jueves, 24 de septiembre de 2015

Pte anthologie des poétesses soufies d'Orient et d'Occident islamiques



Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED





PETITE ANTHOLOGIE
DES POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES ARABES,
TURQES, PERSANES,
BERBÈRES ET HASSANIES



Tétouan
2015




INTRODUCTION
      En abordant l’élaboration de cette «Petite anthologie des poétesses soufies arabes, turques, persanes, berbères et hassanies», il nous est venu à l’esprit cette remarque historique du Dr. Husein Mujib Al Misri où il rapporte : «Parmi les soufis qui s’habillent de vêtement en laine, il y a ceux qui arguent que le Prophète se vêtait de laine. Ce sont des noms du soufi en persan ‘bichminah push’, au sens du vêti de laine. Selon une opinion, le soufisme s’apparente à la laine, parce que les anciens soufis ont imité les moines chrétiens dans le port de vêtements de laine[1].» - «Fî Al Adab Al Arabî wa At-turkî, Dirâsatun fî Al Adab Al islâmî al muqâran», le Caire, Ed. Maktabatu Al Nahdati Al Misriyya, 1962, pp.253-254.
   Or, le même auteur relève que dans la genèse de la poésie soufie arabe, on voit que la tendance spirituelle arabe a opté pour l’ascétisme avant de connaître la poésie soufie. Al Jahiz cite beaucoup d’ascètes et d’anachorètes de Bassora et Koufa à qui  il attribue indistinctement une poésie. L’Islam ne connaît point le monachisme, mais les premiers soufis manifestèrent une envie du mépris du monde périssable en faveur de l’au-delà. Ils l’expriment avec une ferveur passionnée. On ne saurait dire que le soufisme arabe, à ses débuts, était une philosophie, mais un enclin sentimental vers le fond de la religion. Dès le second siècle de l’Hégire, un appel paraît dans la poésie du dédain du monde et l’aspiration à Dieu pour le repentir et la peur du châtiment – Op.cit., p.261. Adhèrent à ce mouvement mystique poétique hommes et femmes dont la poésie soufie a survécu jusqu’à nos jours. On pourrait en observer les œuvres poétiques,  à travers notamment :

1-    Les poètes soufis arabo-musulmans d’expression arabe :

    À côté du groupe des anachorètes, poètes arabo-musulmans soufis sages d’expression arabe, il y a le groupe des fous. On les a traités de fous parce qu’ils se sont affolés dans leur attachement à la soumission à Dieu et se sont écartés de la coutume des gens dans leur rite et leur austérité ce qui leur attribue une lubie qui les rend semblables à des fous. Parmi eux, il faut citer à titre d’exemples, entre autres :

     + Bahloul :  
     Bahaloul rencontra Haroun Al Rachid et le sermonna. De sa poésie, citons :

«Délaisse l’attachement au monde/
Et la vie garde-toi de la convoiter//
Et n’amasse nullement d’argent/
Car tu ne sais à qui tu l’amasses[2]//».

    + Ibnu Arabî :
       Ibnu Arabî (1165-1240) est poète arabe soufi d’expression arabe de Murcie. Il fut obligé par des calomniateurs à défendre à défendre la pureté, la discrétion et le sens ésotérique de ses chants mystiques composés en l’honneur de Nisam. Nous le retrouvons déjà dans ses vers :

«Chaque fois que je rencontre ma bienaimée/
Naît en moi quelque chose de jamais ressenti,//
Car je contemple une créature dont la beauté/
À chacune de nos rencontres, croît en éclat et en majesté//
Si bien que nulle fuite n’est possible devant un amour/
Degré par degré, inéluctablement[3]//».
    
     + Abû Al Atâhiyya :
      Abû Al Atâhiyya est l’un des poètes musulmans soufis repentis d’expression arabe, qui après une vie de débauche effrénée a été conquis par les idées spirituelles, ce qui les transpose d’un état à un autre état. De ses célèbres poèmes, citons :

«Une miche de pain sec/
Que tu manges dans un coin//
Et un cruchon d’eau fraîche/
Que tu bois d’une pureté//
Et une chambre étroite/
Où ton âme est insouciante[4]//».       
       
      + Husein Ben Mansûr Al Hallâj al Bidâwi :
Le poète musulman soufi turc d’expression arabe, Husein Ben Mansûr Al Hallâj al Bidâwi a pour avis que les religions sont des points de vue d’une seule vérité qui ne diffèrent que par les noms et les titres et que Dieu les a répartit pour en choisir le meilleur. Il fut le premier à parler de la lumière mahométane en transitant de son amour pour Dieu vers la première de ses créatures la lumière du prophète Mohamed. De la poésie d’Al Hallaj dans l’amour divin, citons :

«Par Dieu nul soleil ne s’est levé et couché/
Que ton amour n’accompagne mes souffles//
Je ne me suis jamais esseulé à parler aux gens/
Que tu ne sois mon discours avec mes convives[5]//».

  + Abû Al Abbâs Ibnu Ahmad Al Azafî :
  Le docte musulman et poète soufi marocain d’expression arabe, Abû Al Abbâs Ibnu Ahmad Al Azafî  (m. en 633 H/ 1236 C), était parmi les hommes proches des cercles soufis et de la confrérie des Amaghâr de Tit Al Fitr. Il chanta à l’honneur de ses derniers en clamant :

«J’aurais souhaité résider à Aïn Al Fitr/
Près de Béni Amaghâr leur glorieux foyer//
Quelle digne maison est leur maison où/
Vécurent toujours les pôles de leur temps[6]//».

2-  Les poétesses soufies musulmanes d’expression arabe :
 
    Husein Mujib Al Misri remarque par ailleurs l’audience des poétesses soufies musulmanes d’expression arabe en précisant que parmi ces ascètes fous  il y avait des ascètes femmes comme Chaâwana, Rihâna, Maïmûna As-Sawdâ et Laïmûna dont la poésie soufie force l’attention et mérite d’être citée, telle que par exemple :

   + Maïmûna As-Sawdâ :
      Maïmûna As-Sawdâ, poétesse soufie musulmane d’expression arabe, incarne le lien fort entre l’ascétisme et le soufisme et comme une évolution de ce dernier et ce au IIe siècle de Hégire (IXe s. C). Elle en relate dans ces vers :

«Les cœurs des amants ont des yeux/
Qui voient ce que ne voient les voyants//
Et des langues qui en secret susurraient/
Ce qui échappe aux nobles écrivains[7]//».


    Pour ce qui est de ce groupe des poétesses soufies musulmanes d’expression arabe, sans plus tarder, nous renvoyons au corpus de cette Petite anthologie des poétesses soufies arabo-musulmanes d’expression arabe», dans les pages choisies qui vont suivre. Notre profond souhait est que celle-ci puisse être étendue et élargie aux nombreuses inconnues et méconnues de ce florilèges que les siècles ont tant marginalisée, voire jetées injustement dans les gouffres de l’oubli. Puisse cette modeste contribution connaître la voie de la continuité et du dévoilement que certains orientalistes ont à peine entamée, sinon inconsidérément mal embrassée.

                                                                             L’Auteur
  
  

     
    




















PREMIÈRE PARTIE
ORIENT MUSULMAN
POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES ARABES
TURQUES, PERSANES,
BERBÈRES ET HASSANIES











     Certes, il est à remarquer que la poésie persane a subi l’influence directe de la poésie arabe par le biais du mélange des Arabes avec les Perses et la formation de la langue persane avec laquelle a été composée cette poésie entre les Iraniens et les Arabes conquérants. Mais ce n’est pas le cas dans l’influence de la poésie arabe sur les Turcs, car les Turcs n’ont subi l’influence de la poésie arabe que par voie de la poésie persane d’une part et par la connaissance des poésies arabes par des Turcs d’autre part.

   La poésie turque est en majorité soufie ou influencée par le soufisme. Il faudrait rappeler que le soufisme prétendent que la beauté de la nature est issue de la beauté de Dieu et que le jardin dans la beauté de ses fleurs, ses arbres, son parfum et ses oiseaux, n’est que le miroir où se révèle la beauté divine. Qui le contemple voit la puissance divine dans ses plus beaux aspects. C’est pourquoi cette contemplation est une prière adressée à Dieu et une foi dans sa grandeur. On pourrait dire que la nature incarne la divinité[8]. D’où ici la poésie féminine soufie musulmane d’expression arabe, turque et persane.     









POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES ARABES












FÂTIMA AZ-ZAHRA

   Fatima Az-Zahra, la fille du Prophète Mohamed (né v. 570, à la Mecque, et décédé v.632, à Médine) et de Khadija, décédée v. 619, à la Mecque, est née v. 606, à la Mecque et décédée v. 632, à Médine. À la mort du Prophète que la paix de Dieu soit sur Lui, celle le pleura et lui dédia le thrène, qui fut une source d’inspiration de la première poésie musulmane soufie féminine d’expression arabe. En témoigne l’extrait poétique suivant :

«Les horizons des cieux s’empoussièrent et se replie/
Le soleil du jour et se noircissent les deux après-midis//
La terre après mort du Prophète n’est que mélancolie/
D’affliction pour lui beaucoup plus fortement inclinée//
Que Le pleure l’Orient de la planète et son Occident/
Et que Le pleure chaque Mudaride et chaque Yéménite//
Ô Sceau des Prophètes dont la pureté bénie par Dieu/
Que  soit sur Toi la prière du Révélateur du Coran[9]//».
     

       
MAÏMUNA AS-SAWDA

    Maïmuna As-Sawda est une poétesse soufie musulmane d’expression arabe du IIe siècle de l’Hégire/ IXe de l’ère chrétienne. Elle incarne le lien fort entre l’ascétisme et le soufisme et comme une évolution de ce dernier et ce au IIe siècle de Hégire (IXe s. C). Elle en relate dans ces vers :

«Les cœurs des amants ont des yeux/
Qui voient ce que ne voient les voyants//
Et des langues qui en secret susurraient/
Ce qui échappe aux nobles écrivants/
Et des ailes qui s’envolent sans plumage//
Vers le royaume du Maître des mondains/
Versons lui des verres de sincérité pure/
Et buvons des verres des omniscients[10]//».






RABI’A AL-ADAWDIYYA

     Rabi’a al-Adawia est une des poétesses soufies musulmane d’expression arabe, née en Irak (714-801). Elle exalte la voie de l’amour et l’intimité de Dieu. C’est une figure majeure de la spiritualité soufie. Bien avant Al Hallaj et les grands maîtres du soufisme, Rabi’a est l’une des premiers mystiques de l’Islam et a dépassé la démarche ascétique traditionnelle pour appeler à l’union parfaite avec Dieu qu’elle célèbre avec une profonde ferveur dans ses poèmes. En faisant la prière du soir sur la terrasse de sa maison, elle clame debout :

MON DIEU, LES ÉTOILES…

«Mon Dieu, les étoiles resplendissent
les yeux dorment
les rois ferment les portes
chaque amant se retire avec son aimée.
Et me voici : je demeure entre tes mains.»

JE T’AIME DE DEUX AMOURS

«Je T’aime de deux amours : l’un, tout entier d’aimer/,
L’autre parce que tu es digne d’être aimer//
Le premier, c’est le souci de me souvenir de Toi/,
De me dépouiller de tout ce qui est autre que Toi//.
Le second, c’est l’enlèvement de tes voiles/,
Afin que je Te voie//.
De l’un ni de l’autre, je ne veux être louée/,
Mais pour l’un et pour l’autre, louange à Toi//!
‘Ô ma joie, mon désir, ô mon appui/
Mon compagnon, ma provision, ô mon but//,
Tu es l’esprit du cœur, tu es mon espoir/,
Tu es mon confident, mon désir de Toi est mon viatique//.
Sans Toi, ô ma vie, ô ma confiance/,
Je ne serais jamais lancée dans l’immensité du pays//.
Combien de grâce s’est montrée/,
Combien de dons et de faveurs Tu as pour moi// !
Désormais ton amour est mon but et mon délice/
Et la splendeur de l’œil de mon cœur assoiffé//.
Tant que je vivrai, je ne m’éloignerai pas de Toi/.
Tu es le seul maître de l’obscurité de mon cœur//.»

NI PARADIS, NI ENFER, SEULEMENT DIEU

«Mon repos, ô frères, est dans ma solitude/
Mon aimé est toujours en ma présence//.
Rien ne peut remplacer l’amour que j’ai pour Lui/,
Mon amour est mon supplice parmi les créatures//.
Partout où j’ai contemplé sa beauté/,
Il a été mon mihrab et ma qibla//.
Si je meurs de cet amour et s’Il n’est satisfait/,
Oh, cette peine aura été mon malheur en ce monde//! 
Ô médecin du cœur, Toi qui est tout mon désir/,
Unis-moi à Toi d’un lien qui guérisse mon âme//.
Ô ma joie, ô ma vie pour toujours/!
En Toi mon origine, en Toi mon ivresse//.
J’ai abandonné entièrement les créatures dans l’espoir/
Que Tu me lies à Toi. Car tel est mon ultime désir[11]//.»


















PREMIÈRE PARTIE
ORIENT MUSULMAN
POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES
TURQUES ET
PERSANES












AÏCHA AL BÂ’ÛNIYYA

      Aïcha Al-Bâ’ûniyya bintu Yûsuf ben Ahmad Al-Bâ’ûnî, née à Sâlihiyya (Damas), en 1450 et y décédée en 922 H/ 1516 C, d’origine Kurde, turque et cirkissienne est une poétesse soufie musulmane et une ascète d’expression turque. Elle écrit des poèmes prophétiques de la veine de l’inspiration des gens aux signes dédiés au Prophète Mohamed (PS). De sa poésie soufie :

MON AMOUR TOI PRÈS DE MON CŒUR

«Mon amour, Toi, près de mon cœur
Au fond de moi ta beauté persiste
***
Tu portes la beauté en te révélant
Et j’ai vu la beauté sans censeur
***
Et j’ai assisté l’union sans retrait
Sans illusion ni chose douteuse
***
Tu m’accompagnes et verse mon vin
Il me mène à Toi sans  mon absence
***
Tu me rappelles et fais voir une beauté
Sacrée soit-elle qu’elle ait de sosie
***
Nulle peur Toi la sureté de mon cœur
Nulle maladie car tu es mon médecin
***
Nul chagrin Tu es la joie de mon secret
Nulle requête si pour moi Tu es l’amant[12]».
















MÂHRÏ KHATÛN

     Mahrî Khâtûn est une poétesse soufie musulmane d’expression turque, du XVe siècle dont l’œuvre traite d’une poésie lyrique, érotique mystique. Elle refuse le mariage à ses prétendants et meurt vielle fille défraîchie. Sa tombe devient un lieu de pèlerinage pour des amants où ils se tiennent debout pour demander à Dieu la grâce pour celle a été privée de la pitié de l’amant. Elle clame dans un poème :

QUE PUIS-JE FAIRE ?

«Que puis-je faire? Nulle patience pour pauvre cœur un moment loin de l’amant/. Quel adepte j’ai tenté en vain de  soulager de la peine du battement/. C’est qui ai rendu courant son nom sur ma langue, mais jamais ne rappelle/, tant que l’homme est entouré de ceux qui ne sont des amants/, il me promet l’union, et de son amour m’a tourmentée/. Chaque fois qu’il me promet sans tenir parole, il n’a promesse ni foi/. Je me dis, ô médecin de l’âme guérit moi/, mon mal m’est devenu insupportable/, Il me dit le meurtre de l’amant pour rien, c’est mes us et coutumes/, jamais mes yeux n’ont vu un beau sans guetteur/ et d’entre les fleurs une fleur sans épines/. Même si nous mourons, ô Mahrî, nous ne pouvons nous écarter des gens du beau/, nulle survie pour nous sans amant/, malgré les dires et redires[13]/».

























FATNAT KHÂNEM

    Fatnat Khânem, une poétesse soufie musulmane d’expression turque, décédée en 1780, est l’une des plus grandes poétesses de l’ancienne littérature turque. Elle appartenait à une famille de science et de vertu, dont le père et le frère étaient des cheikhs de l’Islam. Elle a eu un vil et faible mari, Darwich Afendî qui lui empoisonne la vie. Ce qui fait apparaître chez une tendance à l’enjouement et à l’ironie comme une forme de compensation. De sa poésie érotique se révèle le fond spirituel de son âme. C’est elle qui clame :

SON REGARD A UN SOUVENIR SECRET
«Son âme a un souvenir secret, que j’ai trouvé dans mon sein/
Comme si l’antre du lion est celle des antilopes que j’ai vues/.
Ô cœur ce regard et ces sourcils, tel l’arc et l’épée de Rostum le majordome/.
Certes je me suis guérie de la mort par ta séparation/.
Mon âme m’était revenue en me souvenant de ton cœur/.
Mais la blessure de mon cœur au printemps de ton amour temporel/,
Est tantôt sa fleur tantôt une perle ou une fleur de pourpre/
Quelle merveille Fatnat que déborde un jet de perles de tes galets/,
Alors que tu as trouvé un trésor secret dans tes états d’âmes[14]/.»     

  




















LEÏLA KHAN
     Leïla Khânem, est une ancienne poétesse soufie musulmane d’expression turque, du VIIIe s. H/ XVe s. C.  Elle se Elle se fait surtout remarquer par ses oraisons funèbres dédiée à la mort de son père et à celle d’autres personnes. C’est une poésie, selon Ibnu Sarîj, qui se situe entre l’oraison et la lamentation mystique. Elle entonne :

LA SÉPARATION

«Mon âme s’enflamme du feu de l’envie/,
La séparation, ô la séparation, ô la séparation/,
Que ma force ne s’effondre pas de soupir/,
La séparation, ô la séparation, ô la séparation/.
Malheur à moi, mon père a quitté son monde/,
La séparation, la séparation, la séparation/.
Que flûte et tambour soient nos cri et poitrine/.
La séparation, ô la séparation, ô la séparation/.
Un regard monte de mon père vers moi/,
Il ne reste qu’un dernier souffle de mon père/
Alors enflamme mon cœur brisé mon père/.
Que Dieu soit pour ce cœur meurtri/,
La séparation, la séparation, la séparation[15]/.»





















KÎRLÎ NEGAR

    La poétesse soufie musulmane turque d’expression persane, Kîglî Negar, a vécu au XVIIe siècle à Istanbul. Son sens spirituel de la conduite humaine et sa verve poétique l’ont poussé à jeter l’anathème, par une satire, sur le poète libertin et irréligieux turc Nafeï, qui d’ailleurs a été mis à mort, en 1632, sur ordre du sultan Murad IV, à cause de sa longue satire contre le grand vizir Bayram Pacha, contrecarrant ainsi la repentir fait par celui-ci devant le sultan, qui l’a gracié, promettant de ne plus recourir à une telle pratique poétique, ce dont il était devenu le pire satiriste de son temps. Et déjà Kîglî Negar foudroie Nafeï en prédisant :

COMME LA MISE À MORT D’UNE VIPÈRE

«Ce poète satiriste plein d’abus du nom de Nafeï/
Le devoir de sa mise à mort par  les quatre sectes/
Est viable, comme la mise à mort d’une vipère[16]/».     



FARÛGH FAKHRAZÂD

   Farûgh Fakhrazâd est une poétesse soufie musulmane iranienne d’expression persane, née en 1936 et morte en 1967,  à Téhéran, d’une famille conservatrice, patriarcal et rigoriste sur le plan religieux et social. Elle avait six frères et son père était officier de l’armée qui l’a tant brimée et réduit sa liberté, et ce malgré sa culture et son lettrisme. On l’a mariée à l’âge de 16 ans à Prowez Chapur dont elle divorce après moins de deux ans. Elle publie son premier recueil «Le captif» (1955), puis «Le mur et la révolte» (1962), «Nouvelle naissance» (1963), etc. De sa poésie à vocation féministe et spiritualiste, citons :

UNE AUTRE NAISSANCE

«Mon être est une sorte d’expression du signe des  ténèbres/
Signe qui te transportera en soi et mènera à l’aube du bourgeonnement et à la croissance éternels/.
J’ai gémi dans ce signe, tant de gémissement/,
De ce signe, je t’ai greffé d’arbre, d’eau et de feu/.
La vie peut-être est une sorte de longue avenue que parcourt une femme portant une besace/,
La vie est peut-être une corde par laquelle un homme se pend à une branche d’arbre/,
 Il est probable que la vie soit un enfant qui revient de l’école/,
Il se peut que ce soit la vie qui embrase dans une cigarette dans l’intermède de lassitude entre deux embrassades/,
Il soulève son couvre chef, saluant d’un vague sourire un passant, s’adressant à lui : Bonjour ! […]/,

Reviens avec moi /!
Je suis incapable de parler/,      
Parce que je suis amoureuse/,
Et parce que l’expression « J’aime » provient du monde l’absurde, de la putréfaction, de la répétition/.

Reviens avec moi /!
Je suis incapable de parler/.
Laisse-moi porter de la lune, appuyée sur la nuit/!
Laisse-moi me remplir des gouttelettes de la pluie/,
Des cœurs tendres/,
De l’espace des enfants qui ne sont pas encore nés/!
Lisse-moi me féconder/,
Puisse mon amour devenir le berceau de la naissance d’un nouveau Christ[17]/!»


           

   



DEUXIÈME PARTIE
OCCIDENT MUSULMAN
POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES ARABES
TURQES, PERSANES,
BERBÈRES ET
HASSANIES  







     Le pays du Maghreb a connu nombre de dames qui connaissait le Coran par cœur et savaient le psalmodier dans les sept lectures canoniques. Et lorsqu’on évoque le répertoire des ascétiques et des soufies, nous assistons à une image et à des types de la femme vertueuse, vouée au célibat, se consacrant à ses litanies (poésies soufies) et à sa dévotion. Le soufisme n’a qu’une seule langue (traduite en arabe, en berbère et en hassani), convention que partagent ceux ou celles qui ont perçu la vérité de cette univers pour ce qui l’entourent de convoitises éphémères, périssables. Un essaim de ceux-ci dont l’écho s’est répercuté de Tripoli à la côte de l’Océan[18] Atlantique (le Maroc et l’Andalousie). Nous en reproduisons ici un choix des œuvres des poétesses soufies musulmanes d’expression arabes, berbère et hassanie.  
















DEUXIÈME PARTIE
OCCIDENT MUSULMAN
POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES ARABES















HAFSÂ AL RKÜNIYYA
       La poétesse soufie musulmane marocaine d’expression arabe, du  XIIe siècle, Hafsâ Al-Rakûniyya était préceptrice des Dames du Calife almohade Al-Mansûr (1184-1199). “Sous les Almohades, signale A. Benabdellah, Ou Hani, fille du Cadi Ibn Atia, qui donnait des cours, rédigeait des ouvrages dans les diverses branches des sciences religieuses (…). Hafsâ Al-Rakunia, une célèbre poétesse à l’époque, fut préceptrice du harem d’Al Mansur…” – Op.cit., p.5. “La biographie de la dame Hafsâ bint Al-Hâj Al-Rakunia, indique encore A. Tazi, fut citée dans plusieurs référence… On ces vers d’inspiration soufie qu’elle improvisa devant le prince des croyants Abd Al Moumen Ibn Ali (m. en 1163):
       «Ô maître des hommes Ô celui dont/ Les gens espèrent l’assistance// Fais-moi présent d’un feuillet/ Qui sera à jamais une fierté// Où ta main droite écrira [poésie éducative]/ (Louange à Dieu seul et unique)[19].»” – Op.cit., p.137.



UMMU ASAÂD AL QURTUBIYYA
      La poétesse soufie musulmane andalouse d’expression arabe, Ummu Asaâd Al Qurtubiyya (la  Cordobaise) est décédée en v. 640 H/ v. 1272. Elle glorifie les chaussures du Prophète Mohammad (PS) dans vers pleins d’une verve d’adoration mystique :
BAISER LES CHAUSSURES DU PROPHÈTE
«Il se peut que j’aie la chance de les baiser/
À l’Éden de l’éternité le plus lumineux séjour[20]//».














                                           LALLA ZAHRA AL KÛCH

    La poétesse soufie musulmane marocaine d’expression arabe, Lalla Zahra Al Kûch, fille du cheikh Sidi Abd Allah Al Kûch Ibnu Masa’ûd (cheikh après la mort de son père Abd Alkarim Al Fallah, en 933 H/ 1765 C), est décédée à Marrakech, en 1020 H/ 1652 C. Elle grandit soufie jazulite à la zaouïa de son père, foyer de savants, de combattants, de fukahas, d’ascèes et de saints. Elle ne s’est jamais mariée en se consacrant à l’hospitalité de la zaouïa et à l’enseignement des enfants. Le sultan Saâdien Zaïdân Ibnu Mansûr a eu vent de sa beauté et l’oblige à l’épouser. Elle se transforme miraculeusement en colombe la nuit de ses noces. Et le sultan devient aveugle e ne recouvre la vue qu’en renonçant à ce mariage. De sa poésie citons notamment :

J’AI ENVAHI MA SOLITUDE

«J’ai envahi ma solitude par mon hospitalité/
J’ai fait de son recueillement mon oreiller//
Et j’ai dit/
Raconte, raconte, ô ma grand-mère//
Elle peigne un vide qu’il y avait ma dans natte/
Elle répond : c’est ton tour ma fille//
De déverser la vie dans mon carquois/
Oh, oh ! Ô ma chérie//
Si tu gaves la somnolence avec délicatesse/
À ma paupière, à mon cil, à mon rêve, à ma veille[21]».






















AL WARDÎGHIYYA
    Al Wardîghiyya est une poétesse soufie marocaine d’expression arabe dialectale  (de la ville de Chafchaouen), originaire de la famille wardighî. On ne sait plus d’elle qu’un poème faisant l’éloge du noble soufie, le cheikh Mohamed Ben Al Hasan Ar-Raïsûnî (de la zaouïa Ar-Raïsûniyya), m. en 1131 H/ 1719 C[22]. Elle y clame :

LE PÔLE MAGNANIME

«Le pôle magnanime/
Mon œil l’a vue en rêve//
Tout habillé de soierie/
Que je pensais verte//».










AT-TÛRDANIYYA

     At-Tûrdaniyya poétesse soufie musulmane marocaine de Chafchaouen, d’expression arabe dialectale et classique, avait vécu à la fin du XIXe siècle, et était l’épouse de Sidi Ahmed Boujanna. Elle a survécu jusqu’au règne du roi Moulay Al Hassan 1er (1830-1894). De sa poésie louant une noble soufie Al Azîza Bint Ahmed Raïsûnî, voici ces vers :

Sainte Al Azïza, ô fille d’Ahmed/
Ô fille de la sublime sacralité[23]//».





















POÉTESSES SOUFIES
MUSULMANES
BERBÈRES ET
HASSANIE
















LALLA FATMA TAÂLLAT

     Lalla Fatma Taâllat, poétesse soufie musulmane marocaine d’expression berbère, de la tribu Aït Alla de Taskdelt Baïlalen, dans le Sous, est décédée en 1207 H/ 1839 C. Elle était la contemporaine du sultan alaouite Moulay Al Yazîd (1790-1792). Son tombeau est un lieu de pèlerinage et fête annuels, pendant le mois de février. Après sa mort, le caïd de Taroudant Haj Ahmed Ignî Al Hâhî bâtit un sanctuaire sur sa tombe, en 1255 H/ 1887 C. De son poème soufie en berbère, on cite ces vers :

«La prière du Prophète Mohammed/
 A secoué le ciel et secoue le trône//
Au  Grand et bien-aimé Apôtre/
J’ai envoyé des messages à venir//
Qui nous est toutefois apparu/
De l’Envoyé, nous aimerions laisser//
Ces commandement lors du départ/
C’est croire en Dieu et en son Prophète/
Inconscient  qui ne voit une telle preuve[24]//


NASR ALLAH REGUIBIYYA
    Nasr Allah Reguibiyya est une poétesse soufie musulmane marocaine d’expression hassanie sahraoui, de la ville de Layoune. En 1975, elle appuie de sa poésie la guerre sainte, menée par le Maroc contre l’occupant étranger espagnol et les convoitises expansionnistes hostiles dans la région. Ainsi entonne-t-elle, selon la tradition des adeptes des zaouïas soufies en de pareilles circonstances,  en ces vers :

LE TOUR DU SAHARA

«Ce n’est ni une réplique ni un article/
C’est le Sahara qui s’investit à  son tour//
Si Dieu Vivant Glorieux le veut bien/
Pour sûr son drapeau y sera hissé[25]//!»   
             






KHADDÜJ BINT HMAD NAÏT U’FQÎR
    La poétesse soufie musulmane marocaine d’expression berbère, Khaddûj Bint Hmad Naït Ufqîr, était l’épouse du résistant martyr, à la manière historique des combattants des zaouïas soufies marocains, avec ses deux grands fils de la cause nationale, le poète Alî Ben Brahîm «Ighram Wamân» de la tribu Aïdawazdut dépendante des tribus Aïghram, à la suite de quoi, les femmes de la tribu avaient quitté, dans la nuit, leur  terroir pour l’exil forcé. Khaddûj Bint Hmad Naït Ufqîr avait alors composé un poème relatant les événements douloureux qu’avaient vécus et endurés les tribus du Sous, où elle dit :

Ô SOURCE DE MON CŒUR

«Par ton Seigneur ô source de mon cœur, si tes eaux sont taries/
Pour qu’on ne cultive pas et qu’abondent les récoltes/,
Nous n’avions pas prévu que notre sort soit ainsi/.
Ô mon malheur, je suis atteinte par trois adversités/ :
La premier est l’exil et je n’ai assassiné personne/
La seconde ma terre qui est restée en friche/
Enfin mon terroir que j’ai quitté/
Mon Dieu assiste dans des pays où il n’y a pas ma mère/
Où il n’y a pas d’ami, ni à qui confier mes soucis/
Un cimetière où il n’y as les tombes de mon clan/
Son visiteur se contente de saluer ses locataires/
Et s’en va, mère combien mon foie ressemble au poisson/
Beau au milieu des eaux/
Mais hors d’elles ses nageoires se dessèchent comme la paille sèche/
Mère mon foie est comme la paille sèche/
Et sans protecteur, et mes frères se sont éteints[26]/».

















MEÏMA BENT EL BOUKHARI SBAÏ

    Meima Bent El Boukhari Sbaï est une poétesse soufie musulmane marocaine sahraouie d’expression hassanie de Layoune qui mystiquement glorifie, en 1975, à l’instar des combattants soufis des zaouïas lors des guerres saintes, le retour des provinces du Sud jusqu’alors spoliées par la colonisation espagnole à la mère patrie marocaine et au Royaume du Maroc. Elle dit dans ces extraits en vers lyriques, datant de 1994 sa sollicitude et sa prière pour le retour au foyer de ses compatriotes séquestrés dans les camps de Tindouf, en Algérie, en clamant : 

SALUT À TOI Ô GRAND ROI !

«Salut à toi/, Ô grand Roi ! Et bénit soit le plébiscite par lequel/
Le Sahara est de retour à la mère patrie/ Qui ne te viendrait de partout//
Oueld Ben Sabaâ/, comme Ahl Mae El Aïnine/, et Rouqueibate qui t’aime tant/ qu’Aït Oussa et Izerguyne/, comme tu le sais/ Ô descendant d’El Hassan et d’El Hussein/, Que Dieu te protège/ ! Mille fois, Amen…». 

QUELLE GRÂCE ET BIENFAITS !
«Quelle grâce et bienfaits ! Ô peuple du Sahara ! quelle grâce que Hassan vous étreints/, et ralliés à vos frères marocains !//
Protégés et bienaimés/, Hassan vous a graciés/, par l’allégeance/, en sujets fidèles sous ses auspices//.
Rentre donc !/ vous qui demeurez encore/ là-bas, endurant sauvagerie et torture/, loin de la patrie qui vous chérit/, où la vie vous attend/, à côté du Roi/ altiers et sublimes[27] !! ».
  


















[1] Dr. Husein Mujib Al Misri : «Fî Al Adab Al Arabî wa At-turkî, Dirâsatun fî Al Adab Al islâmî al muqâran», le Caire, Ed. Maktabatu Al Nahdati Al Misriyya, 1962, pp.253-254.
[2]  Dr. Husein Mujib Al Misri,  Op. cit., p.362.
[3]  Ingrid Hunke : «Le soleil d’Allah brille sur l’Occident», Paris, Albin Michel, 1963, pp.367-368.
[4] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., p.365.
[5] Op. cit., p. 271.
[6] Mohamed Cherif : «At-Tasawufu wa As-Sultatu fî Al Maghrib Amuwahidî», Tétouan, Edit. Top Press, 2004, p. 84.
[7] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.363-264.

[8]  Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.8, 120.

[9]  Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.81-82; Henriette Walter : «Dictionnaire Hachette, 2003», Paris, Edit. Hachette, 2001, pp.601, 882, 974. 
[10] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.362-263.

[11] Ensemble Rabia : «Rabi’a al-Adawia », www.ensemblerabia.net , pp.1-2 ; Dr. Husein Mujib Al Misri, Op.cit., pp.365.

[12] Dr. Mohamed Nour Abdelali : «Aïcha Al-Bâ’ûniyya», www.alkeltawia. com , pp.1-2; Ahmed Hassan Az-Ziât : «Târîkh Al Adab ‘Al Arabî », Edit. Matba’at Ar-Risâla, sd, pp. 412-413.


[13] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.44-46.

[14] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.55-57.

[15]  Op. cit., pp.75-76.
[16] Dr. Husein Mujib Al Misri, Op. cit., pp.236-241.

[17] Ahewar : «Achi’r anniswî al fârisî », www.ahewar.org , pp.1, 2, 4.
[18] Abdelhadî At-Tâzî : «Al Mar’atu fî Târîkh al Gharb Al Islâmî», Edit. Le Fenec, 1992, p.34.
[19]  Abdelhadî At-Tâzî, Op. cit., p.137.

[20] Abdelhadî At-Tâzî, Op. cit., p.131.

[21] Abdelhaq Fikrî Al Kûch : «Al ‘Adhraâ Zahra Al Kûch, mutasawifatun isthitnâ’iyyatun fî al Maghreb wa al ‘Âlami al islamî», www.ahewar.org , pp.1-2.
[22] Abdelhadî At-Tâzî, Op. cit., p.158.

[23] Osire Glacier : “Turdaniya et al-Ouardighiyya, poétesses chanteuses de la musique al-malhoune », www.osireglacier.com , pp.1-2.

[24] Aït Baha : « As-Saïda Lalla Fatma Taâllat », www.aitbaha.yahoo7.com , p.1.
[25] Abdelhadî At-Tâzî, Op. cit., p.148; et Bahi Mohamed Ahmed : «Al Mar’atu fî As-Sahraâ», «Majallatu Al Funûn Al Maghribiyya», 1975.

[26]  Star Times : «Al mar’a as-Sûsiyya wa Dawruhâ fî at-Tanmiyya», www.startimes.com , p.1.
[27] Meima Bent El Boukhari Sbaï : «LE ROI DONT NOUS CONNAISSONS L’ASCENDANCE ET L’ALLÉGEANCE », Trad. Lahcen Ben Omar, Edit. R.M.A., 1994, pp.20, 19.