LA
VISION DE L’HOMME FACE A LA DEMOCRATIE
DANS LA POESIE
LATINIO-AMERICAINE CONTEMPORAINE
En considérant l’antagonisme démocratique de l’homme
latino-américain, l’écrivain
péruvien Mario Vargas LIosa - né en1936, cadidat libéral aux présidentielles de
1990, exilé et naturalisé espagnol en 1993 - confiait à la revue “Lire”,
en février 1995: “Je prônais la démocratie et le libéralisme économique. Or, il
s’est passé exactement le contraire. Et le comble n’était-il pas que la
dictature d’Alberto Fujimori [1990-2000]
était, en fin de compte, très populaire?” Puis, d’ajouter, dans “L’Utopie
archaïque”, à propos de l’écivain argentin Jose Maria Argueda, suicidé
en 1969: “J’ai voulu (…) décrire la déchirure de l’homme partagé entre deux
cultures, deux races, deux conceptions du monde antagonistes: le rationalisme
occidental et la vision magique des Indiens des Andes.” – François Broche, “Dictionnaire des Ecrivains
latino-américains vus de Paris”, “ENA Mensuel”, Nº HS,
Décembre 2003, p.20. C’est ainsi que se forme à nos yeux la problématique d’une
double vision politico-ethnique
de “l’homme partagé face à la démocratie
dans la poésie latino-américaine contemporaine”. Aussi observera-t-on: 1) La
vision de l’homme partagé face à la démocratie libérale dans la poésie
latino-américaine contemporaine, 2) La vision de l’homme partagé face à la
démocratie identitaire dans la poésie laino-américaine contemporaine
1. La vision de l’homme partagé face
à la démocratie occidentale dans la poésie latino-américaine contemporaine:
En effet, l’antagonisme de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale se cristallise, selon José Antonio
Portuondo, une vision démocratique occidentale plus ouverte sur l’homme latino-américain prônée par le
poète nationaliste cubain José Marti (1895-1953) en rapportant: “Toute l’action de Marti était
consacrée à une bataille claire pour la liberté de notre Amérique et pour la
réalisation de «l’équilibre du monde» - par son changement. Sa vision politique
dépassait les objectifs idéologiques des
démocrates bourgeois qui l’avaient précédé et ouvre la voie vers des horizons
nouvelles en transformant le militantisme pour la libération nationale de Cuba
en un duel plus vaste contre l’impérialisme, qui appuie sur les hommes des
masses laborieuses.” – “America latina en su litteratura”,
Koweït, Ed. CNCA, 1988, p.294. Cela
constitue en fait une vision de l’homme partagé face à la démocratie
occidentale. Cela recouvre donc une double vision de l’homme latino-américain
partagé face à une démocratie occidentale
d’une part et une démocratie identitaire (ethno-politique) d’autre part,
véhiculées par la poésie
latino-américaine contemporaine. D’où corrélativement:
A- La vision identitaire de l’homme partagé face à la
démocratie occidentale dans la poésie latino-américaine contemporaine:
Partagé entre identité et démocratie,
l’homme latino-américain se montre sceptique vis-à-vis de la démocratie
occidentale, représentée plus particulièrement par les Etats-Unis d’Amérique.
Ce dont Ivan Illich évoque expressément: “Tout homme [Américain] de bonne
volonté, qu’il soit travailleur à Watts, ou missionnaire en route pour la
Bolivie, ne saurait manquer de ressentir une douleur paralysante quand il
comprend que la grande majorité des êtres humains le considère comme l’étranger
exploiteur qui, pour défendre ses privilèges, propage une croyance trompeuse
dans les idéaux de la démocratie, de l’égalité des chances et de la libre
entreprise, parmi des hommes qui n’ont pas la moindre chance d’en profiter.” –
“Libérer l’avenir”, Paris, Ed. du Seuil, 1971, pp. 19-20. Cela
s’illustre poétiquement dans les domaines: identitaire, historique, économique
et politique, dans des poèmes tels que:
a1- “La muse poétique” (1823):
Dans ce poème, paru à Londres avant de
l’être à Ayacucho, le poète vénézuelien Andrés Bello (1865-1881) met en cause
la démocratie occidentale au nom d’une indépendance intellectuelle identitaire
de l’Amérique Latine, opposée à celle de l’Europe cultivée, en exaltant:
“Il est temps que tu quittes l’Europe
cultivée,/ Que hait ta ruralité locale,/ Et que tu orientes tes ailes là où
s’ouvre/ A toi le monde de Colomb son vaste paysage./ Qu’on ne t’arrête pas, ô
Muse!,/ Cette province de lumière et de misère,/ Là où ta rivale/ L’ambition
philosophie,/ Qui soumet la vertu au
compte,/ Certes ton adoration est usupée des morts,/ Là où l’hydre couronné
menace/ De réimporter la pensée
asservie/ Et la nuit de la barbarie et du crime
antique,/ Là où la liberté est un vain vertige,/ L’humiliation une vertu
et l’arrogance une grandeur,/ Et où la corruption s’appelle culture.” – “America
Latina en su litteratura”
Op.cit., p.288.
a2- “Les hauteurs de Machu Picchu”(1950):
Dans ces vers, le poète chilien, Pablo
Neruda (1904-1973,) Prix Nobel de littérature (1971), immortalise, contre la
démocratie occidentale, une vision identitaire mythique du «Nouveau Monde» qui
mue en rocher l’homme latino-américain, victime de la conquête espagnole et
portugaise et de la colonisation européenne, à travers les hauteurs de “Machu
Picchu”:
“Il demeure la palpitation ouverte,/ Le
site élevé de l’aube humaine:/ Le plus haut récipient embrassant le silence…/
Leve-toi avec moi, Ô l’amour américain.” – Op.cit., p.363.
B- La vision historique de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale dans la poésie latino-américaine
contemporaine:
Certes, la vision historique de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale est due, selon I. Illich, à une prise
de conscience toute récente de l’homme latino-américain de son identité
ethno-politique. “Il [l’homme latino-américain] n’avait pas l’habitude d’être
guidé par des hommes de sa propre origine (prêtres, hommes politiques, révolté
ou professeur), pendant quatre cents ans ses ancêtres et lui avaient été
assujettis à une tutelle étrangère, espagnole puis américaine. Il n’était
devenu maître de sa destinée que tout récemment.” – “Libérer l’avenir”,
Op.cit., p.32. C’est ce qui ressort de ce poème:
a2- “La fenêtre au visage”(1961):
Dans ce poème, le poète chilien Raque
Dalton (1935-1975), érige la patrie latino-américaine en démocratie identitaire
contre la démocratie occidentale, importée d’Europe par les colonels, les
agents de police, les mafias bananières et
le cercle des fusils impérialistes à Saint-Domingue. Il s’y remémore
entre autres la destruction de la civilisation des Aztèques et Mayas par le
conquistador espagnol Cortés Hernàn (1485-1547), en clamant:
“Ô ma patrie partagée: tu t’éffondres./
Pendant mes heures comme une pilule de poison./ Qui es-tu , Ô patrie encombrée
de maîtres/ Comme une chienne qui se frotte contre les arbres/ Sur lesquels
elle urine?/ Qui a supporté tes symboles,/ Tes mimiques, mimiques de vierge
exhalant le parfum du mahonia,/ Alors que tu sais que les goutelettes de la
bave de la débauche t’ont démolie?/ Se soulève le couvercle de l’histoire comme
celui d’une marmite de mets pourris:/ Il [Cortés Hernán]était colérique et
syphilitique/ Puant d’une peau négligée
des temps de sa langueur/ Il se venge de ses furoncles en chaque astronome maya en donnant l’ordre de lui
crever les yeux./ C’était un homme rompu à accabler les poux/ Ainsi qu’aux
facéties des vomissements perlés de vin acide .” – Op.cit., pp.69-70.
C- La vision économique de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale dans la poésie latino-américaine
contemporaine:
Pourtant, la vision économique de
l’homme partagé face à la démocratie occidentale est essentiellement le
résultat d’une contradiction d’un transfert inadapté de la loi de l’offre et de
la demande vers les pays du tiers monde et d’Amérique latine. “Lorsque le tiers
monde , avise I.Illich, sera devenu un vaste marché des biens de consommation,
des produits et des techniques, que les riches nations occidentales ont conçu
pour leur propre service, la contradiction sur laquelle repose la loi de
l’offre et de la demande apparaîtra sans cesse avec plus de netteté (…).
Malheureusement, il ne paraîtra pas
aussi évident à tout le monde que les moyens des Latino-américains, dans leur
grande majorité, ne leur permettent pas (et ne leur permettront pas) d’acheter
une automobile, de bénéficier d’une hospitalisation ou de suivre un
enseignement élémentaire.” – Op.cit., p.154. Bref, l’enfer de la finance des
U.S.A. et de la technologie occidental est fustigé dans cet extrait du VIIIe
“Chant de Guesa” de J.
Sousadrade:
b1- “L’enfer de Wall Street”
(1867):
Le poète brésilien Joaquin de Sousa
Andrade, alias Sousandrade (1833-1902), incarne la vision économique de l’homme
partagé, l’Indien pré-colombien face à la démocratie occidentale, combinant
flashs médiatiques, mythes, fragments radiophoniques, langues diverses, etc.,
pour dénoncer les maux du capital financier de Wall Street naissant, à New
York:
“(Le Gues [l’Inca] croit, après avoir
traversé l’archipel des Antilles, qu’il a échappé/ Au chèque et s’introduit à
la Bourse des valeurs de New York;/ Une clameur des déserts:)/ - Orphée, Dante,
Enée sont descendus/ En enfer,/ A l’Inca d’en remonter…/ Ogni-Sp’aranza
lascicate Che entrate…/ - Swendborg, y a-t-il là-bas un monde à venir?” –
Op.cit., p.111.
b2- “Gutenberg et Colomb” (1870):
Cette strophe du
poète brésilien Castro Alvez (1847-1871)
révèle une vision pessimiste de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale par un recours conscient à la
technologie et à l’éducation transformant les structures sociales de la législation coloniale maintenue par les olygarchies
locales et l’imperialisme étranger. “Dans cette perspective, ma [l’éducateur
brésilien Paulo Freire] suggestion d’orienter vers le planning familial tous
les programmes importants d’éducation des adultes, cite I. Illich, implique un
engagement personnel en faveur de l’éducation politique. La lutte pour la
libération politique et la participation populaire [la démocratie occidentale],
en Amérique latine, peut se fonder sur une nouvelle et plus profonde prise de
conscience si elle veut partir du fait que, même dans les domaines les plus
intimes de la vie, l’homme moderne doit accepter le recours à la technologie.”-
“Libérer l’avenir”, Op.cit., p.152. Le poète consacre ici les
découvertes pionnières de la société démocratique libérale occidentale, celles
de l’imprimerie par J.-G.Gutenberg (1394-1399) et de l’Amérique, par C.Colomb
(1492):
“Dans le chantier
naval des navires rudes/ Lorsqu’invente un vieux travailleur en Allemagne/
L’oiseau de l’imprimerie/ Sort un homme du Sud en mer/ A la recherche d’un nid
parmi les palemeraies/ Et trouve la patrie de l’imprimerie.” – “América latina”,
Op.cit., p.196.
D- La vision politique de
l’homme partagé face à la démocratie occidentale dans la poésie
latino-américaine:
Les déficits de l’école et des médias
sont les principaux défauts mis en cause par la vision politique de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale dans la poésie latino-américaine
contemporaine.“Le développement de l’Amérique latine en tant que colonie
occidentale, glose I.Illich, exige une scolarité de masse pour les enfants qui
seront amenés à accepter passivement une idéologie qui les contraint à rester
«démocratiquement» à leur place. L’ordre établi ne peut tolérer l’éveil de la
conscience et ne saurait prendre de risque. C’est pourquoi il s’oppose à toute
éducation des adultes (…). Détrôner les idoles conduit immanquablement à
renverser toutes les autres, et l’éducation qui se propose d’en abattre une est
donc politiquement subversive [démocratie occidentale utopique].” – Op.cit.,
p.139. C’est le cas dans:
d1- “Débat devant les kiosques de
journaux” (1965):
Dans cet
extrait du recueil “Ecoutez les mortels”, le poète
argentin Victor Garcia Robles (né
en 1933) dénonce la
désinformation sur les ondes de la radio en tant que contradiction de la
démocratie libérale occidentale dans le sous-continent latino-américain:
“Mais la radio ne dit pas: on a
instauré la réforme agraire,/ A la radio ils ne disent pas les noms des détenus
politiques,/ A la radio ils ne disent pas qui assassiné Satanovski et
Engalenia,/ A la radio ils ne disent pas le moindre déchet,/ Ils diffusent les
dances du boléro, des questions et des réponse,/ Les journaux racontent la même
chose, à quelle malédiction profitent les journaux,/ Ils nous massent en face
de l’Est,/ Ils nous massent en face de l’Ouest,/ Les journaux détournent notre
attention par quelques mines fagotées.” – Op.cit., p.67.
d2- “Ainsi m’a-t-on appris à
l’école” (1967):
Ce verset du poète argentin Julio
Cortazar (1914-1984) illustre la mauvaise qualité de l’éducation inculquée à
l’écoles à un homme bègue et partagé
face à la démocratie occidentale, dans la poésie latino-américaine
contemporaine. “La contestation étudiante, écrit Illich, a des raisons plus
profondes que les prétextes avancés par ses meneurs, lorsqu’ils exigent
diverses réformes du systèmes. Bien que leurs revendications soient souvent
politiques, ils n’auraient jamais trouvé une telle audience si les étudiants
n’avaient pas perdu leur foi et leur respect dans l’institution.” – Op.cit.,
pp.26-127. Cortazar en dit avec ironie:
“Paldon si vous parle perplexe de la
sorte/ La neige glace ma langue/ Je demeure hullant/ Les îles Malouines
algentines/ Ainsi m’a-t-on appris à l’école…” – Op.cit., p.65.
Parallèlement, à la vision de l’homme
partagé face à la démocratie occidentale s’oppose la vision de l’homme partagé
face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine.
2- La vision de l’homme partagé face
à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine contemporaine:
A travers la vision de l’homme partagé
face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine, il s’agit en fait d’un appel à l’indéginisme et au retour aux
sources de l’homme latino-américain,
dans les mêmes domaines: identitaire, historique, économique et politique. Une
telle démocratie ethno-culturelle a notamment pour porte-parole l’écrivain
cubain Alejo Carpentier (1904-1980), au début de la dictature castriste
cubaine. “Partisan et collaborateur de Fidel Castro (il fut longtemps
conseiller culturel à l’ambassade de Cuba à Paris), rapporte F. Roche, il
choisira de ne retenir de la terrible dictature castriste que les thèmes du
début: dénonciation de l’oppression sociale, politique culturelle, exaltation
de l’«indigénisme» et de la tradition négro-cubaine, du retour aux sources, au
nom de la théorie du «réel merveilleux»…” – “Dictionnaire des écrivains”,
Op.cit., p.8. Aussi verra-t-on:
A- La vision de l’homme partagé face
à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine contemporaine:
En fait, la vision de l’homme partagé
face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine contemporaine
s’ancre, selon le poète mexicain Octavio Paz (1914-1998), dans une identité
raciale opprimée par des institutions étrangères de l’époque coloniale
hispano-portugaise. “Durant cette longue histoire ou l’opération que détermine
le poète mexicain pour son pays ou pour sa province, se produit ce qu’il
appelle du nom de: «la quête de nous-mêmes, nous les défigurés, ou les déguisés
d’institutions étrangères à nous et à une forme nous exprimant».” – “America
latina”, Op.cit., p.358. D’où l’impact de la démocratie identitaire
dans ces extraits:
a1- “Monologue” (1963):
Dans ces vers, le poète argentin César
Fernandez Moreno (1919-1985) fait vainement le tour de soi et du monde à la
recherche de son identité humaine, ethno-culturelle et historique et s’en remet
finalement à celle de sa patrie d’accueil, l’Argentine:
“Ainsi, je me réclame de toutes ces
voies/ Espagnol Français Indien et que sais-je/ Combattant paysan négociant poète peut-être/ Riche
pauvre de toutes les classes sociales et d’aucune d’elles/ A la bonne heure je
suis argentin.” – Op.cit., p.65.
a2- “La misère de l’homme”
(1948):
Dans ce texte, le poète chilien Gonzalo
Rojas (né en 1917) déplore l’état
servile de l’homme latino-américain partagé face à une démocratie identitaire
perdue qui préjuge de sa propre existence sur une terre dénudée et exposée à
une acculturation étrangère réïtérée, à l’image d’un chien scrutant l’avenir,
comme un vieux devin:
“D’une adaptation à l’autre, et même plus
vite que cela, en une seule morsure, ils nous ont rendu nus, nous avons sauté
en l’air et nous sommes devenus vieux avec laideur, sans ailes, portant une
ride de la terre./ Un homme est là et ne
sait pas qu’il n’existe plus du tout, / Ce qui suscite le rire/ Que je sois
entré dans ce jeu qui provoque le délire./ Personne ne me sert d’aucune façon./
Je suis, donc, le chien qui scrute l’avenir: / Je prophétise.” – Op.cit., p.64.
B- La vision historique de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine:
Cependant, la vision historique de
l’homme partagé face à la démocratie identitaire provient, suivant Augusto
Tomayo Vargas citant le poète argentin Ezequiel Martinez Estrada (1895-1964),
de l’acculturation de la conquête
coloniale européenne.“Le résultat de cette énorme aventure, cette pénétration
au coeur d’un continent entier, opine-t-il, porte un mélange étrange de gens
qui ne se complète que dans l’acte sexuel: un indien sceptique, un mulâtre
scrupuleux qui tente d’effacer le passé qui l’a engendré dans une vague
d’émigration, un blanc machu et irresponsable, aventurier ou gouverneur la
plupart du temps. Nous maintenons que ces appréciations sont une vision de
l’extérieur.Tandis que l’autre vision, andine, voit l’opération de l’intérieur.
Malgré que Martinez Estrada vise plus précisément les plaînes de la Pampa et le
Rio de la Plata, il étend cela – comme on l’a dit – à l’ensemble de l’opération
culturelle de la conquête au temps des vices-rois, et même, selon son dire, au
temps des républiques, puisque l’indépendance était «en fait» à la campagne,
suscitée par «l’état d’infériorité et d’abandon», et la «thèse» dans les
villes, régie et divulguée par des gens adhérés aux enseignements des idées libérales
et démocratiques, mais sans nulle évolution effective vers le changement.” – “America
latina”, Op.cit., p.366. Historiquement, la vison démocratique
identitaire se profile poétiquement,
dans:
b1- “Le pendule” (1918):
De la même
façon, ces vers du poète péruvien César Vallejo (1892-1932) évoque l’homme
partagé face à la démocratie identitaire dans sa déchéance physique, morale et
politique, conséquence d’une histoire coloniale déshumanisante et déculturante,
mais source d’espoir d’une renaissance raciale future, exaltée à travers un
corps symbolique en quête d’une place concrète dans monde:
“Sans faute que cela est mon corps
solidaire/ Sur lequel veille l’âme individuelle, sans faute que cela/ Est mon
nombril où j’ai tué mes poux naissants/ Voici mes choses, mes choses vides./ /
D’entre mes dents mêmes sort et monte hors de moi la fumée,/ Hurlant,
combattant,/ Faisant tomber mes pantalons…/ Mon estomac est vide, mon ventre
est vide/ La misère me tient de mes dents mêmes, / Un bâton me tient du col de
ma chemise./ Ne trouverai-je pas une pierre/ Sur laquelle m’asseoir? ” – Op.cit., p.61.
b2- “Boutures” (1948):
Dans cette élégie, le poète cubain
Nicolàs Guillén (1902-1930), se remémore l’histoire négro-cubaine et
latino-américaine de l’homme partagé face à la démocratie identitaire méconnue.
“Cette situation, observe José Antonio Portuondo, a marqué, avec quelques
légères nuances, les nations d’Amérique latine, dans laquelle la conquête du
capital impérialiste avait gardé l’ordre terrien féodal presque intact, l’avait soutenu, avait laissé et parfois
plutôt soutenu l’existence d’énormes fiefs où le pysan blanc, indien, noir ou
mulâtre demeurait vraiment un serf parmi les serfs.” - “America latina”, Op.cit.,
p.273. N. Gullen en conte l’atroce histoire en ces vers tragiquement
accablants:
“il y a trois cents ans, terrible/ page
haïtienne!/ Sang dans le dos du nègre/ originaire/ Sang au poumon de Louverture
[1743-1803]./ Sang sur les mains grelottantes/ de fièvre/ de Leclerc
[1772-1797]/ Sang sur le fouet de/ Rochambeau [1755-1803],/ aux chiens
assoiffés./ Sang au Pont-Rouge./ Sang sur la Citadelle./ Sang sur la botte des
Yankees./ Sur le couteau de Trujillo [1891-1961].” – www.Creations.htm, p.3.
C- La vision économique de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine:
Quant à la vision économique de l’homme partagé
face à la démocratie identitaire dans la poésie américaine contemporaine, elle
constitue apparemment une réaction contre l’impact de la colonisation espagnole
et la pression économique, politique et militaire des U.S.A. et de la Grande
Bretagne en Amérique latine. “Néanmoins,
il est probable, pense Mario Benedetti, que l’élément imposant le plus
l’homogénéité était venu de l’extérieur. Dans ce sens, et en tant que réaction
compréhensible, l’existence coloniale commune de l’Espagne était jusqu’aux
premières décennies du XIXe siècle, un facteur agglutiné à notre
Amérique [latine] plus que ne l’était la parenté entre un indien maya de la
province du Yucatán [Mexique] et un indien tehulchi de la Patagonie
[Argentine], de même que la pression économique, politique et militaire des Etats-Unis
d’Amérique paraît décisive, durant le XXe siècle, en ce qui concerne
les facteurs favorables à la création d’un tissu spirituel commun et la
création d’une prise de conscience déterminée de l’homme latino-américain, plus
que ne l’est l’apparition inégale d’environ vingt identités nationales
fragmentées.” - “America latina”, Op.cit., p.219. Or, cela trouve
son écho dans:
c1- “Annonce” (1926):
Du fait, le poète argentin Raúl
González Túnon (1905-1974) raille
ironiquement ce texte l’économie machiniste et la société de masse
occidentales du juke-box et de la puissance de l’argent, ignorante de la vie
malheureuse de l’homme latino-américain, pauvre, méprisé et déculturé. “Certes,
«le marketing» des produits étrangers, qui se traduit finalement par un
sous-développement accru, note I. Illich, suscite quelques réactions mais qui
demeure superficielles. Un Sud-Américain ressent, peut-être, quelque
indignation à la vue d’une fabrique de Coca-Cola au milieu d’un quartier
misérable, mais l’instant d’après il sera fier de voir une école normale toute
neuve se dresser à côté. Il ne lui plaît pas de voir un «brevet» étranger
attaché à une boisson, il préférait une étiquette nationale.” – Op.cit.,
pp.162-163. Et Túnon d’entonner sarcastiquement ici:
“Ne t’effarouche pas Ô mon ami, la vie est
dure./ Il n’y a pas de grande utilité en philosophie./ Si tu veux voir la vie
en rose./ Jette dans le juke-box vingt pesos.” - “America latina”,
Op.cit., p.148.
c2- “Le monde est un évier”
(1937):
Le jugement poétique du poète chilien
Nicanor Barra (né en 1914), porte, dans ces vers, sur la misère de l’homme
latino-américain, oublié par l’économie industrielle occidentale importée et le
réduit à vivoter, à son corps défendant,
par ses propres moyens de bord tant naturels, spirituels que mythiques.
Revendiquant une démocratie identitaire, Martinez Estrada le voit remonter
mythiquement le temps vers l’âge d’or ancestral idyllique: “En chaque jour de
navigation, les navires reculent de cent ans. Le voyage à travers les âges est
en régression de l’époque de la boussole et de l’imprimerie à l’époque des
pierres occupées [aztèques].” – Op.cit., p.367. N. Barra en loue la secrète
suffisance, en scandant:
“De ses coudes l’homme extrait la cire
nécessaire/ Au façonnement du visage de son idole./ Et de… la femme la paille
et l’argile pour ses sanctuaires.” – Op.cit., p.62.
D- La vision politique de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine:
Par ailleurs, la vision de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire dans la poésie latino-américaine
contemporaine résume, un ensemble de
visions sociales et politiques d’un sous-continent, constitué de réserves
d’hommes spécifiques exclus.“L’existence désolante d’un monde à tort, d’un
homme isolé, d’une réalité dont on ignore si elle est accomplie ou informe,
nous montre toujours, explicite M. Estrada, des visions déterminées et un
objectif social et politique mettant en
évidence les obstacles à surmonter. Il est nécessaire que nous rencontrions le
monde de l’espoir. Les nations sont dans l’anarchie. Les frontières entre les
Etats ne répondent à aucun sens humain, mais à de pures abstractions idéalistes
pour essayer de définir un caractère national, et les guerres entre les peuples
ne sont que les confirmations de cette structure nationale supposée. Le
résultat en est que l’Amérique latine est constituée d’énormes réserves
d’hommes identiques.” - “America latina”, Op.cit., p.365. C’est
ce que traduit ici:
d1- “Le pème du journal” (1930):
Dans ces vers, le poète brésilien Carlos
Drummond de Andrade (1902-1987) dénonce
le danger politique des médias sur le monde latino-américain et leur impact négatif sur les classes moyennes
et pauvres en tant que modèle occidental d’une vie qui leur est étrangère.
“L’échec politique des idéologies de développement, souligne Juan José Saer,
prouve son imposture, comme il prouve que l’image que son système tente de
présenter aux classes moyennes n’est pas vraies à son tour. Dans le «miroir»
des médias se trouvent toutes valeurs hostiles à l’Amérique latine: l’image
d’une vie qui lui est étrangère, la plus faste des illusions et le plus
irrationnel des modèles.” – Op.cit., pp.138-139. En témoignent les vers
ironiques de C.-D. Andrade suivants:
“Un fait sans cesse jusqu’à maintenant
se réproduit/ Une main nerveuse vient maintenant le transcrire/ Le change en
chronique/ Le mari tue sa femme/ Le femme sanglante crie/ Des voleurs attaquent
un coffre/ La police disperse un meeting/
Une plume écrit/ Et arrive de la salle de la linotype une douce musique
mécanique.” – Op.cit., pp.144-145.
D2- “Santos Vega ” (1920):
Certes, dans la vision de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire, l’idée de patrie et de nature ne font
souvent qu’une chez le poète argentin Rafael Obligado (1851-1920).“L’idée de
patrie, indique Antonio Candido,
s’attache fermement à l’idée de nature et en tire partiellement sa
justification. Chacune des deux idées a conduit à une littérature [poésie] remplaçant le retard matériel et la faiblesse
des institutions [la démocratie occidentale] par l’exagération dans
l’appréciation des aspects «provinciaux», en prenant l’exotisme pour motif
d’optimisme social [démocratie identitaire]. Dans le poème «Santos Vega»
de Rafael Obligado, au seuil du XXe siècle, l’euphorie de
l’indéginisme jette son ombre sur l’urbanisme dans son sens limité, dans lequel
le poète argentin distingue implicitement la patrie (les institutions) et la
terre (la nature), en les unifiant, malgré cela, dans la même démarche, pour en
déterminer l’identité.” - “America latina”, Op.cit., pp.188-189.
Le poète y reconnaît emphatiquent:
“…La certitude est que c’est ma patrie/
La patrie de l’echchiveria [une plante florale spécifique]/ La terre de Santos
Vega [la province de la plus forte créolisation
en Argentine].” – Ibid.
d3- “West Indies Ltd” (1934):
Les vers sarcatiques du poète cubain
Nicolas Guillen (1902-1988), inspirés de la vie dégradée du nègre de Cuba et
des Antilles, constitue un appel incessant au respect de la personne humaine et
une vision de l’homme partagé face à une démocratie identitaire, en vue d’une
libre rencontre des cultures et un répit de la prolétarisation sauvage et de
l’acculturation occidentale destructrice de la société latino-américaine. “A
côté des usines de récente prospérité, naît une nouvelle humanité constituée de
créatures venues de partout sans racines dans la terre, que ne réunit qu’une caractéristique
commune: son exploitation et sa misère introduit le prolétariat
latino-américain dans la vie et dans la littérature.” – Op.cit., p. 292.
Guillen dit ironiquement les Latino-américains occidentalisés:
“Les voilà les serviteurs de Mr. Byte./
Qui instruisent leurs enfants à West-Point./ Les voilà ceux qui crient: Hello,
baby,/ Et fument «Chesterfield» et
«Lucky Strike»./ Les voilà les danseurs du Fox-trot,/ du Jazz-band/ Les
estivants de Miami et Palm-beach [Floride]./ Les voilà ceux qui demandent du
pain beurré/ du café au lait./ Les voilà les jeunes dévoyés atteints de
syphilis,/ Les fumeurs d’opium et de marijuana,/ Ils présentent en vitrines
leurs spirochetes palidas/ Et se coupent
un costume par semaine./ Il y a là ce
qu’il y a de meilleur à Port-au-Prince [Haïti],/ Ce qu’il y a de plus propre à
Kensington [Londres], High life Havana [Cuba]…” – Op.cit., pp.331-332.
Néanmoins, cette vision de l’homme
partagé face à la démocratie identitaire, revendiquée en partie, dans la poésie
latino-américaine n’est pas, selon A.T.Varga citant J.C.Mariagueti, un appel à
une démocratisation exclusive de la question posée. “Il est clair, dit-il, tel
que le précise si bien Mariategui lui-même, que cela ne signifie pas retomber
dans le courant passéiste de quelques écrivains parmi ses congénères ni le
retour aux aux statuts d’une autre société (…). Profiter de l’un de ces
éléments, telle la société indienne restante, ne veut pas dire le retour à
l’ordre théocratique impérial des Incas, de même qu’on ne peut en discuter pour
la résolution d’un problème ethnique. « Reposer la question indienne par de
nouvelles expressions. Certes, nous avons renoncé à la considérer de façon
abstraite comme un problème ethnique ou moral pour qu’on la reconnaisse comme
un problème social, économique et politique, telle que l’explique Mariategui.»”
– Op.cit., p.375.
En conclusion, la double vision de
l’homme partagé face à la démocratie occidentale ou à la démocratie identitaire
[ethno-politique] dans la poésie latino-américaine ne font certes que confirmer
«la déchirure de l’«homme partagé entre deux cultures, deux races, deux
conceptions du monde antagonistes: le rationalisme occidental et la vision
magique des Indiens des Andes », déjà perçu chez l’écrivain péruvien M.V.
LIosa. Autrement dit, il s’agit d’opter pour une voie vers une démocratie plus libérale parmi
d’autres, tel que le préconise le critique brésilien José Guilherme Merquir:
“En réalité, il paraît que la littérature latino-américaine [la poésie] se
trouve de façon dramatique face à trois voies pour transiter d’un niveau
dualiste: société traditionnelle-retard économique à un niveau dualiste:
société moderne-progrès économique. Et ces voies sont: la voie
libérale-démocratique, la voie de la révolution par le haut (semblable
historiquement à l’Allemagne de Bismarck ou du Meiji), et la voie de la
révolution agraire.” - “America latina”, Op.cit., p.263. Or, le
retour actuel à la démocratie libérale et aux droits de l’Homme en Amérique
latine est le début du dépassement de ce partage ethno-politique et poétique
inhumain.
Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED
No hay comentarios:
Publicar un comentario