jueves, 30 de julio de 2015

PTE ANTHOLOGIE D'AMOUR ARABO-POETIQUE DE L'OCCIDENT





Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED







PETITE
ANTHOLOGIE
DU MIROIR DE L’EROS
ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT
1321 - 2015








Tétouan
2015 


INTRODUCTION

    En guise d’introduction à cette «Anthologie du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident : 1321-2015», il serait loisible d’en cerner l’horizon, du mieux qu’on peut, le plus théoriquement et historico-littérairement possible. Cela nous conduira à observer à priori les aspects fondamentaux suivants :

        1. Une théorie de la parenté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident : 

    Du point de vue de la théorie de la parenté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident, il y a lieu d’avancer avec Faouzi Skalli : «A l’ultime extrême de l’Orient point l’Occident. Et inversement. Comme la nuit s’enroule dans le jour, dit le Coran, et le jour dans la nuit ». La globalité du monde ne peut être perçue que dans le jeu de ces oppositions et complémentarités, ce jeu de miroir, entre ces deux hémisphères de notre planète. Mais au-delà de leur disposition géographique l’Orient et l’Occident constituent d’abord des continents culturels et symboliques.» - «ORIENT OCCIDENT», http://www.soufisme.org/ site/spip.php?article251 , p.1.

     De plus, Lévi Provençal remarque au sujet la théorie de la parenté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident et la poésie arabo-andalouse : «Cette double inspiration, qu’on retrouve de chaque côté des Pyrénées, constitue elle aussi un argument non dédaignable en faveur de la théorie de la parenté des deux poésies.» - «Les troubadours et la poésie arabo-andalouse», www.cairn.info , p.1.

     Il y ajoute à cet égard, D’une façon générale d’ailleurs (…), on peut considérer que les rapports qui ont pu exister entre la poésie populaire hispano-arabe et la poésie des troubadours les plus anciens (…) ne sont que l’un des aspects parmi les plus curieux et les plus séduisants de la pénétration indiscutable de la culture hispano-arabe dans la vie de la chrétienté occidentale du Xie siècle. » - Op.cit., p.7.

      Enfin, Myriam White-Le Goff conclut, à propos de «Les fous d’amour au Moyen - Âge : Orient – Occident» de Claire Koppler, en avisant : «D’ailleurs ces mouvements [v. miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident] de va-et-vient entre le sacré et le profane caractérisent l’ensemble des recueils [des troubadours] et font sa grande richesse. Suzanne Thiolier, dans "Qui ama desena", ‘qui aime perd la raison’ : la folie d’aimer chez les troubadours revient sur la mise en avant de la mesure et de la raison. L’amour devient source de perfectionnement social et collectif.» - ««Les fous d’amour au Moyen - Âge : Orient – Occident», www.crm.revues.org , p1.

     2.  Un miroir de l’éros arabo-poétique continu Orient - Occident par-delà l’orientalisme : 

     Concernant le miroir de l’éros arabo-poétique continu, Orient – Occident, par-delà l’orientalisme, Rachid Naïm, asserte, dans une optique historico-littéraire : «TOUT AU LONG DE L’HISTOIRE, L’ÊTRE OCCIDENTAL s’est construit un système de représentation concernant son voisin e la rive sud de la Méditerranée. Miroir de la société, la littérature va emboîter le pas et avec l’arrivée de la mode orientaliste pendant le 19e siècle, la littérature française va mettre en scène d’une manière continue l’Arabe et son univers. Des écrivains comme Chateaubriand, Lamartine ou Flaubert vont entamer des voyages en Orient et vont créer une altérité arabe (religieuse, culturelle, politique voire raciale) et changer définitivement comment l’Occident voit les Arabes.» -  «L’Arabe aux yeux de l’orientalisme littéraire», www. revistas. um.es , p.1.

      Dans son article : «Amours d’Orient et d’Occident, le miroir brisé », Vincent Colonna rappelle, d’un point de vue historico-littéraire : «L’orientalisme français, qui commence au XVIIe siècle et qui persiste sous sa forme collective, me semble-t-il, jusqu’à Barrès, était plus qu’une mode ou une idéologie impérialiste : c’était un savoir diffus de la civilisation arabo-musulmane [par delà l’orientalisme], approfondi par les savants, réactualisé périodiquement par les écrivains et les voyageurs… », http://www.cairn.info, p.25.   

     Par ailleurs, le même V. Colonna souligne avec perspicacité : «Cette filiation [miroir de l’éros arabo-poétique par delà l’orientalisme], que l’on commence tout juste à redécouvrir dans le public grâce à l’insistance de savants orientalistes comme André Miquel ou Jamal Eddine Bencheikh, paraît pourtant aller de soi au XVIIIe et au XIXe siècle. (A tel point qu’Alphonse de Lamartine, voulant sans doute confirmer son don poétique par l’appartenance à une antique lignée de poètes, revendiquait une lointaine ascendance arabe, se fiant à des bohémiennes passant par Mâcon qui lui avaient affirmé qu’il descendait autrefois d’une tribu arabe établie dans sa ville… » - Op.cit., p.17.

     3. L’emprunt attesté et contesté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident : 

      Pour ce qui est de l’emprunt attesté et contesté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident, E. Lévi Provençal décèle historico-littérairement en l’occurrence : «La poésie populaire  hispano-arabe, tout comme celle des troubadours de la plus haute époque, n’est pas uniquement, comme on a trop souvent tendance à le croire, tournée vers la glorification de l’amour courtois. L’“amour courtois”, ou spiri­tualisé ou platonique, est exactement l’équivalent de ce que les Arabes d’Espagne appelaient le hubb al-muruwa. Je crois même de plus en plus que cette glorification d’un amour spiritualisé, qui caractérise tant de productions poétiques de l’époque médiévale, a été empruntée par l’Europe à l’Espagne musulmane.» - «Les troubadours et la poésie arabo-andalouse», Op.cit., p.1.

      Il atteste plus loin en ce sens : « Le plus ancien des troubadours français, Guillaume IX d’Aquitaine, n’était pas, vous le savez, le jongleur errant sous les traits duquel on se plaît à représenter les autres troubadours, poètes ambulants en quête d’un mécène et prêts, comme leurs congénères musulmans, à entonner, pour quelques pièces d’argent, un vêtement ou même un bon repas, la louange de leur hôte d’un jour. Guillaume IX, seigneur de haut lignage, prince d’un Etat vaste, riche et prospère, est sans doute celui qui est le premier responsable de l’emprunt des formes et des thèmes de la poésie lyrique hispano-arabe.» - Op.cit., p.4.
      Comme marque de l’emprunt contesté du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident, E. L. Provençal relève notamment : «La preuve en est administrée, dès 1938, par la publication d’un essai de Denis de Rougemont, promis à un grand retentissement : L’Amour et l’Occident. Alors que l’essayiste montrait que la passion amoureuse était une création culturelle inventée par les troubadours provençaux du XIIe siècle (…), pour faire place à un élément oriental dans la genèse de cette poésie amoureuse, tandis que des auteurs comme Voltaire ou Stendhal, Lamartine ou Nerval, y avaient vu la trace d’une influence arabo-andalouse. Par un mécanisme étrange, tout le savoir oriental accumulé, depuis plus de deux siècles, par les philologues, les voyageurs et les écrivains, était soudain effacé de l’encyclopédie commune.» - «Amours d’Orient et d’Occident, le miroir brisé», Op.cit., p. 25.

  4. Osmose et faux déni du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident :

    Certes, l’osmose et faux déni du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident trouve sa source selon Richard Lemay dans le contact entre la culture et la culture latine ibérique du XIIe siècle. Il indique sur ce point : «C’est dans l’Espagne du XIIe  siècle, dans ce monde de Reconquista délimité, géographiquement, de Navarre au Tage, et, chronologiquement par les prises de Tolède, en 1085, et Saragosse, 1118, que s’est produit un premier contact entre les cultures arabe et latine assez durable pour permettre une osmose. » - «Dans l’Espagne du XIIe siècle, les traductions de l’arabe au latin», www.persee.fr , p.642.       

      Le Pr. Chems Eddine Chitour, signale qu’il y a eu une double osmose, l’une par le biais de l’arabe planétaire, l’autre par l’imitation de l’art arabo-poétique de la part de  l’Occident. « L’arabe du Moyen Âge, écrit-t-il, était la vulgate planétaire, c’était l’anglais du XXe siècle (…). Au IXe siècle, la rime fut introduite par imitation de la poésie arabe (première attestation : Antoine le Rhéteur (vers 820), et elle ne tarda pas à se généraliser (…). Certains poètes de basse époque tentèrent d’imiter la virtuosité technique de leurs collègues arabes. » - « LA CIVILISATION ISLAMIQUE ET LE SAVOIR UNIVERSEL : Le déni des révisionnistes intolérants», http://www.lexpressiondz.com, pp. 4-5.
   
   Et Juan Goytisolo de constater sciemment : « Personne ne peut nier le rôle décisif joué par l'Andalousie dans la formation de la culture castillane, et ce dès les origines. Pourtant, aujourd'hui encore, nous n'admettons cette vérité en Espagne qu'après réserves mentales, marchandages instinctifs, escamotages. Nous continuons à réduire systématiquement l'Arabe à son passé glorieux mais disparu, comme si ce passé n'avait rien à voir avec la culture et la vie espagnoles actuelles. Nous éliminons subrepticement le phénomène d'emprunts à la culture arabe, par osmose, par capillarité, dans une longue cohabitation qui a produit l'art et la littérature, merveilleux entre tous, de style mudéjar.» - «Cinq siècles après l'Espagne paie encore pour avoir renié son héritage arabe et juif », http://www.archipress. org , p.2.

     D’ailleurs, Juan Goytisolo révèle l’osmose médiévale de la poésie érotique arabo-andalouse aux XVe et XVIe siècles, en précisant : «Alors qu'au Moyen Age la littérature érotique arabo-andalouse, castillane aussi, avait atteint les plus hauts niveaux de l'art, à partir des Rois Catholiques les écrivains entreprirent de haïr le sexe, et toute forme de sensualité. Dans son Antéchrist, Nietzsche rappelle que la première mesure prise par les monarques castillans après la reconquête de Cordoue, fut de fermer les trois cents bains publics qui existaient alors dans la ville…» - Op.cit., p.
  
      5. Des productions parallèles et rectilignes du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident :
     Des productions parallèles et rectilignes du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident Productions parallèles et  rectilignes du miroir arabo-poétique de l’Occident, il est à noter avec E. Lévi Provençal en particulier : «Dans l’exploitation des thèmes amoureux, le troubadour et le poète de zadjal vont procéder de la même veine, témoigner d’inspirations extrêmement voisines. Le ‘service amoureux’ peut très bien n’être jamais récompensé : le poète le sait, le déplore ou cherche à s’en consoler. Le tourment causé par l’amour insatisfait lui procure même à l’occasion une sorte de jouissance : c’est de la “délectation morose” avant la lettre. » - «Les troubadours et la poésie arabo-andalouse », Op.cit., p.3.
       F. Skalli reconnaît à l’égard des productions parallèles du miroir de l'éros arabo-poétique de l’Occident : «Les figures de Layla, de Maya ... puisées du patrimoine poétique arabe antéislamique, de l’amour courtois « Udhri » et platonique vont constituer les principaux symboles de l’amour universel des Soufis exprimé dans la poésie de Rabia al Adawiyya, de Hallaj, d’Ibn Arabi ou de Rumi. Ils vont aussi constituer la texture des expressions artistiques et musicales développées à travers l’extraordinaire diversité des cultures soufies de par le monde d’Afrique ou d’Europe, d’Orient ou d’Occident, moyens et extrêmes.» - «ORIENT OCCIDENT », Op.cit., p.2.
       Or, Myriam White - Le Goff dénote, à propos des productions rectilignes du miroir arabo-poétique de l’Occident  : «Yvain est le premier héros romanesque à devenir fou par amour dans la littérature médiévale en langue française. Sa folie s’exprime à la fois à travers le discours médical théorique, la légende de l’homme sauvage et la lyrique courtoise. La mise en récit de la métaphore de l’amour fou souligne son caractère essentiellement fictionnel et interroge ainsi les modes de représentation de la fin’amor.» - « Les Fous d’amour au Moyen Âge Orient-Occident », Op.cit., p.2.
      Dans cette optique historico-littéraire et à titre d’exemples, le Pr. Jean Paul Charnais observe, quant à cette double alternative des productions parallèles et rectilignes du miroir arabo-poétique de l’Occident, notamment : «Au début du XIVe siècle, dans le dernier cercle de l’Enfer, Virgile montre à Dante le feu éternel qui brûle à l’intérieur des mosquées (VIII, 70-75). Mais Dante place dans une sorte de limbes Saladin, le héros de la contre-croisade…» - « L’intelligence arabe de l’Europe : Une faille géo - culturelle », www.strategicsinternational.com, p.165.
       6. Une pré et post Andalousie du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident :
      Sur une pré et post Andalousie du miroir de l’éros de l’éros arabo-poétique de l’Occident, J. Goytisolo indique au sujet de l’ère de la pré – Andalousie  : « Ce sont les Arabes qui ont fait apprécier dans la Péninsule l'héritage grec et les littératures orientales, grâce à quoi l'Espagne médiévale devint le creuset de toutes les cultures connues alors et la Castille diffusa dans toute l'Europe le grand savoir classique, d'Aristote à Euclide, traduit dans Tolède la Maure par des Hébreux …  Voilà pourquoi je suis convaincu qu'en Méditerranée notamment, carrefour de cultures et de civilisations nombreuses, il est absurde de chercher d'absolues "identités nationales", en se fondant sur un passé mythique, falsifié, dénaturé, et en niant les apports immenses d'autres peuples. » - Cinq siècles après l'Espagne paie encore pour avoir renié son héritage arabe et juif », Op.cit., p.2.   
     Dans ce sens, Grumel Venance affirme concernant l’ère de la post - Andalousie du miroir arabo-poétique de l’Occident : «Sur toute la vie Andalouse à cette époque [XIe siècle], il [Henri Pérès] fournit des textes et des données de premier ordre, qui permettent à chaque page d’instituer une comparaison féconde avec les pays de l’Occident et le développement de leur propre poésie. » - Henri Pérès, «La poésie andalouse en arabe classique au XIe siècle », www.persee.fr , p.579. 
     A travers l’ère de la post - Andalousie du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident, A. R. Nykl atteste l’expansion de poésie des muwachchahas andalous (poésie strophique) de l’Occident vers l’Orient, en notant : «Les strophes arabes – andalouses, les muwaššahas, furent inventés en Andalousie vers la fin du Ixe siècle, probablement sans appui sur certaines formes nouvelles connues à Bagdad, et, d’après ce que nous disent les auteurs arabes, l’art de les composer se répandit bientôt aussi dans l’Orient.» - «L’influence arabe – andalouse sur les troubadours», Vol. XLI, octobre 1939, N°4, Bulletin hispanique, www.persee.fr , p.313.   
    Le même auteur illustre d’un exemple cet aspect historico - littéraire plus loin : «Le poète Al Abbas ibn Al-Ahnaf [748 - 808] chanta à la cour de Harûn ar-Rachid l’amour courtois longtemps avant Guillaume  et eut en Espagne musulmane de très nombreux initiateurs. » - Op.cit., p.314.
    7. Une modernité du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident :
    Sur l’aspect de la modernité du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident chez les écrivains et les poètes  occidentaux, Vincent Colonna signale en particulier : «La preuve en est administrée, dès 1938, par la publication d’un essai de Denis de Rougemont, promis à un grand retentissement : L’Amour et l’Occident. Alors que l’essayiste montrait que la passion amoureuse était une création culturelle inventée par les troubadours provençaux du XIIe siècle (…), pour faire place à un élément oriental dans la genèse de cette poésie amoureuse, tandis que des auteurs comme Voltaire [1694-1778] ou Stendhal [1783-1842], Lamartine [1790-1869] ou Nerval [1808-1855], y avaient vu la trace d’une influence arabo-andalouse. » - «Amours d'Orient et d'Occident, le miroir brisé», Op.cit., p.26.
     Comme exemples sur l’aspect de la modernité du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident chez les écrivains et les poètes occidentaux, le même auteur cite corrélativement : «A partir d’une date qu’il faudrait préciser (les années 1920 ? (..),  l’attrait de l’Orient arabo-musulman s’est évaporé, sa connaissance s’est perdue dans le grand public, et seuls de petits cercles, la communauté scientifique, la littérature algérianiste, de rares écrivains, comme Michel Leiris [1901-1990] (Fourbis en 1955) ou Aragon [1897-1982] (Le Fou d’Elsa, en 1963), ont continué à le cultiver.» - Op.cit., p.1.
      De la même façon, on lit, dans un article «Aragon et culture arabo – andalouse», paru sur le Site de l’ERITA, relatant : «Les rapports du Fou d’Elsa à la culture arabo-andalouse sont traités [dans le cadre  d’une thèse universitaire] à partir de cinq domaines culturels : littéraire, historique, philosophique, religieux et mystique (…). L’historique du Le Fou d’Elsa [1963] aux yeux des chercheurs, Grenade et sa chute [1492], (…), la poétique comparée qui étudie des éléments de littérature arabe exploités par Aragon [1897-1982] (les deux Fous aragonien et arabe, les genres littéraires, les formes poétiques et la prosodie comparée), la philosophie arabo-andalouse dans Le Fou,  représentée par Avicenne, Averroès et Ibn Hazm [994-1064] (…), Ibn ‘Arabî [1165-1240] et Hallâj [858-922] qui dévoilent la conception de l’amour dans Le Fou. » - « Bibliographie des thèses sur l’œuvre d’Aragon : 1972 - 2008», www.louisaragon-elsatriolet.org , p.1.
      Concluons ce bref tour d’horizon en prélude à cette «Anthologie du miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident : 1321-2015», commémorant du fait la modernité du premier troubadour occidental, l’arabophone Guillaume IX d’Aquitaine [1071-1126], dont S. Ben Mansour dit hautement de nos jours : «Arabophone, Guillaume IX d’Aquitaine, premier troubadour connu, était fasciné par la culture andalouse. Chez les premiers poètes lyriques de l’Occitanie [v. miroir de l’éros arabo-poétique de l’Occident], ce qui aura d’abord été motif d’admiration et —  surtout — d’imitation, c’est le caractère musical de la poésie arabe d’Espagne, poésie populaire et raffinée à la fois, ainsi que la glorification de l’amour profane [v. courtois]. Aussi se mettront-ils à faire des vers et des sons nouveaux en imitant les formes strophiques (muwashshah, zajal) et les combinaisons de rimes en vogue chez les poètes [arabes] andalous; à chanter l’amour profane en s’accompagnant eux-mêmes d’instruments de musique, arabes eux aussi. » - «Les origines arabes de l’amour courtois», Op.cit., p.1.  
                                                               L’auteur

   


     








(1)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN ITALIE

Dante Alighieri 
Abu Al Alaa Al Maari 









DANTE ALIGHIERI (1)
   Dante Alighieri (Durante degli Alighieri, dit « Dante ») est un poète, écrivain et homme politique florentin, né en 1265- Florence et mort en 1321 à Ravenne. « Père de la langue italienne », il est, avec Pétrarque (1304-1374) et Boccace (1313-1375), l'une des « trois couronnes » qui imposèrent le toscan comme langue littéraire. Poète majeur (« Il sommo poeta » ou simplement « Il poeta ») du Moyen Âge, il est l'auteur de la Divine Comédie, inspirée de à la fois de l’œuvre de Muhiédine (1165-1240) Ibn Arabi et de l’épître «Risalat al-Ghufran», du poète arabe Abu Al Alaa al Maari ((973-1057), aujourd’hui,  considérée comme la plus grande œuvre écrite dans cet idiome (l’italien) et l'un des chefs-d'œuvre de la littérature mondiale. D’où les quatre extraits en miroir arabo-poétique des poètes suivants :
Cette dame jamais  ne s’émeut plus que la pierre
Au peu de jour et au grand cercle d’ombre
je suis venu, hélas, et aux blanches collines,
quand la couleur se perd dans l’herbe ;
et pourtant mon désir n’est pas moins vert
mais il est agrippé à cette dure pierre
qui parle et sent comme fait dame.
Semblablement cette nouvelle dame
reste gelée comme neige dans l’ombre :
et jamais ne s’émeut plus que la pierre
au doux temps qui tiédit les collines
et les fait revenir du blanc au vert
en les couvrant de fleurs et d’herbe.
Quand elle a sur le front guirlande d’herbe
elle ôte de mon cœur toute autre dame :
car l’or bouclé s’y mêle au vert
si bien qu’Amour y vient pour être à l’ombre
contre son feu ne peut me donner ombre
ni mur ni mont ni ce feuillage vert.
Je l’ai vue déjà vêtue de vert
si belle qu’elle aurait inspiré à la pierre
l’amour que j’ai même à son ombre ;
je l’ai désirée dans un joli pré d’herbe,
amoureuse comme jamais ne fut dame,
entouré de très hautes collines
.
In  « DANTE ET LES RIMES »
Jacqueline Risset

MUHIÉDINE IBN ARABI
   Muhiédine Ibn Arabî, espagnol musulman, d'origine arabe, plus connu sous son seul nom de Ibn Arabi est né, le 7 août  1165, à Murcie, en al-Andalûs (actuelle Espagne), et mort le 16 novembre 1240, à Damas (en Syrie). Également nommé « Ach-Cheikh al-Akbar » (« le plus grand maître »), ou encore « Ibn Aflatûn » (le fils de Platon), il est théologien, juriste, poète, métaphysicien et maître arabe-andalous du taçawuff islamique, auteur de 846 ouvrages. Son œuvre domine la spiritualité islamique depuis le XIIIe siècle. Il peut être considéré comme le pivot de la pensée métaphysique de l'Islam et le plus grand penseur de la doctrine ésotérique du "wahdat al wujud"(l’Unicité de l’Être). Il eût quelques ennemis. Il est l’auteur d’au moins deux recueils poétiques complets : Tarjumân al-Ashwâq (L’interprète des désirs); l’autre, sans titre, fait de poèmes variés et traitant de nombreux thèmes. Les Futuhât sont également parsemés de poésie. Dans l'ésotérisme islamique, il a le "sceau de la Sainteté". Certains considèrent que son œuvre aurait influencé Dante Alighieri (1265 - 1321).
Je sacrifie mon âme aux belles distantes
Je sacrifie mon âme aux belles arabes distantes !
Comme elles se jouent de moi qui embrasse leurs demeures !
Si tu t'égares derrière elles,
L'effluve qu'elles exhalent t'indique le chemin.
Et si la nuit sans lune descend sur moi,
En évoquant leur souvenir, je chemine dans l'éclat de la lune.
Et si nuitamment je poursuis leurs montures,
La nuit devient pareille au soleil du matin.
J'en courtisai une
A la beauté suprême.
Se dévoile-t-elle, ce qu'elle montre est lumière
Comme un soleil sans mélange.
Soleil son visage, nuit sa chevelure,
Merveille d'image du soleil et de la nuit réunis !
Nous sommes dans la nuit en pleine lumière du jour,
Et nous sommes à midi dans une nuit de cheveux !

«L’Interprète des désirs, XX»,
Maurice Gloton

DANTE ALIGHIERI (2)
On va vers l’éternelle souffrance

Par moi on va vers la cité dolente ;
Par moi on va vers l'éternelle souffrance ;
Par moi on va chez les âmes errantes.
La Justice inspira mon noble créateur.
Je suis l'œuvre de la Puissance Divine,
de la Sagesse Suprême et de l'Amour.
Avant moi, rien ne fut créé
sinon d'éternel. Et moi, je dure éternellement.
Vous qui entrez, abandonnez toute espérance.

In «La Divine Comédie»
Dante


ABUL ALAA AL MAARI
     Al Maari, ou Abul Alaa Al-Maari (973-1057) est un grand poète syrien de langue arabe, connu pour sa virtuosité et pour l'originalité et le pessimisme de sa vision du monde. En effet, ses poèmes philosophiques sont construits sur la base d’une tristesse existentielle profonde, faisant du pessimisme une ligne de conduite et le départ de toute réflexion philosophique. Une maladie d'enfance le rendit aveugle. Il étudia à Alep, Antioche, et à Tripoli (actuel Liban) et commença sa vie littéraire, grâce à un petit revenu privé. Ses premières poésies furent réunies dans un recueil intitulé Saqt az-zand ("L'étincelle d'amadou"). Al-Maari écrivit un second recueil plus original, Luzum ma lam yalzam ("La nécessité inutile"), ou Luzumiyat ("Les nécessités"). L'ouvrage Al-Fusul wa al-ghayat ("Paragraphes et périodes"), une suite d'homélies en prose rimée. 

Dans la vie le bien est un malheur
Je vois que, dans ma vie, le bien même est un
malheur, car je suis impuissant à le pratiquer.
Lorsqu'une fois, il y a bien longtemps, j'ai voulu le
rechercher, j'y ai renoncé, m'apercevant qu'il y
avait une digue entre moi et lui.
La bonne fortune accorde encore au besogneux
un délai pour l'échéance, lorsqu'il arrive au
terme fixé pour sa perte,
Tandis que moi, je ne suis pas à l'étroit sur
les degrés de la générosité…

«Extraits des poèmes et des lettres »
Abu Al Alaa Al Maari 
Trad. Georges Salmon
http://remacle.org, p. XLII 

























(2)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AU PORTUGAL
Luis de Camoës 
Abu Abdallah Ibn Battuta
 1304 - 1377









LUIS DE CAMOËS

    Luís Vaz de Camões, le plus grand poète portugais du XVIe siècle serait né à Lisbonne en 1524 et y est mort en 1580. C’est le fils de Simão Vaz de Camões, gentilhomme de la maison du roi, d'une famille originaire de Galice, et d'Ana de Sá, née à Santarém. Il fait ses études à l’université de Coïmbre. En 1547, il est soldat à la bataille des Trois Rois, au Maroc, où il perd son œil droit. De retour à Lisbonne, en 1552, il est incarcéré pour avoir blessé un homme du roi. Libéré le 13 mars 1553, il s’embarque pour l’Orient. De 1556 à 1560, il réside à Macao (Chine), aux Moluques et à Canton. Il fait naufrage au  Cambodge. Il va à Goa en 1561. En 1564, il reçoit la protection du vice-roi, dom Antão de Noronha. En route pour Lisbonne, en 1567, il accoste au Mozambique, et arrive démuni au Portugal, le 7 avril 1570. Inspiré par Ibn Battuta (1304 - 1377) et de Marco Polo (1254-1324), il  écrit Les Lusiades, paru  à Lisbonne, en 1572. Il compose  odes, canzones, etc., et des pièces de théâtre. Ses derniers mots, dit Almeida Garrett, étaient : « Avec moi meurt le Portugal.». Voir les deux extraits, en miroir arabo-poétique de l’Occident, de  Camões et d’Ibn Battuta ci-dessous.
Voyage en mer de Camoës
Passant la longue mer, qui tant de fois
Menace me fut de la vie chère;
Maintenant expérimentant la rare
Furie de Mars qui sans attendre
Dans les yeux voulut que je visse
Et touchât son fruit acerbe,
Et dans ce mien écu
La peinture se verra de son infection.

Tu vois, par le Cambodge, le fleuve
                                                Mékong,
Celui-là recevra, placide et large,
Dans ses bras les Chants humides
Du triste et misérable naufrage,
Échappés des bas fonds tourmentés,
De la faim, des grands périls, quand
L'injuste commandement sera exécuté,
Sur celui dont la lyre sonore
Sera plus fameuse que fortunée.

«Lusiades», Chant X, p. 128
Luís Vaz de Camõens

ABDULLAH IBN BATTUTA

    Ibn Batuta (Ibn Batuta), Abu Abdallah Muhammad Ibn Abdallah al-Lawati at-Tanji Ibn Battuta, né le 24 février 1304, à Tanger, et mort en 1377 à Marrakech, est un explorateur- voyageur sur près de 120 000 km, de 1325 à 1349, de Tombouctou au sud, au territoire du Khanat bulgare de la Volga au nord, et de Tanger à l’ouest à Quanzhou en Extrême-Orient. Ses récits sont rendus par Ibn Juzayy dans Tuhfat al-nuār fī rağāib l-amsār wa-ġarāib l-asfār (voyage). Ils sont plus précis que ceux de Marco Polo, mais contiennent des passages sur des êtres surnaturels. Il a profité de l’expansion de l'Islam, de l’arabe, du commerce caravanier, et maritime musulmans. Il rencontre de nombreuses personnalités et devient souvent leur conseiller lors de ses périples.
Voyage en mer d’Ibn Battuta
    Après être partis de Zeïla’ [Maroc, 1333], nous voyageâmes sur mer pendant quinze jours, et arrivâmes à Makdachaou [Mogadiscio], ville extrêmement vaste. Les habitants ont un grand nombre de chameaux, et ils en égorgent plusieurs centaines chaque jour. Ils ont aussi beaucoup de moutons, et sont de riches marchands. C’est à Makdachaou que l’on fabrique les étoffes qui tirent leur nom de celui de cette ville, et qui n’ont pas leurs pareilles. De Makdachaou, on les exporte en Égypte et ailleurs. Parmi les coutumes des habitants de cette ville est la suivante : lorsqu’un vaisseau arrive dans le port, il est abordé par des sonboûks, c’est-à-dire de petits bateaux. Chaque sonboûk renferme plusieurs jeunes habitants de Makdachaou, dont chacun apporte un plat couvert, contenant de la nourriture (…).
  Lorsque les jeunes gens furent montés à bord du vaisseau où je me trouvais, un d’entre eux s’approcha de moi. Mes compagnons lui dirent : «Cet individu n’est pas un marchand, mais un jurisconsulte.» Alors le jeune homme appela ses compagnons et leur dit : «Ce personnage est l’hôte du kâdhi.». (…) C’est la coutume, quand arrive un vaisseau, que le sonboûk du sultan se rende à son bord, pour demander d’où vient ce navire, quels sont son propriétaire et son roub-bân, c’est-à-dire son pilote ou capitaine, quelle est sa cargaison et quels marchands ou autres individus se trouvent à bord.

«Voyages», Extrait
Abdullah Ibn Battuta,
Trad.  C. Defremery et
B.R. Sanguinetti,






(3)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AU FRANCE

Abbas Ibn Al-Ahnaf
748 - 808










PIERRE DE RONSARD

     Pierre de Ronsard (né en septembre 1524 , au Château de la Poissonnière, près du village de Couture-sur-Loir, en Vendômois et mort le 27 décembre 1585, au Prieuré de Saint-Cosme, en Touraine), est un des poètes français les plus importants du XVIe siècle. « Prince des poètes et poète des princes », il est une figure majeure de la littérature poétique française de la Renaissance. Auteur d’une œuvre vaste qui, durant plus de trente ans, a touché embrassé tant la poésie engagée et « officielle » des guerres de religions, avec Les Hymnes et les Discours (1555-1564), que l’épopée avec La Franciade (1572) ou la poésie lyrique avec Les Odes (1550-1552) et les Amours (Les Amours de Cassandre (1552) ; Les Amours de Marie (1555) ; Sonnets pour Hélène (1578). Les deux extraits suivants de Ronsard et d’Ibn Al Ahnaf témoignent pleinement du miroir arabo-poétique de l’Occident.

Si c’est aimer un bonheur qui me fuit

Si c’est aimer, Madame, et de jour et de nuit
Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu’adorer et servir la beauté qui me nuit :

Si c’est aimer de suivre un bonheur qui me fuit,
De me perdre moi-même, et d’être solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre,
                                                             et me taire
Pleurer, crier merci, et m’en voir éconduit :

Si c’est aimer de vivre en vous plus qu’en moi-même,
Cacher d’un front joyeux une langueur extrême,
Sentir au fond de l’âme un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fièvre amoureuse me traite :

Honteux, parlant à vous, de confesser mon mal !
Si cela c’est aimer, furieux, je vous aime :
Je vous aime, et sais bien que mon mal est fatal :
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.

Madrigal in «Sonnets»
pour Hélène (1578)
Pierre de Ronsard
 www.weblettres.net

ABBAS IBN AL AHNAF

    Abbas Ibn al-Ahnaf (vers 748 - vers 808) est un poète arabe.
Issu d'une famille arabe résidant à Khorassan, il fut le poète favori d'Haroun al-Rachid. À la différence de ses collègues, il a  refusé d’être un amuseur ou un panégyriste. Il était, selon Régis Blachère, plutôt le chantre de l'amour, de l'espérance. Néanmoins, cette élégiaque demeure dans les limites de l'« esprit courtois » dont il est, avec Bassār  (Ibn Burd : 714 -784), et bien plus que Muslim (Ibn al Walid : 757-823), le représentant idéal. Par des circuits que l'on devine, son œuvre semble avoir exercé une indéniable influence sur les élégiaques arabes de Sicile et d'Espagne. Par là, on peut poser qu'al-‘Abbās joua un rôle important dans le développement des formes que revêtit l'«esprit courtois» en Occident.

Dans l’amour si je fuis, le blâme je mérite

« Si ce nid de beauté pouvait frémir un peu
De cet amour en moi pour les cœurs réunis !
Je ne m’apaise guère à lui voir l’air heureux :
Les reproches suivront, j’en suis bien averti.
C’est elle la fautive, et moi qui pleure et crains
Un refus demandant sa grâce à la coupable.
Aurais-je quatre-vingt-dix cœurs, ils seraient pleins
Tous d’elles, et à toute autre qu’elle inabordables.

Qui ne connaît ce qu’est l’amour, qui, sinon elle ?
Qui est pris, comme moi, dans les plis de l’amour ?
J’en suis là : si je fuis, le blâme je mérite,
Et ne peux que souffrir lorsque je vous approche.
Mais si vous fuyez, vous, vous dites ne pas fuir.
Votre amour ? Mais l’amour vous ne connaissez pas.
Vers mon aimée, mes pas portent tout mon désir,
Et vers où iraient-ils, si le cœur ne suit pas ? »

«Si ce nid de beauté»
Abbas Ibn al-Ahnaf






















(4)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN ESPAGNE

Abu Al Alaa Al Maari
973 - 1057






MIGUEL DE CERVANTЀS

      Miguel de Cervantes est un romancier, poète et dramaturge espagnol, né en 1547 et mort à Madrid en 1616. D’une famille modeste. Ses premiers poèmes datent des funérailles de la reine Elisabeth de Valois. En 1569, il est au service de Giulio Acquaviva qui deviendra cardinal et fuit à Rome, après un duel. Il voyage jusqu’en 1575, en Italie, devient soldat à Monaco et perd l'usage de sa main gauche à la bataille de Lépante en 1571. Sur sa route pour l’Espagne, sa galère est prise par des pirates qui le font  prisonnier, cinq ans, à Alger. Racheté, il rentre à Séville, puis à Valladolid. En 1605, il publie Don Quichotte (1). A Madrid, il est élu à l’Académie littéraire. En 1613, il publie les Nouvelles exemplaires, Voyage du Parnasse, Huit comédies et huit intermèdes. En 1614, paraît Don Quichotte (2). Il a beaucoup influé la littérature espagnole par son roman polyphonique, tiré de ses aventures. Or, la moralité en miroir arabo-poétique de l’Occident de ces extraits de Cervantès et d’Al Maari corrobore parfaitement leur parenté.

Je serai ce que je suis si à bien faire m’achemine

En ces amoureuses conquêtes
où l’amour fougueux je contiens,
pour meilleure chance je tiens
bien plus que belle d’être honnête.

La plante de plus humble sève
qui, croissant, s’impose droiture,
soit par grâce soi par nature,
jusques au firmament s’élève.

Il est fort humble mon métal
mais puisqu’honnête l’émaille
il n’est bon désir que me faille,
richesse en trop qui ne soit mal.

Il ne me cause peine aucune
de n’être aimé ni estimé
car je compte bien édifier
ma chance et ma bonne fortune.

Ce que je suis je le serai
si à bien faire m’achemine,
et puis que le Ciel détermine
ce qu’il fera de moi après.

«La gitanilla» (La Petite Gitane)
Miguel de Cervantès
Trad. Claude Allegre


ABU AL ALAA AL MAARI
     Abu Al Alaa Al Maari (973-1057)  est un poète et philosophe syrien de langue arabe. Une maladie d'enfance le laissa aveugle. Il étudia à Alep, Antioche, et à Tripoli sur la côte du Liban l'actuel et commença sa carrière littéraire, soutenu par un petit rente privée. Ses premières poésies furent rassemblées dans le recueil Saqt az-zand ("L'étincelle d'amadou"), d’une grande popularité. A cause de la maladie de sa mère, il revint en Syrie, en 1010 et dut quitter Bagdad et ses salons littéraires prestigieux. En refusant de vendre ses panégyriques, il ne put point de mécène. Il renonça à la richesse et se retira dans une habitation isolée, pour vivre dans des conditions modestes. Localement, il jouit de respect et d'autorité, et eut de nombreux étudiants auprès de lui. Il écrivit un second recueil de poésies plus original, Luzum ma lam yalzam ("La nécessité inutile"), ou Luzumiyat ("Les nécessités"), se rapportant à la complexité de l’arrangement des rimes. L'humanisme sceptique de sa poésie est aussi apparent dans la Risalat al-ghufran, dans laquelle le poète visite le paradis et rencontre des poètes païens qui ont trouvé le pardon, etc. Ce même ton marque en miroir arabo-poétique de l’Occident l’extrait de Cervantès, ci-dessus.

Sois homme de bien, en intention et en action


Sois homme de bien, en intention et en action,
quand bien même les créatures ne te rendraient pas
la pareille.
Du jour où tu as imploré leur générosité, tu es devenu
leur adversaire.
Voudrais-tu même être honoré par eux, qu'ils te
mépriseraient!
Combien de gens t'ont prêté secours, à qui tu
n'avais rien demandé?
Et combien t'ont refusé l'assistance que tu leur
demandais ?
Vis donc pour toi-même, car les amis, pour la
plupart, s'ils ne te noircissent pas un jour ou l'autre,
ils ne t'embelliront certainement pas !

«Des poèmes et des lettres»
Abu Al Alaa Al Maari
Trad. Georges Salmon





















(5)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN ANGLETERRE

Abu Al Walid Ahmad
Ibn Zaïdun                                    
 1003 - 1071







WLLIAM SHAKESPEARE
   William Shakespeare, né vers le 23 avril 1564 à Stratford-upon-Avon et mort, le 23 avril 1616, est considéré l'un des plus grands poètes, dramaturges et écrivains anglais. Le 28 novembre 1582, à 18 ans, il épouse Anne Hathaway, fille d'un fermier de Shottery, de huit ans son aînée, à Temple Grafton près de Stratford. Le 2 février 1585, deux ans après le baptême de Susanna,  il assiste à celui des jumeaux, Hamnet et Judith, avec les prénoms de Hamnet Sadler, jeune boulanger de Stratford, et de sa femme. Il joue tant dans ses propres œuvres – comme le spectre du père de Hamlet, etc. -, mais aussi dans celles de Ben Jonson : en 1598, dans Chaque homme dans son caractère (Every Man In His Humour), etc. Leur compagnie devient très populaire. Vers 1611, il décide de prendre sa retraite. il mourut le 23 avril 1616, à l’âge de 52 ans. Il a publié (Othello, the Moor of Venice) en 1604 Roméo et Juliette (Romeo and Juliet) en 1623, Othello ou le Maure de Venise, Poésies en 1599, etc. Les deux extraits en miroir arabo-poétique d’l’Occident suivants  de Shakespeare et d’Ibn Zaïdun attestent ici de leur similarité.  
Que je sois pris et mis à mort,
J’en serais heureux

Juliette. - Tu veux y aller? Ce n'est pas encore le jour.
C'était le rossignol, et non pas l'alouette,
qui a percé le fond de ton oreille inquiète.
Crois-moi, mon bien-aimé, c'était le rossignol.

Roméo. - C'était l'alouette, la messagère de l'aube,
 pas le rossignol. Regarde à l'est, mon amour,
Les lampes de la nuit sont éteintes, et le jour enjoué fait des pointes au sommet des montagnes embrumées.

Juliette. - Cette lumière n'est pas la lumière du jour, je le sais bien, moi.
C'est une sorte de météore que le soleil a formé
Pour t'éclairer sur la route de Mantoue.
Donc reste encore, tu n'es pas obligé de partir

Roméo. - Que je sois pris et mis à mort,
J’en serais heureux, puisque tu l'aurais voulu.
Je suis plus enclin à rester que pressé de partir.
Viens donc, mort, sois la bienvenue. C'est Juliette qui le veut.
Et alors devisons, si tu dis qu'il ne fait pas jour. Ça va ?

Juliette. - Il fait jour, il fait jour, sauve-toi, pars d'ici, va-t-en!
Il y a de plus en plus de lumière.

Roméo. - De plus en plus de lumière : de plus en plus noire notre misère.

«Roméo et Juliette»
William Shakespeare
                                                 www.cndp.fr               


ABU AL WALID AHMAD IBN ZAIDUN

Abu al-Walid Ahmad Ibn Zeydoun al-Makhzumi (Cordoue 1003 - Séville 14 avril 1071) connu sous le nom de d’Ibn Zeydoun un célèbre poète andalou, dont sa poésie est dominée par sa relation avec la poétesse Wallada bint al-Mustakfi, la fille du dernier calife omeyyade de Cordoue Muhammed III.  Il a perdu son père à l’âge de 11 ans, et c’est son grand-père qui s’est occupé de son éducation. Pendant sa scolarité, il s’est lié d’amitié avec Ibn Jawhar, le futur émir de la Taïfa de Cordoue. Il fut un temps emprisonné à cause de son activité politique, puis libéré et nommé vizir par ce dernier, à la chute de la dynastie omeyyade. Une brouille avec lui l’oblige à se réfugier et devenir conseiller d’Al Mutadid Ibn Abbad, puis de son fils Al Mutamid à Séville, en l’aidant à la prise de Cordoue et en matant une rébellion à Séville. Sa poésie est surtout dominée par sa relation amoureuse avec la poétesse Wallada bint al-Mustakfi.

Si le trépas m’avait surpris, ce jour
eût été le plus heureux

     Un jour, un de ces jours de bonheur qui nous ont été supprimés, nous y passâmes la nuit en secret tandis que la mauvaise fortune dormait.
Nous divertissant avec les fleurs qui attiraient par leur beauté le regard.
La rosée les chargeait au point de faire incliner leur tige.
Une rose dépassant son berceau a brillé, la lumière de l’aurore a paru en être plus illuminé,
Avec elle dans nuit, le nénuphar odorant qui dort et dont le matin rouvre les yeux, a lutté de parfum
Tout excite en moi le souvenir de notre amour qui vers toi m’attire. dont
mon cœur ne peut être détourné même s’il a souffert
Si le trépas m’avait surpris le jour de notre réunion, ce jour, certes, eût été
le plus heureux des jours par cela même,
Dieu aurait accordé la quiétude à un cœur qui gémit à ce souvenir et qui ne
se serait envolé, palpitant, avec les ailes de l’amour.

 In «La poésie galante en Andalousie
L’exemple d’Ibn Zaïdun (XI siècle)»
Par Fatima Al Jaï


















(6)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN HOLLANDE

Umar Ibn Al Faridh
1181-1234






G. A. BREDERO

  Le poète hollandais, Gerbrand Adriaensz, G. A. Bredero, ou Bredero (1585-1618) est le fils d’un cordonnier d’Amsterdam. Réputé, comme dramaturge, il a étudié le français et parlait anglais et latin. Il a étudié chez le peintre François Badens d'Anvers, à Amsterdam. Cette profession était appréciée à l'époque, contrairement à poésie. En 1611, il est reconnu comme un important dramaturge. Sa poésie érotique est à l’image de celle de ses contemporains, par son naturel et sa sincérité. Ses paroles religieuses émanent d'un sentiment de remords. L’extrait que voici provient de son recueil (Groot Lied-Boeck). Il illustre avec celui d’Umar Ibn Al Farid (1181-1234), un miroir arabo-poétique de l’Occident, dédiés à l’amour divin.  

Mon Dieu, l’amour du monde n’est que
tromperie et feinte

Orsus Adieu Amour, adieu Espoir & Crainte,
Vous troubleras non plus mon Ame ni mon Cœur.
Alors, je prie toy mon Dieu & mon Sauveur !
Allumez mon Esprit d’Amour devot & Saincte :

L’Amour du Monde n’est que tromperie & fainte
Leger & inconstant, vollant, & sans valeur,
Sans rayson, sans Conseil, accompagnie de peur,
En amitie faus, contrefaict par contrainte.

Mays l’Amour de vertu est seulement fondée
A l’unique de la Divine Unitée,
Qui gouverne le Ciel, qui gouverne la Terre !

O Pere eternel scrivez avecq tes doicts
Au millieu de mon Cœur, tes belles bonnes Loys,
Que je t'en puis servir d’un amour volontaire.

«Orsus Adieu l’amour :  Sonnet»

 Umar Ibn Faridh
     Omar Ibn Al Faridh, poète arabe égyptien (1181-1234). C'est un des plus grands poètes mystiques du soufisme, au XIIe siècle. Sa tombe est, l'une des 7 places où l'on récite le Coran, pendant le Ramadan. Il  use dans sa poésie de l’allégorie  de l’ivresse, symbolisme bachique de la mystique arabo-musulmane. Il en dit : «Il n'a pas vécu ici-bas celui qui a vécu sans ivresse, n'a pas de raison qui n'est pas mort de son ivresse.» Il est l’un des plus grands poètes arabes, tel Jalal Eddine Rumi (1207-1273) en  persan. En témoignent le Cantique des Cantiques, la Nuit obscure et les Cantiques spirituels de Jean de la Croix (1542-1591), sur l'amour divin, sous des figures profanes.

Tout ce qu’on peut désirer au-delà de Toi
est inutile et  superflu

«O toi qui viens au secours des mortels lorsqu'ils sont en proie au désespoir, aie pitié de tes créatures qui tendent les mains de la pauvreté.
Mais en songeant à ta grandeur et à ta majesté suprême, ils se trouvent placés dans un ordre élevé, sublime et au dessus duquel il n'y a rien
Ah ! Celui qui demeure constamment uni à l'objet de son amour, que lui importe que la tribu se fixe dans un lieu, ou qu'elle se transporte dans un autre!
Nous sommes les esclaves, et toi le monarque absolu : il suffit. Tout ce qu'on peut désirer au-delà, est inutile et superflu.

In «Anthologie»
Umar Ibn Al Farid









(7)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN POLOGNE

Al Mutamid Ibn Abbad
1040-1095








ADAM MICKIEWICZ

   Adam Mickiewicz (1798-1855), fut considéré comme le plus grand poète polonais. Exilé en France, son génie littéraire fut largement reconnu par les romantiques français de son époque qui  n’eut d’égal que son activisme patriotique. Ne reculant devant rien, souhaitant participer, autant par ses actes, par ses voyages que par ses écrits, à la lutte pour la résurrection de la Pologne, il créa une légion polonaise, en Italie, et mourut à Istanbul où, désireux d’agir encore pour les troupes polonaises, il fut emporté par la maladie. Parmi ses œuvres, deux sont plus célèbres : « Dziady », les Aïeux, (1823-1832)  et « Pan Tadeusz », Monsieur Thadée (1834). Cependant, ses nombreux sonnets, s’inspirent de la nature, du patriotisme, de l’amour, etc. De cette veine érotique, voici deux extraits en miroir arabo-poétiques de l’Occident, de Mickiewicz et d’Al Mutamid (1040-1095), plaidant en faveur de cette évidence.

Quand je ne te vois pas, ton image est
tout près de ma mémoire

Quand je ne te vois pas, je ne soupire pas, je ne pleure pas.
Je ne perds pas mes esprits quand je t’aperçois ;
Pourtant, quand je ne t’ai pas regardée depuis un moment,
Quelque chose me manque, quelqu’un m’est nécessaire ;
Et me languissant, je me pose la question :
Est-ce de l’affection ? Est-ce de l’amour ?
Quand tu disparais de ma vue, je ne peux pas
Dans mon esprit faire surgir ton image.
Pourtant, je ressens plus d’une fois malgré moi,
Qu’elle est tout près de ma mémoire.
Et à nouveau je me répète la question :
Est-ce de l’amitié ? Est-ce de l’amour ?
Quand tu poses ta main sur ma main,
Quelque part une paix m’envahit.
Il se peut que par un rêve léger je finisse ma vie,
Ou me ramènent à la vie les battements de mon cœur,
Qui me posent bien fort cette question :
Est-ce de l’amitié ? Est-ce aussi de l’amour ?

«Incertitude»
Adam Mickiewicz
Trad. Jacek K.

Al Mutamid Ibn Abad
    Abad III,  ou Abû al-Qasim Muhammad “Al Mutamid” Ibn Abbad), né en 1040 à Beja (Portugal); et mort en 1095, à Aghmat au Maroc, est le fils et successeur de Abbad II, al-Mutadid. Beau-père de Zaida de Séville, princesse musulmane qui, après son veuvage et l'attaque des Almoravides, s'enfuit en Castille, se convertit au christianisme, sous le nom d'Isabelle ou Élisabeth et devient l'épouse d'Alphonse VI de Castille. Son attitude irrésolue en 1089-1090, entraîna la conquête de son royaume par les Almoravides, qui le destituèrent en 1091, puis l'exilèrent à Aghmat, au Maroc, où il mourut. Muhammad Ibn Abbad Al Mutamid est surtout connu comme poète. Dans ses poésies poèmes d’exil, il rappelle sa grandeur passée, et se donne comme exemple de l'instabilité de la fortune et de son amour pour sa femme Itimad Rumaïka et des siens.
Absente, tu es présente au
fond de mon coeur

Absente, tu échappes à mon regard,
mais tu es présente au fond de mon coeur.

Que la paix soit avec toi, une paix qui soit
à la mesure des chagrins, des larmes
abondantes et des insomnies.

Tu t'es rendue maîtresse de la fougue
de mon désir et tu t'es trouvée en présence
de ma passion, une passion docile.

Mon souhait est d'être en ta compagnie à
tous moments, ah! mon Dieu,
qu'il me soit permis de réaliser ce vœux.

Soit fidèle à notre alliance et ne change pas
à cause d'un trop long écart.

Ton doux nom, je l'ai introduit au sein
de ma poésie, en traçant les lettres
qui le composent : Itimad.

In «Anthologie»
Trad. Hamdane Hadjaji
et André Miquel,



















(8)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN RUSSIE

Ibrahim Ibn Khafaja
1058-1137








ALEXANDRE S. POUCHKINE

    Alexandre Sergueïevitch Pouchkine est un poète, dramaturge et romancier russe né à Moscou le 6 juin (26 mai) 1799 et mort à Saint-Pétersbourg le 10 février (29 janvier) 1837. Par sa mère, Nadiejda Ossipovna Hanibal (ru) (17751836), une des beautés de Saint-Pétersbourg, il descendait d'une des plus brillantes familles de la noblesse de service instituée par l'empereur Pierre Ier, remontant à Abraham Pétrovitch Hanibal, esclave africain3 affranchi et anobli par Pierre le Grand, dont il fut le filleul et l'ami fidèle ; Abraham Pétrovitch mena une remarquable carrière d'ingénieur militaire qu'il termina comme général. Il adhère en 1819 à la société « La lampe verte ». Il écrit un roman en vers,  Eugène Onéguine (1823-1831),  Poésies. Il écrit sa grande tragédie Boris Godounov (1824-1825), et compose des « contes en vers ». Il compose aussi le célèbre poème du Cavalier de bronze (1833). Il était considéré au moment à sa mort comme le plus grand écrivain russe. Par sa poésie galante, il prolonge en miroir arabo-poétique de l’Occident, la veine déjà initiée par Ibn Khafaja (1058-1137).


A mon âge !

Mais il est triste de se dire
Qu'on a gaspillé sa jeunesse,
Qu'on l'a trahie à chaque instant
Et qu'elle nous l'a bien rendu,
Que les meilleurs de nos désirs,
Que les plus pures rêveries
Sont allés à la pourriture
Comme les feuilles de l'automne.

Je vous aime, quoique j'enrage,
Que ce soit ridicule et vain.
En outre il faut qu'à vos genoux
J'avoue ma sottise et ma honte.
Avec ma figure ! A mon âge !

Trad. Katia Granoff

IBRAHIM IBN KHAFAJA
    Ibn Khafadja, Ibrahim Ibn Abi l-Fath (Alzira, Al-Andalus) (1058-1137), est un poète andalou qui a célébré dans ses poèmes la nature andalouse. Il a vécu entre l'époque des taïfas et celles des Almoravides. Son tempérament libre et orgueilleux l'a poussé à ne solliciter la protection d'aucun souverain de son époque. Il était considéré comme le poète d'Al-Andalus par excellence, selon Al Maqqari dans son livre "Nafh Ettaïbe".  Il s'est distingué dans sa prose et ses poèmes par la description des paysages, des fleuves, des jardins et riads de sa région natale Alzira, qu'il considérait comme la fleur d'Al-Andalus (l’Andalousie). La nature et l’amour galant étaient chez lui des thèmes de prédilection et d’échange de  sentiments raffinés.
Elle excusa ma vieillesse

Une (fleur) m’a fait bon accueil, merveilleuse,
Simplette : j’ai alors souhaité que la clarté
(du jour) devienne obscurité (de la nuit).
Elle m’est apparue, me ravissant vieillard
comme jadis elle m’a ravi jouvenceau.
Agréé, je l’ai accueilli avec émotion du
regard qui, a bien réfléchi, est (une sorte
de) langage.
Grisé de joie, je l’ai alors vénérée, elle
excusa ma vieillesse et accabla le destin
de reproches.
Elle exhala son parfum, ce fut un printemps
lointain qui s’attendrit généreusement et
me l’offrit en guise de salut.

Par Fatima Al Jaï












 (9)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN FRANCE 

Al Mutamid Ibn Abbad
1058-1137







VICTOR HUGO

   Victor Hugo, né le 26 février 1802, à Besançon et mort, le 22 mai 1885, à Paris, est un poète, dramaturge et prosateur romantique et l’un écrivains les plus importants  français et une personnalité politique et intellectuelle engagée, dans l’histoire du XIXe siècle. Il occupe une place marquante dans l’histoire de la littérature française de son siècle, dans les genres et les domaines les plus variés. Il est poète lyrique avec des recueils tels que Odes et Ballades (1826), Les Feuilles d'automne (1831) ou Les Contemplations (1856), mais il est aussi poète engagé contre Napoléon III, dans Les Châtiments (1853) ou encore poète épique avec La Légende des siècles (1859 et 1877). L’extrait d’Hugo illustre justement le miroir arabo-poétique de l’Occident du ‘palais de l’Alhambra à Grenade’, avec celui d’Al Mutamid sur le ‘palais d’Al Sahib à Séville’ que voici.


L'Alhambra ! Palais que les génies ont doré

 L'Alhambra ! l'Alhambra ! Palais que les génies
Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies.
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants
Où l'on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles blancs. 
Grenade efface en tout ses rivales : Grenade
Chante plus mollement la molle sérénade ;
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs
Et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines
Quand par un soir d’été Grenade dans ses plaines
Répand ses femmes et ses fleurs

«Les Orientales»,
«Alhambra ! »,

MUTAMID IBN ABBAD

   Abbad III ou Abû al-Qâsim Muhammad Al-Mutamid Ibn Abbad  (Muhammad al-Muhtamid Ibn Abbad), ou Al Mutamid ; né en 1040 à Beja (Portugal); m. 1095 à Aghmat au Maroc, (1040-1095), est le fils et successeur de Abbad II al-Mutadid. Beau-père de Zaida de Séville, princesse musulmane qui, après son veuvage et l'attaque des Almoravides, s'enfuit en Castille, se christianisa sous le nom d'Isabelle ou Élisabeth et devient l'épouse du roi d'Alphonse VI de Castille. Le poème est composé à l’occasion de l’envoi de son ami le poète Ibn Ammar (1031-1086) gouverneur de Silves.

Le palais d‘Al Sahib à Séville

Salue le palais d’Al Sahib et demande
s’il est toujours aussi beau.
C’était la demeure des lions et des
blanches beautés. Admirable repaire!
Admirable demeure pour les femmes.
Que de fois des jeunes filles blanches
et brunes ont fait à mon coeur
ce que font les blanches épées et
 les  lances brunes.
Que de nuits ai-je passé au barrage
de la rivière avec une femme
dont le bracelet semblait  la
Courbure de la pleine lune !
Puis quand sur sa guitare elle jouait
un air guerrier, je croyais entendre
le cliquetis des épées et me sentais
saisi d’une ardeur martiale.

«Le palais d‘Al Sahib
 à Séville»
Al Mutamid
Trad. Pierre Guichard













 (10)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AU DANEMARK

Ahmad Ibn Zaïdun
1003-1071









HANS CHRISTIAN ANDERSEN

    Hans Christian Andersen, (2 avril 1805 à Odense, Danemark - 4 août 1875 à Rolighed, Frederiksberg, Copenhague) est un romancier, dramaturge, conteur et poète danois, célèbre pour ses nouvelles et ses « contes de fées ». Longtemps ignoré ou tourné en dérision dans son pays, où l'on a raillé son égocentrisme. Il n'est reconnu tout d'abord qu'à l'étranger : en Angleterre où il rencontre Charles Dickens et où il devient le lion de la saison, en Allemagne où il se lie avec Chamisso, en France où il se lie avec Heinrich Heine, Honoré de Balzac et Alphonse de Lamartine chez Virginie Ancelot. Sa poésie érotique rejoint curieusement le filon d’Ibn Zaïdun () et le miroir arabo-poétique de l’Occident tel que le reflètent leurs deux extraits poétiques respectifs suivants.

Viens la lune luit claire la nuit !

Ma douce fiancée, ma jeune femme,
Mon amour, ma vie !
Viens la lune luit grande et claire.
La nuit est un calme,
un charme, une telle solitude, une telle solitude.
Ma douce fiancée, allons tous deux !
Allons dans le bois de hêtres
là où croissent les petits muguets.
Dans cette nuit claire et silencieuse,
près de toi, trésor, de mon univers,
je suis si heureux, dans une telle béatitude.
Exhale ton odeur, fraîche feuille de hêtre !
Ma douce fiancée, ma jeune femme,
Mon amour, ma vie !

 «Les poètes lyriques scandinaves
au temps du romantisme»
H. Corbes

IBN ZAÏDUN

    Abu al-Walid Ahmad Ibn Zaïdun al Makhzumi (Cordoue 1003 - Séville 14 avril 1071) connu sous le nom de d’Ibn Zaïdun, un célèbre poète andalou, dont sa poésie est dominée par sa relation avec la poétesse et princesse Wallada bint al-Mustakfi, la fille du dernier calife omeyyade de Cordoue Muhammed III. Il joua un rôle politique dans la conquête d’Al Mutamid de Cordoue, la capitale califale, en 1070. Il mata l’année suivante avec une armée la rébellion à Séville, lors de la présence d’Al-Mutamid à Cordoue. La poésie érotique est la marque de sa vie mondaine.  

Attends ma visite à l’heure où la nuit
devient obscure

Attends ma visite à l’heure où
la nuit devient obscure,
Car la nuit est le meilleur moyen
de garder le secret.
Ce que je ressens pour toi,
si la lune l’éprouvait, elle ne se
montrerait pas,
Si la nuit l’éprouvait, elle ne
ferait pas tomber ses ténèbres,
Et si l’étoile l’éprouvait, elle ne
marcherait plus la nuit.
Si le bonheur de te voir m’a
échappé, certes,
Je me contenterai d’entendre
de tes nouvelles.
Et si une distraction inopinée
survient au gardien
Je me contenterai d’un bref salut.
J’appréhende que les détracteurs
ne nous soupçonnent
Or il est accordé des délais à
l’amour par la circonspection.
Je patienterai donc, croyant
fermement que
Celui qui se montre patient sera
favorisé de la satisfaction de son désir.

In «La vie littéraire dans l’Espagne
musulmane sous les Mulūk al-Tawaïf»
Afif Ben Abdesselem







(11)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN IRLANDE

Abdullah Ibn Al Mu’tazz
961-908









THOMAS MOORE

   Poète irlandais, né le 28 mai 1779, à Dublin et mort le 25 février 1852, à Sloperton, du Comté du Wiltshire (Angleterre). Fils d'un négociant en vins catholique, Thomas Moore est diplômé du Trinity College de Dublin, en 1799. Il étudie le droit à Londres et devient l’ami proche de Lord Byron et de Percy Bysshe Shelley. Sa principale œuvre poétique, Irish Melodies (1807-1834, Mélodies irlandaises), lui assure un revenu de 500 livres par an pour un quart de siècle. On y trouve des poèmes tels que : The Last Rose of Summer (La Dernière Rose de l'été) et The Origin of the Harp (L'Origine de la harpe). Ces Mélodies de 130 poèmes sont mis en musique par Thomas Moore et sir John Stevenson et a eu la sympathie des nationalistes irlandais qui gagnent ainsi des soutiens et considèrent Moore comme un héros. Grâce à Lalla Rookh : an Oriental Romance (1817, Lalla Roukh, ou la Princesse mogole), imprégnée de splendeur orientale. Sur un thème érotique floral, les extraits de Moore et d’Ibn Al Mu’tazz suivants cristallisent ici sensiblement le miroir arabo-poétique de l’Occident.

La dernière rose de l’été

C’est la dernière rose de l’été
Abandonnée en fleur;
Toutes ces belles compagnes,
Sans retour sont fanées;
Plus de fleur de sa parenté
Plus de boutons de rose à l’article
de la mort
Pour réfléchir ses rougeurs,
Et rendre soupir pour soupir.
Je te laisserai point chère solitaire,
Languir sur ta tige ;
Puisque sommeillent tes sœurs
Va donc les rejoindre.
Et par sympathie, je répandrai
Tes feuilles sur le sol
Où tes compagnes de jardin
Gisent mortes et sans parfum.
Puissé-je te suivre bientôt
Lorsque l’amitié s’émoussera
Et que du cercle magique de l’amour
Les gemmes se détacheront ;
Quand les cœurs fidèles ne palpiteront plus
Et que les êtres aimés auront disparu,
Oh ! qui donc voudrait habiter seul
En ce monde désert !

« Mélodies irlandaises»,
Thomas Moore
 Trad. Karl Petit

ABDULLAH IBN AL MU’TTAZZ

       Abdullah ibn al-Mu'tazz (1er novembre 861 à Samarra - 17 décembre 908 à Bagdad), connu également sous le nom de Abu-l-Abbas Abd Allah ibn al Mútazz-lah, est un prince arabe mais est surtout un critique littéraire et poète arabe de premier plan, auteur du Kitab al-Badi, une des premières études de la poésie en théorie de la littérature et de la critique littéraire. Réticent, on le persuade d’accéder au trône de calife abbasside, après la mort de son cousin Al Muktafi en 908,  pour mettre fin aux intrigues qui empoisonnaient la dynastie. Mais, il ne réussit à gouverner qu'un seul jour et une nuit. D’où son « calife d'un jour ». Et ce avant qu'il ne soit forcé de se cacher pour éviter un complot  du vizir Ibn Al Hasan Al Abbas. Il est néanmoins retrouvé étranglé. La similarité en miroir du motif érotique floral avec l’extrait de Th. Moore se passe de tout commentaire.

Roses de tes joues et
narcisses du regard

Joins donc l'une et l'autre
de tes joues
à la mienne,
tu verras alors, ô surprise,
ton esprit
ébloui,
car les prés verdoyants
de tes joues
prendront sur les miennes
la rosée des larmes...

Roses de tes joues
et narcisses du regard,
deux lèvres
qui se joignent dans les solitudes.
Boisson que je boirai,
tout en sachant bien,
par sa vie,
qu'elle est au-dessus
des plaisirs.
        
«Roses de tes joues»
A. Ibn Al Mu’tazz
in « La poésie perse »




















(12)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN NORVЀGE

Bjørnstjerne Bjørnson
Abu Tammam
804-845







BJØRNSTJERNE BJØRNSON

     Bjørnstjerne Martinus Bjørnson, né le 8 décembre 1832 à Kvikne, au comté (fylke) du Hedmark et mort le 26 avril 1910, à Paris, est un romancier, poète et dramaturge norvégien. Il a été présenté comme l'un des cinq plus grands écrivains de l'histoire de la littérature norvégienne avec Henrik Ibsen, Knut Hamsun, Jonas Lie et Alexander Kielland par la maison d'éditions Gyldendal (Norvège). Il a écrit les paroles de l'hymne national de Norvège. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1903. La fidélité amoureuse fait des deux extraits de Bjørnson (1832 - 1910) et d’Abu Tammam (804-845) un incontestable miroir arabo-poétique de l’Occident.
La douceur de la première rencontre
La douceur de la première rencontre,
C’est comme un chant dans les bois.
C’est un comme un chant sur les flots,
Dans le dernier rougeoiement du soleil.
C’est comme un cor qui résonne dans les rochers.
Ce sont les secondes chantantes
Où nous sommes unis miraculeusement à la nature.

 «Les poètes lyriques scandinaves
au temps du romantisme»,
H. Corbes
 ABU TAMMAM

   Abu Tammam Habib Ibn Aws est un poète et anthologue arabe. D'après son fils, il serait né en 804, dans la ville de Jasim, entre Damas et mort, vers 846. Son père, chrétien,  nommé Thadûs était marchand de vin, à Damas. Le fils change de nom en Aws et se donne une généalogie de la tribu arabe de Tayyi’. Jeune, il est apprenti tisserand, à Damas, puis part en Égypte où il  vit en vendant de l'eau, devant la grande mosquée, et en  étudiant la poésie et ses règles. Il connaît la célébrité, sous le règne du calife Al Mutasim. En 838, il se présente devant le calife, revenu  victorieux d'Amorium. Il est alors le plus grand panégyriste de son temps. De retour d’un voyage à Nichapur, il est bloqué par la neige, à Hamadan. Il  met à profit son séjour dans la ville pour composer sa célèbre anthologie poétique, la Hamasa. En 844, deux ans avant sa mort,  Hasan ibn Wahb lui obtient une charge de maître des postes à Mossoul. Le chant de la vie érotique et de la nature était aussi une des cordes de son talent  poétique.

           Le véritable amour est toujours le premier

Mon malheur n'est pas de disparaître
mais celui de n'avoir rien fait.
Déménage d'un lieu vers un autre
ton pauvre cœur tourmenté par le désir.
Le véritable Amour est toujours,
celui qui, le premier, s'y est établi.
En combien de maisons l'homme
arrive à s'attarder au cours de sa vie !
Et pourtant son long gémissement
s'attache toujours à sa première demeure.

In «Le thème de l’amour dans
la poésie arabe : les grands
libertins de l’Islam»
Driss Ksikes

























(13)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN SUЀDE

Gustav Fröding
Tarafa Ibn Al Abd
543-569








GUSTAV FRÖDING
   Gustav Fröding naît, le 22 août 1860, dans la province suédoise du Värmland, d’une famille ruinée. Le père était tuberculeux et sa atteinte d’une neurasthénie. Son enfance était  aggravée par le décès précoce du père et une scolarité minée par les dettes. Il étudie à l’Université d’Uppsala et découvre les œuvres de Burns, Shelley et Byron. Ses angoisses le poussent à l’alcoolisme. Il devient journaliste et poète. En 1885, il publie ses poésies dans le Karlstaddstidnigen (Le Journal de Karlstadt), récemment fondé, dont il sera l’un des rédacteurs, en 1887- 1894. Au cours de l’hiver 1889-1890, il séjourne en Allemagne et découvre Heine qui inspirera ses textes parodiques en allemand. Il rédige son premier recueil Guitare et Orgue de Barbarie (Guitarr och dragharmonika). Alcoolique, son état mental se détériore et il est interné entre 1898-1905. Sa sœur Cécilia veille sur lui. Le poète maudit», il s’éteint, à Stockholm, le 8 février 1911. Les extraits, en miroir arabo-poétique de l’Occident, de sa poésie érotique et de celle de l’arabe Tarafa (543-569), révèlent leur ressemblance.
Des étoiles pour parer son front
Il aurait fallu des étoiles pour parer ton front
comme d’un diadème,
ta chevelure en eût été illuminée

A ton front rayonnaient la tristesse et la musique
mais glacée, mais trahie
par les sons, ta chanson restait sur tes lèvres.

Tu étais pour moi une Inspiratrice
qui ose à peine murmurer,
faible parmi les forts, trop frêle pour les mâles
 à la poitrine large.

et dans mon souvenir tu demeures
légende, étoile et poésie. »

In «Gustav Fröding, un poète Maudit 
source d’inspiration musicale»

TARAFA IBN AL ABD

   Tarafa, surnom d’Amr ibn al-Abd de la tribu, Qubaya, de  Qays Ibn Taalaba, une subdivision des Bakr Ibn  Wail, est un  poète arabe antéislamique et l’auteur d’une Muallaqa (Ode). D’une famille de poètes, puisque sa sœur, Kharnaq, est connue sa poésie  disant qu’il s’apparente aux poètes Al-Muraqqich l’Ancien, Al-Muraqqich le Jeune et Al-Mutalammis. Né au Bahreïn, il aurait vécu entre 543 et 569. Dans l'Encyclopédie de l'Islam, J.E. Montgomery note que ses indices biographiques sont tirés de  «Diwan» (Recueil) du poète. Il serait mis à mort, à l’âge de 20 ans, après avoir offensé Amr ibn Hind, le roi d’Al-Hira, en composant des vers galants sur la sœur du roi. Sa Mu'allaqât (Son Ode) a été la première traduite en latin, à Leyde, en 1742.  
Un cou orné de perles et de topaze
Dans la tribu était une aimée aux yeux noirs et
aux lèvres brunes, délicate comme un faon
Et au cou orné d’un  double collier, l’un de
perles, l’autre de topaze,

Telle une gazelle entourée de ses petits, s’égaillant
loin de ses compagnes sur des verts pâturages
et tendant son cou vers les fruits des araks
en s’habillant de leurs branches.
                                                         
Son sourire, qui éclatait entre deux lèvres brunes,
comme des marguerites épanouies sur une dune
de sable fin couverte de rosée,

Semblait avoir emprunté au soleil ses rayons.
Sombres étaient ses gencives
Colorées d’un antimoine dont aucune de ses
dents n’avait même pas été effleurée.

Son visage pur et sans rides illuminait comme
Si le soleil avait étendu sur lui son manteau.
                                             
Trad. Heidi Toelle








(15)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN AUTRICHE  

Rainer Maria Rilke
Ahmad Ibn Zaïdun
1003-1071







   René Karl Wilhelm Johann Josef Maria Rilke, est un écrivain autrichien, né le 4 décembre 1875 à Prague et mort, le 30 décembre 1926, à Montreux, en Suisse. Il vécut à Veyras (Valais) de 1921 jusqu’à sa mort. Il est surtout célèbre comme poète, bien qu'il ait également écrit un roman, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, des nouvelles et des pièces de théâtre. En 1910, il fait la rencontre de la princesse Marie von Thurn und Taxis, née Hohenlohe-Waldenburg-Schillingsfürst, dans son château de Duino. Elle l'héberge souvent et devient son mécène jusqu'en 1920. Il compose, pour elle, son chef-d'œuvre, les Élégies de Duino, une suite d'élégies teintes d'une mélancolie lumineuse, allant du sentiment du terrible à l'apaisement quasi érotique. L’éros de la nature en miroir arabo-poétique de l‘Occident dans son extrait sur la pomme embrasse la même allégorie de ce fruit, dans l’extrait d’Ibn Zaïdun (1003-1071), que voici :  

          Pomme de vie de mort et de joie immense

Pomme ronde, poire, banane
et groseille… Tout cela parle
de vie, de mort dans la bouche. Je sens…
Lisez plutôt sur le visage de l’enfant

lorsqu’il mord dans ces fruits. Oui, ceci vient de loin.
Sentez-vous l’ineffable dans votre bouche ?
Là où étaient des mots coulent des découvertes,
comme affranchies soudain de la pulpe du fruit.

Osez dire ce que vous nommez pomme.
Cette douceur qui d’abord se concentre,
puis, tandis qu’on l’éprouve, doucement érigée,

se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double : terre et soleil.
Expérience, toucher : ô joie immense !

«Sonnets à Orphée»,
Rainer Maria Rilke,
Trad. Maurice Betz,



    Abu Al Walid Ahmad Ibn Zaïdun al-Makhzumi, né à Cordoue, en 1003, et mort à Séville, le 14 avril 1071, est un célèbre poète andalou, connu sous le nom de d’Ibn Zaïdun dont la poésie est dominée par sa relation avec la poétesse Wallada bint Al Mustakfi, la fille du dernier calife omeyyade de Cordoue Muhammed III. A Cordoue, il était parvenu au rang de vizir d’Ibn Jhawar, mais, étant tombé dans la disgrâce du roi, il fut jeté en prison.  Il parvint à s'échapper de sa prison et se réfugia à Séville. De Séville il passa à Valence. Il est de Cordoue, et  continue d’envoyer des poèmes à Wallada, qui venait de le rejeter à tout jamais. L’extrait érotique en miroir arabo-poétique de l’Occident rejoint celui de Rilke, au sujet de la pomme en est la preuve.

Pomme d’amour de vin  et d’ivresse

Elle est blanche adorante, lune
en son plein ces regards dérobés
infinis magiciens, le brocart de
ses joues miroitement du vin.

Ses mots, aussitôt dits, perles
sur le chemin, et l’eau que je
goûtais à ses lèvres, ivresse.

Combien de matins et de soirs
ai-je contemplé la gazelle au
visage radieux, éclatant, qui filtrait
de la pomme le vin de sa coupe

Karima Al Jaï








(15)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN BELGIQUE  

Charles Van Lerberghe
Hussein Mansur Al Hallaj
857-922







Charles Van Lerberghe, né à Gand, le 21 octobre 1861, et mort à Bruxelles, le 26 octobre 1907, est un poète et écrivain symboliste belge francophone. Il est issu d'une famille bourgeoise dont le  père et la mère sont morts, lorsqu’il était encore enfant. Il  est confié à un tuteur légal.  En septembre 1867, il entre à l'Institut Saint-Amand. En août 1870, il est inscrit au collège Sainte-Barbe. Selon Albert Mockel, malade, il interrompt ses études en 1871. La mère du poète meurt, le 19 septembre 1872. Son tuteur est un oncle du poète Maeterlinck (...) En 1875, il est de nouveau, au collège Sainte-Barbe, avec Maurice Maeterlinck et Grégoire Le Roy. Son œuvre la plus connue est La Chanson d'Ève (1904). Le compositeur gantois Robert Herberigs en a mis en musique certains de ses poèmes. Le caractère mystico-érotique et divin d’un  extrait de sa poésie le met parfaitement en miroir arabo-poétique d’Occident avec celui d’Hussein Mansur Al Hallaj (857-922).

Ne suis-je vous, n’êtes-vous moi ?

Ne suis-je vous, n’êtes-vous moi,
O choses que de mes doigts
Je touche, et de la lumière
De mes yeux éblouis?

Fleurs où je respire, soleil où je luis,
Âme qui pense,
Qui peut me dire où je finis,
Où je commence?

Comme un beau fleuve,
En toute chose la même vie coule.
Et nous rêvons le même rêve.

«Un horizon lointain
solliciterait l’intelligence »
Ferdinand Khnoff
In « Correspondance »
N°3, Otobre 1993


     Hussein Mansur Al Hallaj est né, en 244 H/ 857, à Beïza centre perse très arabisé d'Ahwâz, puis intercis et décapité pour hérésie, le 27 mars 922 H/ 309, à Bagdad. centre très arabisé dans la province perse d'Ahwâz. Fils d’un cardeur, il eut pour  maître initial en mystique Sahl de Tustar. A vingt ans, il reçut du  maître Amr Al Makki, l'habit de sûfi, à Bassora. Il se maria et eut quatre enfants. Sa belle famille liée à des shiites radicaux (zanj) le rendit suspect, bien qu'il fût sunnite. A son premier hajj (pèlerinage) d’un an à la Mecque, il prédit en public à Ahwâz, en reniant  l'habit sûfi, puis en Khurâsân. Cinq ans après, il revint avec les siens, à Bagdad. Après un second pèlerinage, il fit voyage jusqu'à l'Indus, suivi d’un troisième pèlerinage, en 290H/902. Revenu à Bagdad, ses dires publics causèrent une forte émotion populaire. Il fut accusé d’hérésie par le poète zahirite Ibn Dawud, qui appela à sa mort. Acquitté, il fut encore menacé par le vizir shiite Ibn Al Fûrat. Son procès dura neuf ans. En 306H/919, le vizir Hamad rouvrit son procès. Mettant en vue sa doctrine sur le cas votif du hajj, le cadi rendit  licite sa mort par un tribunal canoniste. Sa poésie mystique dédiée à l’amour divin, augure de celle d’un Lerberghe, avant le terme.

Je suis devenu toi tout comme tu es devenu moi

     Mon regard, avec l’œil de la science a dégagé le pur secret de la méditation;
 Une lueur a jailli, dans ma conscience» ;
 J’ai vu mon bien-aimé avec l’œil de mon cœur. Et je lui dis : Qui es-tu ?
Il me répond : Toi!
 Je suis devenu celui que j’aime et celui que j’aime est devenu moi ;
 Je suis devenu toi tout comme tu es devenu moi» ;
Tu m’as rapproché de toi et j’en suis venu à croire que tu es moi »;
Comment pourrais-je m’amuser et être insouciant si vraiment moi c’est Lui;  On dirait que l’interlocuteur, c’est moi-même m’adressant par mon essence à mon essence.

«La passion de Hussein
Mansur Al Hallaj, Qasida VII»
Soraya Ayouch
 










(16)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AU CHILI

Pablo Neruda
Umar Ibn Al Farid
1181-1234








     Pablo Neruda, Neftalí Ricardo Reyes Basoalto, né le 12 juillet 1904 à Parral, province de Linares, et mort le 23 septembre 1973, à Santiago, au Chili est un poète chilien. Il publie son premier livre "Crépusculaire", à 19 ans, et un an après, "Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée". Dès 1927, il occupe maints postes consulaires, et entretient des relations amicales avec Federico García Lorca, en Espagne. En 1933, paraît "Résidence sur la Terre". En 1950, il reçoit le prix Staline de la paix. En 1969, il est candidat du PC à la présidentielle. Avec l'Unité populaire (1970), il négocie avec le PS, et s'efface devant Salvador Allende. Il est nommé ambassadeur à Paris par ce dernier. En 1971, il reçoit le prix Nobel de Littérature. Il est mis en résidence surveillée par les putschistes, du 11 septembre 1973, du Général Pinochet. Il meurt 12 jours après, officiellement d'un cancer. L’extrait en miroir arabo-poétiques de l’Occident sur la passion amoureuse le met totale similarité avec celui d’Ibn Al Farid (1181-1234), ci-après.
               
Je me souvenais de toi le coeur serré

Nous avons encore perdu ce crépuscule
Et nul ne nous a vus ce soir les mains unies
pendant que la nuit bleue descendait sur le monde.

J'ai vu de ma fenêtre
la fête du couchant sur les coteaux lointains

Parfois, ainsi qu'une médaille
s'allumait un morceau de soleil dans mes mains.

Et je me souvenais de toi le cœur serré
triste de la tristesse à moi que tu connais.

Où étais-tu alors ?
Et parmi quelles gens ?
Quels mots prononçais-tu ?
Pourquoi peut me venir tout l'amour d'un seul coup,
lorsque je me sens triste et te connais lointaine ?

Le livre a chu qu'on prend toujours au crépuscule,
ma cape, chien blessé, à mes pieds a roulé.

Tu t'éloignes toujours et toujours dans le soir
vers où la nuit se hâte effaçant les statues.



     Umar Ibn A Farid (1181-1234) est un des plus grands poètes mystiques du soufisme du XIIe siècle. Sa tombe, en Égypte, est l'une des 7 places destinations du récital du Coran durant le Ramadan. Il est l’auteur d'un éloge sur le vin mystique. Certes, le symbolisme bachique fut l’une des allégories principales de la mystique musulmane. En témoigne ses vers : « Il n'a pas vécu ici-bas celui qui a vécu sans ivresse, n'a pas de raison qui n'est pas mort de son ivresse. » L'Éloge du vin (Al Khamariyat), son poème mystique commenté par Abdalghani Al Nabolosi, traduit de l'arabe par Abdelmalek Faraj et préfacé d'une étude sur le soufisme et la poésie mystique musulmane, en 1931. La similarité de l’extrait suivant avec celui de Neruda, défie toute équivoque.


Daigne considérer un cœur qui est déchiré

Si je me perds dans la nuit de sa chevelure ondoyante, l'aurore de son front resplendissant dirige mes pas égarés.

Quand ma bien-aimée soupire, Oui, dit le musc, c’est du souffle embaumé de cette belle que je compose mes plus doux parfums.

Les années qu’elle passe en ma présence, s’écoulent avec la rapidité d’un jour; et le jour où elle reste dérobée à mes regards, passe lentement comme des années.

Si ma bien-aimée s’éloigne, ô mon sang, abandonne le cœur que tu animes; si elle revient, ô mes yeux, exprimez l’allégresse.

Je t’en conjure, et par mon indocilité aux reproches de mes censeurs, et par cette flamme dévorante que l’amour entretient dans mes entrailles,

Daigne considérer un cœur qui est déchiré par les souffrances que lui causent tes attraits, des yeux qui sont noyés dans des torrents de larmes.

Prends pitié d’un infortuné qui tantôt sent lui échapper tout espoir, tantôt se berce de douces illusions.

Calme l’ardeur de mes désirs par une réponse qui ranime mes espérances ; délivre ma poitrine du poids qui l’oppresse.

Bénie soit cette faveur que tu m’as accordée, lorsqu’une voix consolante m’annonça que le repos allait enfin succéder à mon cruel désespoir !

«Anthologie arabe :
Extraits du Diwan, VIII »
Umar Ibn Al Farid
Trad. Marc Szwajcer















(17)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AUX USA

Williams Carlos Williams
Imrou Oul Qaïs
500-540






      Le un poète et romancier américain, grand maître du modernisme, William Carlos Williams est né, le 17 septembre 1883, à Rutherford (New Jersey) où il vécut et pratiqua la médecine sa vie durant, et mort le 4 mars 1963, fut dès les années 1920  l’un des principaux protagonistes de la révolution moderniste, aux Etats-Unis, aux côtés de son ami Ezra Pound et de quelques autres. Son œuvre abondante, tant en prose qu’en vers, a eu une influence considérable sur les générations ultérieures. Il épouse Florence Herman (1891-1976) en 1912. Peu après, il publie son premier recueil de poèmes de valeur, The Tempers. Lors d’un voyage en Europe en 1924, il fréquente Ezra Pound et James JoycePaterson (1926) passe pour être le chef-d'œuvre poétique de William Carlos Williams,  une entreprise aussi considérable et ambitieuse que les Cantos de Pound, sur  les femmes,  l’amour, la mort, etc. Ici, l’extrait du soir érotique de W.C.Williams, en miroir arabo-poétique de l’Occident fait souche antique celui de Imrou Oul Qaïs (500-540).

Avec le soir, l’amour s’éveille
en vertu de la lumière solaire
        
        Avec le soir, l’amour s’éveille
                bien que ses ombres
                               qui n’existent qu’en vertu
        de la lumière solaire –
                 soient gagnées par le sommeil, lâchées par
                                                     le désir

         L’amour sans ombres s’étend à présent
                qui ne s’éveille
                               qu’avec la montée de
         la nuit.

         La descente
                                 faite de désespoirs
                                                  sans s’achever
          entraîne un autre éveil :
                                        qui est l’inverse
          du désespoir.

                                  In « Paterson »,
William Carlos Williams
Trad. Yves di Manno
       

       Né dans le Nejd, en 500, il y vécut l’existence des princes, dans le luxe, la frivolité et le libertinage. Très jeune, il composa de la poésie, évoquant ses parties de plaisir défiant la décence. Son père lui interdit de continuer à se complaire dans la poésie et la vie indigne du fils de roi. En 528, son père Houjr, roi de Kinda, est tué par les Asad. Il jura de se venger. Aidé par les Bakr et Taghlib, il réussit à infliger de cuisantes défaites aux Banu Asad. Ses alliés le considérant assez vengé, le délaissèrent. Il partit en vain en quête de nouveaux alliés contre le roi d'al-Hira. D’où son surnom de "Roi errant". Hôte de l’empereur Justinien, il séduit la fille, et se fit tuer par une tunique empoisonnée dont ce dernier lui fit don, en 540. L’extrait érotique du soir érotique d’Imrou Oul Qaïs (500-540) anticipe sur celui de W. C. Williams.

Le soir, son visage éclairait dans les ténèbres
comme la lampe d’un moine

Le soir, son visage éclairait dans les ténèbres,
comme la lampe d’un moine retiré du monde.
C’était une femme faite pour attirer les regards.
Elle fascinait les hommes quand ils l’apercevaient

au milieu de jeunes filles de tous âges.
Le temps dissipe les élans de jeunesse,
mais mon cœur lui appartient toujours ;
Et c’est en vain que , si souvent,
on m’a blâmé de l’aimer.


Les "Mouallaqat" de la "Djahilia"                                                          (L'ère préislamique)

L'Ode d'Imrou Oul Qaïs

Traduit par J. J. Schmidt









(18)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN HONGRIE

Miklos Radnoti
Abu Tammam
804-845








     Miklos Radnoti est né Miklós Glatter, le 5 mai 1909 à Budapest (Hongrie) d’une famille juive. Sa mère, Ilona Grosz, est morte en lui donnant la vie avec son jumeau, mort-né. En l’apprenant, la mort hantera toute son œuvre. A 12 ans, il  perd son père, Jakab  Glatter. En 1927, il est diplômé d'une école de commerce, mais veut être écrivain. En 1928, il est comptable dans une entreprise. A 21 ans, il  publie son recueil, Le salut du païen (1930), d’obédience française. En 1931, Chants des pasteurs à la mode nouvelle, de ton lyrico-bucolique, courent un procès d’attentat à la pudeur. Il est acquitté. A la faculté de lettres François-Joseph de Szeged, il  obtient, en mai 1934, un doctorat de littérature hongroise et française. Dès 1940, juif, il est envoyé en déminage sur le front ukrainien. Le 18 mai 1944, on le  déporte vers sa mort, dans une mine de cuivre à Bor, en Serbie. Au printemps 1946, des paysans hongrois trouvent, dans un charnier de 22 cadavres, son carnet, identifié par sa femme, Fanny Gyarmati (1935-1944). Il est réenterré au cimetière Kerepesi, à Budapest. L’allégorie érotique de la pluie, dans son extrait et dans celui d’Abu Tammam (804-845) y affirme le miroir arabo-poétique de l’Occident.
Laisse la pluie laver ensemble nos cœurs
Nous sommes assis dans la clarté,
quand les nuages de pluie s'amoncellent,
traînés par la foudre
et le fouet du tonnerre
lutte avec le tonnerre
encore et encore, très très
haut dans le ciel,
en dessous d'eux le bleu
du lac s’amenuise,
ses eaux  commencent à monter 
Entre dans la maison
et enlève ta robe,
là il pleut,
et enlève ton chemisier
et laisse la pluie, la pluie
laver ensemble nos cœurs.

In « À marche forcée contre
l’oubli et la mort »
Miklos Radnoti
Trad. Pierre Jean Oswald

ABU TAMMAM        

Abu Tammām Habīb Ibn  Aws est un poète et anthologue arabe.  D'après son fils Tammām, il serait né en 804, selon les propos rapportés par Abu Bakr Muhammad Ibn Yahiya Al Souli, dans ses Akbar Abi Tammām, et ce dans la ville de Jasim  entre Damas et Tibériade, d’un  père, chrétien, nommé Thadus, vendeur de  vin à Damas et mort en 845 à Damas. C'est en Égypte qu'il a étudiant la poésie en vendant de l’eau devant la grande mosquée et aurait composé son premier poème. De retour en  Syrie, en 833, il dédie au calife al Mamun un poème sur sa victoire contre les Byzantins. C'est ainsi qu'il devient le plus grand panégyriste de son temps. Bloqué par la neige à Hamadhan, il met à profit son séjour dans la ville pour composer sa plus célèbre anthologie poétique, la Hamāsa. Deux ans avant sa mort, un haut fonctionnaire de l'administration abbasside et admirateur du poète, Hasan b. Wahb, lui obtient une charge de maître des postes à Mossoul. Son Dīwān réunit toute sa poésie.

Une pluie, les cœurs se dresseraient
pour l’embrasser

Une pluie (dīma) continue,
Docile au licou, abondante,
Altérée d’elle est la terre
labourée
Qu’une contrée tend à
accroître  sa prospérité, et
vers elle tend le lieu stérile.
Délicieuse est son eau, et
Bien faisant, s’ils le pouvaient,
les cœurs se dresseraient
pour l’embrasser.

In «La poésie galante en Andalousie :
l'exemple d'Ibn Zaïdun (XIe siècle) »
Karima El Jai







(19)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT EN SUISSE

Jean-Georges Lossier
Muhammad Ibn Dawud
868-909









JEAN-GEORGE LOSSIER        
    Jean-Georges Lossier, né le 1er septembre 1911, à Genève et mort le 3 mai 2004, à Thônex (Genève), est un poète, critique littéraire et sociologue suisse. A sa maturité, il étudie la sociologie à l'Université de Genève, jusqu'en 1937, où il obtient, sous la direction de G.-L. Duprat, un  doctorat sur Proudhon. Dès, le début de 1930, il abandonne la prose se consacrer à la poésie. Habilité en 1948, il est,  chargé de cours, entre 1949 et 1955, à l'Université de Genève dans une chaire de sociologie. En 1939, paraît, à Paris, son premier recueil de poèmes, Saison de l’espoir. Cinq autres recueils lui ont suivi, plus ou moins régulièrement. En 1995, ils sont réunis et publiés sous le titre, Poésie complète 1939-1994. Il meurt à l'âge de 92 ans, dans sa ville natale. Le thème du chemin de l’amour figure visiblement, dans les deux extraits suivants de Lossier et de Bahar Ibn Burd (714-785) le miroir arabo-poétique de l’Occident.  
Nos routes d’amour se mêlent
dans le passé

Une ombre devant la maison
La tienne ou la mienne?
Ceux qui pour toujours
s’appartiennent
Continuent de se chercher
Dans le filet des nuits.

Comme les lignes de la main
Nos routes se mêlent dans le passé
Et puis se perdent vers l’infini.
La lampe est lasse d’éclairer l’horizon,
Nous aimons-nous assez pour vivre?

In «Du plus loin»,
Jean-Georges Lossier

BACHAR IBN BURD

     Bachar Ibn Burd est un poète arabe d'origine persane, né en 714, à Basra et mort, en 785, noyé dans les marais de la Batiha, entre Kufa et Basra, à la suite de son emprisonnement pour zandaqa (hérésie). Ses parents sont originaires de l'Iran oriental, mais son grand-père fut conduit comme esclave, à Basra. Son père fut affranchi par une dame des Banu Uqayl. C'est à Basra qu’il naquit, en 715, dans une famille persane alors arabisée, alliée des Banu Uqayl. Parallèlement, apprécions l’extrait sur le même thème  ci-dessous.

L'amour dont j'ai parcouru le chemin
Dis-moi, au-delà de l'amour,
Dont j'ai parcouru le chemin,
Connais-tu la nouvelle étape
Qui me conduirait en un lieu
Propice à l'heureuse rencontre ?
Car l'amour en ce coeur meurtri
N'a fait que prolonger l'exil".

In «Le thème de l’amour dans
la poésie arabe»
Trad.  René Khawam


       

















(20)
MIROIR DE L’EROS ARABO-POÉTIQUE
DE L’OCCIDENT AU CANADA

Pierre Morency
1942 -
Ibn Ammar
1031-1086








PIERRE MORENCY

    Le poète, romancier, dramaturge, animateur de radio et ornithologue québécois Pierre Morency (1942 - ) est considéré comme l’un des poètes les plus importants de sa génération. Officier de l'Ordre du Canada et Chevalier de l’Ordre national du Québec, il puise son inspiration dans diverses représentations de la vie. Il reçoit le Prix Athanase-David pour l’ensemble de son œuvre. Il a publié  Poèmes de la froide merveille de vivre (1967), Poèmes de la vie déliée (1968), Au nord constamment de l'amour (1970),  Effets personnels (1986), Quand nous serons (1988), Les paroles qui marchent dans la nuit (1994),  Le Regard infini (1999), etc. Les extraits en miroir de l’Occident au sujet du  chemin de l’amour de Morency et d’Ibn Khafaja (1058-1137) se rejoignent ici quasi littéralement.

     Le temps s’en va comme rivière
                                         
Comme ruisseaux mes amis vont
le temps s’en va comme rivière
nous passons tous à reculons
mais nous allons notre manière
ainsi nuage ainsi l’eau claire
ainsi la source ainsi l’oiseau
mais nous voyons mourir nos pères
et l’homme passe comme l’eau

et comme l’eau vont les saisons
et tournent l’âge et la misère
nous n’avons plus notre raison
quand il faut regarder derrière
a coulé le temps de naguère
comme le vent comme radeau
l’amour est toujours à refaire
et l’homme passe comme l’eau

In «Poèmes : Ballade
du temps qui va»
                        
IBN AMMAR

    Ibn Ammar (1031 - 1086) était un poète arabo-musulman, né au Portugal, dans la ville de Silves. Il a été premier ministre de la taïfa de Séville. Pauvre et n'ayant aucune réputation, il avait un grand talent en poésie. Cela le lie d'amitié avec le jeune Abbad III, le futur sultan. A la mort du père Abbad II, Abbad III lui succède, et le nomme premier ministre. Il était réputé par son imbattabilité aux échecs, selon Al Marrakuchi, sa victoire aux échecs sur Alphonse VI de Castille l’a obligé à se tenir loin de Séville. Il était derrière l'annexion de Murcie à Séville et a convaincu Abbad III à le nommer gouverneur. Il se proclame roi, et  coupe toute relation avec le sultan. Mais il perd vite son pouvoir, et tombe dans un guet-apens et se fait arrêter. En prison à Séville, il se réconcilie enfin avec le sultan, mais peu seulement. Ils rentrent peu en conflit, et le sultan le tue de ses propres mains.

  L'aurore, une rivière parcourt le jardin

 "Remplis nos coupes, la brise se prépare
   Les étoiles s'emploient à freiner leur course
   
   L'aurore nous offre sa blancheur de camphre
   Depuis que la nuit a repris son ambre noir
   
   Les fleurs ont paré le jardin de broderies
   La rosée l'a doté d'un collier de perles
   
   Une rivière le parcourt, tel un bracelet
   Qu'on a déposé sur une robe verte

In «Poésie arabo-andalouse                                                                      petite anthologie» 

Farouk Mardam-Bey