle du duché de Gênes, sur le rivage de la Méditerranée
où descendait l'escalier d'une superbe villa qu'il habitait l'été, quand les
pirates d'Alger, cachés derrière des roches, s'élancèrent sur lui, triomphèrent
par le nombre de sa résistance désespérée, le laissèrent pour mort sur la place
et emportèrent la duchesse, alors enceinte de moi, malgré ses cris, jusqu'à
leur barque, qui s'éloigna rapidement en faisant force de rames, et rejoignit
la galère capitane abritée dans une crique. Présentée au dey, ma mère lui plut
et devint sa favorite...» Vallombreuse, pour déjouer la malice d'Isabelle,
ferma les yeux et sur ce passage plein d'intérêt feignit de s'endormir.
Le
sommeil que Vallombreuse avait d'abord feint devint bientôt véritable, et la
jeune fille, voyant son frère endormi, se retira sur la pointe du pied.
Le Capitaine Fracasse(1866)
Théophile Gautier
Ed. Garnier
JEN-FRANÇOIS GUIZOT
Bizot, Jean-François Marie Joseph,
journaliste, directeur de presse, est né, le 19 août 1944, à Paris, et
mort le 08 septembre 2007. Fils d'Ennemond Bizot, ingénieur, et de Maguy
Gillet. Il étudie à l’Ecole Sainte-Geneviève, à Versailles, Facultés des
sciences économiques et des lettres de Paris. Il est ingénieur de l’ENS des
industries chimiques de Nancy. Il fut licencié en sciences économiques et
ingénieur-économiste au Bipe (1967), journaliste à l'Express (1967-70),
cofondateur et directeur d’Actuel (1970-75 et 1979-94), PDG de Novapress -
Actuel, Nova Magazine, Nova Production, Radio Nova (1981), administrateur du Rassemblement
publicitaire de radios. Son œuvre littéraire comprend des romans : Les Déclassés
(1976), les Années blanches (1979), Plongée dans les courants d’un
grand parti (essai), Underground, l'histoire (beau livre - 2001), Un
moment de faiblesse (témoignage - 2003), suivi du Grand prix de l'humanisme
médical 2004, Free Press : la contre-culture vue par la presse
Underground (2010). Il réalise un film : la Route et initie
divers projets médiatiques aux pays de l’Est, produit des disques, et des
documentaires pour Arte et Canal +.
Les Chinois et la bouteille thermos
-
… Ne ris pas, Mac Luhan a très bien palé de cette interaction entre les
sens : «L’homme visuel déteste la confusion entre les sens.» Tu connais
l’histoire des Chinois et de la bouteille thermos ? (Non, Oldenburg ne a
connaissait pas.) C’est un vieux « Chinois qui tourne un thermos neuf près
de son oreille. Un « Américain passe et lui dit : « Qu’est-ce
que vous faites ? » Et le « vieux Chinois répond :
« Je regarde si ce thermos est de bonne « qualité. – Avec votre
oreille ? » » L’Américain ne comprend « pas. Le vieux
Chinois sourit : Un bon vase chinois se reconnaît « à l’ouïe. Vous le
tenez à bout de bras pendant une ou deux « minutes. S’il est bien tourné,
il bourdonne avec la circulation « de votre sang. J’ai essayé : ça
marche ! ».
Les Déclassés (1976)
Jean-François Bizot
Ed. Le Sagittaire
MILAN KUNDIRA
Milan Kundera, né le 1er avril 1929 à Brno (Moravie), est un écrivain français originaire de Tchécoslovaquie. Ayant émigré en France en 1975, il a
obtenu la nationalité française le 1er juillet 1981. Il a écrit ses premiers romans en tchèque, mais utilise désormais
exclusivement le français.
Il a reçu le prix Médicis étranger, en 1973 pour La vie est ailleurs, L'Insoutenable légèreté de l'être (1988), L’Immortalité (1990), le prix Jérusalem en 1985, le prix Aujourd'hui en 1993 pour Les Testaments trahis, le prix Herder en 2000, le grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre en 2001, le prix mondial Cino Del Duca en 2009 et le prix de la BnF en 2012. Son nom a été plusieurs fois cité sur les listes du Prix Nobel de littérature. Son œuvre est traduite dans une trentaine de langues.
La bannière de Rimbaud
Elle
les avait emportés parce qu’au cours des dernières semaines elle avait beaucoup
pensé à Paul. Avant que Brigitte ne vînt au monde, elle montait souvent
derrière lui sur une grosse motocyclette et ils parcouraient toute la France.
Dans son souvenir, cette période et cette moto se confondaient avec Rimbaud :
c’était leur poète […]. Il éprouve quelque mélancolie à entendre le rire franc
de sa fille, qui ignore le grand poète et se régale d’inepties télévisées. Puis
il s’interroge : en fait, pourquoi avait-il tellement aimé Rimbaud ? comment en
était-il arrivé à cet amour ? avait-il été ensorcelé par ses poèmes ? Non.
Rimbaud se confondait alors dans son esprit avec Trotsky, avec Breton, avec
Mao, avec Castro, pour former un unique amalgame révolutionnaire. Ce qu’il a
d’abord connu de Rimbaud, c’est le slogan ressassé par tout le monde : changer
la vie. (Comme si, pour formuler pareille banalité, on avait eu besoin d’un
poète de génie...) Sans doute Paul a-t-il lu par la suite des vers de Rimbaud ;
il en connaissait certains par cœur et les aimait. Mais jamais il n’a lu tous
les poèmes : seuls lui ont plu ceux dont lui avait parlé son entourage qui en
avait parlé grâce à la recommandation d’un autre entourage. Rimbaud n’a donc
pas été son amour esthétique et peut-être n’a-t-il jamais connu aucun amour
esthétique. Il s’était enrôlé sous la bannière de Rimbaud comme on s’enrôle
sous un drapeau, comme on adhère à un parti politique, comme on devient
supporter d’une équipe de football. En réalité, qu’est-ce que les vers de
Rimbaud lui ont apporté ? Rien que la fierté d’être de ceux qui aiment les vers
de Rimbaud.
L’Immortalité (1990),
Milan Kundera
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
EUROPE
SUISSE
1836
JOHN KNITTL
LE DOCTEUR IBRAHIM
JOHN KNITTEL
John Knittel est un écrivain suisse
d'expression anglaise et allemande, né le 24 mars 1891 à Dharwad (Inde), mort le 26 avril 1970, à Maienfeld, canton des Grisons. Fils d'un pasteur missionnaire aux
Indes du Wurtemberg. Avec sa famille, il fait ses études
en Suisse, en 1896. Devenu médecin, il publie un roman Capitaine West (1919),
des pièces de théâtre, dirige un théâtre à Londres (1922). Il voyage en Italie,
Egypte, Afrique du Nord, en exerçant sa profession. C'est Via Mala
(1939) qui lui vaut la notoriété. Il est mort, en avril 1970, à Maienfeld,
canton des Grisons (Suisse). Nombre de ses romans, lorsqu'elles ne se situent pas
en Suisse : Thérèse Étienne (1942), Via Mala, s’inspirent de ses
voyages, dans les pays méditerranéens : Italie, Égypte, Maroc, etc., tel Le
Docteur Ibrahim (1936). Romain Rolland le considérait comme l'un des plus grands romanciers de
notre temps.
L’histoire de Miss Howard
Les Anglais ont d’étranges notions sur la
mortalité. Ils considèrent les apparences comme très importantes […]. A ce
point de vue, Miss Howard était une exception […]. Je te raconterai son
histoire ; ton chagrin de l’avoir perdue n’en deviendra que plus intense
[…].
Miss Howard était bien connue au Caire. Un
jour elle entra en rapport avec un certain Anglais qui avait une situation au
ministère de l’intérieur. Comme il était tombé malade, elle fut appelée chez
lui pour le soigner. Il avait une femme et deux enfants (…). Il est certain que
miss Howard fut impressionnée par la taille de celui-là. Et de son côté il
tomba amoureux de Miss Howard. Sa femme et ses enfants étaient charmants. Sa
femme n’avait jamais aimé l’Egypte, et puis il y avait la question des enfants qui
devaient faire leurs études en Angleterre.
« Le mari, qui jusque-là s’était
opposé à voir partir sans lui pour l’Angleterre sa femme et ses enfants, trouva
soudain qu’il fallait hâter le départ. Et sa famille s’embarqua. A partir de ce
moment il alla voir tous les jours miss Howard à l’hôpital. Elle habitat chez la surveillante générale
[…]. Tout le monde s’aperçut bientôt que Miss Howard et cet homme étaient
follement épris l’un de l’autre […].
Un de ses amis allant en Angleterre, il le
chargea de proposer le divorce à sa femme. La pauvre créature s’évanouit sous
le choc. Son chagrin pesait peu dans les mains de ce fonctionnaire en proie à
la passion ; il obtint le divorce et, à l’expiration du délai exigé par la
loi, il épousa miss Howard. Mais il ne jouit pas longtemps de ce bonheur. Il
tomba malade un mois après son mariage et mourut. Miss Howard faillit perdre la
raison […].
J’ai rencontré pendant bien des années
Miss Howard allant et venant, – elle avait repris son nom de jeune fille
lorsqu’elle était retournée à l’hôpital, - et je crois que mon intuition à son
égard ne me trompe pas. Elle est arrivée ici défier la mort. Et la mort a été
la plus forte. Son mari et elles sont maintenant au paradis, innsha‘ Allah!».
Le Docteur Ibrahim (1936)
John Knittel
Ed. Albin Michel
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
EUROPE
LA RUSSIE
1866-1971
FIODOR DOSTOIEVSKI
CRIME ET CHÂTIMENT
ALEXANDRE SOLJÉNITSIN
LE PVILLON DES CANCÉREUXE
Fiodor Dostoïevski
Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski est un
écrivain russe, né à Moscou, le 11 novembre 1821, et mort à Saint-Pétersbourg le 9 février 1881. Il est considéré comme l'un des plus grands
romanciers russes et a influencé de nombreux écrivains et philosophes. Ayant
vécu enfance difficile, il fréquente une école d'officiers et adhère aux
mouvements progressistes
russes. Arrêté en 1849, il est
envoyé dans un bagne de la Sibérie, durant quatre ans. En
1860, devenu sous-lieutenant, il démissionne de l'armée et s'engage entièrement
dans l'écriture. Épileptique,
joueur endetté et d'un caractère sombre, il mène une vie de bohème en Europe, au cours et devient un
fervent libéral pour son pays et surtout un patriote convaincu, avant
d'être célébré à son retour, en Russie, en 1871, après la publication de Crime et Châtiment (1866) et de L'Idiot (1869) qui ouvrent sa période de maturité où il écrit ses
œuvres les plus achevées : L'Éternel Mari (1870), Les Démons (1871) et Les Frères Karamazov (1880).
Le contrat verbal
-
Vous savez peut-être (d’ailleurs je vous l’ai raconté moi-même), commença
Svidigaïlov, qu’autrefois j’avais été mis ici en prison pour dettes, une somme
énorme, et sans la moindre perspective de m’en acquitter. Inutile de m’étendre
sur la façon dont Marthe Petrovna a acheté alors ma liberté [...]. Elle
était une femme honnête, point sotte (quoique particulièrement inculte). Or,
figurez-vous que c’est cette même femme jalouse et honnête qui, après de
nombreuses scènes et de terribles reproches, s’est décidée à s'abaisser jusqu'à
conclure moi une sorte de pacte qu'elle a observé pendant toute la durée de
notre mariage. Le fait est qu'elle était bien plus âgée que moi et, en outre
elle mâchait constamment un clou de girofle. J'ai été assez saligaud dans l'âme
et assez honnête à ma façon pour lui déclarer carrément que je ne pourrais lui
rester entièrement fidèle. Cet aveu l'avait mise hors d'elle. [...] Après
beaucoup de larmes, le contrat verbal suivant fut établi entre nous :
premièrement, je ne quitterais jamais Marthe Petrovna, et je resterai toujours
son mari; deuxièmement, je ne m'absenterai nulle part sans son autorisation;
troisièmement, je n'aurais pas de maîtresse attitrée; quatrièmement, en
contrepartie Marthe Petrovna me permettait de jeter parfois mon dévolu sur les
filles de service, mais pas autrement qu’avec son consentement tacite;
cinquièmement, si par hasard, ce dont Dieu me garde, j’étais pris d’une passion
grande et profonde, je devais m’en ouvrir à Marthe Petrovna. Sur ce dernier
point, Marthe Petrovna a toujours été assez tranquille. [...] Elle avait en
effet certaines habitudes fort ridicules; mais je vous dirai franchement que je
déplore les innombrables chagrins que je lui ai causés. Allons, cela suffit, je
crois, pour une fort convenable oraison funèbre à la mémoire de la très
tendre épouse du plus tendre des maris.
Fiodor Dostoïevski
Ed. L.D.P
ALEXANDRE SOLJENITSINE
Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, né le 11 décembre 1918 à Kislovodsk et mort le 3 août 2008, à Moscou, est un écrivain dissident soviétique. Il a publié Une journée d'Ivan
Denissovitch (1962), L'Archipel du Goulag (1973). Son père, Issaaki Sémionovitch a étudié la
philologie et histoire à Moscou. Engagé dans l'armée, en 1914, en Prusse, il en revient, en 1918,
et meurt de chasse. Sa mère, Taïssia Zakharovna Chtcherbak, paysanne de la Kouma, était étudiante en agronomie à Moscou. Jusqu'à six ans, il élevé
par sa famille maternelle alors que sa mère était sténodactylo, à Rostov. Doté d’une éducation
religieuse, il aime la littérature, et s’y essaie au collège. Faute de
mieux, il fait des études de mathématiques et physique. En 1940, il épouse Natalia Alexeïevna Rechetovskaïa,
étudiante en chimie, vue, en 1936. En 1941, il est soldat de l'Armée rouge. En 1942, Capitaine
d’une troupe de repérage, il est arrêté par le SMERSH pour critique de Staline. En 1945, il condamné, à
huit ans de camps de travail socialiste. En 1952, sa femme exclue de l'université, en 1948, divorce pour avoir un emploi. Réhabilité, en
1956, il vit, à Riazan. Il se remarie avec
Natalia, en 1957. Ses œuvres dont Le Premier Cercle (1968), Le Pavillon des cancéreux (1971), et le tome1 de La Roue rouge (1985), parues
en Occident, lui valent le prix Nobel de littérature, en 1970, qu'il recevra, après avoir été quitté l'URSS, pour les USA.
Pourquoi l’homme vivrait cent ans
L’obscurité
ne l’ [Paul Nikolaïevtch] avait pas calmé et il racontait à son voisin
Akhmadjan un conte tout à fait idiot : «Pourquoi donc l’homme vivrait-il
cent ans ? C’est parfaitement inutile. Voilà comment ça s’est passé : Allah
distribuait les vies et il donna à toutes les bêtes sauvages cinquante ans
d’existence, jugeant que cela suffisait. L’homme arriva le dernier et il ne
restait plus à la disposition d’Allah que vingt-cinq ans.
- Le quart,
donc ?demanda Akhmadjan.
- C’est ça. Et l’homme fut vexé :
c’est bien peu !
Allah répond : « Cela
suffit. » Mais l’homme insiste. « Eh «bien, alors, répond Allah, va
toi-même demander, peut-être « quelqu’un aura-t-il quelque chose en trop à
te donner.» « L’homme s’en alla ; et voici qu’il rencontre un cheval.
« Ecoute, dit-il, on m’a donné peu de vie, cède m’en une part de « la
tienne. – C’est bon, tiens, prends vingt-cinq ans.» L’homme « poursuivit
sa route ; voici qu’arrive un chien : « Ecoute, chien, « cède-moi
un peu de vie ! – Tiens, prends vingt-cinq ans ! » Il alla
plus loin ; un singe se présente. Il obtient de lui aussi vingt-cinq
années et retourne auprès d’Allah. Ce
dernier lui dit : ce « sera comme tu l’auras voulu : les
premiers vingt-cinq ans, tu « vivras comme un homme, les vingt-cinq années
suivantes, tu « travailleras comme un cheval ; les vingt-cinq autres
années tu « glapiras comme un chien ; et les vingt-cinq dernières années,
« tu seras comme un singe, un objet de risée… »
Le Pavillon des cancéreux (1971)
Alexandre Soljenitsyne
Ed. Julliard
La parole douce qui brise les os
Ce matin, il [Oleg] avait reçu une lettre
des Kadmine. Le docteur Nicolas Ivanovitch répondait entre autres à sa question
sur l’origine de cette « parole douce » qui brise les os. Il y avait,
paraît-il, en Russie, au XVe siècle, une sorte de livre manuscrit,
les Commentaires de l’Ancien Testament… Et, dans ce livre, l’histoire de
Kitovras. (Nicolas Ivanovitch avait
toujours été très calé sur les antiquités) Kitovras vivait dans un désert
lointain, et ne pouvait marcher qu’en ligne droite. Le roi Salomon fit venir
Kitovras et l’enchaîna par ruse, puis on l’emmena tailler des pierres. Mais
Kitovras n’avançait qu’en ligne droite, et lorsqu’on lui fit traverser
Jérusalem, on dut abattre des maisons devant lui pour lui frayer un passage. Or,
il y avait sur son chemin une maisonnette qui appartenait à une veuve. La veuve
se mit à pleurer et à supplier Kitovras e ne pas démolir sa pauvre masure, et
elle le fléchit. Kitovras se tordit, se fit tout petit et il se cassa une côte.
Mais il laissa la maison intacte. Et il dit alors : « Une douce
parole peut briser un ose, une parole dure appelle la colère.»
Alexandre Soljenitsyne
Ed. Julliard
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
EUROPE
LA TCHEKOSLOVAQUIE
1968
ARTUR LONDON
L’AVEU
Artur London
Artur
London, né le 1er février 1915 à Ostrava et mort le 7 novembre 1986 à Paris, est
un homme politique communiste tchécoslovaque. Issu d'une famille juive, il entre à 14 ans aux Jeunesses communistes, rejoint
les Brigades internationales en Espagne. Au début de l'Occupation, il s'engage dans la résistance sous Henri Rol-Tanguy. Devenu responsables
national de la MOI et de sa branche armée, sous le nom de « Gérard », il est chargé
dès l'été 1941 du « travail antiallemand », de la propagande et des
renseignements. Arrêté, le 12 août 1942, il est condamné en mai 1943, à 10 ans
de travaux forcés à Mauthausen.
Libéré des camps, il revient en France, début 1945, avant d’aller en
Tchécoslovaquie. En 1963, il quitte la Tchécoslovaquie et s'installe en France
où se fait naturaliser, en 1972. Il publie notamment Espagne (1963), sur
la guerre civile, et les Brigades internationales, à la fin des procès de Prague, Budapest et Sofia. En 1968, paraissent son mémoire-roman,
L'Aveu, adapté au cinéma
(1970), Confession (1971), Aux sources de l'Aveu (1997).
L’affaire Sacco-Vanzetti
Je me retourne vers ma propre enfance. Ma
prise de conscience avait commencé avec l’affaire Sacco-Vanzetti, quand
cramponné à la main de mon père, j’essayais de chanter, à l’unisson des
centaines d’hommes et de femmes qui m’entouraient, l’Internationale, dont
je commençais à connaître les paroles. On avait assassiné Sacco et Vanzetti
malgré l’immense cri de protestation qui avait secoué le monde : ils
étaient innocents ! […]
Encore une pensée à Sacco et à
Vanzetti : enfant, j’avais pleuré en lisant leur dernière lettre, leur
adieu. Innocents… exécutés… leur souvenir est resté pur… Ils sont des héros…
L’aveu (1968)
Artur London
Ed. Gallimard
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
(2)
AFRIQUE
1935-1970
OUSMANE SOCÉ DIOP
DRISS CHRAÏBI
CHINUA ACHEBE
AHMADOU KOUROUMA
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
AFRIQUE
LE SÉNÉGAL
1935
OUSMANE SOCÉ DIOP
KARIM
OUSMANE SOCÉ DIOP
Ousmane Socé Diop (ou Ousmane Diop Socé), né
le 31 octobre 1911 à Rufisque et décédé le 27 octobre 1973, à Dakar, est un écrivain et
un homme politique sénégalais. Il a suivi l'école coranique, puis le collège
Blanchot de Saint-Louis, l'École
normale William Ponty de Gorée, et l'un des premiers boursiers à faire des études universitaires en
France où il a étudié la médecine vétérinaire. À Paris, il appartenait au groupe de
jeunes intellectuels noirs qui ont fondé entre les deux guerres le mouvement de
la négritude. En 1935, il fait ses débuts en
littérature avec Karim, roman sénégalais, qui lui vaut, en 1947, le
Grand Prix littéraire d'Afrique occidentale. En 1937, il publie Mirages de
Paris, roman semi-autobiographique. Il écrit, en 1938, Contes et
légendes d'Afrique noire, issu de la littérature orale de son pays. De retour au Sénégal, il
publie, en 1948, Rythmes du Khalam (une guitare sénégalaise), une chanson de geste africaine, et fonde, en 1953, à Dakar la revue littéraire Bingo.
Le bruit fit le tour du pays
À
l’âge du mariage, Penda se montra difficile ; elle ne voulut épouser qu’un
homme qui n’eût plus de cicatrices. Elle refusa Massamba, connu pour ses faits
d’armes mais qui portait une cicatrice, vestige
glorieux d’un coup de lance reçu à la bataille.
Elle évinça Mademba, le plus célèbre tueur
de lions du pays, parce que son épaule avait été marquée par le coup de griffe
d’une lionne blessée.
Il en
vint de riches, de beaux, de nobles. Penda les repoussa.
Le bruit
fit le tour du pays.
Un
jour, il se présenta un homme qui se disait prince d’un pays situé à sept
semaines de marche.
On ne
pouvait le nier à considérer les cavaliers nombreux qui l’accompagnaient.
Deux
serviteurs, attachés à la personne de la princesse, affirmaient que le prince
ne portait aucune cicatrice.
Penda
consentit à l’épouser.
Karim (1935)
Ousmane Socé Diop
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
AFRIQUE
LE MAROC
1954
DRISS CHRAÏBI
LE PASSÉ SIMPLE
DRISS
CHRAÏBI
Driss Chraïbi, né le 15 juillet 1926 à El Jadida, au Maroc, et mort le 1er avril 2007 à Crest, dans le département de Drôme, en France, est un écrivain marocain de langue française. Il a également
participé à des émissions radiophoniques à France Culture de l'émission Les
Dramatiques. Issu d'une famille Fassie, il grandit à Rabat et Casablanca. Après l'école coranique, il intègre l'École M'hammed Guessous de Rabat et le Lycée Lyautey de Casablanca. Il
va étudier la chimie, à Paris, en 1945. En 1950, il est diplômé ingénieur, et s’intéresse à la neuropsychiatrie avant de s’adonner
à la littérature
et au journalisme. Il fréquente des poètes, enseigne la littérature
maghrébine à l'Université Laval de Québec et se consacre à
l'écriture. Il épouse l’Anglaise Sheena Chraibi, avec qui il a une fille et
quatre garçons. ll s’impose par ses romans, Le Passé simple
(1954) et Les Boucs (1955) d'une rare violence, suscitant une vive polémique
sur le Maroc en lutte pour l’indépendance, et le racisme en France.
Puis ce furent L'Âne (1956), De tous les horizons (1958), La Foule
(1961), Succession ouverte (1962), La Civilisation, ma Mère (1972), Mort au Canada (1975), Une enquête au pays (1981), La Mère du printemps (1982), Naissance à l'aube (1986), L’Homme du
livre (1995).
L’histoire d’une porte
Comme je débouchais sur la place Benghazi,
une porte tomba. Cette porte avait une histoire.
Trois frères berbères tiennent une
boutique. L’un vend, l’autre cuisine dans l’arrière-boutique, le troisième est
dehors à faire les emplettes et a donc droit aux babouches. On se relaie de
fonction chaque jour. La plupart du temps, on se nourrit de pain trempé dans de
l’huile d’olive recueillie de la façon suivante : en transvasant l’huile
dans le récipient du client, on se sert d’un entonnoir ; après chaque
opération, l’entonnoir est placé dans le goulot d’une bouteille ; l’huile
étant très demandée, la bouteille, vide le matin, ne l’est plus qu’à moitié le
soir. Et voilà un repas de gagné. […] – on restaurait la façade de l‘immeuble,
m’a confié un badaud. Comme on rabattait la porte de la boutique afin de la
repeindre, elle est tombée. Les gonds réduits à l’état d’oxyde ne tenaient plus
que par habitude.
Le Passé simple (1954)
Driss Chraïbi
Ed. Denoël
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
AFRIQUE
LE NIGERIA
1958
CHINUA ACHEBE
LE MONDE S’EFFONDRE
CHINUA ACHEBE
Chinua Achebe, né le 16 novembre 1930, à Ogidi, à l’est du Nigeria, est un romancier et
poète anglophone. Il débute avec Le monde s'effondre (Things Fall Apart- 1958), Le Malaise (No Longer at Ease). Il change son prénom lors
de ses études par celui d’Igbo. Cadet de
six enfants, ses parents, Isaiah Okafo et Janet, sont chrétiens. Il est boursier et
suit des études au Government College d’Umuahia, (1944-1947), et à l’université
d’Ibadan (1948-1953). Il obtient son diplôme de BA. En 1954, il entre à la (NBC) et voyage, en Afrique, aux USA et devient professeur
d'anglais. Il suit une formation à la BBC. En 1962, il participe à une conférence sur les
écrivains africains, à l'université Makerere (Ouganda). En 1960, il prend position
dans le conflit du Biafra. En 1972, il est rédacteur en chef du périodique Obike. En 1987, il est l’adjoint
d’un chef de parti du Nord musulman, donnant la preuve
qu’on peut être de l’Est du pays, adhérer à un parti du Nord, dirigé par un mollah. Après avoir enseigné dans
des universités anglaises, américaines et nigérianes, il est enseigne au
Bard College, dans l'État de New York, et à l'université Brown. En 1990, un accident le met dans un fauteuil
roulant. Il meurt, le 21 mars 2013, à Boston.
Rien à craindre de quelqu’un qui crie
La
mère vautour envoya un jour sa fille lui chercher de la nourriture. Elle y alla et rapporta un
caneton. ‘Cela est très bien dit la mère vautour à sa fille, dis-moi, qu’a dit
la mère de ce caneton quand tu es descendue du ciel […] ‘Elle n’a rien dit,
répond le jeune vautour. Elle s’est contentée de s’en aller.’ Tu dois rendre le
caneton, dit la mère vautour.» La jeune vautour rend le caneton, et prend un
poulet, dont la mère la maudit. Le poulet est mangé, parce qu’«il n’y a rien à
craindre de quelqu’un qui crie.».
Le monde s'effondre (1958)
Chinua Achebe
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
AFRIQUE
LA CÔTE D’IVOIRE
1970
AHMADOU KOUROUMA
LES SOLEILS DES INDÉPENDANCES
AHMADOU KOUROUMA
Ahmadou Kourouma est un écrivain ivoirien,
né le 24 novembre 1927, à Boundiali, et mort, le 11 décembre 2003, à Lyon (France). De 1950 à 1954, il est tirailleur sénégalais en Indochine. Il rejoint la France et suit des études de
mathématiques et d'actuariat (ISFA) à Lyon. En 1960, il revient à son pays indépendance, mais inquiété
par le régime de Félix Houphouët-Boigny, il est emprisonné, avant de s’exiler en Algérie (1964-1969), Cameroun (1974-1984) et Togo (1984-1994). Il revient chez lui, et publie son roman, Les
Soleils des indépendances, contre les dirigeants du pays décolonisé. En 1972, il tente
de représenter Tougnantigui ou le Diseur de vérité. En 1988, il écrit le
roman, Monnè, outrages et défis, sur la colonisation. En 1998, paraît son roman, En attendant le vote des bêtes
sauvages, récit d’un chasseur, devenu dictateur, dont le chef togolais Gnassingbé Eyadema et autres personnalités politiques africaines. Il
reçoit le Prix du Livre Inter. En 2000, paraît son roman, Allah n’est pas obligé,
l’histoire d’un enfant soldat au Liberia. Il obtient le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens. En 2002, lors de la guerre civile, il s’oppose à l’ivoirité, «une absurdité
qui nous a menés au désordre» et prône le retour à la paix dans son pays.
L’ombre marchait vite et n’a pas salué
-«Il y avait une semaine qu’avait fini dans
la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il
n’avait pas soutenu un petit rhume... Comme tout malinké, quand la vie
s’échappa de ses restes, son ombre se releva, graillonna, s’habilla et partit
par le long chemin pour le lointain pays malinké natal pour y faire éclater la
faunesse nouvelle des obsèques.» (…)
Sur des pistes perdues au plein de la
brousse inhabitée, deux colporteurs malinké ont rencontré l’ombre et l’ont
reconnue.
L’ombre marchait vite et n’a pas salué.»
(…)
-Vous paraissez sceptique! Eh bien, moi,
je vous le jure, et j’ajoute : si le défunt était de caste forgeron, si l’on
n’était pas dans l’ère des Indépendances (les soleils des indépendances, disent
les Malinkés), je vous le jure, on n’aurait jamais osé l’inhumer dans une terre
lointaine et étrangère. Un ancien de la caste forgeron serait descendu du pays
avec une petite canne, il aurait tapé le corps avec la canne, l’ombre aurait
réintégré les restes, le défunt se serait levé. On aurait remis la canne au
défunt
qui aurait emboité le pas à l’ancien, et ensemble ils auraient marché des jours
et des nuits.
Mais attention! Sans que le défunt revive!
La vie est au pouvoir d’Allah seul ! Et sans manger, ni boire, ni parler,
ni même dormir, le défunt aurait suivi, aurait marché jusqu’au village où le
vieux forgeron aurait repris la canne et aurait tapé une deuxième fois. Restes
et ombre se seraient à nouveau séparés et c’eût été au village natal même
qu’auraient été entreprises les multiples obsèques trop compliquées d’un
Malinké de caste forgeron.
De véritables professionnels! Matins et
soirs ils marchent de quartier en quartier pour assister à toutes les
cérémonies. On les dénomme entre malinkés, et très méchamment, «les vautours»
ou «bande d’hyènes».
Fama Doumbouya! Vrai Doumbouya. Un prince
Doumbouya! Totem panthère faisait bande avec les hyènes. Ah! Les soleils des
Indépendances !
Lui, Fama, né dans l’or, le manger,
l’honneur et les femmes ! Eduqué pour préférer l’or à l’or, pour choisir le
manger parmi d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses ! Qu’était-il
devenu ? Un charognard.... C’était une hyène qui se pressait.
-Du monde pour le septième jour de cet
enterré Ibrahima! Un regard rapide. On comptait et reconnaissait nez et
oreilles de tous les quartiers, de toutes les professions.
Les Soleils des Indépendances (1970)
Ahmadou Kourouma,
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
(3)
ASIE
1988-2014
CHENG NAICHAN
SOK-YONG HWANG
HARUKI MURAMI
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
ASIE
LA CHINE
1988
CHENG NAICHAN
UNE RUE PAUVRE
CHENG NAICHAN
Cheng est née en 1946 à Shanghai, au sein
d'une famille dont le grand-père est banquier. Sa famille s'installe à
Hong-Kong en 1949, peu avant la fondation de la République populaire de Chine,
puis revient à Shanghai en 1956. Cheng Naishan y fait des études d'anglais,
obtenant un diplôme dans cette discipline en 1965. Elle enseigne par la suite
cette langue. Elle commence à publier en 1979 et devient écrivain
professionnel. Elle est aussi traductrice, ayant notamment traduit depuis
l'anglais, avec sa mère Pan Zuojun, Life and Death in Shanghai (2013),
autobiographie de Nien Cheng,
écrivaine chinoise exilée au États-Unis. Elle publie des romans dont Une rue
pauvre (1988), La Maison bleue (1989), La Théière-caméléon
(1995).
La sœur de Liu Guoliang a voulu se suicider
La nouvelle
a eu l’effet d’une bombe dans la rue et à l’école Mille Soleils : la sœur
de Liu Guoliang a voulu se suicider. Elle a avalé des somnifères en quantité. Ses
camarades de chambre s’en sont tout de suite aperçues et elle a pu être sauvée.
- Pourquoi
a-t-elle fait ça ? Elle est jolie, elle est à l’université, elle ne doit
pas se suicider pour un ami qui l’a quittée !
Wen Xixiu
interroge Zhang Xianglin alors qu’il s
viennent d’aller voir la jeune fille à l’hôpital.
Elle n’y
comprend rien ! Se suicider, c’est
tellement bête et dans les années 80, on ne fait pas ça ! Bien sûr, il y a
des problèmes, mais la vie est belle ! […]
- Cette
jeune fille est trop vaniteuse, critique Wen Xixiu.
- Ne lui
fait pas de reproches, on ne peut la comparer avec toi (Zhang Xianglin). […] Tu vois comme la vie est
cruelle, même la dignité est luxe. Et bien sûr, elles fondent toutes leurs espérances sur leur futur mari.
Tout en parlant, ils sont arrivés à
l’entrée de l’école. Il fait déjà noir car ce n’est plus l’heure de travailler.
Zhang Xianglin propose d’aller dans sa chambre manger quelque chose avant
d’aller voir Liu Guoliang qui, bien qu’il prétende être l’homme de la famille,
n’a que seize ans.
Une rue pauvre (1988),
Cheng Naichan
Littérature Chinoise
LA CORÉE DU SUD
2013
SOK-YONG HWANG
PRINCESSE BARI
SOK-YONG HWANG
Sok-yong Hwang est un écrivain sud-coréen,
né en 1943, en Mandchourie (occupée par
le Japon). Il est, depuis 1970, l'un des
représentants de la littérature réaliste, en Corée du Sud, décrivant la vie des
défavorisés de la classe ouvrière. Il a été marqué par sa participation à
l’expédition coréenne au Viêt- Nam, qui lui a inspiré les nouvelles de L'Oiseau
de Molgyewol (1988) et le roman L'Ombre des armes (2003). Il a été
emprisonné cinq ans, pour s'être rendu en Corée du Nord, loi prohibée par la
loi sud-coréenne. Il compte parmi les plus grands écrivains asiatiques de sa
génération. Il a écrit une œuvre qui reflète les tourments de la Corée. Son
engagement lui a valu l’exil et la prison. Parmi ses romans Fleure noire (2009),
L’invité, le Vieux Jardin (2010) ou Shim Chong, fille vendue (2011),
Terres étrangères (2014) ont couronnés par de grands prix littéraires,
et lus dans le monde entier. Dissident du temps de la dictature, il est vénéré
par les étudiants et les intellectuels coréens. Il est apprécié au Sud et au
Nord coréens. Ancrée dans l’histoire, ses œuvres sont d’une très grande actualité
politique. Les critiques littéraires coréens voient dans scènes de Monsieur
Han (2015) les plus belles pages de la littérature coréenne d’aujourd’hui.
Il est publié pour la première fois en français.
Grand-mère, d'où viens-tu ?
Grand-
mère, elle a donc, comme moi, été abandonnée (…)?
- Certains
disent qu'elle a été jetée à la rivière ou à la mer, d’autres qu'elle a été
abandonnée dans la montagne. Ce sont des grues, ou bien des pies ou encore des
tortues dorées qui l'ont secourue. On dit aussi qu´elle a été sauvée par le
seigneur de la mer (...).
"Te voilà donc, ma petite Bari !"
"Grand-mère, d'où viens-tu ?"
"Grand-mère, d'où viens-tu ?"
J'ai avancé pour me jeter dans ses bras, mais elle a prestement bondi en arrière, avec la légèreté des sachets de plastique chassés par le vent. J'ai fait un nouveau pas vers elle, elle a de nouveau reculé.
"Tu m'as tellement manqué, tu ne veux pas me serrer dans tes bras ?"
Elle souriait tout en hochant la tête.
"J'aimerais tant pouvoir le faire... mais nous n'appartenons pas au même monde. Je t'ai appelé parce que je me faisais du souci pour toi. Ecoute-moi bien. Tu vas parcourir plusieurs milliers de lieues sur la mer et sous le ciel. C'est un véritable enfer que tu vas traverser, rempli d'embûches, regorgeant d'esprits malins.
Tes membres, ton corps tout entier courent le risque
d'être déchirés. Mais ne t'engage jamais dans les chemins aux couleurs
malsaines, jaunes, ou verts, prends toujours le chemin blanc. Au terme de ce
long voyage, tu ne seras plus la petite Bari, tu seras devenue une grande
chamane. Chaque fois que tu seras en peine, je viendrai à ton aide, Chilsong te
guidera jusqu'à moi."
Princesse Bari (2013)
LE JAPON
2014
HARUKI MURAKAMI
« 1Q 84 »
HARUKI MURAKAMI
Haruki Murakami, né le 12 janvier 1949, à Fushimi-ku, à Kyoto, est un écrivain japonais. Il étudie la
tragédie grecque et ouvre un club de jazz à Tokyo avant de s’adonner à
l'écriture. Anti -conformiste dans la société japonaise, il va en Grèce, en
Italie, aux États-Unis, en 1991, où il enseigne la littérature japonaise à
l’Université de Princeton, durant quatre ans. En 1995, après lors du séisme de
Kobe et l'attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au pays. Traducteur
de Scott Fitzgerald et Raymond Carver, il a eu du succès dès son premier roman,
"Écoute le chant du vent" (1979), et reçoit le prix Gunzo.
Puis ce furent : "Au sud de la frontière, À l'ouest du soleil"
(1992) "Chroniques de l'oiseau à ressort" (1994-1995), "Les
Amants du Spoutnik" (1999). "Kafka sur le rivage"
(2002). Il s’inscrit parmi les plus grands écrivains japonais. Suite au succès
de la trilogie "1Q84", il revient, en 2014, avec un roman
réaliste, "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pélerinages".
Son œuvre mêle bouddhisme et la chronique sociale fantastique. Il a reçu nombre de prix littéraires dont le
prix Yomiuri Literary Prize, le prix Kafka 2006, le prix Jérusalem de la
liberté de l’individu dans la société en 2009. Il est pressenti d’un prix Nobel
de littérature.
Et je refais ce même rêve, encore et toujours
Le monde, vois-tu, Aomamé, c'est une lutte
sans fin entre un souvenir et un autre souvenir, qui lui est opposé […].
Je marche
seule dans une forêt. Mais ce n'est pas une forêt maléfique comme celle où
Hansel et Gretel se sont perdus. C'est une forêt très lumineuse, pas très
épaisse. C'est le matin, il fait chaud, c'est agréable, et je marche là dedans
le cœur heureux. Après, je me dirige vers une petite maison avec une cheminée,
un petit porche et, à la fenêtre, des rideaux en vichy. En somme, tout cela
paraît très accueillant. Je frappe à la porte et je dis : «Bonjour !».
Mais personne ne me répond. Alors je frappe un peu plus fort et la porte
s'ouvre toute seule. Elle n'était pas bien fermée. J'entre. « Bonjour,
euh.... Il y a quelqu’un ? Je suis entrée... » [...].
"C'est
une petite cabane d'une seule pièce. Très simple. Il y a un petit coin cuisine,
un lit, une table. Au milieu, un poêle à bois, et, sur la table, des plats sont
prêts, pour quatre personnes. De la vapeur blanche s'élève des assiettes. Mais
il n'y a personne le repas est prêt, mais quelque chose de bizarre a dû se
produire. Par exemple l'apparition d'une sorte de monstre, et tout le monde
s'est enfui. Voilà ce que je ressens. Mais les chaises ne sont pas en désordre.
Tout est paisible, étrangement normal. Simplement il n'y a personne.
-Ils
avaient préparé quel genre de plats ?"
Je penchai la tête.
«Je ne m’en souviens pas. Oui, Au fait, c'était quoi, comme plats ? Bon enfin, ce qu'il y avait dans les assiettes, ce n'est pas la question. La question, c'est qu'elles étaient fumantes. En tout cas, je me suis assise sur une chaise et j'ai attendu que la famille revienne. Il fallait que j'attende qu'ils rentrent. Pourquoi ? Je n'en sais rien. C'est un rêve. On ne peut pas tout expliquer. Je voulais peut être qu'ils me disent quel était le chemin du retour ou qu'il fallait que j'obtienne quelque chose, enfin, ce genre de trucs. Bon, en tout cas, j'ai attendu sans bouger que ces gens reviennent. Mais j'avais beau attendre, personne ne revenait. La fumée continue à monter des plats. En voyant ça, j'ai eu très faim. Mais même si j'étais affamée, tant que les gens n'étaient pas là, il n'était pas question pour moi de toucher aux plats [...].
Je penchai la tête.
«Je ne m’en souviens pas. Oui, Au fait, c'était quoi, comme plats ? Bon enfin, ce qu'il y avait dans les assiettes, ce n'est pas la question. La question, c'est qu'elles étaient fumantes. En tout cas, je me suis assise sur une chaise et j'ai attendu que la famille revienne. Il fallait que j'attende qu'ils rentrent. Pourquoi ? Je n'en sais rien. C'est un rêve. On ne peut pas tout expliquer. Je voulais peut être qu'ils me disent quel était le chemin du retour ou qu'il fallait que j'obtienne quelque chose, enfin, ce genre de trucs. Bon, en tout cas, j'ai attendu sans bouger que ces gens reviennent. Mais j'avais beau attendre, personne ne revenait. La fumée continue à monter des plats. En voyant ça, j'ai eu très faim. Mais même si j'étais affamée, tant que les gens n'étaient pas là, il n'était pas question pour moi de toucher aux plats [...].
Le soir est
tombé. Dans la cabane, c'est devenu sombre. La forêt alentours s'est faite de
plus en plus ténébreuse. Je voulais allumer la lumière, mais je ne savais pas
comment faire. Peu à peu, je me suis sentie angoissée. Et puis, brusquement, je
me suis aperçue de quelque chose. Bizarrement, la quantité de vapeur qui
s'élevait des plats ne diminuait pas du tout. Le temps avait beau passer la
cuisine restait toujours fumante. Alors, j'ai commencé à me dire que c'était
étrange. Que quelque chose n'allait pas. Et là, le rêve se terminait [...].
C'est sûr
que quelque chose allait arriver, Le soleil était couché, je ne connaissais pas
le chemin pour rentrer, j'étais tout à fait seule dans cette cabane
invraisemblable. Quelque chose arriverait. J'ai l'impression que ça aurait été
quelque chose que je n'aurais pas beaucoup aimé. Mais le rêve se termine
toujours à ce moment là. Et je refais ce même rêve, encore et toujours.
"1Q84" (2014)
Haruki Murakami
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
(4)
OCÉANIE
2009-2014
CLAUDINE JACQUES
SIMONE CHWARZ-BART
ANTONY PHEPS
CHRIS WOMERSLEY
LA NOUVELLE CALÉDONIE
2009
CLAUDINE JACQUES
NOUMÉA MANGROVE
CLAUDINE JACQUES
Née dans le Territoire de Belfort (France), le 5 juin 1953,
Claudine Jacques arrive en Nouvelle-Calédonie à l'aube de son âge adulte et s'y
enracine profondément, à Belfort. Après avoir dirigé un Centre de formation professionnelle,
elle cesse toute activité, en 1994, pour se consacrer entièrement à l’écriture.
Membre fondateur de l’Association des écrivains de Nouvelle-Calédonie (1996) et
présidente, elle créé en 2002 le Festival de la Bande dessinée de Boulouparis
BD Folies qu’elle préside, depuis. En 2008, dirige l’association Écrire en
Océanie, destinée à promouvoir par le biais de l'édition de jeunes auteurs
la littérature du pays. Elle
a écrit des romans dont Pluie et vent sur Télumée Miracle (1995), "Les cœurs Barbelés"(1998),
"Nos silences sont si fragiles" (2001), "L'homme lézard"(2002),
Le cri de l’acacia. Papeete
: Au vent des Iles (2007),
Nouméa Mangrove. Nouméa (2009), Tahiti : Au Vent des Iles
(2010), Nana Coco, petite sorcière de la
Grande Terre (2011),
Le Bouclier rouge (2014).
Le roi des abeilles
La crainte
de disparaître avant le retour du Bleu m’obsède. Le jour est à peine moins
sombre que la nuit, et pourtant nous savons tous désormais qu’il fait nuit. À
cause des cris qui continueront de-ci, de-là, jusqu’à l’appel strident des coqs
de Sifilet. Il dit qu’ils ont gardé en eux le respect des matins et je les aime
pour ce rappel des temps d’avant le Grand désordre. Nous ne les mangeons pas,
nous les vénérons presque. Ne sont-ils pas, avec leurs femelles et le dernier
couple de perruches de la chaîne, les seuls volatiles qu’il nous reste sur ce
lambeau de terre […] Api a posé ses ruches devant les portes et les fenêtres de
la Bibliothèque et habitué les abeilles à notre odeur. Je ne sais pas si ce
sera suffisant.
Le toutoute retentit, c’est l’heure du couvre-feu. Je vais rentrer dans notre sanctuaire, notre prison, notre refuge, et espérer le sommeil. […] Reo et le roi des abeilles ferment les portes derrière moi, posent les barres de bois, le Gardien des légendes me sourit, Yin-aux-yeux-bridés arrête un instant de mâchonner son crayon et les autres lisent ou écrivent sur les petites tables patinées par les travaux d’élèves des Êtres sans mémoire, ils ont à peine levé la tête et pourtant ils sont apaisés par mon retour. J’entends des bruits de voix dans le grand escalier, les enfants aussi m’attendaient. […]
Le toutoute retentit, c’est l’heure du couvre-feu. Je vais rentrer dans notre sanctuaire, notre prison, notre refuge, et espérer le sommeil. […] Reo et le roi des abeilles ferment les portes derrière moi, posent les barres de bois, le Gardien des légendes me sourit, Yin-aux-yeux-bridés arrête un instant de mâchonner son crayon et les autres lisent ou écrivent sur les petites tables patinées par les travaux d’élèves des Êtres sans mémoire, ils ont à peine levé la tête et pourtant ils sont apaisés par mon retour. J’entends des bruits de voix dans le grand escalier, les enfants aussi m’attendaient. […]
C’est
notre travail quotidien, palper et nettoyer les livres, page après page. Nous
les posons sur la longue table en houp réservée au Conseil. Nous les effeuillons
lentement, avec l’attention d’une mère pour son nouveau-né, ils sont notre
dernière richesse, la seule qui nous parle encore de notre passé.
Nouméa Mangrove (2009)
Claudine Jacques
LA GUADELOUPE
2010
SIMONE CHWARZ-BART
PLUIE ET VENT SUR TÉLUMÉE MIRACLE
SIMONE SCHWARZ-BART
Simone Schwarz-bart, née Brumant, est née
le 1er août 1938, en Charentes-Maritimes, de parents guadeloupéens. Elle a fait
ses études à Pointe-à-Pitre, puis à Paris et à Dakar. Elle rencontre André
Schwarz-Bart, en 1959, et écrit avec lui Un plat de porc aux
bananes vertes (1967). Pluie et vent sur Télumée Miracle a
obtenu le prix des lectrices d’Elle, en 1973. Il est encore
considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature antillaise. Ti Jean
l’Horizon est paru en 1973. En 1987, elle publiera une pièce de
théâtre en un acte, Ton beau capitaine. Enfin, en 1989, avec
son époux, elle écrira un vibrant Hommage à la femme noire.
Ma mère Victoire me parlait souvent
de mon aïeule
Je n'ai jamais souffert de l'exiguïté de
mon pays, sans pour autant prétendre que j'aie un grand cœur. Si on m'en
donnait le pouvoir, c'est ici même, en Guadeloupe, que je choisirais de
renaître, souffrir et mourir. Pourtant, il n'y a guère, mes ancêtres furent
esclaves en cette île à volcans, à cyclones et moustiques, à mauvaise
mentalité. Mais je ne suis pas venue sur terre pour soupeser toute la tristesse
du monde. A cela, je préfère rêver, encore et encore, debout au milieu de mon
jardin, comme le font toutes les vieilles de mon âge, jusqu'à ce que la mort me
prenne dans mon rêve, avec toute ma joie...
Dans mon enfance, ma mère Victoire me parlait souvent de mon aïeule, la négresse Toussine. Elle en parlait avec ferveur et vénération, car, disait-elle, tout éclairée par son évocation, Toussine était une femme qui vous aidait à ne pas baisser la tête devant la vie, et rares sont les personnes à posséder ce don. Ma mère la vénérait tant que j'en étais venue à considérer Toussine, ma grand-mère, comme un être mythique, habitant ailleurs que sur terre, si bien que toute vivante elle était entrée, pour moi, dans la légende. J'avais pris l'habitude d'appeler ma grand-mère du nom que les hommes lui avaient donné, Reine Sans Nom; mais de son vrai nom de jeune fille, elle s'appelait autrefois Toussine Lougandor. Elle avait eu pour mère la dénommée Minerve, femme chanceuse que l'abolition de l'esclavage avait libérée d'un maître réputé pour ses caprices cruels.
Dans mon enfance, ma mère Victoire me parlait souvent de mon aïeule, la négresse Toussine. Elle en parlait avec ferveur et vénération, car, disait-elle, tout éclairée par son évocation, Toussine était une femme qui vous aidait à ne pas baisser la tête devant la vie, et rares sont les personnes à posséder ce don. Ma mère la vénérait tant que j'en étais venue à considérer Toussine, ma grand-mère, comme un être mythique, habitant ailleurs que sur terre, si bien que toute vivante elle était entrée, pour moi, dans la légende. J'avais pris l'habitude d'appeler ma grand-mère du nom que les hommes lui avaient donné, Reine Sans Nom; mais de son vrai nom de jeune fille, elle s'appelait autrefois Toussine Lougandor. Elle avait eu pour mère la dénommée Minerve, femme chanceuse que l'abolition de l'esclavage avait libérée d'un maître réputé pour ses caprices cruels.
Pluie et vent sur Télumée Miracle (1973)
Simone Schwarz-bart
HAÏTI
2012
ANTONY PHELPS
UNE PLAGE INTEMPORELLE
ANTONY PHELPS
Poète et romancier, Anthony Phelps est
né, à Haïti, en 1928. En 1960 il fonde, avec les poètes Davertige, Legagneur,
Morisseau, Philoctète et Thénor, le groupe Haïti-littéraire et la revue Semences.
Il fonde et anime la troupe théâtrale, Prisme, et réalise des émissions
hebdomadaires de poésie et de théâtre à Radio Cacique. Il publie trois recueils
poétiques. Après un emprisonnement sous la dictature, il s'exile, au Québec, en
1964. Retraité de Radio Canada, de la Salle des nouvelles TV, il poursuit son
œuvre pour la diffusion de la littérature haïtienne. Parmi ses romans, on
compte notamment Moins l'infini (1973), Mémoire en colin-maillard (1976), Haïti ! Haïti ! (1985), La
Contrainte de
l'inachevé (2006), Des
fleurs pour les héros (2013), La Roque d'Anthéron et Vents d'Ailleurs (à paraître).
Le Tonton Macoute
Bientôt, ce sera le carnaval et ces
gradins de fer seront pris d’assaut par une foule bariolée et joyeuse, l’air
résonnera du son entraînant des tambours et les meilleurs méringues
carnavalesques monteront des haut-parleurs. La place du Champ de Mars sera
grouillante de masques. Les tresseuses de rubans feront démonstration
d’habileté et de grâce […].
Les voici maintenant qui s’arrêtent. Leurs
jupes chatoient dans le soleil. Elles font la révérence, puis se relèvent, se
démêlent, se défaufilent, défaisant le fourreau avec une lenteur calculée et,
finalement, dénudent la tige sous les applaudissements de la petite fille
émerveillée, appuyée des coudes sur la tête de son père […].
"Papa, je veux un pirouli. Papa, je
veux un pirouli." C’était l’époque lointaine où, fillette juchée sur les
épaules de son père, elle osait taquiner ce vilain masque armé d’un grand
coutelas et qui, un sac chargé d’enfants en papier mâché sur l’épaule,
personnifiait le Tonton Macoute, la terreur des gosses, l’Ogre de la légende
haïtienne. Par-dessus la tête de son père, et forte de sa protection, elle
osait même lui crier d’une voix aiguë, joyeuse, mais pas tout à fait rassurée :
"Tonton macoute, m’pa pé ou ! Je ne te crains pas, Tonton macoute, je suis
une enfant sage et tu ne m’auras pas pour ton souper.
Une plage intemporelle (2012)
L’AUSTRALIE
2014
CHRIS WOMERSLEY
LA MAUVAISE PENTE
CHRIS WOMERSLEY
Né
en 1968 à Melbourne, Chris Womersley est considéré comme l'un des meilleurs
jeunes écrivains australiens. Il a connu une véritable consécration, de la part
de la presse et du public avec Les Affligés (2010), son deuxième livre,
finaliste de tous les grands prix littéraires du pays. La mauvaise pente
(2014) a été récompensée par le Ned Kelly Award, de la même année.
Il lui semblait que c’était un rêve
Emergeant de profondeurs océaniques, Lee
revint lentement à lui. Il lui semblait que c’était en rêve qu’il battait des paupières,
face à ses genoux cagneux. La chambre se taisait, comme s’apprêtant à
l’accueillir. Telle une grossière figurine d’argile, rigide et très ancienne,
il était couché dans ce lit, et il
clignait des
yeux.
Enfant, s’il avait peur, la nuit, il s’efforçait
de respirer de façon à ne pas attirer l’attention de la chose tapie dans
l’obscurité. Tout doucement. Comme si on pouvait se cacher des fantômes qui
hantaient les chemins, à la recherche d’enfants à dévorer. A une certaine
époque – il avait quatorze ans -, il se réveillait même parfois avec la
sensation que sa chambre tout entière, arrachée de ses gonds, était propulsée à
travers l’espace. A ce moment-là, Claire, sa sœur, se matérialisait à son
chevet, plaçait fermement ses mains sur ses épaules et attendait que cessent
ces pleurnicheries. Elle ne disait rien. Il n’y avait rien à dire, vu la
situation.
Et, là encore, Lee s’efforçait de rester
aussi immobile que possible, de se faire tout petit au sein de l’univers,
convaincu que la potentielle perturbation de son réveil pourrait affecter le
déroulement de la journée. Autant partir du bon pas. Il prolongea encore un peu
ce moment. […] Finalement, il s’autorisa à respirer plus normalement et ouvrit
les yeux. La chambre était rougeâtre, le jour filtrait à travers un fin
voilage. Mur d’un jaune sinistre, fenêtre en aluminium. Une chambre de motel,
apparemment.
La mauvaise pente (2014)
Chris Womersley
Chris Womersley
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
(5)
L’AMÉRIQUE
1919 – 2015
LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
L’AMÉRIQUE DU NORD
1919 – 2010
LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
JOHN DOS PASSOS
John Roderigo Dos Passos, né le 14 janvier 1896 à Chicago, mort le 28 septembre 1970 à Baltimore, est un écrivain et un peintre américain. Il poursuit son œuvre
littéraire sur les événements turbulents du XXe siècle, et une critique
acharné du mode de vie américain. Il avait des sympathies communistes, lors des
années vingt et trente, durant la guerre civile espagnole. Familier du réalisme, il en use dans une vision sociale
pessimiste, à travers des personnages de diverses classes sociales. Il affleure
le réalisme
socialiste, tout en
admirant Eisenstein. D’où la « littérature
cinématographique » que les critiques accolent son œuvre. En 1920 -1930, avec
succès, il écrit des romans, des poèmes, des essais, des pièces de théâtre et crée
des œuvres d'art. En témoignent ses romans Manhattan
Transfer (1923) et
sa trilogie U.S.A. unifiant 42ème parallèle
(1930), 1919 (1932) et La grosse galette (1936). Il est alors au faite
sa gloire littéraire.
Quand deux larrons se disputent
- Je dois le reconnaître, dit G.H. Barrow
avec un sourire contraint. Je ne me serais jamais attendu à vider un verre avec
en compagnie d’un membre de la maison Planet et Wilson.
Le juge frappa sa cuisse grasse.
- Vous voulez dire à cause de l’affaire du
Colorado ?... inutile de vous inquiéter. Je ne vous mangerez pas, Mr.
Barrow… Mais, franchement, Mr. Moorehouse, le temps le temps ne me semble
propice pour lancer votre petit projet.
- Cette guerre en Europe… fit G. H.
Barrow.
- Est une occasion pour l’Amérique… Vous
connaissez le proverbe : quand deux larrons se disputent… Je reconnais
qu’en ce moment nous traversons justement une période de désespoir et de doute,
mais dès que le commerce américain se remettra du premier choc et commencera à
reprendre des forces… Mais oui, messieurs, j’arrive d’Europe, ma femme et moi
nous nous sommes embarqués le jour de la déclaration de guerre par
l’Angleterre… Je puis vous dire que nous l’avons échappé belle… D’une chose je
puis vous assurer avec certitude relative, c’est que, quel que soit le
vainqueur, l’Europe sera économiquement ruinée… Cette guerre est une grande
occasion pour l’Amérique. Le fait même de notre neutralité…
42ème parallèle (1930)
John Dos Passos
Ed. Gallimard
TRUMAN CAPOTE
Truman Capote, ou Truman Streckfus
Persons, né à La Nouvelle-Orléans, le 30/09/1924 et mort à Los Angeles
(États-Unis), le 25/08/1984, est un écrivain américain du XXe siècle, connu pour
œuvre "De sang-froid" (1965), dans lequel il dépeint la
violence de la société américaine. Il est très tôt confié à ses tantes, en
raison du divorce de ses parents. Cet abandon marque ses premières œuvres. Il
retrouve sa mère à New York en 1932, lors du remariage de celle-ci, et est
adopté par son beau-père, dont il prend le nom, Capote. Il travaille pigiste au
"New Yorker", dès 1942, et publie ses nouvelles dans les
magazines "Mademoiselle" et "Harper's Bazaar".
Son premier roman, "Les Domaines hantés" est publié en 1948. Il
rencontre l'écrivain Jack Dunphy, et publie "La Harpe d'herbes"
(1963), puis un court roman, "Petit-déjeuner chez Tiffany"(1958).
En 1959, il lit dans le "New York Times" un fait divers sur
quatre meurtres et pense en faire un livre avec l'aval du journal. Témoins,
dossiers de la police à l’appui, il rencontre les deux criminels arrêtés et exécutés,
et en crée un genre, le roman-vérité, "De sang-froid" (1965).
Il ne peut achever son dernier roman, "Prières exaucées",
publié à titre posthume, en 1987.
La harpe d’herbes qui raconte quelque
histoire
A la sortie de la ville, quand on prend la route de l’église,
on ne tarde pas à atteindre une colline toute éblouissante de dalles blanches
et de fleurs bronzées : c’est le cimetière baptiste. Tous les nôtres y
sont enterrés : les Talbo, les Fenwick ; ma mère repose à côté de mon
père, et les tombes des parents, une vingtaine, sont déposés autour comme les
racines d’un arbre de pierre. Au pied de
la colline il y a un champ de hautes herbes indiennes qui change de couleur
avec les saisons : allez le voir en automne, à la fin de septembre, quand
il a pris la couleur rouge d’un coucher de soleil, quand des ombres écarlates y
soufflent comme des lueurs de feu et que les vents d’automne tirent des
feuilles sèches une musique de soupirs humains, une harpe de voix.
Au-delà du champ, ce sont les bois, les ténèbres
de River Woods. C’est sans doute au cours de ces journées de septembre, alors
que nous étions dans le bois à chercher des racines, que Dolly me
dit : «Entends-tu ? » C’est la harpe d’herbes. Elle raconte
toujours quelque histoire – elle sait l’histoire de tous les gens qui sont sur
la colline, de tous les gens qui y ont vécu. Et quand nous serons morts, elle
racontera la nôtre également.»
"La Harpe d'herbes" (1963),
Truman Capote
Ed. Gallimard
THOMAS WOLFE
Thomas
Wolfe est un écrivain américain, né le 2 mars 1931 à Richmond en Virginie. Il débute à New York journaliste et essayiste. En 1960, il
devient, avec Norman Mailer, Truman Capote, Joan Didion, Hunter S.
Thompson, créateur du « Nouveau
Journalisme » aux USA. Ses écrits font une critique i de différents aspects de
la société. Il débute par des récits entre le journalisme et la littérature par
L'Étoffe des héros, Acid test et Le Gauchisme de Park Avenue qui e rendent célèbre aux années 1970. Dans l'"Etoffe des Héros",
il fait l'odyssée de l’espace américaine de 1940-1960, en retraçant une époque
marquée par la guerre froide et la description de la vie quotidienne des
pilotes, héros d'un pays au sommet de sa puissance. Il écrit un roman
autobiographique Au fil du temps (Of Time and the River – 1936). En
1987, son roman best-seller Le
Bûcher des vanités (Bonfire of vanities -2010), sera suivi d’un second Un
homme, un vrai (A Man in Full -1998), sur les tensions raciales dans
l’Atlanta. Son roman, Moi, Charlotte
Simmons (I Am Charlotte Simmons - 2004), donne une image d’un campus
d'université américaine. Son roman Bloody Miami (Back to Blood - 2013)
décrit les rapports communautaires à Miami.
La Mort Rouge
"... Une peste mystérieuse, la Mort Rouge, ravage la
contrée. Le prince Prospero - Prince Prospero - même le nom est parfait - le
prince Prospero rassemble les meilleurs des gens dans son château avec deux ans
de provisions de bouche et d'alcool, et ferme les portes au monde extérieur,
contre la virulence de toutes les âmes moins bien nées, et commence un Bal
masqué qui doit durer jusqu'à ce que la peste se soit éteinte d'elle-même au-delà
des murailles. La fête est sans fin et sans pause et elle a lieu dans sept
grands salons, et dans chacun les divertissements sont plus intenses que dans
le précédent, et les invités sont attirés, peu à peu, jusqu'au septième, qui
est entièrement tendu de noir. Une nuit, dans cette dernière pièce, apparaît un
hôte revêtu du costume le plus approprié et le plus horriblement beau que cette
assemblée de masques réjouis ait jamais vu. Cet hôte est habillé comme la Mort,
mais d'une manière si convaincante que Prospero s'en offense et ordonne qu'on
le jette dehors. Mais personne n'ose le toucher, et la tâche revient donc au
Prince lui-même, et à l'instant où il touche ce masque terrible, il tombe raide
mort, car la Mort Rouge est entrée dans la maison de Prospero... Prospero, mes
amis...
Le bûcher des vanités (2010)
Thomas Wolfe
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
L’AMÉRIQUE DU SUD
1967-2015
LA COLOMBIE
LE MEXIQUE
LE CONTE INSÉRÉ DANS LE ROMAN
DES CINQ CONTINENTS
L’AMÉRIQUE DU SUD
1967– 2010
LA COLOMBIE
GABRIEL GARCIA MARQUEZ
Gabriel García
Márquez, né le 6 mars 1927 à Aracataca (Colombie) et mort le 17 avril 2014 (à 87 ans) à Mexico, est un écrivain colombien. Romancier, nouvelliste, mais également journaliste et militant politique, il reçoit en 1982 le prix Nobel de
littérature.
Affectueusement surnommé « Gabo » en Amérique du Sud, il est l'un des auteurs les plus
significatifs et populaires du XXe siècle. Son œuvre se démarque par un
imaginaire fertile et constitue une chronique à la fois réaliste, épique et
allégorique qui recoupent son histoire familiale, ses obsessions et ses
souvenirs d'enfance. La presse le compare à François Rabelais à Miguel de Cervantès et à Victor Hugo. Cependant ce sont les romans Cent ans de solitude (1967), Chronique d'une
mort annoncée (1981) et L'Amour aux
temps du choléra (1985) qui lui apportent la reconnaissance
du public, des médias et de ses pairs. Son nom est fréquemment associé au
« réalisme magique».
Le colonel
Aureliano Buendia
Taciturne, silencieux, insensible au
nouveau souffle de vie qui faisait trembler la maison, c'est à peine si le
colonel Aureliano Buendia comprit que le secret d'une bonne vieillesse n'était
rien d'autre que la conclusion d'un pacte honorable avec la solitude. […]
Le colonel Aureliano Buendia fut à
l'origine de trente-deux soulèvements armés et autant de fois vaincu. De
dix-sept femmes différentes, il eut dix-sept enfants mâles qui furent
exterminés l'un après l'autre dans la même nuit, alors que l'aîné n'avait pas
trente-cinq ans. Il échappa à soixante-trois embuscades et à un peloton
d'exécution. Il survécut à une dose massive de strychnine versée dans son café.
Il fut promu au commandement des forces révolutionnaires, son autorité
s'étendant sur tout le pays.
Bien qu'il se battît toujours à la tête de ses troupes, la seule blessure qu'il reçu, ce fut lui qui se la fit. Il se lâcha un coup de pistolet en pleine poitrine et le projectile lui ressortit par l'épaule sans avoir atteint aucun centre vital. Tout ce qui demeura de cette succession d'événements fut une rue à son nom à Macondo.
Bien qu'il se battît toujours à la tête de ses troupes, la seule blessure qu'il reçu, ce fut lui qui se la fit. Il se lâcha un coup de pistolet en pleine poitrine et le projectile lui ressortit par l'épaule sans avoir atteint aucun centre vital. Tout ce qui demeura de cette succession d'événements fut une rue à son nom à Macondo.
Cent ans de Solitude (1967)
DES CINQ CONTINENTS
L’AMÉRIQUE DU SUD
2010
LE Mexique
SÉBASTIEN RUTÉS ET JUAN HERNÀNDEZ
LUNA
Sébastien Rutés
Sébastien Rutés est né le 12 juin 1976 à
Annecy, maître de conférences, spécialiste de littérature mexicaine et
latino-américaine, il travaille sur les genres, et l’intertextualité et le
roman policier hispano-américain. Titulaire d’un doctorat sur les Stratégies
de l’intertextualité dans l’œuvre policière de Paco Ignacio Taibo II. Il
dirige jusqu’à 2008 la revue Gangsterera, sur le roman noir, il a
collaboré avec diverses publications en France, en Espagne, à Cuba et au
Mexique. Son dernier roman, La Mélancolie des corbeaux, est paru en
2011.
Juan Hernàndez Luna
Juan Hernández Luna, né le 19 août 1962 à Puebla, au Mexique, et mort le 8 juillet 2010 à Mexico, est un auteur mexicain
de roman policier. Il étudie sans suite l'art dramatique. Il écrit dans divers journaux, et publie des romans, Unico
territorio (1990), Le Corbeau, la Blonde et les Méchants (Quizás otros
labios - 1994), puis Du tabac pour le puma (Tabaco para el puma - 1996), le prix
Hammett (1997), et le prix littéraire (2007) pour Cadáver
de ciudad. Il cosigne avec Rutés Monarques (2015).
La
señora Fernandez
J’ai essayé de faire suivre vos lettres
mais la souris [la fille Loreleï Lüger] a pris la clef des champs sans laisser
d’adresse. […] Finalement contre l’avis de maman, j’ai décidé d’ouvrir la
dernière [lettre] pour la faire traduire par notre voisine. La señora Fernandez
est une de ces espagnole un moustachues, constamment vêtues de noir, pour qui
tout est prétexte à vous du chocolat et des beignets en vous racontant leur
vie. Elle a beau résider en France depuis trente ans, son français n’est pas
bien bon, mais toujours meilleur que mon espagnol. D’ailleurs elle s’en fiche
maintenant qu’elle a l’intention de rejoindre l’Espagne républicaine pour y
mener à bien la révolution prolétarienne, à presque soixante-quinze berges.
L’aimable vieille dame m’a fait promettre
de vous conseiller d’oublier Loreleï Lüger. Méfiance de grand-mère, ou instinct
de femme, je vous transmets son avis, sans le partager, tellement la jeune
femme bonne impression. Mais pour sûr,
je n’ai fait que la croiser dans la pénombre d’un escalier, et vous et la
señora Fernandez, qui l’avez mieux connue, devez avoir un avis plus autorisé
sur la question. […] En regrettant d’être le messager de ces mauvaises
nouvelles, je vous envoie mes chaleureuses salutations (comme maman dit qu’il
faut finir une lettre).
Monarques (2015)
Sébastien Rutés et Juan Hernàndez
Luna
Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED
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