domingo, 30 de julio de 2017

Les Mille et Une Nuits et l'insertion de vers poétiques dans les romans des cinq continents, Dr. SOSSE ALAOUI Med



L’INSERTION DES VERS POETIQUES DANS LES ROMANS
DES CINQ CONTINENTS : 1788-2015


      Un des traits frappant du roman dans le monde continue d’être  manifeste jusqu’à nos jours, c’est celui de l’intercalation des vers poétiques au sein de la prose narrative. Ainsi avons-nous eu l’idée de sonder ce phénomène littéraire à travers un corpus dans le cadre de la question : «L’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015». C’est ce que François Laurent définit en ces termes : «La formule «insertion lyrique» désigne donc l’intercalation en contexte narratif d’une chanson [v. d’un poème] citée intégralement ou partiellement, attribuée à l’auteur du roman ou à un autre poète, les principaux genres étant susceptibles de servir de farcitures.» -                 «Les insertions lyriques dans les romans en vers du XIIIe siècle », www. epublications.unilim.fr , p.8. Ainsi aborderons-nous les faits suivants :


I. Les tirades des Mille et une nuits base de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015.
II. La structure et le croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015.
III. Les romantiques et l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015.
IV. Les fonctions des poèmes dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015.
V. Les exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015.


      I. Les tirades des Mille et une nuits base de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :

      Certes, il est à signaler, selon  A.-A.-C. Buchon, Ed. A. Desrez, citant M. Fauriel [1772-1844], que les tirades des Mille et une Nuits, du fameux roman feuilleton arabe, ont alors servi de base à l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, en affirmant : «  M. Fauriel, dans son travail sur L’épopée chevaleresque, n’hésite pas à regarder comme certain que c’est aux Arabes que nos romanciers ont emprunté leurs tirades monorimes ; le même savant fait remarquer que la manière dont les vers et la prose sont séparés dans le roman d‘Aucassin et Nicolette est précisément la même que celle que l’on observe dans les romans arabes populaires, et il ne doute pas que le romancier chrétien n’ait imité les formes de la narration arabe.» - «Les tirades en vers et prose des romans empruntées aux Mille et une Nuits.», www.books. google.co.ma , p.26.
      Plus précisément, indique ces deux auteurs, a titre d’exemples : «Quelque temps après le poète Ruteboeuf [1230-1285], le poète Adenès [1240-1300] composait son roman en vers de Clamades et Clarmonde [1275], qui, plus tard, fut rédigé en prose et que le comte de Tressan [1705-1783] a analysé dans ses Extraits des romans de chevalerie. Le spirituel mais peu exact abréviateur avait déjà fait remarquer que le poème d’Adenès reposait sur la même donnée que l’Histoire du cheval enchanté dans les Mille et une Nuits ; mais il ne pouvait savoir que […] Adenès déclare qu’il été lui-même en Orient [1248].» - Op.cit., pp.26-27.

       En fait, Dominique Peyrache-Leborgne abonde dans ce sens que ce mélange des genres vers et prose n’est guère une invention du roman romantique du XIXe siècle, mais bien une tradition médiévale, donc d’origine arabe, en affirmant : « Le roman romantique n’a pas inventé le mélange des genres, qui existait bien avant lui, comme l’attestent les traditions anciennes du prosimètre et du roman médiéval à insertion lyrique. […] En effet, dans les années 1800, apparaît un phénomène nouveau : la création, paradoxale pour l’époque, d’une forme prosaïque qui puisse s’ouvrir entièrement à son contraire, le poème versifié, et ce phénomène parvient à subvertir presque complètement les distinctions et les hiérarchies qui existaient précédemment entre vers et prose.» - «Le récit romantique (Allemagne-Angleterre victorienne)», www. atlantide.univ-nantes.fr , p.2.

      II. La structure et le croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :

      Pour ce qui est de la structure et du croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, Michał Obszynski relève, en 2015, écrit, à propos du roman [v. Texaco, 1994] de Chamoiseau [Patrick Chamoiseau : 1953-], notamment : «Hétérogène au niveau de la structure et du contenu, fusionnant récit autobiographique, dialogue imaginaire et poème, le texte de Chamoiseau se situe au croisement des genres et des styles.» - «Manifestes et programmes littéraires aux Caraïbes francophones: En/jeux idéologiques et poétiques », www.books.google.co.ma,
 p.217.

       Par ailleurs,  Dominique Peyrache-Leborgne indique quant à la structure et du croisement des genres dans l’insertion des vers poétiques dans les romans dont relèvent ici les romans des cinq continents : 1788-2015, une pratique da citation exemple à l’appui, en indiquant : « Quand le roman inclut des formes poétiques, c’est surtout au niveau d’une pratique de la citation: par exemple, La nouvelle Héloïse (1761) place fréquemment dans les lettres de ses personnages des vers de Pétrarque [1304-1374], de Métastase [Pietro Metastasio : 1698-1782], du Tasse [Torquato Tasso :1544-1595]. Mais cette pratique de la citation ne rompt pas l’unité générique du récit en prose. » – «Le récit romantique (Allemagne-Angleterre victorienne) », Op.cit., p.3.

      III. Les romantiques et l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :

      Partant des romans chez les romantiques, il est possible d’observer historiquement, au sujet de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, avec D. Peyrache-Leborgne l’apport du romantisme franco-allemand notamment : «Et il faudra attendre les prémisses du romantisme, avec le roman gothique et les premières formes de récits dits «arabesques» [structures et du croisement des genres]  au sein du romantisme allemand, pour qu’une pratique systématique de la forme mixte se mette à nouveau en place, accompagnée d’une nouvelle réflexion sur le roman comme genre poétique. Il conviendra donc d’examiner ici deux aspects de cette constitution [v. structure et croisement] progressive de ce que l’on peut appeler le roman-poème romantique: d’une part à travers le genre romanesque du romance anglo-saxon, et d’autre part en fonction de la nouvelle conception du roman élaborée par le romantisme allemand.» - Op.cit., Ibid.

     En outre, le même auteur y inscrit l’apport romantique  du roman gothique et du roman historique incarné par l’œuvre de Walter Scott [1771-1832] en remarquant : «Walter Scott, qui reste sans doute le plus fameux des antiquaires romantiques, collecte et réécrit des ballades issues de l’ancienne tradition des ménestrels, qu’il publie en 1802-1803 dans Minstrelsy of the Scottish Border.[…] Il est donc tout naturel que Scott ait poursuivi la pratique formelle du romance médiéval ou gothique en conservant dans la forme même du roman historique qu’il invente une place importante pour les ballades et chansons. Cette pratique assez systématique de la forme mixte s’explique chez lui à la fois par son travail de poète-antiquaire, par sa contemporanéité avec le romance gothique et enfin par l’influence et de l’ancien roman de chevalerie qui reste un des matériaux de base pour le roman Historique.» - « Le roman romantique et  les citations poétiques », Op.cit., p.5.

      De son côté, Philippe Postel note le parallélisme paradoxal existant entre l’insertion des poèmes dans la prose plus abondante dans les romans classiques chinois [v. la proximité avec les romans populaires arabes et le les romans romantiques et médiévaux français] que dans les romans préclassiques occidentaux, d’ailleurs critiquée et moquée par les auteurs de l’antiroman [Jean-Paul Sartre, à propos de Nathalie Sarraute, 1948], soulignant  :  «Un roman chinois classique peut surprendre le lecteur occidental à bien des titres, mais en particulier par l’abondance des poèmes qui viennent s’insérer à l’intérieur de la prose. C’est oublier que la pratique des formes faisant alterner vers et prose est bien vive encore à l’époque préclassique dans notre propre littérature. Les auteurs d’antiromans [1940-1960] s’emploient du reste à la moquer.» - «L’insertion des poèmes dans le roman classique en Europe et en Chine», www.atlantide.univ-nantes.fr , p.1.

      IV. Les fonctions des poèmes dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :
 
       En ce qui regarde les fonctions des poèmes [v. les vers poétiques] dans l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, Philippe Postel relève une série de fonctions de portées : dramatique,  lyrique,
distanciative par rapport à l’énoncé, descriptive, commentative, énonciative, structurante, réflexive, etc., qu’il résume ainsi : « Les poèmes insérés remplissent donc des fonctions fort diversifiées. Nous avons distingué deux fonctions – dramatique et lyrique qui sont bien ancrées dans l’énoncé, puis deux autres fonctions qui marquent une distance par rapport à l’énoncé, sans pour autant s’y soustraire – la description et le commentaire –, enfin deux dernières fonctions qui concernent non plus l’énoncé mais l’énonciation, dans la mesure où elles renvoient à l’acte même de raconter : la fonction structurante et la fonction réflexive. Il faut ajouter que les poèmes relèvent la plupart du temps de plusieurs fonctions à la fois : un poème à fonction lyrique pourra déclencher une réaction de la part des personnages dans la trame narrative, et jouer donc aussi sur le plan dramatique, etc. » -   «L’insertion des poèmes dans le roman classique en Europe et en Chine», Op.cit., p.44.

        Or, la pratique systématique de ces fonctions de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, peut, selon D. Peyrache-Leborgne, prendre différentes formes – récits épistolaires, historiettes en vers, citations poétiques, et épigraphes de tous genres, qu’il inventorie dans : «Certes, le roman a souvent été pensé comme le non-genre par excellence, la forme la plus souple qui soit, apte à contenir d’autres formes : récits épistolaires, historiettes en vers, citations poétiques et épigraphes en tous genres.» - « Le roman romantique et  les citations poétiques », Op.cit., p.2.
C’est ainsi que se matérialise ce phénomène littéraire de l’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, observable à travers le corpus de 15 romans étudiés, répartis au nombre de : 8 pour EUROPE avec la France (2), l’Irlande (2), l’Angleterre (1), l’Allemagne (1), la Russie (1), la Roumanie (1) ; 2 pour l’AFRIQUE avec le Maroc (1), le Sénégal (1) ; 3 pour l’AMÉRIQUE avec les USA (1), le Canada (1), Haïti (1) ; 1 pour l’ASIE avec la Chine (1) ; et 1 pour l’OCÉANIE avec l’Australie (1).    

       V. Les exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015 :

       Pour illustrer ce parcours du corpus (sus-indiqué) sondé des insertions des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015, citons en à titre d’exemples  les extraits d’auteurs géo-représentatifs suivants :

       1. Les exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent européen : 1965-2006 :

        Concernant l’Europe, les exemples des insertions des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs parutions,  dans le corpus pris au hasard étudié, entre 1965 et 2006, à savoir :

·                         La Roumanie : «Le triangle», Pop Simion (1930-2008),  Ed. Arta Grafica, 1965 :

         «Enfin il [Kirilã] la [la cigarette] reprenait et se met imiter le pope, en chantant d’une voix nasillarde, à la manière des bedeaux :
                                        - Roulons-nous cigarette,
                                            Bien bonne, bien doucette,
                                            Car c’est bien pour ça
                                            Qu’est fait le tabac

           Sa jeune moitié [Leontina] le traitait d’antéchrist, le frappait avec la louche, menaçait de le priver du gésier du volatile.» (p.36)

·                         L’Irlande : «L’auberge du Dragon volant», Joseph Sheridan Le Fanu (1814-1873),  Ed. Marabout, 1967:

          «Quelques instants plus tard, la dame se mit à chanter une drôle de petite chanson. Je n’ai pas besoin de vous rappeler combien une voix qui chante s’entend de plus loin qu’une voix qui parle.  Je pus distinguer les paroles. La voix était de ce genre délicieusement doux que l’on nomme, je crois, un semi-contralto ; elle avait quelque chose de pathétique et, en même temps, me sembla-t-il, d’un peu moqueur. Voici, traduites maladroitement mais aussi exactement que possible, les paroles de cette chanson :

           «La Mort et l’Amour, ensemble mariés,
                   Sont là qui guettent, en patiente embuscade ;
            A l’aube claire, ou à la nui tombée,
                    Chacun fait choix de fille ou de garçon,
            Soupir brûlant, ou bien souffle glacé,
                     Affole ou transit la fille ou bien le garçon ;
              Amour ou Mort sa victime saisit,
                      Matin et soir  en patiente embuscade. » (p.19) 
    
·                         La Russie : «Le premier cercle», Alexandre Soljenitsyne (1918-2008),  Ed. Robert Laffont, 1968:

         «- Non, cher professeur [Razvodovsky, professeur d’histoire, prisonnier] pardonne-moi [Lev Grigoritch, ancien soldat, prisonnier]. Tu n’as qu’à lire Vladimir Dahl. « Bonheur » vient du mot qui désigne le sort […].
        - Peu importe ! Laisse travailler ceux qui s’occupent de philologie comparative.  […]
      - Va te faire voir. Ecoute... As-tu lu la seconde partie de Faust [Tragédie en vers, de Goethe, 1808]? […]
      - Tu ferais mieux de me demander si j’ai lu la première partie. Tout le monde dit que c’est une œuvre de génie, mais personne ne l’a lue. Ou alors les gens ne la connaissent qu’à travers Gounod [Charles Gounod, musicien : 1818-1893].
         - Non, la première partie n’est pas difficile du tout.
       
               « Je n’ai rien à dire du soleil ni des mondes,
                 Je ne vois que les tourments des humains…»
        
        - Ah ! j’aime ça !     
        - Ou bien :
               
               «Ce dont nous avons besoin, nous ne le connaissons pas,
                Ce que nous connaissons nous n’en avons pas besoin. »

        - Formidable ! » (p.56).

·                         La France : «Les déclassés», Jean-François Bizot (1944-2007),  Ed. Le Sagittaire, 1976 :

          «Avant de se coucher, le barman mettait des discours de Malcolm X [1925-1965]. Sa voix hachée et chaude pulvérisait la misère. Il scandait, le frère Malcolm, ces phrases comme des jets de saxo :

           Je ne suis pas Américain
           Le dernier crétin d’émigrant débarqué est Américain
           Il suffit d’avoir les yeux bleus pour être Américain 
           Je suis là depuis un siècle et je ne suis pas Américain.

 Right on ! appuyait le barman.  Right on ! criait le disque. » (p.178).
·                         La France – La Guadeloupe : «Traversée de la Mangrove», Maryse Condé (1937-),  Ed. Gallimard, 1992 :

         « Aujourd’hui, Francis Sancher était mort. Une main secrète avait accompli la vengeance à laquelle sa lâcheté ne se décidait pas. […]La route était libre». [Lors de la veillée funèbre, Dinah chante le psaume suivant] :

Louez l’Eternel!
Louez l’Eternel du haut des cieux;
Louez-le dans les cieux très hauts!
Louez-le, vous, tous ses anges!

[Les chœurs des femmes s’élèvent] :

Nous te louons, ô Dieu, nous célébrons tes louanges
Et ton nom est présent parmi nous
Tu racontes tes merveilles. »  (pp.48-228)

·                         L’Angleterre: «Ivanhoé», Walter Scott (1771-1832), Ed. Oxford University Press, 1996 :

Ayant atteint la petite clairière éclairée par la lune, ils eurent devant eux la chapelle révérée, quoique en ruine, et le grossier ermitage qui convenait si bien à la dévotion ascétique du moine qui l’habitait ; alors Wamba dit tout bas à Gurth :

– Si c’est ici l’habitation d’un voleur, il justifie le vieux proverbe : « Plus on est près de l’église, plus on est loin de Dieu. » Et, par ma crête de coq ! ajouta-t-il, je pense qu’il en est ainsi. Écoutez seulement ce noir Sanctus qui se chante à l’ermitage.

En effet, l’anachorète et son commensal entonnaient, en donnant toute l’extension possible à leurs puissants poumons, une vieille chanson bachique dont voici le refrain :

         «Passe-moi le pot d’ale brune, /Allons, Joseph, joyeux garçon, / Passe-moi le pot d’ale brune. / Au buveur sourit la fortune; /Lâche qui boude boisson!», […] /Vers le pays tournant ses pas;  [… ]  /Sur son écu mainte prouesse / Est gravée avec son devoir. / Sous le balcon de sa maîtresse, /Il chante ainsi dans l’air du soir(p.224).

·                         L’Allemagne : «Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister», J.  W. Von Goethe (1771-1832), Ed. Folio, 1999 :  

     «Lorsque le lendemain matin lorsque Wilhelm demanda Mignon, on lui dit qu’elle était sortie avec M. et Madame Mélina, qui étaient venus la prendre pour les aider à transporter chez eux la garde-robe du théâtre. […]

    Après être resté quelques heures seul dans sa chambre, il entendit à la porte une douce mélodie […], mais il reconnut presque aussitôt les sons d’une guitare et la voix de Mignon ; aussi s’empressa-t-il de la faire entrer, et l’aimable enfant chanta les strophes suivantes :

«Connais-tu le pays des citronniers en fleur?
Dans le feuillage obscur flambe l’orange d’or,
Un doux vent souffle du ciel bleu,
Le myrte est là, paisible, et fier s’élance le laurier,
Le connais-tu, dis-moi? ». (p.123)

·                         L’Irlande : «Ulysse», James Joyce (1882-1941), Ed. Gallimard, 2006:

         «Alors et ainsi de suite, comme je disais, le vieux chien quand il voit que la boîte elle est vide il se met à renifler la souris autour de Joe et de moi. Je te le dresserais, moi, par la douceur, si c’était mon chien. Lui donnerais un de ces bons coups de pieds bien placés de temps en temps, là où ça le rendrait pas aveugle.[…]

        Et il se met à le tirer à l’agacer et à lui parler en irlandais et le vieux tueur à gronder et à faire sa partie comme dans un duo d’opéra. Un concert pareil j’avais  jamais entendu qu’ils faisaient tous les deux. […] Grondant, grognant et ses yeux injectés de sang tellement il avait le gosier sec  et l’hydrophobe qui lui dégoulinait de la gueule. […]
Peut-être faudrait-il ajouter que les effets se trouvent notablement accrus si l’on récite les vers d’OIwen relativement lentement et indistinctement afin de suggérer une rancune contenue.

Que la malédiction soit sur toi
Barney Kierman, qu’elle soit sur toi sept fois
Etre sans loi qui me mets aux abois
sans une gorgée d’eau pour me donner la foi
tant et si bien que j’en ai mal au foie
Qu’après Lowry je ferai n’importe quoi
L’ami Lowry du musichall le roi
Afin qu’il me recueille sous son toit
.

    Alors il a dit à Terry d’apporter de l’eau pour le chien et il l’a lapée bon Dieu, on aurait pu l’entendre un kilomètre à la ronde". (p.135)
      
       2. Les exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent africain : 1981-2003 :

       Pour l’Afrique, les exemples des insertions des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs parutions,  dans le corpus pris au hasard étudié, entre 1981 et 2003, à savoir :

·     Le Maroc : «La prière de l’absent», Tahar Ben Jelloun (1947-), Ed. du Seuil, 2006 :

     «Sindibad s’était retiré sous un olivier chétif et récitait à voix haute des vers d’Al Hallaj [Mansour : 857-952] :

Tuez-moi,  ô mes amis
Ma vie est dans ma mort
Et ma mort est dans ma vie
Et ma vie c’est de mourir
Annuler mon âme
C’est me faire un don
Me laisser tel que je suis
Est le pire des maux
Mon âme porte le dégoût de ma vie
A travers les décombres.

      Il interrompit ces invocations au moment où Yamna s’approcha de l’olivier :
     - Que fais-tu Sindibad?
     - Je pris ! ». (pp.193-194).

·     Le Sénégal : «Le ventre de l’Atlantique», Fatou Diome (1968-), Ed. Anne Carrière, 2003 :

     «Ils [les amis de Madické, le frère de Salie, resté au pays idolâtre de l’occident] se sont cotisés pour faire la fête ce soir ». […] Mais, Salie [l’héroïne immigrée sénégalaise devenue écrivain, à Paris], compose sur sa condition de vie dans  Le Ventre de l’Atlantique, le fragment poétique suivant :  

« Clôturés, emmurés
Captifs d’une terre autrefois bénie
Et qui n’a plus que sa faim à bercer

Passeports, certificats d’hébergement, visas
Et le reste qu’ils ne nous disent pas
Sont les nouvelles formes de l’esclavage

Relevé d’identité bancaire
Adresse et origines
Critères de l’apartheid moderne.» (p.250).

     3. Les exemples d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent américain : 1934-2004 :

       Pour l’Amérique, les exemples des insertions des vers poétiques dans les romans, ils se situent, selon les dates de leurs parutions,  dans le corpus pris au hasard étudié, entre 1934 et 2004, à savoir :

·     Les USA : «Une saison de coton : Trois familles de métayers», James Agee (1909-1955), Ed. Plon, 1934 :

       «[En épigraphe, une strophe tirée du Roi Lear, Ac.III, sc.IV, de William Shakespeare : 1564-1616] :

       «Pauvres, miséreux, nus, où que vous soyez,
         Vous qui souffrez les coups de cet impitoyable orage,
         Sans abri pour vos têtes et les flancs creux,
         Comment vos guenilles sans forme, criblées de jougs,
         Vous garderont-elles contre pareilles saisons ? Ah! je 
       Ne me suis point soucié de tout cela! Prends ton
                           Remède, Faste ;
          Débarrasse-toi de ton superflu et donne-leur
          Afin de montrer les cieux plus équitables. » (p.146).

·     Le Canada : «La pacotille», Gérard Etienne (1936-2008), Ed. L’Hexagone, 1991 :

       «Guilène ne bouge toujours pas. Découpée par mon œil tuméfié. Quelle horreur, mon Dieu. Indescriptible, le corps de Guilène. Broyé sous les roues d’un camion, dirait-on. Tranché à la machette, dirait-on. Alors la fin. Non. Une toute petite respiration. Juste assez pour nous redire ces vers inoubliables.

Nous n’irons pas au but un par un mais par deux.
Nous nous connaissons par deux nous nous connaîtrons tous
.
[…]
Bouge  Guilène, bouge ma grande. Nous avons gagné. Oh oui. Nous avons vaincu le monstre. Regarde. […] Nulle bête autour de nous. […] Il fallait la voir, la maudite, quand le jeune paysan, à un coup de barre de fer, répondait par un chant religieux.
Ô jour béni, jour de victoire
que je ne saurais jamais oublier.
J’ai vu, j’ai vu le Roi de gloire
apparaissant sur mon sentie
r.» (pp.212-215).
·     Haïti : «Une saison de coton : Dernier appel», Jean-Marie Bourjolly (1972-), Ed. du Cindhica, 2004 :
       « La composition locale qui clôturait ces concerts, le clou de ces soirées, donnait lieu à un changement radical de la part du public. En un clin d’œil, l’animation était à son comble. […] Les soldats de service distribuaient des coups de rigwaz à tour de bras. Cela ne faisait qu’ajouter à l’excitation des protagonistes, hommes et femmes, qui, en plus de danser […], trouvaient encore le moyen de chanter : (G. Brassens, Le blason) :
[…]
Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c’est fort malencontreux
Que ta fleur la plus douce et la plus érotique
Et la plus enivrante en ait un si scabreux
 » (pp.16-18)  
4. L’exemple d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent asiatique : 1988 :

       Pour l’Asie, l’exemple des insertions des vers poétiques dans les romans, il se situe, selon la date de sa parution,  dans le corpus pris au hasard étudié, en 1988, à savoir :

·      La Chine : «Une rue pauvre», Cheng Naishan (1946-), Ed. Litt. Chin. Trim.1, 1988
       «C’est le soir et il commence à pleuvoir. Toute la rue est silencieuse, on n’entend que les gouttes d’eau qui martèlent la terre. Zhang Xianglin, son imperméable sur le dos marche. C’est à la radio le moment du programme musical. Par une fenêtre basse, le son de La truite de Schubert [Franz Schubert, musicien allemand : 1797-1828] s’échappe :
                  - Dans une rivière limpide
                   Nage une petite truite.
        
          Dans le silence du soir, la chanson coule dans la ruelle :

                 - Le pêcheur ne peut plus attendre
                      Il trouble l’eau
                      Il saisit sa proie. »  (pp.163-164)
      5. L’exemple d’insertions des vers poétiques dans les romans du continent océanique : 2015 :

       Pour l’Asie, l’exemple des insertions des vers poétiques dans les romans, il se situe, selon la date de sa parution,  dans le corpus pris au hasard étudié, en 2015, à savoir :

·     L’Australie : «La mémoire des embruns», Karen Viggers (1946-), Ed. Les Escales, 2015 :

      « Mis en exergue (p.4)
 « Ma vie fut vaste et sauvage,
 et qui saurait sonder mon cœur ?
Là dans cette jungle dorée
je marche seule. »

   Judith Wright [poétesse australienne : 1915-2000]
“The Sisters”, A Human Pattern: Selected Poems

    En conclusion à ce bref aperçu panoramique illustré sur « «L’insertion des vers poétiques dans les romans des cinq continents : 1788-2015», il apert que cette pratique romanesque émanant de l’âge médiéval occidental et du récit des Mille et Une Nuits arabe oriental, trouve tout son écho dans cette observation judicieuse de François Laurent  sur le fonctionnement global de  cette pratique textuelle encore vivace au XXIe siècle, de par le monde, formulée en ces termes   : «Ces vers narratifs «teintés» de vers lyriques connaîtront un succès tel que de nombreux imitateurs reprendront le procédé en le transformant et en l’adaptant à leur matière tout au long des XIIIe, XIVe et XVe siècles [v. au XXIe siècle]. […] Sur les traces d’une critique avançant que le roman à insertions suppose un rapprochement entre univers fictionnels distincts, nous nous sommes demandé quelle forme pouvaient prendre les échanges lyrico-narratifs. […] Tout d’abord, le texte travaille la citation, la transforme, la dénature.  […] L’entour narratif  modifie la citation qui,  par conséquent, aurait  très bien pu bénéficier d’un sens bien différent dans  un tout autre contexte. En insérant  cette pièce, l’auteur  lui  donne une signification et accomplit un acte critique. » - «Les insertions lyriques dans les romans en vers du XIIIe siècle», Op.cit., pp.8-78 

                                                       Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED