LA MERE HEROINE
DEMOCRATIQUE
REVOLUTIONNAIRE DANS LE ROMAN MONDIAL
En explorant
les titres du roman mondial articulé autour du thème “mère”, on pourrait relever au moins quatre ouvrages publiés ou traduits, à
savoir: “La mère” de Maxime Gorki (Russie -1907), “La
mère” de Pearl Buck (Chine/
USA - 1934), “La civilisation, ma mère!..” de Driss Chraïbi
(Maroc-1972) et “La croix de ma mère” de Gaston Bonheur (France -1988). Héroïne-sujet ou
héroïne-objet la femme-mère y est tantôt promue notamment par un ou plusieurs
fils, tantôt promouvant un fils ou plusieurs fils, vers démocratique
totalitaire ou libérale révolutionnaire réaliste ou irréaliste – quasi
donquichottesque. “Que peut-elle [la femme] espérer, s’interroge Jean
Cazeneuve, pour devenir autre chose qu’un objet, et même un sujet (…)? La
morale classique (…) lui donne le noble rôle d’être épouse et mère de famille
(…).Mais, dans cette fonction subalterne, c’est peut-être de son salut qu’il
s’agit, non de son bonheur. Aujourd’hui, toutes armes dehors, la femme combat
pour son bonheur …” – “Bonheur et civilisation”, Paris, Gallimard, 1966, pp. 104-105.
Pour mesurer l’impact politique la mère héroïne démocratique
révolutionnaire dans le roman mondial, il suffit de rappeler avec J. Cazeneuve
le préjugé militariste qui l’a historiquement
discréditée. “Dans l’histoire générale des civilisations, avise-t-il, on
observe presque toujours une domination des vertus viriles dans la période de
combat, de conquête, de révolution et d’instauration des Etats (…). De nos
jours, la revanche féminine s’exerce dans le sens opposé.” – Op.cit.,
pp.102-103. C’est ce qu’on perçoit à travers: 1) La mère héroïne-sujet
démocratique révolutionnaire mue par ses fils dans le roman mondial, 2) La mère
héroïne-objet démocratique révolutionnaire mouvant ses fils dans le roman
mondial.
1- La mère
héroïne-sujet démocratique révolutionnaire mue par ses fils dans le roman
mondial:
En fait, la mère héroïne-sujet démocratique révolutionnaire mue par son
fils serait, selon Bernard Dort et Bertolt Brecht, “un héros engagé dans le
monde, qui agit sur ce monde et qui est agi par lui” – “Lecture
de Brecht”,
Paris, Ed. du Seuil, 1960, p.94. Cela s’expliquerait par exemple, suivant Charles W. Mills, par
“un historique complet des sociétés démocratiques, faisant place à ce qu’on a
appelé la phase du «totalitarisme démocratique»
ou celle de la démocratie totalitaire” – “L’imagination
sociologique”,
Paris, Ed. Maspéro, 1967, p. 274. Dans le roman mondial, la mère héroïne-sujet
mue par ses fils s’incarne dans deux contextes politiques opposés: une
démocratie totalitaire – dans: “La mère” de M. Gorki -, et une démocratie libérale – dans: “La
civilisation, ma mère!..” de D. Chraïbi. D’où les les deux personnages romanesques de la mère
héroïne-sujet mue par ses fils dans le roman mondial suivants:
A- La mère
héroïne-sujet révolutionnaire mue par son
fils vers une démocratie totalitaire par
Maxime Gorki:
La mère héroïne-sujet révolutionnaire mue par son fils vers une
démocratie totalitaire se trouve littéralement préfigurée par M. Gorki par
l’instituteur Nikolaï Ivanovitch dans sa confidence à la mère de Pavel: “-…Je
parle des jeunes ouvriers: solides, sensibles, si avides de tout comprendre.
Quand on les voit, on se dit que la Russie sera la démocratie la plus éclatante
de la terre!” – “La mère”, Op.cit., p.389. En vérité,
l’itinéraire révolutionnaire de la mère pourrait se ramener à trois phases:
phase pré-révolutionnaire, phase d’initiation révolutionnaire, phase
révolutionnaire.
a- La phase pré-révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue
par son fils vers une démocratie totalitaire chez M. Gorki:
Le roman “La mère” de M. Gorki, paru 1905, se
passe sous le régne de la monarchie russe, autrement dit pendant
une phase pré-révolutionnaire. Et tel que l’écrit
L.P. dans son article: “Ce roman de Gorki se situe dans la Russie tsariste, au
lendemain de la révolution ouvrière de 1905 et alors que la répression
s’abattait sur les militants.” – “Réédition: La mère de Maxime Gorki”, www.lutte-ouvriere-journal.com, p.1. Cela
correspond donc ici, à la phase pré-révolutionnaire
de l’itinéraire de Pélagueïa Nilovna Vlassov, la mère de Pavel Vlassov. A titre
d’exemple, ce passage décrivant les séquelles de la phase pré-révolutionnaire
d’une mère soumise, brutalisée, écrasée par l’autorité tyranique de son ivrogne
et défunt mari Mikhaïl Vlassov. Elle apprit pour la première fois de son fils
Pavel adhéré au parti social-démocrate russe:
+ “Sans la regarder, à mi-voix (…)
Pavel se mit à parler.
- Je lis des livres interdits. On
interdit de les lire, parce qu’ils disent la vérité sur notre vie
d’ouvriers…Ils sont imprimés en cachette, et si on les trouve ici, on me mettra
en prison… en prison, parce que je veux savoir la vérité. Tu comprends” (p.20).
Auparavant, elle le sermonna en le
voyant boire comme feu son père:
- Ne bois pas, toi! Ton père a
bien assez bu pour toi. Et il m’a assez tourmentée… tu pourrais bien avoir
pitié de ta mère… ”
Pavel écoutait ces paroles tristes et
tendres, il se rappelait l’existence effacée et silencieuse de sa mère, du
vivant de son père, quand elle vivait dans l’attente angoissée des coups (…).
Une profonde balafre sous le sourcil droit le soulevait un peu et il semblait
que l’oreille droite aussi était plus haute que l’autre: elle avait l’air
d’être aux aguets, craintive” (p.15).
En réalité, c’est aussi la
condition générale des femmes de la classe ouvrière russe de l’époque relate le
narrateur dans le roman de Gorki:
+
“Quand on [les ouvriers] se rencontrait, on parlait de la fabrique, des
machines, on se répandait en invectives contres les contremaîtres (…). En rentrant [chez
eux], les hommes [ivres] se disputaient avec leurs femmes, et souvent les
battaient sans ménager les poings” (p.7).
D’abord hostile au militantisme
politique de son fils, la mère s’inquiétait de sa passion pour les livres
officiellement interdits et de son rigorisme incompatible avec âge, au point
d’être parfois mécontente de lui:
+ “Le nombre de livres augmentait
toujours sur la belle étagère qu’un menuisier, un camarade de Pavel, lui avait
fabriquée. La chambre prenait un aspect agréable (…).
Mais son inquiétude croissait et le
temps qui passait ne la calmait pas; le préssentiment de quelque chose
d’extraordinaire la poignait au coeur. Par moments, elle était mécontente de
son fils, elle pensait:
«Les autres vivent comme tout le
monde, mais lui, il est comme un moine… Il est trop sérieux… Ce n’est pas de
son âge» (p.19).”
Tenant à sa foi en Dieu, elle
intervint dans un dialogue entre son fils et le vieux Mikhaïl Rybine.
+
“- Pour ce qui est du Seigneur, vous devriez faire attention! Vous… bien sûr, vous faites comme vous
voulez! (…). Mais sur quoi une vieille femme comme moi s’appuierait-elle dans
son chagrin, si vous lui enleviez le Bon Dieu!” (p.74).
Ainsi
se boucle cette phase pré-révolutionnaire de
l’itinéraire de la mère héroïne-sujet vers une démocratie
totalitaire: anti-communiste, croyant en Dieu et soumise à sa condition de mère, veuve d’ouvrier opprimé.
Suivra la phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet vers une démocratie
totalitaire dans le roman mondial chez M. Gorki.
b- La
phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire
de la mère héroïne-sujet mue par son fils vers une démocratie totalitaire chez
M. Gorki:
Alarmée
par le comportement singulier de son fils Pavel, la mère héroïne-sujet dans le
roman de M. Gorki finit apprendre de lui ce qu’il fait avec ses camarades de
lutte pour une démocratque révolutionnaire:
+ “Et il lui parlait de ceux qui
voulaient le bien du peuple, qui semaient la vérité, et qui pour cela étaient
traqués comme des bêtes sauvages, mis en prison, envoyés au bagne, par les
ennemis de la vie…
- J’ai vu des gens comme cela!
s’écria-t-il avec ardeur. Ce sont les meilleurs qui soient au monde.
Ces gens n’inspiraient à sa mère
que terreur et, elle voulait encore demander à son fils: «C’est vraiment comme
ça?» (…) De nouveau des larmes jaillirent de ses yeux, et elle ajouta dans un
sanglot:
- Tu vas te perdre!” (p.24).
Puis, la mère reçut les camarades
invités chez elle par son fils et fit son premier contact avec leurs idées et
leur action.
+ “Un jour de fête, au milieu de la
semaine, Pavel dit à sa mère en s’en allant:
- Samedi, j’aurai des invités de
la ville. ”
- De la ville? Répéta la mère…
et, brusquement, elle hoqueta.
- Voyons, pourquoi pleurer,
maman?” s’écria
Pavel mécontent.
(p.26).
Elle écouta l’intervention de son fils Pavel
devant ses camarades et en fut touchée.
+ “Quand Natacha eut terminé, Pavel
se leva et demanda tranquillement:
- Ne rêvons-nous donc que
d’avoir le ventre plein? Non! répondit-il lui-même, en posant sur le trio un
regard droit. Nous devons montrer à ceux qui nous tiennent à la gorge et nous
bouchent les yeux que nous voyons tout, que nous ne sommes pas des idiots, ni
des brutes, que ce n’est pas seulement manger que nous voulons, mais vivre
comme des hommes dignes de ce nom! (…)
La mère l’écoutait, et elle frémissait de
fierté à l’entendre si bien parler.” (pp.37-38). Enfin, la phase révolutionnaire de la mère chez M. Gorki.
c- La phase révolutionnaire
de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par son fils vers une démocratie
totalitaire chez M. Gorki:
“Le monde, écrit J. Cazeneuve, est
trop occupé, en tout cas, à se battre, à conspirer et à voir la révolution [démocratique
libérale] se muer en ordre moral [démocratie totalitaire] pour se donner des
formules de bonheur. A chacun d’y trouver la sienne s’il a le temps d’y
penser.” – Op.cit., p.211. Or, la mère héroïne-sujet mue par son fils leader
local communiste accède progressivement à l’action révolutionnaire pour une
démocratie totalitaire. Ce fut le cas dans l’affaire de l’impôt du «kopeck»,
imposé par la direction aux ouvriers de la fabrique pour l’assèchement d’un
marais lui appartenant. Le narrateur relate emphatiquement:
+ “Pavel grandit encore aux yeux de
l’opinion publique après l’histoire du «kopeck» du marais (…).
Le lendemain [de la décision
administrative], après la messe, le fondeur Sizov, un beau vieillard et le
serrurier Makhotine, homme de haute taille et très irascible, vinrent [à la
maison] lui [Pavel] raconter ce qui se tramait (…).
Après les avoir reconduits, la
mère dit en souriant:
- Tu vois Pavel, voilà les vieux
aussi qui viennent faire provsion d’intelligence chez toi.
Sans lui répondre, le jeune
homme, soucieux, s’installe à sa table et se mit à écrire. Quelques minutes
plus tard, il lui dit:
- Je t’en prie, va tout de
suite en ville remettre ce papier!…
- C’est dangereux?
- Oui. C’est là qu’on imprime
notre journal (…).
C’était la première mission que
lui confiait son fils. Elle fut heureuse de voir qu’il lui disait ouvertement
de quoi il s’agissait.” (pp.79-81).
A l’arrestation chez elle d’Andreï
Onissovitch Nakhodka (Le Petit-Russien), camarade de son fils, la mère en
larmes défia haineusement l’officier gendarme qui la narguait quant à l’avenir
funeste de son fils Pavel:
+ “C’est encore trop tôt pour
pleurer, ma bonne dame! Prenez garde, il ne vous restera plus assez de larmes
plus tard!
Elle lui répondit, de
nouveau en colère:
- Les mères ont assez de
larmes pour tout… pour tout! Si vous en avez une, elle doit bien le savoir!”
(pp.67-68).
Après
l’arrestation de son fils pour sa prise de position dans l’affaire du «kopeck»,
elle s’employa pour introduire les tracts communistes dans la fabrique du
faubourg et détourner ainsi les soupçons qui pesaient sur ce dernier.
+ “La mère sourit. Elle avait
comprit: si les feuillets paraissaient à la fabrique, la direction doit
comprendre que ce n’est pas son fils qui les apporte. Et se sentant coupable
d’accomplir cette tâche, elle était toute frémissante de joie.
- Quand vous irez rendre visite à
Pavel, dit Iégor Ivanovitch [à Samoïlov], vous lui direz qu’il a une mère
épatante.” (p.98).
A
l’occasion de la manifestation du premier mai, son fils nouvellement libéré, en prit la
direction, en portant le drapeau du
parti suivi de sa mère. Il fut brutalement molesté
et arrêté par les forces armées et plus tard condamné à la déportation avec ses
camarades en Sibérie. Alors, la mère rejoint la ville et s’implique totalement
dans l’action révoltionnaire, bravant la police et la répression. Elle commença
par réapprendre à lire:
+ “Elle savait maintenant lire,
mais la lecture exigeait d’elle une attention concentrée, et elle s’en
fatiguait vite, cessait de comprendre le lien des mots.”
Mais l’action sur le terrain
l’attirait davantage: livraison des livres interdits, des appels et des
journaux, par exemple à Nicholaï Rybine et ses camarades paysans, qui
l’interpella:
+ “- …T’as apporté des livres,
Nilovna? ”
La mère lui jeta un coup
d’oeil, et répondit, après un silence:
- J’en ai apporté…
- C’est ça! dit Rybine
en frappant la table de la main (…). Vous voyez, on a arraché le fils des rangs, la mère
a pris sa place!” (p.266).
Enfin, l’étau de la répression se resserra,
après le procès, autour de la mère et de ses jeunes camarades – filles et
garçons – révoltionnaires, ils furent victimes d’une vague d’arrestations brutales
sans merci. Son dernier désir fut de diffuser au public le discours
de son fils devant le tribunal à Moscou, quitte à y laisser la vie. Le
narrateur en raconte:
+ “La mère détourna le regard et lui
tendit [à Ludmila] le discours de Pavel.
- Voilà, on vous prie de l’imprimer
au plus vite…” (p.463).
Mais elle fut dévoilée par un mouchard à
la gare du train et prise par des gendarmes et traînée de force au milieu d’une
foule ahurie:
+ “-… Hier on a jugé des prisonniers
politiques, [s’écria-t-elle], mon fils en était… Vlassov, il a prononcé un
discours, le voici!… Je le porte aux gens, pour qu’ils le lisent, qu’ils
réfléchissent à la vérité (…)”
- Prenez, prenez!
- Circulez! crièrent les gendarmes, en écartant
les gens qui cédaient à leurs poussées à contrecoeur (…).
La grande main rouge d’un gendarme s’abattit sur son cou, la secoua:
- Tais-toi! (…).
On la poussa dans la porte. Elle arracha une main à l’étreinte,
s’agrippa à un montant (…).
Un gendarme la saisit à la
gorge, la serra. Elle râla:
- Malheureux…
Quelqu’un répondit pas un sanglot.”(pp.480-485).
Ainsi, s’achève l’itinéraire de la mère héroïne-sujet révolutionnaire
mue par son fils vers une démocratie totalitaire, dans le roman mondial chez M.
Gorki. Mais nul n’avait su capter l’impact du message de cette mère mue par son
fils vers une démocratie
totalitaire, comme un plaidoyer en faveur des femmes dans leur participation politique
à l’action démocratique
révolutionnaire dans le monde.” – “Réédition”, Op.cit., p.1 Mais c’est
vers une démcratie
libérale que tend son homologue chez D. Chraïbi.
B- La mère héroïne-sujet révolutionnaire mue par ses fils vers une
démocratie libérale chez Driss Chraïbi:
Parallèlement, la mère
héroïne-sujet révolutionnaire mue par ses fils vers une démocratie libérale,
dans “La civilisation, ma mère!..” de D. Chraïbi, suit le même
itinéraire en trois phase: une phase pré-révolutionnaire, une phase
d’initiation révolutionnaire et une phase révolutionnaire. Dans ce roman, le
père, surpris par la révolte de celle-ci contre son autorité féodale l’accuse
d’agir à l’instigation du cadet de leurs deux fils, Najib: “- C’est Najib? a
demandé le rocher [le père] avec ce qui lui restait d’écume [cheveux] sur la
tête. C’est lui qui t’a appris la révolution bolchevique?(…)”. Pour la voir lui
répondre du tac au tac: “- Avant la révolution, peut-être bien qu’il y avait
une révoltée. Nagib n’a fait que me fournir les armes. On peut tirer un âne
avec une ficelle, mais non le pousser ” (p.135).
Fait généralement inconcevable, voire
quasi donquichottesque, comme une démocratie libérale dans les pays
sous-développés, dont le Maroc, selon Ahmed Benmoussa: “Le passage brutal d’un
féodalisme à la démocratie libérale telle qu’on la pratique en Europe est une
catastrophe. Donner trop de liberté à une masse incontrôlable, lui appliquer un
système politique libéral qui ne se conçoit que dans un milieu évolué, éduqué,
jouissant déjà d’un ordre social bien équilibré, est le commencement de
l’anarchie. Nous écartons évidemment toute dictature.” – “Le devenir des
pays sous-développés”, Confluents, Nº3, Octobre-Novembre,
Rabat, Inframar, 1959, p.330. Du fait, on y verra la mère passer par:
a- La phase
pré-révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par ses fils
vers une démocratie libérale chez D.Chraïbi:
Certes, la mère héroïne-sujet révolutionnaire
mue par ses
deux fils, chez D. Chraïbi, prend pafois, dans “La Civilisation,
ma mère!..”
au cours de son itinéraire révolutionnaire vers une démocratie libérale une
allure semi réaliste, donquichottesque, comparée à l’héroïne résolument
réaliste, dans le roman de Gorki. C’est
le cas par exemple, dans la phase pré-révolutionnaire de la mère
chez Chraïbi, décrite culturellement
xénophobe et archaïque, à l’état d’un homo faber:
+ “ Je [le fils aîné] revenais de l’école,
jetais mon cartable dans le vestibule et lançais d’une voix de crieur public:
- Bonjour, maman!
En français (…).
- Ecoutes mon fils, me
disait ma mère avec reproche. Combien de fois dois-je te répéter de te laver la
bouche [de la langue française] en rentant de l’école? (…).
- Et fais-moi le plaisir
d’enlever ces vêtements de païens
[Européens]!”
(pp.15-6).
Puis, le récit
extrapole vers
une quasi-utopie de cette mère héroïne-sujet pré-révolutionnaire
mue par ses fils comme fabriquante d’outil archaïque sclérosée [une parodie de
Ghandi en Inde]:
+ “J’allais me laver [le fils
aîné] la bouche avec une pâte dentifrice
de sa fabrication. Non pour tuer les microbes. Elle ignorait ce que c’était –
et moi aussi, à l’époque (microbes, complexes, problèmes…). Mais pour chasser
les relents de la langue française que j’avais osé employer dans sa maison,
devant elle. Et j’ôtais mes vêtements de civilisé,
remettais ceux qu’elle m’avait tissés et cousus elle-même.” (Ibid.).
La cause de cette autarcie anti-libérale
serait à imputer, selon le Dr. Driss Moussaoui, à la vie isolée des femmes dans
la société marocaine traditionnelle. “Le maintien des femmes dans un monde
closloin des problèmes pratiques, , note-t-il,
entraîne une dépendance matérielle, et par voie de conséquence,
affective vis-à-vis de l’homme (…). Habituées à réagir de façon stéréotypée à
des conditions spécifiques, tout se passe «comme si l’état de sujestion, imposé
par la société, l’éloignement des
responsabilités morales et religieuses, la claustration avec les petits
s’opposait à la maturité psychique».” –
“Approche sociologique des systèmes culturels éducatifs traditionnels”, PRO-C,
Nos5-6, Rabat, 1975, p.141. C’est aussi la marque de cette phase
pré-révolutionnaire de la mère chez D.
Chraïbi, dans ce passage du roman:
+ “Elle prenait l’un de mes
souliers et, s’en servant comme d’un marteau, elle enfonçait quatre clous de
charpentier dans le mur (…). Personne ne lui avait rien appris depuis qu’elle
était venue au monde. Orpheline à six mois. Recueillie par des parents
bourgeois à qui elle avait servi de bonne. A l’âge de treize ans, un autre
bourgeois cousu d’or et de morale l’avait épousée sans l’avoir jamais vue. Qui
pouvait avoir l’âge de son père.” (p.21).
Etat dans lequel celui-ci tentera de la
maintenir, en la voyant entamer sa révolution démocratique libérale contre son
autorité féodale, en sermonnant:
+ “- Les femmes de ta génération
ne pourraient pas en dire autant. Quand je t’ai épousée, tu avais treize ans.
Orpheline depuis toujours. Aucune famille. D’aucune sorte (…). Je t’ai élevée,
tu n’avais pas de passé, j’ai fait de toi une femme honorable, je t’ai facilité
la vie. J’ai résolu tous tes problèmes (…). Explique-toi. Parce qu’en mon âme
et conscience, je ne comprends pas (…).
- Eh bien, disait la voix
[la mère], j’ai grandi, moi aussi. Tu ne t’en es rendu compte? ” (pp.131-132).
Et c’est ainsi que commence la phase
d’initiation révolutionnaire dans l’itinéraire de la mère héroïne-sujet, mue
par ses fils, vers une démocratie libérale chez D. Chraïbi.
b- La phase d’initiation
révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par ses ses fils
vers une démocratie libérale chez D.Chraïbi:
Par
sa mise en contact avec le monde extérieur de la
civilisation occidentale, dans le roman de D. Chraïbi, la mère héroïne-sujet
révolutionnaire mue
par ses fils s’initie à progressivement à une
démocratie de type libérale.
“Et l’emprise de l’Occident, glose Paul
Butin, a été si forte que, jusqu’ici, le Maroc n’a pas encore pu se penser et
se définir, non seulement par rapport à la situation dans le Monde, et aux
grands problèmes de l’humanité, mais encore par rapport à ses propres problèmes
(…). Mais trop pris par les tâches quotidiennes de la politique, de
l’administration, de l’économie, il n’a pas pu se constituer une équipe de
penseurs, de philosophes, de chercheurs, pour essayer de définir les lignes
d’une civilisation nouvelle, où l’Occident ne sera pas servilement copié, mais
ses rapports digérés et assimilés, pour aboutir à une symbiose. Sans doute,
cette civilisation sortira peu à peu des tendances profondes du peuple marocain
et d’une sorte de consensus plus ou moins inconscient.” – “Du protectorat à
l’indépendance: Le transfert des cadres”, “Confluents”,
Op.cit., p.313.
Or, cette phase d’initiation révolutionnaire de la mère vers
la démocratie libérale passe par trois initiations:
b1- Son initiation aux nouveautés
techniques:
Les“ciseaux” et la “machine à
coudre”:
+ “Et alors
entraient en mouvement deux produits de civilisation, les premiers auxquels
elle [la mère] eût à faire face: les ciseaux et
la machine à coudre (…).
Entrait en transes trépidantes la machine Singer – un
de ces prototypes à pédale qui ont survécu à l’humanisme. Je l’ai là, devant
moi, dans ma [le fils aîné] bibliothèque vitrée. Mon seul héritage [de la
mère]. Entre les livres que j’ai écrits jaunissant et s’empoussiérant, et des
traités de management dont l’un affirme que la révolution ne se fait pas chez
Mao tse-Toung [démocratie totalitaire], mais chez Control Data [démocratie
libérale].”(p.23).
La radio (T.S.F.):
+ “- Qu’est-ce qu’ils [les
transporteurs] viennent faire ici [la mère]? Que contient cette énorme caisse?
Un cadavre en plomb? des pierres? des briques, ou quoi?”
- Mais non, maman, voyons! C’est
la radio.
- La radio? Mais qu’est-ce que ça
veut dire, la «radio»? (…).
- C’est une boîte qui parle (…).
-
Mais… mais comment? (…).
- Par magie.
- Ah bon! a dit ma mère, soulagée
du même coup. Comme les fakirs et les charmeurs de serpents? ” (pp.29-37).
D.
Moussaoui
explique la superstition par les us défensifs de la femme marocaine
traditionnelle: “Le deuxième bastion de défense de la
femme traditionnelle [après la maternité], est celui de la sorcellerie (…).
C’est pour cela, que nous pouvons constater, que même parmi les femmes les plus
instruites, issues d’un milieu traditionnel, persiste ce vague besoin de
retremper dans cette atmosphère occulte, au moment des difficultés.” – Op.cit., pp.126-127.
Le téléphone:
+ “En 1940, quand on nous installa
le téléphone, j’ai tenté de parler à ma mère de Graham Bell et des faisceaux
hertziens. Elle avait sa logique à elle – diluante comme le rire peut diluer
l’angoisse (…).
Je me contentai donc de lui
indiquer le mode d’emploi.” (p.54).
“Chaque fois que je revenais du
lycée, je la trouvais au salon (…) dialoguant (…) avec l’une des innombrables
correspondantes. Des gens (…) à qui elle avait téléphoné n’importe où dans le
pays (…), et qui étaient devenus ses amis.” (p.58).
Le cinéma:
+ “Il fallait brûler les étapes.
Pour sa seconde sortie, nous l’emmenâmes au cinéma (…). Elle participa à toutes
les péripéties de l’intrigue, suivit le héros comme si c’était son propre fils,
fut ses yeux, sa voix, son garde du corps, sa conscience, ne lui ménageait pas
ses conseils, critiquant, invectivant les autres personnages – debout, vivante,
échevelée. ” (pp.79-83), etc.
b2- Son initiation aux nouveautés
culturelles:
L’aîné
de ses deux fils entreprit de lui apprendre à lire et écrire à sa manière:
+ “Ce furent un cahier
d’écolier, un crayon, une ardoise, un bâton de craie et une méthode
audio-visuelle de mon invention que je n’ai pas pu faire breveter par la suite.
Une voyelle était un homme, une conçonne une femme, elles s’assemblaient pour
former des couples. S’il y avaient tant de consonnes pour cinq malheureuses
voyelles, elle [la mère] ne devait pas m’en accuser, moi - mais la société antiféministe. Oui,
parfaitement, une sorte de polygamie au niveau de l’alphabet, déjà. Avant la
grammaire, la culture et les lois sociales.
Elle apprenait avec avidité (…).
L’Histoire était sa passion parce que,
selon ma mère, «elle était pleine à craquer d’histoires» (…).
La géographie était aussi sa passion:
tant de peuples qui parlaient tant de langues et avaient tant de vies
différentes (…).
Je lui ai appris son corps.”(pp.90-91).
Puis, elle fait son apprentissage du
monde grâce à la voiture, achetée avec l’argent de poche de son fils cadet
Nagib:
+ “A bord de son automobile qui
faisait un bruit d’enfer, il nous conduisait, ma mère et moi, de taverne en
bouge, de plage en casino, de taudis en garage (…). Et elle apprenait les
rudiments de la mécanique. Avec les explications très simples de mon frère.”
+ “Ce fut dans une centrale
électrique qu’il lui apprit que la magie n’existait pas, que Monsieur Kteu
était un «vieux schnock pour bonnes femmes superstitieuses»” (…).
+ “Il l’emmena dans un studio de la
radio d’Etat où il avait ses entrées, lui présenta le vrai Monsieur Kteu
[Blaupunkt], le speaker. ” (p.96).
+ “Nous lui donnions de l’argent,
avec le mode d’emploi.” (p.97).
Et tel que l’affirme le Dr
Louis-Paul Aujoulat: “Elles [les communautés sous-développées] réclament des
techniques, mais c’est tout aussitôt pour les intégrer dans une mystique qui
s’accomode assez mal des froids calculs de l’Occident [libéralisme] (…). Ce qui
les intéresse, ce sont moins nos machines que la manière de s’en servir; ce qui
les trouble, ce n’est pas l’irruption de nos techniques, mais l’impossibilité
actuelle pour eux de les maîtriser ou de les ordonner selon leur vocation.” – “L’assistance
technique, nouveau mythe?”, “Confluents”, Op.cit., p.324. De
plus, dans cette phase pré-révolutionnaire de la mère vers la démocratie
libérale chez D. Chraïbi,
on observe:
b3- Son
initiation aux noveautés politiques:
Dans la phase pré-révolutionnaire
vers la démocratie libérale, la mère mue par ses fils dans le roman de D.
Chaïbi connaît une initiation aux nouveautés politiques. Dans une lettre, Nagib
en raconte les actions quasi
donquichottesques à son frère aîné bachelier, parti faire ses études
supérieures à Paris. Il en cite en l’occurrence:
Les cogitations philosphiques:
+ “C’est un vrai philosophe [la
mère].
- Nous, les humains, dit la
mère, nous ne pouvons pas faire comme lui [le cheval], revenir en arrière. Nous
sommes condamnés au progrès et à la civilisation industrielle. Tu n’es pas un
cheval?” (p.142).
Le
changement des meubles anciens de sa maison:
+ “Tout ce qui restait dans la
maison, elle l’a vendu. Au bazar, à la criée, assistée de deux stentors.
Meubles, tapis, tentures, coffres, vaisselle – même mon lit. J’y étais né
pourtant.” (p.145).
Le regain d’estime de la mère aux yeux
de son mari avouant à Nagib:
+ “- Rien que ça? Eh bien, je vais
te dire: c’est comme si j’avais épousé une nouvelle femme, que je commence à
connaître, tandis que celle que j’avais m’étais pratiquement inconnue.”
(p.160).
La prise de conscience politique et
de son devoir envers le bonheur de ses semblables, dans sa réplique à son fils
Nagib:
+ “Je n’ai pas besoin d’être
admirée, mets-toi ça bien dans la tête. Il faut que je m’occupe des gens, c’est
ma vie. Je ne peux pas, je-ne-peux-pas être heureuse quand d’autres sont
malheureux. A quoi me servirait toute ma science? A avoir bonne conscience? Mes
idées, mes acquisitions, mes émotions, il faut que je les traduise en actes,
pour moi et pour les autres.” (170).
Le soutien du père bourgeois féodal,
gagné enfin par le libéralisme de la mère contre ses adversaires politiques,
avouant:
+ “- Elle s’est mise à tout
bouleverser partout où elle passait. Et les gens venaient se plaindre d’elle,
attirer mon attention sur ce qu’ils appelaient ses «folies». Ils ressemblaient
tant à l’homme que j’étais auparavant. J’ai essayé de la comprendre, elle. Et
c’est elle qui m’a montré la voie.” (pp.176-177). D’où, la phase
révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par ses fils vers
une démocratie libérale chez D. Chraïbi.
c- La phase révolutionnaire
dans l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par ses fils vers une démocratie
libérale chez D. Chraïbi:
Dans la quatrième couverture du roman de
D. Chraïbi, on lit notamment: “Ce
livre est une chronique pleine de verve évoquant la révolution en cours dans
les pays d’Afrique du Nord [dont le Maroc]”. Cela se concrétise dans la phase
révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-sujet mue par ses fils vers
une démocratique libérale - quasi donquichottesque. C’est son impact politique
en faveur de l’indépendance nationale et de ses femmes, par:
Les sit-in contre la guerre au nom des
démocraties du monde:
+ “Elle a téléphoné à Meknès, Fès,
Marrakech, Rabat, Tanger. Puis au service du journal parlé (…).
- C’est trop, s’exclamait ma
mère. Beaucoup trop. Il faut faire quelque chose. D’ailleurs, les grands chefs
sont arrivés à Casablanca, de Gaulle en tête. J’ai l’intention d’aller le voir
(…).
Au chant du coq, elle était là,
dans ma chambre [Nagib], tenant un immense drapeau où les couleurs semblaient
jouer à saute-mouton.
- Toutes les démocraties sont là,
s’écria-t-elle, joyeuse. Certaines nations n’avaient pas de drapeau, sous
prétexte qu’elles sont colonisées ou sous tutelle. La belle affaire que voilà!
Je leur en est fabriqué: elles y ont droit. Chaque pays démocratique a son
drapeau, de dimensions égales (…). Allez, debout, les vivants! (…). Drapeau en
tête (…). Derrière nous, la marée humaine entonnait le chant de l’Espérance…”
(pp.107,114).
L’indépendance nationale enfin acquise,
selon son fils Nagib:
+ “A l’heure de l’Indépendance, ma
mère était à bord de la locomotive, et non dans un compartiment de première
classe – encore moins dans le wagon à bagages. Elle était de tous les meetings,
prenant des notes, n’hésitant jamais à contredire et faire se contredire
l’orateur (…).
Sa bande de copines lui servait de
claque, la mienne assurait le service d’ordre et, moi, j’étais là, debout au
milieu de la salle. Le politicien était coincé, il ne pouvait pas se
sauver.”(pp.178-179).
Les partis et les leaders politiquesen conflit
avec elle:
+ “Elle se brouilla avec les
démocrates, les conservateurs et ceux qu’elles appelaient les «progressistes à
hue et à dia» Très poliment, sans trop d’éclats. Mon père était là qui
raccompagnaient les leaders en leur promettant de leur verser son obole pour
leurs caisses électorales. Et moi, je riais, ce qui les mettaient de bonne
humeur, je ne sais pas pourquoi.” (p.180).
Les déjeuners-débats femmes et leurs
débordements:
+ “Le dimanche, j’étais sur les routes.
Ma mère avait institué avec ses amies les «déjeunes débats hebdomadaires par
roulement», tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre – et ses amies étaient
légion et elles habitaient n’importe où dans le pays, du Nord au Sahara en
passant par les chaînes de l’Atlas (…).
J’ai vu ceci des femmes
répudiées sur-le-champ parce qu’elles savaient plus que leurs maris. Et ma mère
a applaudi. Elles aussi – devenues plus heureuses (…).
On nous jeta des pierres, on
creva les pneus de la voiture. (…).Sur le chemin du retour, ma mère me dit:
- Je sais ce que je vais faire.
Puisque j’ai tant de difficultés pour aller voir mes amies, je vais leur dire
de venir. Ainsi, je serai près d’elles, tous les jours de la semaine. ”(pp.163,169).
Le départ de la mère à la découverte
de l’Occident:
+ “Au fil des semaines, plus
personne ne vint chez nous [chez la mère]. Mêmes les policiers qui veillaient
sur nous finirent par lever le siège. Ma mère resta là, avec ses idées, son
ardeur, sa soif de vérité pour elle toute seule (…).
Toute la nuit, nous l’avons
aidée à boucler ses valises, tandis qu’elle pleurait, fumait, riait (…), nous
expliquant pourquoi elle partait (…), j’irai à la découverte de cet Occident,
j’ai besoin de faire reculer mon horizon, de constater, de faire le bilan.
«Oui, chérie, disait Pa [le père]».” (pp.180-181).
Et comme le prône la quatrième
couverture, la mère héroïne-sujet révolutionnaire chez D. Chraïbi a suivi le
même itinéraire que celle mue celle de M. Gorki, pour rejoindre une démocratie
libérale quasi utopique en devenir: “De la civilisation pré-industrielle
[féodalité] aux technostructures américaines [démocratie libérale], on assiste
à l’évolution de cette femme qui, peu à peu, acquiert une conscience politique
et mène une carrière publique [quasi donquichottesque] au nom de l’Indépendance
et du Féminisme; et à travers elle,
c’est le destin du Tiers-Monde [ le
Maroc] qui est symbolisé.” (Idid). Inversement, s’inscrit la mère héroïne-objet
démocratique révolutionnaire mouvant ses
fils vers une démocratie totalitaire ou libérale, dans le roman mondial.
2- La mère
héroïne-objet démocratique révolutionnaire mouvant ses fils dans le roman mondial:
De façon inverse, s’incarne la mère héroïne-objet
révolutionnaire mouvant ses fils vers une démocratie totalitaire ou libérale,
dans le roman mondial. On pourrait la définir selon B. Dort citant les
personnages de Brecht, comme suit: “Ils sont à peine des personnages: plutôt
les objets et les signes de la grand’peur et de la misère des victimes.” – “Lecture
de Brecht”, Op.cit., p.126. C’est le cas dans le roman de forme
réaliste, comme: “La mère”
de Pearl Buck (USA/ Chine -1934 ), ou de forme semi réaliste - voire
donquichottesque, comme: “La croix de ma mère”
de Gaston Bonheur (France - 1976). D’où corrélativement:
A- La mère
héroïne-objet révolutionnaire mouvant ses fils
vers une démocratie totalitaire par P. Buck:
Le roman “La mère” (“The
Mother”- 1934), est l’oeuvre de la romancière américaine, Pearl
Sydenstricken, dit P. Buck (1892-1973), prix Nobel de littérature en 1938 – qui
a vécu toute son enfance et sa jeunesse avec ses parents, missionnaires
fondamentalistes, à la ville de Chinkiang, en Chine . Le personnage
de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une
démocratie révolutionnaire totalitaire y semble concevable à son insu. “Tels
ceux [les personnages], en dirait B. Dort, qui sont directement issus de la
«masse» - de ce peuple en proie à la terreur de l’Histoire – et qui se
différencie à peine d’elle (…): ils témoigne de la souffrance des opprimés.” –
“Lecture de Brecht”, Op.cit.,p.126. En outre, celle-ci passe
également, dans son itinéraire démocratique révolutionnaire, par les trois
phases: pré-révolutionnaire, d’initiation révolutionnaire et révolutionnaire. Ce sont notamment:
a- La phase pré-révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-objet
mouvant ses fils vers une démocratie
totalitaire chez P. Buck:
Pourtant, la mère
chez P. Buck n’a qu’une conscience
partielle du monde dans son ensemble, mais qui va s’élargissant. “Elle n’a pas
de vision d’ensemble de la société, écrit O. Wilde. Ainsi, elle ne se rend pas
compte de l’ampleur que commence à prendre le communisme [démocratie
totalitaire en Chine]. Pour elle, c’est surtout des jeunes qui s’amusent comme
ils peuvent et qui feraient mieux de se marier.”– “La mère (the
mother)”, www.renardbiblio.canalblog.com, p.4.
Cela est visible dans:
La dépendance
de la mère du sol et de la progéniture:
+ “Il est vrai que tous jours se
ressemblaient pour la mère, mais elle n’en ressentait aucun ennui, satisfaite
de leur roulement. Si on l’avait questionné sur ce point, elle eût (…) répondu:
«Mais le paysage change des semailles à la moisson; puis viennent les récoltes
sur nos terres, le fermage de celles que nous louons à payer en grains au
propriétaire, les congés des fêtes et du nouvel an, les enfants eux-mêmes se
transforment et grandissent, d’autres naissent. Je ne vois que des changements
qui, je vous le promets, me forceront à travailler de l’aube à la nuit!»”
(p.36).
L’indépendance affective puis
effective du mari à cet égard:
+ “Mais il y avait l’homme. Rien
ne changeait à ses yeux, même avec le temps; rien ne changerait jamais. La
venue de ces enfants que sa femme chérissait ne représentait pas une chose
nouvelle, car ils naissaient de la même manière, et l’un ressemblait à l’autre.
Il fallait les vêtir, les nourrir; plus tard, on les marierait, puis d’autres
enfants naîtraient (…).
Les récoltes ne lui appartenaient
pas entièrement; il fallait en prélever une partie pour le propriétaire et une
autre aussi pour payer son agent. La pensée de cet agent était insupportable au
jeune homme, car il représentait le
citadin qu’il eût tant désiré être: vêtu de soie douce, la peau pâle, blonde,
avec ce quelque chose d’onctueux qui révèle l’habitant des villes, occupé à une
tâche légère, et bien nourri.” (pp.47,49).
Le départ définitif du mari après une dispute avec la mère:
+ “ « Votre père … n’est-il pas
encore là?
- Il n’est pas venu et
nous avons faim!» s’écria le gamin, et la fillette fit écho (…).
Alors la mère sut que lui
aussi était parti (…). Voilà bien, il était parti! Elle restait là avec les
trois enfants et la vieille femme [la belle-mère] – lui était parti!”
(pp.79-80, 82). S’en suit la phase d’initiation pré-révolutionnaire de cette
mère.
b- La
phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire
de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie totalitaire chez
P. Buck:
“Le problème de la femme, constate
Zhang Xihou, est un des thèmes d’un Quzici [poésie chinoise] qui,
en dépit du préjugé de la société féodale, en vertu duquel la femme était
méprisée et assujettie, criait à l’injustice, pour le malheur de celle-ci,
quels que fussent les niveaux sociaux, et faisait entendre la voix de la
protestation du beau sexe outragé et indigné. ” – “Splendeur de la
littérature de Dunhuang”, “Littérature chinoise”, Trimestre
1, 1988, p.27. Or, la phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire
de la mère héroïne-objet mouvant ses
fils vers une démocratie totalitaire, dans le roman mondial, chez P. Buck peut
être perçue à travers:
La prise des deux fils par la mère
comme substitut du père:
+ “Puis vint le jour fixé pour le
partage de récolte avec le propriétaire (…). L’agent passait chez chaque
fermier du village et la mère était sur le pas de sa porte, derrière le grain
entassé sur l’aire, lorsqu’il parut (…).
La mère envoya son fils chercher
le cousin (…), tellement elle avait confiance dans l’honnêteté de son parent .
Mais elle voyait morceler sa provision, et il lui était pénible ainsi qu’à tous
les autres de se séparer, pour cet élégant monsieur, d’une part qui lui avait
coûté tant d’efforts (…).Cependant, après le festin [offert à l’agent], (…)
elle ramassa un os qui restait de sa poule (…) et le donna à sucer à son fils
[aîné] en disant: «Dépêche-toi de grandir, mon garçon, et tu pourras souper
avec eux, toi aussi!»
Le petit demanda ingénument:
«Mais mon père me le permettra-t-il? »
La mère répondit avec amertume:
«S’il n’y est pas, tu prendras sa
place, je te le jure!»” (pp.92-95).
La mère objet de séduction de la part
de l’agent du propriétaire:
+ “Ainsi, il [l’agent] se montra gai
ce jour-là quand il vint à la maison, où comme il le savait la mère habitait
seule, sans son mari. Il cria joyeusement à l’aîné de ses garçon: «Je vois que
ta mère peut se passer de ton père! »
Et le gamin, ravi, dandina son
petit corps et se vanta, timide et fanfaron à la fois: «Oh oui, je fais ma
part.» (…)
Il prit le bol [de thé] qu’elle
lui tendait et lui toucha la main comme par inadvertance. La femme, saisie par
ce contact, en comprit la signification brûlante.” (pp.134-135).
Le camouflage du départ du mari pour
garder ses fils au foyer:
+ “L’aîné était devenu homme
trop vite, semblait-il, toujours silencieux, sans un mot à dire (…). Et son
coeur [la mère] avait beau être ému de pitié pour sa fille [aveugle], celle-ci
ne lui causait aucune joie.
Le dernier-né seul était sain,
vigoureux et gai.Il ressemblait à son père, et de plus en plus l’amour que la
mère avait eu pour son homme se portait sur ce fils [enclin au jeux et à
l’oisiveté].” (pp.206-207). De la sorte, la mère héroïne-objet révolutionnaire,
semble guider inconsciemment ses fils,
vers une démocratie totalitaire naissante.
c- La phase révolutionnaire
de l’itinéraire de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie
totalitaire chez P. Buck:
O.
Wilde y décèle
aussi les obstacles de la prise de conscience tardive du communisme (démocratie
totalitaire), par la mère chez P. Buck: “Quand elle parle de mariages arrangés
à la façon des chinois, ou alors quand elle évoque leurs superstitions et
rapports aux dieux, elle ne met pas ses gros sabots (…). On retrouve la même
chose au moment où elle parle du communisme: l’auteur donne des indices de ce
que c’est, et ne le nomme que tardivement.” – Op.cit., p.2. C’est en quelque sorte la phase révolutionnaire de l’itinéraire
de cette mère
héroïne-objet mouvant ses fils vers une
démocratie totalitaire naissante, en Chine, vers 1934. En témoignent:
Les représailles des dieux contre le
péché de la mère avec l’agent dans leur sanctuaire:
+ “Après le jour de l’enterrement
[de sa vieille belle-mère], la mère continua de s’acharner au travail, bien que
toute hâte fût devenue inutile (…). Le pire [la grossesse] l’atteignait, elle,
la mère d’enfants mâles, maîtresse de maison honorée de tout le hameau, et
maudit ce jour d’orage et ses folles ardeurs.” (pp.162-163).
L’avortement nocturne dans le
sanctuaire avec l’aide de sa cousine:
+ “La mère se souvint du sanctuaire au bord du
chemin, isolé le jour, et complètement désert la nuit.Les deux femmes s’y
dirigèrent; la mère but la décoction et s’étendit par terre pour attendre (…).
La mère devait endurer tant bien que mal son supplice (…).
La cousine s’avança, prit ce
qu’elle devait enlever et le mit dans une natte qu’elle avait apportée; elle le
palpa avant de l’envelopper et murmura d’une voix triste: «Ç’aurait été un
garçon. Vous êtes une mère privilégiée de porter en vous tant de fils!»
La mère gémissait: «Il n’y en
aura plus jamais à présent!»” (pp.178-179).
La cécité mortelle de sa fille et la
stérilité de la femme de son fils aîné dues à la malédiction de son péché:
+ “La mère évita de remettre le
sujet sur les natures ardentes; elle craignait de se voir rappeler sa faute
ancienne (…). La mère, du reste, l’eût sans doute oublié elle aussi [comme sa
cousine] tant les jours de sa chair lui semblait lointains. Mais la cécité de sa
fille [morte mariée], le manque d’héritier chez son fils [aîné] le lui
rappelaient, car elle craignait avoir commis un véritable péché et en être
punie [des dieux] par ses deux malheurs. ” (p.253).
L’ignorance par la mère des
communistes assimilés par les gens à des brigands amis des pauvres:
+ “ «…Nous [la mère et son fils
cadet] ne risquons rien tous les deux. Je n’ai pas entendu parler de brigants
dans les environs, ces temps-ci, en dehors de cette nouvelle sorte de gens en
ville qu’on appelle communistes, mais on prétend qu’ils n’en veulent pas aux
pauvres.»” (p.256).
L’arrestation et l’envoi de son fils
cadet comme communiste à l’échaffaud en ville:
+ “Alors le fils [aîné] articula
péniblement: «Mon cousin a vu… Il a vu
mon frère parmi beaucoup d’autres. Il avait les mains attachées derrière son
dos par des cordes de chanvre, les vêtements en lambeaux, et il passait sur le
marché où mon cousin vendait son herbe (…). Mon cousin a posé des questions et
les gardes qui formaient l’escorte ont répondu qu’il s’agissait de communistes
qu’on emmenait en prison pour les mettre à
mort demain.»” (p.296).
Historiquement, B. Brecht, en décrit
l’actvisme, dans “la Décison”, ainsi: «Aux travailleurs chinois,
nous [les bolchevicks] apportons les enseignements des classiques et des
propagandistes, l’abc du communisme; à ceux qui sont dans l’ignorance, la
connaissance de leur condition; aux opprimés, la conscience de classe, et aux
ouvriers conscients, l’expérience de la Révolution.» - Op.cit., p.89.
La mère spectatrice impuissante et
réprimée de la mort son fils cadet sur l’échaffaud:
+ “Ses plaintes ne durèrent pas
longtemps, car un garde s’avança des portes de la prison et la frappa
brutalement avec son fusil; il rugissait: «Va-t’en, vieille sorcière!» Les deux
hommes [le fils aîné et le cousin] eurent peur et obligèrent la mère à se
mettre debout ; ils la replacèrent sur l’âne et reprirent lentement le chemin
de la maison (…). Non, son fils était mort, bien mort, elle le savait…”
(pp.312-314).
La naissance du fils de son fils aîné
lui rend de nouveau la joie de vivre:
+ “L’enfant était là, elle n’en avait jamais
vu de plus joli (…) Elle se pencha, le saisit dans ses bras et le sentit contre
elle, chaud et fort, plein d’une nouvelle vie.” (p.317).
Aussi, même
inconsciemment semble-t-il, l’itinéraire de la mère héroïne-objet
révolutionnaire mouvant ses fils vers une démocratie totalitaire chez P. Buck
s’achève sur une note d’espoir, au-delà du tragique de l’histoire, en une
société humaine et plus juste à l’avenir. “Et bien sûr, note Kathax Pollitt
concernant P. Buck, c’était une femme qui, circonstance aggravante, écrivait
sur d’autres femmes.” – “Pearl Buck, trop vite célèbre”, “Lire”,
février 1997, p,2
B- La mère
héroïne-sobjet révolutionnaire mouvant
ses fils vers une démocratie
libérale chez G. Bonheur:
Daniel Armogathe avance, selon Herbert Marcuse: “Il
appartient au mouvement révolutionnaire des femmes de subvertir l’ordre
historique nasculin…”- “De Lilith au M.L.F., les ambiguités de l’histoire au
féminin”, “L’Histoire - 2”, Paris, Ed. Marketing, 1980,
p.210. Toutefois, la mère héroïne-objet révolutionnaire mouvant ses fils vers
une démocratie libérale s’incarne à travers une vision pseudo-réaliste, voire
donquichottesque chez le Français Gaston Bonheur (de son vrai nom G. Tesseyre:
1913-1980). En fait, il s’agit d’un destin funeste et héréditaire d’une mère,
Céleste Miranda, pesant sur ses deux fils- Alban et Roland- et sa fille - Bérengère
Hondedieu, un lignage marqué par le sceau de la mort, depuis les Croisades et
les Cathares jusqu’à la Guerre d’Algérie, transmuée sarcastiquement en “Algérie
colonie occitane” et partie d’une
“République Populaire Romane” fantoche. De par son nom et un bijou muni d’une
croix, son pouvoir occulte se perpétue tragiquement jusqu’au bout à travers son
fils Alban, notamment.
Or, l’itinéraire révolutionnaire de cette mère déjà morte
mouvant ses fils vers une démocratie libérale utopique se déroule également en
trois phases: pré-révolutionnaire, d’initiation révolutionnaire et
révolutionnaire.
a- La
phase pré-révolutionnaire de l’itinéraire de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie libérale
chez G. Bonheur:
Certes,
Alban Hondedieu, le fils-auteur-exécuteur
testamentaire
du legs démonique
maternel, est un lecteur assidu de “Don
Quichotte” de Miguel de Cervantès (1547-1616). Il s’attribue lui-même cette manie démentielle
dans: “Alban Hondedieu, écrivain intermittent, se plaisait à vérifier sur pièces la vanité de l’Histoire
(…). Il repose le porte-plume réservoir et alla se coucher.
Comme le sommeil tardait encore à venir, il lut un chapitre de «Don Quichotte».
Le lecteur aura deviné que c’était son livre de chevet.” (pp.10,71). Il
confectionne alors les stigmates d’une malédicton séculaire de la mère
héroïne-objet révolutionnaire macabre mouvant ses fils vers une démocratie
libérale (un communisme dans un cadre libéral) donquichottesque, à travers notamment:
Le nom
de famille simulacre d’une croix de croisé:
+
“En fait, Alban avait souvent réfléchi à son nom et s’était fabriqué
une origine à la fois modeste et orgueilleuse. Modeste parce
qu’on sortait du rang. Orgueilleuse parce qu’il s’agissait des croisades où son ancêtre, pensait-il, avait
vaillamment servi les comtes de Toulouse, rois de Jérusalem (…). Hondedieu
n’était que la déformation, dans le style scrogneugneu, de l’admirable
commandement: «Au nom de Dieu, en avant!» Hondedieu était devenu un surnom, puis
quand il prit la retraite à Perdigou, sur des terres concédées par le
comte, la joue fendue d’un terrible coup de cimeterre, ce fut son nom.
Un
nom qu’Alban portait comme une croix, car, en pension, et même
à la guerre, ce nom faisait rire. Mais cette croix, il se l’était mise sur la poitrine.
Il s’en était fait une croix de croisé.” (pp.15-16).
Le
bijou maternel cathare avec la croix des comtes de Toulouse:
+
“Un regard suffit. C’était un bijou de famille, d’allure un peu cathare. La
colombe symbolique, en or blanc avec deux brillants en guise d’yeux, déployait
ses ailes sur une roue de rubis sertis dans l’or brun, le tout, de la grandeur
d’un écu, suspendu à une chaîne à lourdes mailles. Sa mère [Alban], née Céleste Miranda, l’avait
accroché elle-même autour du cou d’Antonin [son petit fils], le jour
où il était parti en pension à Sorèze. L’enfant n’avait jamais
quitté son sautoir, même pour nager, et la colombe l’avait
accompagné sur le front russe [où il fut tué] (…).
Il
[Alban] eut un sourire un peu crispé:
-
Cela fait un peu trop «croix de ma mère», vous ne
trouvez pas?”
(p.29).
De la
sorte, la phase pré-révolutionnaire
de l’itiénaire de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers
une démocratie libérale utopique résiderait dans un hérédité funeste, léguée
tragiquement à sa descendance. De là, la phase d’initiation
révolutionnaire de son itinéraire.
b- La
phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire
de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie totalitaire chez
G. Bonheur:
En effet, B. Dort reconnaît avec B.
Brecht un lien de réconciliation révolutionnaire possible entre
l’Histoire et l’Utopie: “S’il [Brecht] nous montre le passé et le «monde
tel qu’il va», ce n’est plus pour que nous les refusions en bloc, mais afin que
nous les comprenions. Leurs contradictions objectives ne renvoient plus
seulement à notre aliénation subjective: elles sont sources de transformations
[révolutions]. Rien n’existe en soi; l’Histoire ne se
fige jamais en Terreur. Le monde est ouvert. Entre l’Histoire et l’Utopie, un
mouvement incessant s’organise, une réconciliation s’esquisse.”
– Op.cit., p.172. Ainsi, la phase d’initiation révolutionnaire de l’itinéraire de la
mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie libérale
chevaleresque chez G. Bonheur s’inscrit dans une terreur séculaire
de morts violentes et d’oppressions frappant sans cesse les parents de cette dernière, faisant de ses fils des révolutionnaires en puissance
et des terroristes invétérés. On le voit dans:
La mort dans un accident d’avion, de moto et par noyade de ses quatre
neuveux:
+
“Au bout du labyrinthe, sur un tertre dominé par la cricifixion, se tenaient
les morts, représentés debout. Les quatre frères de Montrastruc
entouraient leur mère, née Héloïse Miranda [soeur de
Céleste, la mère d’Alban]. Une assemblée de fantômes blafards (…). Les quatre
frères avaient péri d’accident en pleine jeunesse, en pleine beauté. Jean,
que le sculpteur avait représenté en casque d’aviateur, une hélice cassée à ses pieds, s’était écrasé
avec son biplan dans un champ proche de la rivière. Jacques, lunettes de
pierre autour du cou, avait raté un virage, avec son énorme moto américaine et
s’était fracassé contre un platane à moins d’un kilomètre d’ici. Pierre et Paul,
statufiés ensemble (…), s’étaient noyés dans le canal du Midi, l’un en portant
le secours à l’autre. La mère, le sculpteur l’avait
drapée comme la fatalité elle-même. Elle n’avaient pas voulu survivre à ses fils.” (pp.57-58).
Le suicide de la soeur de la mère et la mort en duel de son
beau-frère:
+ “Sa foi [Héloïse] lui interdisant le suicide, elle avait
cherché désespérément l’accident (…).
Elle eut la chance de tomber un jour dans l’escalier et de se faire une
petite plaie au genou.Elle n’en parla à personne et supporta le mal
enveniméqui la
gagnait, jusqu’à mériter de mourir de la gangrène (…). Héloïse Miranda, la tante d’Alban,
célèbre pour sa beauté brune, avait épousé, à l’aube du siècle, un hussard (…). Le général avait été tué au
pistolet, dans un verger sous les remparts de Carcassonne, par un violoniste
allemand qui charmait les soirées de sa jeune épouse avec des airs portants sur
les nerfs.” (p.58).
La
mort dans une crue de ses cousins germains San Blanca:
+
“Le général Montrastruc [beau-frère de la mère] avait une soeur,
Herminie, qui avait épousé un San Blanca. Leur fils Baptiste San Blanca, un
cousin germain des quatre morts, un cousin par alliance d’Alban (ils étaient
ensemble à Sorèze), survivait à une autre tragédie (…). La
crue subite d’un affluent d’Aude gonflé par toutes les pluies de Montagne Noire
avait emporté corps et bien la berline B14 où avaient
pris place son épouse,
son fils, sa bru et ses deux fils. La dernière-née, un bébé, Aurore,
devait à une coqueluche qu’on l’ait laissée à la maison, avec son grand-
père.” (pp.59-60).
La
mort dans un accident ferroviaire des parents de Paule, la protégée de son fils
aîné:
+ “Les parents de Paule avaient trouvé la mort dans un horrible accident
de chemin de fer comme il s’en produisaient en ce temps-là, aux portes de Toulouse, et
l’orpheline avait été élevée par sa grand-mère veuve qui
faisait quelques journées à la vigne pour les Hondedieu. Elle avait grandi dans
l’amitié du village, puis dans l’amour de Roland [frère d’Alban]” (p.198).
La
mort par la grippe espagnole de Clémentine Sarrazin la femme d’Alban:
+ “De vieux souvenirs, comme des bouffées de clairon, traversèrent la mémoire d’Alban; son
biplan à cocardes sur l’herbe givrée de Francazal, les
dizaines de corbillards à la queue leu leu de la grippe espagnole, une
jeune morte dont il était veuf, et ce bébé baptisé Antonin que sa naissance aux
portes du cimetière vouait à la tragédie [tué au front
russe en 1944].” (158).
Cette phase pré-révolutionnaire a conduit, semble-t-il, sous le signe
d’une malédiction macabre de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers
une démocratie
libérale hétérodoxe, à une prise de conscience a-historique de ces
derniers de leur destin révolutionnaire tragique, tel que le devine Julien le
manant d’Alban quand il l’entendait dire:
+ “- …Ça [les fusils] nous fait un
alibi. On est censé aller voir s’il y a de la palombe [colombe ou bijou de la mère] à Mijane (…).
Julien renfonça un peu plus sa tête ronde et rase (…). Il
jouait le jeu [donquichottesque] sans récriminer. Cela faisait partie de leur
fraternelle entente. Tous les Hondedieu, on le sait, poursuivent depuis des siècles un obscur combat. De
défaite en défaite [les morts], ils font durer le rêve d’une liberté perdue.
Mais ce rêve, c’est justement la liberté [une démocratie libérale excentrique].”
(p.54). En ressort donc la phase révolutionnaire de la mère héroïne-objet chez G. Bonheur.
c-
La phase révolutionnaire
de l’itinéraire de la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie
libérale
chez G. Bonheur:
En effet, Gorges Lukacs, arguait contre l’héroïsme belliqueux de la
social-démocratie en 1914: “Ma plus intime position était un refus véhément ,
global et, surtout au début, peu articulé de la guerre, mais plus encore de
l’enthousiasme belliqueux.” – “La théorie du roman”, Poitiers,
1963, p. 5. La phase révolutionnaire de l’itinéraire de la
mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie libérale
utopique chez G. Bonheur ne diffère en rien de l’idéal belliqueux de cette
social- démocratie militariste par essence. L’accablement séculaire de la race
de la mère par un destin lié à ses
fétiches fait
de ses fils les croisés farfelus d’une république fantoche et d’une pseudo
démocratie libérale terroriste . Ayant appris par une lettre qu’il n’avait
d’héritier de son fils Antonin, tué au front, Alban dit à sa soeur Berengère:
“- A ranger, avec les souvenirs d’Antonin. Il n’y aura pas de suite [des
fils maudits].
Ils restèrent un long moment silencieux. Tout se
passait comme si la première intervention du notaire de Figueras avait déclenché une espèce de machine infernale,
comme si l’étrange bijou des Miranda revenu dans une
boîte de bristol blanc était doué d’un pouvoir [une fatalité], comme si cette roue de rubis,
supportant une colombe écartelée, s’était mise à tourner. Si bien que pour le frère et la soeur, même les dix-sept attentats
[de l’OAS] qui venaient de bouleverser Paris appartenaient au roman-feuilleton
qu’Alban avait intitulé, une fois, dans son oeuvre, comme pour en souligner le
mauvais goût, «la croix de ma mère».” (pp.232-233). C’est alors
qu’Alban comme par magie se lance dans une action terroriste pour la fondation
d’une République Populaire Romane
fantoche, une démocratie libérale utopique. Il y est question de:
La
république terroriste fantoche de l’O.A.S. contre l’indépendance de l’Algérie
et la France libérale:
+ “Le lendemain matin, en écoutant la radio, Bérengère eut le sentiment qu’on
lui donnait des nouvelles de ses frères [Alban et Roland]. Une
bombe avait explosé dans la nuit à Fanjeaux, non loin de
l’église-forteresse, et la maison des dominicains, dont les jardins s’étagent
sur la pente, avaient subi de sérieux dégâts. L’attentat n’était pas
signé mais, à l’évidence, il s’agissait de l’O.A.S. qui
manifestait ainsi sa vaindicte contre l’attitude trop libérale des dominicains
en faveur de l’indépendance algérienne.” (pp.205-206).
L’autodestruction d’une révoltion terroriste donquichottesque:
+ “Alban s’était agenouillé dans
l’épaisseur des feuilles mortes. Ici [Mijane] tout lui disait que sa folie
[république fantoche] était d’avance condamnée. Mais tout lui disait aussi que
le temps était proche où il faudrait faudrait savoir mourir comme on
fait dans cette race des Miranda à laquelle il appartenait par
sa mère.
Il revint de Mijane avec une âme sereine, le ceur
assombri, l’esprit lumineux. «Satanaël» [Satan], répéta-t-il, et il pensa à son cher Don Quichotte
s’élançant contre les géants obscurs.” (p.239).
Le
drapeau amalgame de l’Etat fantoche et son incinération :
+ “Sur l’autre [tourelle] flottait un immense drapeau rouge marqué
de la croix de Toulouse [le bijou de la mère]. Le lieu était sûr, car on ne pouvait y accéder
que par une voie privée taillée dans les rochers et gradée par les miliciens de
Pons [le colonel], les rudes hommes de la Wilaya II [Algérie-Occianie]qui
avaient ajouté à l’écusson, embrassant la croix de Toulouse, une faucille et un
marteau [emblème de la république fantoche d’Alban].” (p.261).
+ “La nuit tombe plus vite en septembre. Personne ne pourra voir que
nous amenons le drapeau qui a flotté tout un mois sur le château des Trencavel. Sur le
petit pont qui précède l’entrée, on a amené un brasero plein de
charbons rouges, et c’est moi [Alban] qui après avoir replié l’étoffe et
l’avoir baisée la jette dans la bouche ardente . ” (p.292).
La
fin tragique d’Alban Hondedieu, alias
Amédée Pimperdut, président d’une république fantoche, dans une fusillade
terroriste, à Paris:
+ “Les barbouzes en s’enfuyant, tiraient quelques rafales de
retardement. C’est alors qu’Alban fut littéralement fauché à mi hauteur et tomba comme
une masse dans le caniveau, en lâchant son fusil qui
rebondissait sur les pavés. Il eut la force de basculer un peu pour se
retrouver sur le dos, les yeux regardant le ciel (…). Des jeunes filles
accoupies entouraient le blessé et essayaient de soulever sa tête. Le docteur Balthazar,
qui habitait à quelques maisons de là, avait entendu
l’échange de
mitraille et accourait avec sa rousse (…). Et en s’agenouillant, il reconnut
tout de suite Alban (…).
-
Ecartez-vous! cria-t-il. C’est le Président Pimperdut! Qu’on appelle une
ambulance. Courez à la clinique Saint-Michel. C’est une extrême urgence.” (pp.305-306).
Ainsi,
se clôt la phase révolutionnaire de l’itinéraire de
la mère héroïne-objet mouvant ses fils vers une démocratie libérale donquichottesque
chez G. Bonheur, ayant pour fond le terrorisme de l’O.A.S. en Algérie et France (1960-1962).
En définitive, que ce soit la mère héroïne-sujet
mue par ses fils vers une démocratie totalitaire ou libérale
(chez M. Gorki et D. Chraïbi), ou bien la mère héroïne-objet
mouvant ses fils vers une démocratie totalitaire ou libérale (ou pseudo libérale),
tant réaliste que semi-réaliste, voire donquichottesque (chez P. Buck et G.
Bonheur), le roman mondial semble démontrer l’impact de la mère (en tant que
femme) sur la marche politique du monde en tentant d’inverser - même
parodiquement - la morale classique concernant le rôle traditionnel qui lui est
dévolu dans
la société. “La morale classique (…), dénonce
J. Cazeneuve, lui [la femme]donne le noble rôle d’être épouse et mère de
famille. Mais dans cette fonction subalterne, c’est peut-être de son salut
qu’il s’agit, non point de son bonheur individuel. Ou plus exactement, l’idéal
du bonheur dans la famille patriarcale est défini selon des normes qui sont
extérieures à la féminité. Ce qui s’impose alors, c’est l’ensemble du couple et
des enfants considéré comme un tout et dominé par l’autorité du mari.” – “Bonheur
et civilisation”, Op.cit., p.104-105. En d’autres termes, il s’agit ici
d’un nouveau rôle de la mère démocratique révolutionnaire, issu du roman
mondial, même parfois ironique, à méditer.
No hay comentarios:
Publicar un comentario