viernes, 8 de julio de 2016

Pte ANTHOLOGIE DES ECRIVAINS FRANCOPHONES AU NORD DU MAROC


                               Dr. MOHAMMED SOSSE ALAOUI




                                                                             




                                           PETITE ANTHOLOGIE
                                 DES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
                                         AU NORD DU MAROC
                                                  1858-1994







                                                   TETOUAN
                                                       2016

                                              INTRODUCTION

   Il est d’emblée évident que le corpus de cette « Petite anthologie des écrivains francophones au nord du Maroc 1883-1994 », exige une mise en exergue de ses repères historico-géographiques des écrivains francophones, marocains ou non, voire linguistique, au nord du Maroc. Cela conduit impérativement à ce qui suit :

     1. L’aire historico-géographique des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :

      Pour cerner le repère de l’aire historico-géographique des écrivains francophones, au nord du Maroc, 1858-1994, il y a lieu de recourir à la thèse de Julien Le Tellier définissant, en 2006, la recomposition territoriale du nord marocain :   «Le Maroc du Nord est découpé en plusieurs régions administratives et les provinces du Rif sont comprises dans des régions qui contiennent des entités non rifaines. […] D’une part, à l’ouest, la route Tétouan - Chefchaouen - Ouazzane. D’autre part, à l’est, la route Nador - Guercif.

    A l’extrémité occidentale du Rif, seul l’axe reliant Chefchaouen […], via Ouazzane, est assez bien aménagé. De plus, le pouvoir central a favorisé la convergence vers Oujda des routes qui partent de Nador. […] Les bretelles récemment aménagées permettent de relier Nador à Guercif, Taourirt, Berkane et Oujda […]. Pour tenir compte de l’ensemble […], il faudrait ajouter, aux provinces et préfectures […] de la péninsule tingitane (région Tanger-Tétouan) […] dans les provinces de Taounate (et de Taza).  […] P.132» - « Les recopositions territoriales dans le Maroc du nord », www.archivesouvertes.fr , p.127

       D’où donc pour nous ici le repère de l’aire historico-géographique des villes : Tanger, Tétouan, Chefchaouen, Ouazzane, Alhoceima, Nador, Oujda, Guercif, voire Figuig, Taourirt, Berkane, Taounate et Taza. D’où les trois axes géographiques suivants :
        - Axe (I)   : Tanger, Larache, T étouan, Ksar El Kebir, Ouazzane ;
        - Axe (II)  : Alhoceima, Taounate, Taza, Chaouen ;
        - Axe (III) : Melillia, Nador, Oujda, Jerada, Taourirt.

     2. Les appartenances historico-géographiques des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :

     Quant au repère concrnant les appartenances historico- géographiques des écrivains francophones au nord du Maroc 1883-2015, on peut voir avec Leïla Houari les écarts entre les écrivains du Maroc, de France et d’ailleurs, dans : « Les écarts entre l‘écriture de l‘exil  [des écrivains au nord du Maroc] et celle de l‘immigration sont illustrés par les écrivains maghrébins de langue française [francophones], Driss Chraibi, Abdelkebir Khatibi entre autres, et les jeunes auteurs d‘origine maghrébine [v. marocaine du nord du Maroc]. Les premiers sont explicitement maghrébins et de France, et ils écrivent sur l‘évolution Socio-culturelle de leur pays d‘origine [au nord du Maroc]. Les seconds écrivent de France, sur la France où ils sont nés et qui les tient à distance, dans ses périphéries. Le statut d‘immigré empêche les auteurs de l‘entre-deux de s‘intégrer pleinement aux littératures nationales de leur pays d‘origine et les distingue profondément des écrivains européens de souche. Apparaît alors une nouvelle catégorie d‘écrivains européens, non pas nationaux, mais que j‘appellerai  désormais’ de  label  d‘origine [au nord  du  Maroc]. » -
 « Zeida de nulle part ou l‘entre-deux-cœurs», www.grupoinveshum733.ugr.es, p.88.

   D’où, corpus à l’appui, l’ébauche d’une possible typologie d’appartenances historico- géographiques des écivains francophones au nord du Maroc 1883-2015 :

    - Écrivains né(e)s et mort(e)s hors du nord du Maroc ;
    - Écrivains né(e)s et résident(e)s au nord du Maroc ; 
      - Écrivains né(e)s et résident(e)s hors du nord du Maroc ;
      - Écrivains né(e)s et mort(e)s hors du nord du Maroc ;
      - Écrivains installé(e)s et mort(e)s au nord du Maroc ;
      - Écrivains installé(e)s et résident(e)s au nord du Maroc ;
    - Écrivains marocain né(e)s à l’étranger et mort(e)s au   
      nord du Maroc ;   
    - Écrivains marocain né(e)s au nord du Maroc et résident  
     (e)s à l’étranger ;
    - Écrivains étranger(ère)s né(e)s au nord du Maroc et                
      mort (e)s hors du nord du Maroc ;
    - Écrivains étranger(ère)s né(e)s au nord du Maroc et     
       mort(e)s hors du nord du Maroc ;
       - Écrivains marocain(e)s né(e)s au nord du Maroc et résident   
        (e)s hors du nord du Maroc.
        

      3. La chronologie générationnelle des écrivains francophones     
   au nord du Maroc 1858-1994 :

      Le repère de la chronologie générationnelle des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 se manifeste, selon Dr. Toufik Majidi, à travers l’histoire du colon (Protectorat franco-espagnole : 1912-1956), en explicitant : « Tout comme le français [au sud du Maroc], la présence de la langue espagnole [au nord du Maroc] dans le champ linguistique marocain est liée à une histoire de colon, celle du Protectorat espagnol instauré par le traité du 27 novembre 1912. Ce traité renforça l’ancrage de la langue espagnole [et de la langue française] dans les zones Nord (Nador, Tétouan, Tanger) et Sud (Sidi Ifni, Tarfaya, Saquiet El Hamra, Oued Eddahab).» - «Interculturalité et aménagement linguistique au Maroc : diversité et identité culturelle », www.gerflint.fr, p.1.

     Dans ce sens, Taha Adnane précise du point de vue générationnel migratoire des écrivains marocains : « C’est aussi un fait que la perméabilité des Marocains aux cultures et aux langues écrites va de pair avec leur ouverture sur le monde et leur curiosité pour les lieux les plus reculés. Et c’est peut-être sous cet angle qu’il faut considérer la migration des Marocains [v. du nord du Maroc] aux quatre vents. En ne prenant que la Belgique comme exemple, on constate q ue les auteurs marocains de plusieurs générations, de genres littéraires différents et de langues diverses se sont établis dans ce pays et en ont fait leur lieu de résidence. D’ici, ils alimentent la littérature marocaine [francophone] et l’enrichissent.» - « La Littérature marocaine : un arbre généalogique en floraison », www.moussem.be , p.1.

      À ce propos, Viviane H. T. Diamitani remarque notamment : « Ainsi, l’hégémonie culturelle est véhiculée en vue de maintenir la soumission et l’acculturation mais surtout en vue d’assurer la domination de la première langue [l’arabe/ l’espagnol] par la seconde [v. le français au nord du Maroc]. Le roman beur de par son essence est une littéraure d’exil intérieur plutôt qu’une littérature de l’immigration, car il n’y a d’immigration ou de mouvement migratoire que d’un espace géospatial à un autre, mais cet exil de beurs est intérieur et diffère de celui des parents [v. chronologie générationnelle] qui est un exil géospatial du fait du déplacement de leur sol natal sur un autre sol [au nord du Maroc]. » - « La pluralité des exilset leur problématique dans la littérature francophone dans la diaspora nord africaine », www.books.google.fr , pp.4-7.  
    
      4. La pluralité des exils et la dispora interne et externe des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :

   Le repère de la pluralité des exils et la dispora interne et externe des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994, nous amène à considérer avec Iem Van Der Poel les pays d’accueil occidentaux, voir en sus ici : le nord du Maroc : «La plupart des études critiques qui s’intéressent au lien entre littérature et diaspora se concentrent sur la terre d’accueil [v. ici le nord du Maroc] plutôt que sur le pays d’origine. En témoigne, pour ce qui est de la littérature francophone, Immigration and Identity in Beur Fiction, l’ouvrage d’Alec Hargreaves qui a fait date, et de nombreuses publications récentes sur l’émergence d’une littérature migrante dans plusieurs pays occidentaux [v. le Maroc]. » - « Le drame des harragas vu de près et de loin. Youssef Amine Elalamy rencontre Hafid Bouazza, Iem Van Der Poel, Université Amsterdam », www.dare.uva.nl , p.1.

    Il ajoute à cet égard : « Parmi les trois littératures « migrantes » principales du Maroc (en français, en espagnol et en néerlandais), la littérature néerlandophone fait figure d’exception pour trois raisons. Pour commencer, et à l’opposé du français et de l’espagnol qui en tant que langues héritées de l’époque coloniale, sont toujours en usage au Maroc [Protectorat français/ espagnol au nord du Maroc], le néerlandais est inexistant dans ce pays. Par conséquent, la littérature marocaine d’expression néerlandaise se limite strictement aux Pays- Bas. » - Ibid., p.2.
 
      5. Le monolinguisme et plurilinguisme des écrivains franco- phones au nord du Maroc 1858-1994 :
  
      Le monolinguisme et plurilinguisme des écrivains franco-phones au nord précolonial du Maroc, 1858-1994, constitue également un repère, dans la perspective de Francis Manzano disant au sujet de la situation linguistique et du français au Maroc : « Très logiquement le français [la francophonie] y a rencontré la langue espagnole, qui notamment dans le nord du pays semblait relativement bien diffusée, pour des raisons d’Histoire et de proximité, avant même les protectorats respectifs de l’Espagne et de la France. Le français semble alors avoir du mal à sortir de cette zone septentrionale. Il existe à ce moment quatre écoles à Tanger appartenant à l’Alliance française ou subventionnées par la France. On voit des cours de français ou des écoles françaises s’ouvrir à Al-Kazar-el-Kébir (…) et à Tétouan [au Nord du Maroc], ce qui achève de dessiner les contours de la zone «hispanophone» du Maroc, préparatrice de la pénétration européenne. » - «Sur l’implantation du français au Maghreb : Système et fractures identitaires au tournant des XIXe et XXe siècles »,  www.unice.fr , p.16.     
    Et le même auteur de commenter plus loin liant monolinguisme/ plurilinguisme, terrain d’implantation des écrivains francophones au nord du Maroc en spécifiant : «Comme on l’a souligné, le français n’était pas arrivé sur un terrain lisse. Bien au contraire, ce terrain se présentait au XIXe siècle comme une forme de mosaïque où, aux côtés des langues du Maghreb (berbère, arabe), existaient aussi bien des langues d’origine étrangère (espagnol, italien, turc) que des interlectes relativement répandus (lingua franca). […] Mais que les failles soient anciennes ou créées, […] par la France coloniale, elles sont devenues peu à peu des traits constants du paysage linguistique [littéraire mono-/ plurilingue] comme on l’a souligné ici, et c’est sur ce type de base, notamment, que la langue française a pu se légitimer et s’intégrer pour longtemps au sein du paysage maghrébin [v. marocain]. » - Op.cit., p.40.

      6. Le multiculturalisme et le multiconfessionalisme des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994 :

      Pour ce qui est du repère du multiculturalisme et le multiconfessionalisme des écrivains francophones au nord du Maroc 1858-1994, Mechtild Gizmer relève  l’unicité et la diversité de linguistiques et confessionnelles de ces derniers axés sur leur francophonie, tant au nord du Maroc qu’en exils : « En prenant comme point de départ la définition de Mathis-Moser (qui est de dire que la littérature française est celle produite sur le territoire de la France), il conviendrait donc de parler dans le cas de la « littérature migrante d’origine marocaine [v. via le Maroc]», Littérature migrante francophone d’origine marocaine au Québec […]». Mais dans le cas du Québec il est de coutume de parler justement de « littérature migrante » qui désigne [...] dès le milieu des années 80, l’apport des littératures dites ‘ethniques’ à la littérature majeure […]. » - « Littérature migrante francophone d’origine marocaine au Québec », www.kanada-studien.org, pp.10-11.
   De ce fait, le multiconfessionlisme judéo-musulmano-marocain y est aussi manifeste et c’est ce que celui-ci souligne en l’occurrence à ce propos au Québec :
   « Alors qu’un certain nombre de Juifs sont partis du Maroc après l’Indépendance en 1956, (une migration qui s’échelonne jusqu’à la fin des années quatre-vingts avec un temps fort dans les années soixante), une autre migration, arabe celle-là, n’a commencé que plus tard. Par ailleurs la migration juive séfarade ne s’est pas déroulée pour tous de la même manière : alors que les uns sont allés directement au Canada, d’autres ont fait des détours soit par Israël, soit par d’autres pays avant d‘atterrir finalement à Montréal ou Québec. Les uns étaient des écrivains avant leur émigration et le sont restés, les autres ont exercé divers métiers d’abord et ont trouvé une vocation d’écrivain ensuite. » - Op.cit., p.11.

     En conclusion, cette « Petite anthologie des écrivains francophones du nord du Maroc 1858-1994», constitue en soi une petite somme des écrivains marocains et étrangers francophones du nord du Maroc qui reste à parachever à l’avenir tant du point de vue corpus que du point de vue critique et historico-littéraire, à multiplier pour d’autres régions du Maroc et d’ailleurs.

                                                                         L’auteur



































(I)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
AXE TANGER-LARACHE-
KSAR EL KEBIR-
TÉTOUAN- OUZZANE
1883-1968



















(A)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TANGER
1883-1965












Elisa Chimenti
   Née le 8 novembre 1883, à Naples, et morte, le 15 août 1969, à Tanger, Elisa Chimenti, fille de Rosario Ruben, médecin, réfugié à Tunis, avec sa femme Maria Luisa Ruggio Conti, sa fille de quelques mois et Maria Girardi enceinte. Elisa y parle l'arabe de ses nurses et s’initie aux saintes Écritures par Rabi Eliezer. En 1890-1899, la famille vit Tanger, où le père sert le sultan Moulay Hassan Ier, à la veille du Proctectorat. En 1925, Tanger pré-internationale, abrite une population cosmopolite à majorité musulmane et juive et des réfugiés de divers pays, hôtes d’un makhzen tolérant. Elle suit son père au Rif et ailleurs, et voyage en Europe. Diplômée littéraire, elle enseigne à Tanger. Après un mariage raté, elle écrit Marra, recueil de poésie (1924), et sur le Maroc : Eves Marocaines (1935), Chants des femmes arabes (1942), Légendes Marocaines (1950), Au coeur du Harem (1958), Le Sortilège et autres chants séphardites (1964), Les petits blancs marocains, feuilleton dans les journaux (1950-1960), etc.
Histoire du fqih de Tanger El Balia
      Un savant avait épousé une femme jeune et belle, Yamna, qui l’aimait et qu’il aimait. Cesavant était ambitieux et avide de savoir et après quelques mois de mariage, il négligea safemme et s’adonna à l’étude de la science de Ghazès et de Giaffar le Sévillan, car, ilprétendait approfondir le mystère de la vie et de la mort et commander aux espritsinnombrables qui peuplent les quatre éléments et exercent une influence tantôt néfaste, surla nature organique et inorganique. Il se fit initier aux rites obscurs et redoutables quisoumettent les génies à la volonté de l’homme, pria et jeûna longuement, brûla le santal etl’encens noir et, ayant tracé le cercle magique qui éloigne les démons, cessa de respirer etattendit : des animaux gigantesques, des monstres affreux, apparurent à ses yeux étonnés, et des génies, si beaux, qu’il les prit pour des anges.Une djenia d’une grande beauté vint en dernier lieu.
    Elle enseigna au savant quels esprits apparaissent aux hommes sous leur forme véritable, et, quelles sont les apparences querevêtent les démons; lui expliqua comment les premiers ne craignent pas la lumière, cependantque les autres la fuient ; lui dit quelles gemmes servent à combattre l’influence des astres,quelles substances font brûler les lampes éternelles et lui confia le secret de la préparation del’élixir qui prolonge l’existence des enfants d’Adam au delà des limites naturelles.Séduit par ses vastes connaissances et sa beauté merveilleuse, le savant prit l’habitude des’entretenir avec elle, et finit par lui demeurer «enchaîné». Il divorça Yamna son épouse etgarda la fille des génies, qui fut pour lui une compagne charmante et dévouée. Elle luiapporta de grandes richesses, l’aida dans ses recherches, remplit ses nuits de délices, luidonna de beaux enfants et demeura jeune et charmante à travers la vie.
   Vingt ans s’écoulèrent dans le bonheur, puis le savant sentit un ennui vague, indéfinissablese glisser en lui; un grand besoin de solitude le prit, et une lassitude de son bonheur trop parfait. Il eut l’ardent désir d’un bien ignoré et le regret de l’existence triste et joyeuse qu’iln’avait pas connue et qui est le partage des hommes. Il négligea ses études, rechercha lasociété des sages et fit de longues promenades pour se distraire de ses pensées.Un jour qu’il revenait de la campagne, il se sentit las, eut soif et s’arrêta au bord d’une sourcepour boire. Il vit dans l’eau transparente et limpide l’image d’un vieil homme aux cheveuxblancs, au visage douloureux, dans lequel il hésita à se reconnaître.
    [...] Il n’osa rentrer chez lui et se demanda : que dirai-je à Nejma la djenia ? Elle ne peut compatir à ma peine ni comprendre ma douleur et la crainte que la mort m’inspire, car elle ignore les tristesses du vieil âge et les regrets de la jeunes se perdue. Elle est, elle, la fille desgénies presque éternels et moi je ne suis qu’un homme dont les jours soient comptés avec parcimonie. Il se souvint, alors, de Yamna, la femme au savoir limité, à la beauté périssable, de Yamna qui pouvait comprendre l’horreur de la tombe car elle était mortelle et compatir aux faibles ses et aux malheurs qui sont le partage du serviteur. Il désira ardemment la voir... Rhazes (Zakarya al-Razi, 865-932), médecin, alchimiste et philosophe perse. Il s’agit probablement d’Abu Jafar ibn Harun al-Turjali (XIIe siècle), médecin et alchimiste de Séville.

Èves marocaines, Éd. du Sirocco & Senso Unico, 2010
























Ahmed Beroho

   Né en 1936, à Tanger, Ahmed Beroho est un écrivain marocain franco-anglophone, journaliste de formation et ancien diplomate. Il a étudié à Tanger, à FSEG de Tunis et à l’université de Floride, USA (1978).  Il a un talent puissant de scénariste, à l’esprit satirique tempéré d’ironie. Il traite, dans ses écrits, différents aspects de la société tangéroise dont : l’intégrisme-islamiste et ecclésiastique-, l’histoire, la drogue, la corruption, le renseignement. Il tend vers une esthétique de la singularité, de la cocasserie et de l'étrangeté. Il puise aussi son inspiration dans des faits historiques mêlant le réel à la fiction. Il est l’auteur d’(e) : Une saga à Tanger, trilogie (1997), Réminiscences (1998), Le Consul et l’Indigène (1998), Le Général (2008). Sahara marocain et convoitises algériennes (2015), etc.

Le complot
Tanger - Ville moderne
10 juillet 1971
13 heures 25
   Les portes des magasins étaient fermées, les rideaux des grands commerces baissés, la rue déserte : Tanger faisaient la sieste ; la police, patrouilles pédestres, patrouilles cyclistes, estafettes, faisait tranquillement ses rondes habituelles.
   Aux accès de la ville, des barrages sont dressés : police, gendarmerie et police militaire contrôlaient tout véhicule entrant à Tanger.
La médina
13 heures 25
   Sur les terrasses des maisons, des femmes et des enfants, des jeunes, des moins jeunes, des vieillards, qui avaient écouté Radio Rabat diffusant le communiqué du Conseil de la révolution, orientaient, ahuris, les antennes de leurs transistors vers rue Goya où se trouve Radio Tanger.
   Depuis la diffusion du communiqué de l’adjudant-chef Aqqa par Radio Rabat, Radio Tanger ne cessait d’émettre des chansons à la gloire du roi Hassan II.
Radio Tanger
13 heures 27
    La star marocaine Abdelouahab Doukkali chantait Habib al jamahir quand il fut interrompu par la voix bien timbrée de Mostapha Abdellah, l’un des meilleurs journalistes de tous les temps :
   «Chers auditeurs, le gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger demande votre aimable attention. »
    Aussitôt, la voix chargée d’émotion, le verbe haut, le ton de circonstance, le gouverneur annonça :
    « Sa Majesté le Roi, que Dieu le glorifie, est vivant. Il n’a été victime d’aucune agression. Ce que vient de diffuser Radio Rabat est une imposture. »
   Mostapha Abdellah reprit le micro :
   « Chers auditeurs, vous venez d’écouter le communiqué du gouverneur de Sa Majesté le Roi à Tanger. Le Roi, que Dieu le préserve, est vivant. Le communiqué de Radio Rabat est donc une imposture. »
Habib l’jamahir occupa de nouveau les ondes de Radio Tanger pour être encore une fois interrompue par Mostapha Abdellah :
   « Chers auditeurs ! Une dépêche de dernière minute : "Un contingent d’anciens combattants vient de dégager Radio Rabat. Dans un bref échange de coups de feu entre les forces loyalistes et les rebelles, le lieutenant colonel   
 M’hammed Ababou, noyau dur du coup d’Etat avorté, et son garde du corps, l’adjudant-chef Aqqa, le prétendu porte-parole officiel du Conseil de la Révolution, ont été abattus, le général Mohamed Medouh, membre de la conjuration, s’est suicidé, leurs complices sont arrêtés ou en fuite :"Vive le Roi !»
Radio Tanger
13 heures 29
     Radio Tanger diffusait la suite de Habib al jamahir lorsque Mostapha Abdellah intervint pour la troisième fois, la joie dans la voix :
    « Chers auditeurs, la Sûreté régionale de Tanger nous a, à l’instant, appris l’arrestation du lieutenant-colonel Mohammed Ababou, le frère du précédent. Il était le dernier militaire rebelle à être mis hors d’état de nuire… Vive le Roi ! »

Le Complot, Ed. Corail, 2001




David Bendayan
   Né en 1941, à Tanger, David Bendayan est né à Tanger, est un écrivain marocain franco-hispanophone. Après des études au lycée français, il enseigne dans les écoles primaires et secondaires tangéroises. Émigre en 1966 au Canada, il poursuit ses supérieures à l'Université McGill, à Montréal. Il est professeur de français et d'espagnol et chargé de cours à l'Université de Montréal. Il est l’auteur de : Le silence et l’aveu dans Mithridate et Phèdre de Racine (1971), Une Jeunesse à Tanger, roman (2004). Il s'intéresse à la culture sépharade et en écrit une série d'articles dans la revue La voix sépharade, sous le titre Histoire des Juifs d'Espagne (2001-2005). Il œuvre au comité culturel francophone de la Bibliothèque publique juive de Montréal qu’il a aussi présidé. Il publie dans des revues marocaines : voyage d'Alexandre Dumas à Tanger, Un epílogo a La vida perra de Juanita Narboni, pastiche du roman du tangérois Angel Vásquez, Noces juives tangéroises vues par Eugène Delacroix et Alexandre Dumas, etc.
Tanger, terre d'élection
    De tout temps, Tanger, terre d'élection, a exercé une puissante fascination sur ses citadins et ses voyageurs. De Delacroix à Paul Bowles, en passant par Matisse et Morand, peintres et écrivains ont tous succombé au charme de ses collines insouciantes. C'est donc dans cette ville mythique que s'imbriquent mes émerveillements d'enfant, mes émois d'adolescent et mes désarrois d'adulte.
   Aujourd'hui, cet amour se transforme en devoir de mémoire et ma nostalgie revêt la force du témoignage. Toutefois, le lecteur ne saurait trouver dans ces pages ni un récit autobiographique classique, riche en confessions nuancées, ni des images, des esquisses de choses vues de l'extérieur, impassiblement. J'y ai cherché surtout à reconstituer, à travers des jeux de mémoire, un univers disparu à tout jamais.
     Mais de quel univers s'agit-il ? Question ardue, car comment saisir l'essence d'une ville protéiforme ? Est-ce le Tanger en carton-pâte véhiculé par les films hollywoodiens ou le bazar d'illusions colporté par les romanciers américains ? La ville de toutes les jouissances permises ou le repaire des aventuriers et des contrebandiers ? L'espace des âmes errantes en quête de paradis artificiels ? Chacun a son propre Tanger.

Une Jeunesse à Tanger, Ed. Latitudes, 2004



Lotfi Akalay
    Né, en 1943, à Tanger, Lotfi Akalay est un écrivain, journaliste francophone marocain. Il a fait ses études à Tanger et à Paris (maîtrise en sciences politiques. Entre  1990-1994, il écrit des chroniques humoristiques pour le quotidien de gauche marocain  Al Bayane,  puis pour La Vie Economique, la voix des milieux d'affaires. En 1997, il donne des chroniques d'humeur au mensuel Femmes du Maroc. En 1995, Charlie-Hebdo avait publié l’une de ses nouvelles, Le Candidat, en feuilleton. En mai 1996, il publie un  roman, Les Nuits d'Azed, traduit en néerlandais, italien, portugais, grec, coréen, turc, chinois, espagnol... En 1998, il fait paraître Ibn Battouta, Prince des voyageurs, récit de voyages du premier explorateur du monde, Tanger, c'est Tanger (2014), etc. Il est aussi le directeur de l'agence de voyages Calypso de sa cité.

Prends le premier avion pour Tanger

     Le patron m’a dit : « Vite, prends le premier avion pour Tanger, cette fois-ci, ça va barder pour de bon.» A peine arrivé au Maroc, une grosse déception m’attend : c’est le calme plat. Où sont les cadavres qui jonchent les rues ? Pas la moindre volute de gaz lacrymogènes à cause d’un violent Charki réactionnaire et valet du colonialisme, qui souffle dans la ville. Pas même une carcasse de voiture calcinée à se mettre sous l’objectif, j’en ai été réduit à photographier quelques crève-la-faim qui traînaillaient en sniffant la colle de rustine. Des banques saccagées ? Nos lecteurs en ont vu d’autres, on ne fait pas trois heures d’avion pour montrer un guichet détruit, Villeurbanne ou La Courneuve auraient suffi.
     À l’hôtel quatre étoiles qui en vaut une, j’ai appris par les informations de Tele-Cinco qu’un haut fonctionnaire du ministère espagnol de la justice a été victime d’une lettre piégée qui lui a arraché trois doigts. Sans être troufion de Polytechnique, j’en ai déduit que ce magistrat s’est trouvé à deux doigts de perdre la main tout entière. Pauvre homme !    
    Que vaut un juge sans l’index accusateur ? Ah ! si seulement cet attentat s’était produit au Maroc ! Je vois d’ici le titre : «L’institution judiciaire marocaine gravement ébranlée à la suite d’une mystérieuse agression à l’explosif survenue en plein cœur de la capitale chérifienne. Un observateur qui a requis l’anonymat redoute une flambée de violence. » J’aurais eu mon scoop... Hélas, l’attentat, non, l’incident n’a eu lieu qu’en Espagne, capitale journalistique du bidonnage professionnel, bastion de la démocratie, de la sécurité et de la stabilité.

Tanger, c'est Tanger, Ed. Fromageraie, 2014





Noufissa Sbaï
    Née à Tanger, en 1944, de formation littéraire, Noufissa Sbaï est diplômée de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, à Paris, et Licenciée de l'Université de Bordeaux en Civilisation Arabo-Musulmane. Professeure, enseignante auprès du MEN au Maroc, elle a participé, depuis 1979, au mouvement associatif mocain, en particulier à la création d'associations féminines nationales et internationales. Elle est l’auteur de romans : L'enfant endormi (1987) et L'Amante du Rif (2005), adaptés au cinéma, par Yasmine Kassar et Narjis Nejjar. Grâce à sa société Jbila Méditerranée Productions (SJMP), elle est produit des films dont : "Yeux Secs" avec Narjis Nejjar, des documentaires sur la femme marocaine, et des courts métrages. Elle est coscénariste de téléfilms, et membre de jury dans plusieurs festivals.

www.africultures.com

L'odeur du kif

   ... De temps en temps, il me lançait des bouffées de kif

sur le visage, dans la bouche […]. Je finis par m'évanouir et lorsque je repris mes esprits, je l'entrevoyais au-dessus de moi en train de m'asperger d'eau de Cologne, me giflant pour me tenir réveillée. Ensuite, il me balança contre le mur en me hurlant : réveille-toi "puta" et écoute-moi bien : désormais tu ne pourras vivre avec aucun autre homme que moi. Même si tu te maries avec ton cousin, tu me reviendras comme une chienne haletante, cherchant l'odeur du kif près de moi. Personne ne pourra aimer une fille qui a grandi au milieu de la fumée de notre délicieuse herbe, de notre jasmin, de notre menthe du Rif. Ha, Ha, Ha. Et il éclata de rire...

 

L'Amante du Rif, Ed. Paris-Méditerranée, 2004






















Rachid Tafersiti
    Rachid Tafersiti est né en 1944 à la clinique Anderson au Marshan, à Tanger. Ses parents habitent la rue Gzennaya en Médina. Ils emménagent, de 1946 à 1995, à l'avenue des Etats-Unis. Après l'école primaire franco-arabe Poncet et secondaires, au lycée Ibn Al Khatib, il s'engage à Bank Al Maghrib, en à Meknés, en 1968, sans lien avec sa vocation de matheux, ni avec ses dons de peintre et de poète.  Depuis 1969, il est muté directeur-adjoint, à la B.P. de Tanger. Il s’active dans le socio-culturel : trésorier du Syndicat d'Initiatives et du Tourisme et du Comité Régional du Croissant Rouge Marocain, SG de la Jeune Chambre Economique, vice- président du Conseil Régional des Sports de Tanger, président fondateur de l'Itthad Riadi de Tanger - Basket Ball, en 1981. Il est président de la section Echecs de IRT et de la ligue du Nord-Ouest des Echecs. Il est vice-président et cofondateur de l'Association "Al Boughaz ", et de la Fondation Tanger Al Madina. Il publie des ouvrages sur sa cité, dont : "Tanger, réalités d'un mythe" (1998), Tanger, cité de rêve (2002), Tanger (1999-2003), Chroniques d'une transition (2004), Retour à Tanger, roman (2009), etc.


Mon rêve se poursuit
Cette passion, je l’ai héritée de mon père et j’essaie de la transmettre” […]
   Mon rêve se poursuit et je constate que les sites historiques ou ayant une valeur culturelle sont épargnés. Le Gran Teatro Cervantes, devenu musée, a été rénové et grouille d’activités [...]. Le musée Forbes (Dar Mendoub), unique au monde, n’a pas été vendu et continue à drainer des visiteurs venus des quatre coins du monde… […]
   Le Café Hafa, frère jumeau de celui de “Sidi Bou Saïd” à Tunis, continue à résister aux tentations. Paul Bowles et Juan Goytisolo ne l’ont jamais quitté et sur leurs traces, de jeunes artistes continuent à affluer en ces lieux qui n’ont rien perdu de leur charme. La vue sur le détroit reste imprenable. […]
   De nombreux sites historiques ont été classés et figurent sur les guides touristiques. Les visiteurs continuent à admirer avec plaisir la vue du port à partir de la nécropole phénicienne de Hafa, après avoir traversé le site verdoyant du stade du Marshan.

Tanger, réalités d’un mythe, Ed. Persée, 1998






Tahar Ben Jelloun
    Né le 1er décembre 1944 à Fès, au Maroc, Tahar Ben Jelloun est un écrivain et poète marocain. Il va à l’école primaire arabo-francophone et au lycée français de Tanger jusqu'en 1952, et fait des études de philosophie à l'université Mohammed V, à Rabat. Il y écrit ses premiers poèmes, parus dans : Hommes sous linceul de silence (1971). Il enseigne la philosophie au Maroc. En 1971, après l'arabisation, il part pour Paris pour faire des études de psychologie. En 1972, il écrit au quotiden Le Monde. En 1975, obtient un doctorat en psychiatrie sociale, il en tire La Réclusion solitaire (1976). En 1985, il publie L'Enfant de sable, et reçoit le prix Goncourt (1987) pour La Nuit sacrée. Il publie aussi : La Nuit de l'erreur, roman (1997), Le Racisme expliqué à ma fille (1998), reçoit le titre de docteur honoris causa de l'Université de Montréal (2008), puis Au pays (2009) Beckett et Genet, un thé à Tanger, (2010),  Que la blessure se ferme, (2011),  Le Bonheur conjugal (2012),  Mes contes de Perrault (2014), Le Mariage de plaisir (2016), etc.
Il était donc une fois, dans la ville de Fès
    Il était donc une fois, dans la ville de Fès, un petit garçon prénommé Amir né dans une famille de commerçants dont on disait qu’ils étaient descendants de la lignée du prophète.
    C’était le jour des premières pluies, son petit frère venait d’avoir un an, quand soudain le bruit se répandit dans la ville que le Mendiant était revenu. Ceux qui l’avaient croisé racontaient que sa voix, grave et forte, était effrayante ; que ses paupières tremblaient toujours légèrement, nerveusement ; qu’il lui suffisait d’un geste de la main pour convaincre quiconque de renoncer à se mettre en travers de sa route. Et tous s’accordaient à dire qu’il dégageait une odeur insupportable, qui le précédait et restait longtemps après son départ. Nul n’avait osé jusque-là s’approcher de lui ou lui donner l’aumône. Son visage, pourtant, disait autre chose. Ses yeux surtout, clairs et larges, dégageaient une étrange lumière.
    Que voulait le Mendiant, d’où venait-il, quel était son nom ? Personne ne pouvait le dire. Mais les enfants le baptisèrent aussitôt El Ghool (le monstre), El Ghaddar (le traître) ou El Henche (le serpent). Les adultes, eux, l’appelaient Ould Lehrâme (le bâtard), celui qui annonce le malheur.
     Quelques jours après son passage, une épidémie de typhus se répandit dans Fès. Le petit frère d’Amir fut emporté en quelques heures. Amir eut cependant la chance, ainsi que ses parents, d’échapper à la maladie.
    Après quelques jours d’inquiétude, Fès fut largement épargnée. L’épidémie s’était déplacée dans les montagnes et les villages où la mort avait tant à faire. Fès en acquit du jour au lendemain le statut de “Ville sacrée” sans qu’aucune autorité religieuse ne s’en mêlât.
     Mais Fès, en secret, redoutait le retour du Mendiant, dont le souvenir subsistait dans les mémoires. Heureusement, jusque-là, les prières à la Grande Mosquée semblaient l’avoir repoussé.

Le Mariage de plaisir, Ed. Gallimard, 2016



























Boubkeur El Kouche
   Né, en 1945, à Figuig, retraité en 1999, et mort, le 12 janvier 2005, à Tanger, Boubkeur El Kouche, docteur ès lettres française et professeur et chef de département des lettres française (1982), à la Faculté des Lettres de Tétouan, Maroc, responsable du Groupe de recherche sur la mémoire du Nord du Maroc (en 1996), est un écrivain francophone. Il est l’auteur de : Regarde, Voici Tanger, Mémoire Écrite De Tanger Depuis 1800, anthologie (1997), Une saison au paradis, romans (2005),

    La ville figurée par des monuments

    La ville peut être figurée par des monuments et des lieux comme la place du Grand Socco dominée au sud-ouest par le minaret polychrome de la mosquée Sidi Bou Abid, le musée de la Casbah protégé par d'imposants remparts, le lycée Regnault, pépinière de l'élite francophone, le théâtre Cervantes qui tombe en ruines, l'hôtel El Minzah, véritable paradis pour les touristes de la Jet Society, la Grande Mosquée du centre ville, dont le minaret dépasse largement le clocher de la cathédrale, la Place des "Fainéants", d'où les oisifs contemplent par temps clair les côtes espagnoles, la synagogue Chaar Raphaêl où prient les juifs en toute quiétude, la Délégation du Tourisme qui occupe les anciens locaux de la Maison de la Dette, le boulevard Pasteur envahi de part et d'autre par des cafés, le Pavillon international du boulevard Mohamed V, l'avenue d'Espagne hérissée de buildings, le port de voyageurs et les excroissances hideuses des quartiers extérieurs.
   A cause de l'exode rural et de la poussée démographique, Tanger a connu un développement spatial fulgurant. La ville s'est développée vers l'intérieur des terres, du côté de la baie et sur la route de Tétouan. Tanger la blanche n'a pas résisté en effet au délire des architectes et des parvenus. Elle s'est encombrée de buildings prétentieux qui la font ressembler à une cité surpeuplée, tumultueuse et redoutable. Des constructions anarchiques la défigurent chaque jour davantage et l'éloignent de la mer.
    Malgré les épreuves qu'elle a subies, Tanger est restée un lieu souverain. C'est une ville accueillante et tolérante bercée par les eaux de l'Atlantique et de la Méditerranée.    Avec ses mosquées, ses synagogues, sa cathédrale, son église Notre-Dame-de-l'Assomption, son église italienne Saint-Françoisd'Assise, son American Church et son Andrew's Anglican Church, Tanger est le symbole de la coexistence pacifique entre les religions. C'est une des rares villes au monde où les juifs ont pu vivre dans la sérénité pendant la Seconde Guerre mondiale.
    Avec son croissant de mer bleue, ses maisons blanches accueillantes et ses lieux de détente, Tanger est une ville de villégiature extraordinaire. Ses plages de sable fin, sa médina pittoresque, ses hôtels de luxe, ses palais des mille et une nuits, ses résidences de la Vieille Montagne et ses cafés rustiques sont le paradis des milliardaires, des poètes, des rêveurs et des artistes. Cette ville située à moins de trois heures des principales capitales européennes attire, chaque année, plusieurs milliers de touristes marocains et étrangers.

Regarde, voici Tanger, Ed. L'Harmattan, 1996























Rachida Madani

    Rachida Madani est née, en 1951, à Tanger, où elle a fait des études bilingues. Licenciée en littérature française, elle a enseigné dans le secondaire. Elle est l’un des membres fondateurs de l’ONG Karama, association et centre d’écoute pour l’aide aux femmes en difficultés. Elle a travaillé également comme directrice bénévole dans un établissement pour l’enseignement, l’éducation et la formation professionnelle pour sourds muets. Elle est l’auteure d’un roman et de plusieurs ouvrages de poésie, Femme je suis (1981), Blessures au vent, poésies (2006), L'histoire peut attendre (2006), Ce Qui Aurait Pu Demeurer Silence (2015), etc.


                                       Chaque poème est une barque
VI
Chaque poème est une barque
vers l'autre rive.
Ici le vent agite sa tête jaune
                           de pleureuse païenne
et les hommes tombent des branches
comme fruits pourris.
Ici les maisons se penchent de toutes
                                                leurs fenêtres
et s'écrasent dans les rues.
Ici les poètes meurent en prison.
Ici une voiture noire l'attend.
Ici on l'a emmené ailleurs
où on lui a coupé les doigts
où on lui a bandé les yeux
et tiré dans la bouche.
Ici, juste là
on n'a pas pu l'enterrer.

Je te sauverai des villes
comme je t'ai arrachée aux sables
ma rose habillée de vents et de pluies,
nous deux dans la barque
et mon sang fou d'esclave rebelle hurlant
hurlant jusqu'à l'autre rive.

VII
Nous deux dans la barque
et bleu de rancune l'océan alentour
les noyées remontent vers nous
pendues aux algues ;
Leurs yeux ne sont pas plus creux
leurs mains ne sont pas plus vides
que le cœur d'une ville...
N'est pas moins mortel le phare
                                              qui nous guide.
Je mourrai de trop t'aimer ma rose
je mourrai d'être simplement une mère
mais que ma mort survienne
                                                  sur l'autre rive.

Contes d'une tête tranchée
, Ed. La Différence, 2006



















Ahmed El Ftouh 

   Né le 24 février 1953, à Tanger, Ahmed El Ftouh est un écrivain marocain franco-arabophone. Il est titulaire d’un DEA en Sémiologie de la Communication, de l’Université Hassan II, Casablanca (1992), d’une licence en Communication et langage des Médias, de la fac des Lettres et Sciences Humaines, Besançon, France (1998),  d’un diplôme de l'ENS, Cycle de formation des professeurs de Lycées, (spécialité : Langue et littérature françaises), Besançon, France (1998), d’un diplôme du CPR, en Langue française, de Rabat  (1975). Il est l’auteur d’articles et coauteur d’ouvrages collectifs dont  : L'image, limite de l'interprétation et de la traduction (1996), Cinéma et Education (1999), Intégration des nouvelles technologies dans l'enseignement et la formation des enseignants au Maroc (1997), Culture et éducaton à l'environnement dans les manuels scolaires des lycées au Maroc (2000), Cinéma du  Maghreb,  le cinéma  marocain,  un
 cinéma émergent (2005), etc.

www.africultures.com

Retour aux sources des cinéastes marocains
de l'immigration

    Le thème du retour aux sources et la redécouverte des traditions et des habitudes ancestrales est un sujet qui revient en force dans le cinéma marocain des deux dernières années.       
 Il est traité par de jeunes cinéastes issus de l'immigration et qui reviennent au pays pour y faire du cinéma avec le concour de producteurs et de techniciens étrangers pour certains.
Ce cinéma réalisé par de jeunes cinéastes immigrés à l'étranger pour des besoins d'études ou issus de la deuxième ou troisième génération de l'immigration, est considéré par certains observateurs comme une force motrice qui va dynamiser le cinéma marocain, lui donner une nouvelle énergie et un nouvel élan. Surtout que ces derniers évoluent dans des milieux, des cultures, des langues et des
   expériences multiples.
       Des États Unis d'Amérique où il exerce le métier de professeur de cinéma, Hakim Belabass a réalisé un très beau film de fiction documentaire Les fibres de l'âm (2003), sur la redécouverte de sa ville natale Abi Jaad et sur ses traditions ancestrales. Mohamed Zineddaine, revient de Boulogne (Italie), après s'être spécialisé dans le cinéma anthropologique, pour reconstituer, dans son premier long métrage, Réveil (2005), l'itinéraire du retour de l'étranger d'un écrivain marocain, pris d'un sursaut de conscience, en mal d'inspiration et au bord de ses limites intellectuelles et psychologiques. Narré à la première personne, ce film a la particularité d'être un film intellectuel, singulier et d'un genre tout à fait nouveau au Maroc.
      De la France, deux cinéastes ont refait, chacun de son côté,
 un pèlerinage de redécouverte et de réconciliation avec les      
sources spirituelles, Le grand voyage (2004) de Smail Faroukhi,   d'une part, et de l'autre, avec les origines familiales, Tenja (2004) de Mohamed Lagzouli.
      Mais cette vision du cinéaste rajoute-elle- une plus value à la connaissance du Maroc, de ses traditions et de sa culture ? ou se limite-t-elle à reproduire des clichés et des stéréotypes forgés par l'usage et la reproduction médiatique ?
     L'image du Maroc, reconstituée par les films marocains réalisés par les jeunes issus de l'immigration, peut aider l'Autre à mieux nous connaître quand la vision du cinéaste par rapport au monde, au Maroc, à ses habitants et à leur culture, est une vision personnelle, originale, juste et proche de la réalité. Quand ce n'est pas celle d'un étranger qui vit dans la peau d'un originaire du pays.

      Le cinéma marocain, un cinéma émergent, in Magreb Cinéma, Ed. du Jeonju International Film Festival (Corée du Sud), 2005













Tayeb Boutbouqalt
    Tayeb Boutbouqalt, né en 1954, à Tanger, est professeur écrivain marocain traducteur et journaliste francophone. Il obtient un  Bac  en philosophie et lettres de l’Académie de Bordeaux (1978), un doctorat en Sciences de l’information, de Paris II (1982), un DEA en communication, un DEA en philosophie du droit,Paris (1983), un DEA en finances publiques, Paris II (1984), un DEA en islamologie, Paris IV-Nouvelle Sorbonne (1984), une licence en droit public, Université Mohamed V, à Rabat (1982), un diplôme de l’ISJ, à Rabat (1981), un diplôme de l’IST, à Tanger (1977) et enseigne, depuis 1988, à l’Ecole Supérieure Roi Fahd de Traduction, Université Abdelamalek Essaadi, à Tanger. Il publie sa thèse sur : La guerre du Rif et la réaction de l’opinion internationale 1921-1926 (1992), Les agences mondiales d’information, Havas Maroc (1994), La politique d'information du protectorat français au Maroc, 1912-1956 (1996), Tanger dans l’histoire contemporaine, 1800-1956 (1991), Tanger, Espace Imaginaire, (1992), etc.
Le Sultan refusa

C’est le journaliste italien, Arnaldo Cipolla, correspondant de la Stampa, qui rapporta ces faits :
     "Tous au Maroc disent que Moulay Youssef n’est qu’un minus habens. Mais n’en croyez rien. Moulay Youssef a démontré qu’il était capable d’énergie. Quand dernièrement (début 1925) Lyautey lui présenta le décret sur le service militaire obligatoire, le Sultan refusa, chose presque incroyable, d’y apposer son sceau. Ni les instances, ni les envois du Sultan à Marrakech dans l’espoir que le grand Caïd de la capitale du sud sur lequel les Frnçais fondent leur protection dans l’Atlas et qui garantit leurs frontières sahariennes aurait persuadé le Sultan à céder au Maréchal, n’y changèrent rien.
       Le même journaliste faisait état de plusieurs arrestations de « cadis » (juges musulmans) des régions de Fès et Meknès pour exercer une pression sur les tribus, auxquelles ces cadis appartenaient, contre toute tentative d’aides aux Rifains. Ce n’est pas un hasard si, en 1925 particulièrement, de nombreux tributs du sud et du Moyen Atlas connurent quelques agitations artificiellement entretenues. Le pouvoir colonial faisait tout pour faire éclater l’unité marocaine dont les signes d’ébranlement, dataient de bien avant les années 1920. La gerre du Rif avait eu, au moins le mérite d’avoir souligné avec le sang des failles qui risquaient de faire sombrer la société marocaine dans l’asservissement perpétuel.

La guerre du Rif et La réaction de l’opinion internationale 1921-1926, Ed.Imprimerie Najah El Jadida, 1992

Mohamed Metalsi
    Né le 14 juin 1954 à Tanger, Mohamed Métalsi est un écrivain, urbaniste et docteur en esthétique franco-anglo-germano-arabophone, marocain. Après des études d'arts plastiques à Casablanca (1970-1973), et à Rabat, (1973-1975), il est professeur certifié d’arts plastiques. Il poursuit ses études universitaires d'urbanisme à l'Institut français d'urbanisme de Paris (1975-1982). Diplômé d'urbanisme, il étudie à Paris I Panthéon-Sorbonne et Paris VIII, l’histoire de l'art et l’esthétique. En 1993, il soutient un   doctorat, en Esthétique, Sciences et Technologies des arts — Formes architecturales et Organisation de l'espace d'une cité musulmane : L'exemple de la médina de Tanger. De 1984 à 1989, il est attaché d’étude au département musée de l'Institut du monde arabe, à Paris. Il publie : Les villes impériales du Maroc, (1999), The Imperial Cities of Morroco (2000), Marokko, Die Städte der könige (2001), Fès, la ville essentielle (2003),  Maroc, les palais et jardins royaux (2004), Tétouan, entre mémoire et histoire (2005), Tanger (2007), etc.

Fès el-Bâli

     Les portes de Fès el-Bâli sont nombreuses. Deux portes principales ouvrent la cité au nord : Bâb Guissa et Bâb Mahrouq ; quatre au sud : Bâb Fetouh, Bâb al-Hamra, Bâb al-Jdîd et Bâb al-Hdîd ; deux à l’est : Bâb Sidi Boujida et Bâb al-Khoukha, et une à l’ouest : Bâb Boujloud. Les portes de Fès Jdîd sont au nombre de six : Bâb Dekakene, Bâb Sagma, Bâb Riafa, Bâb al-Jiaf, Bâb Boujat et Bâb Semmârîne, haute porte à voûtes multiples, reconstruite en 1924, qui constitue la véritable entrée.
   Ces portes monumentales avaient souvent une valeur ornementale autant qu’utilitaire. Elles furent construites en pisé, en moellon ou en briques, ou encore avec l’un et l’autre de ces matériaux. Bordées de deux tours fortifiées, en forte saillie, elles forment un couloir couvert et parfois coudé. Ces passages voûtés, oblongs et peu éclairés, dans lesquels sont aménagés des réduits, sont dans certains cas consolidés par des pilastres supportant des arcs outrepassés et parfois ogivaux. Ils avaient pour fonction de barrer le chemin à l’entrée de la cité. Leur disposition à simple, double, voire triple coude, répondait à la fonction de défendre la cité en cas d’attaque, plus précisément d’empêcher les troupes ennemies de s’en emparer pendant le siège, et rendait quasiment impossible l’irruption en masse de la cavalerie.
   À partir du moment où se développa l’artillerie lourde, les portes fortifiées de Fès se transformèrent en édifices décoratifs qui contribuaient au prestige de la ville et facilitaient la perception des droits d’octroi. Elles continuaient cependant à protéger la ville des Bédouins – qui ne possèdaient guère d’armement lourd – jusqu’au début du XXe siècle. Exclusivement ornementées de l’extérieur, ces portes affectent, chacune à sa manière, la forme d’une baie tantôt outrepassée, comme la porte almohade de Bâb Mahrouq, tantôt ogivale, comme l’illustre l’arc de Bâb Fetouh ou celui de la belle porte mérinide Bâb Dekakene, qui date du XIVe siècle. Celle-ci fait partie du système de fortifications de la ville royale.
     Elle s’inscrit dans un volume rectangulaire en maçonnerie constituant la porte tout entière. Son ornementation est composée d’un cordon ogival dessiné par la moulure de petits arcs décoratifs saillants et par le jeu de volume produit par le retrait de la frise. Un riche décor, composé de figures géométriques et calligraphiques, couronne sa partie supérieure. Sur ses écoinçons, on remarque des motifs floraux entrelacés agrémentant sa façade. La brique soigneusement appareillée, actuellement couverte d’enduit, a permis aux constructeurs de sculpter des formes géométriques complexes encadrant la baie ogivale de cette porte.

Fès. La ville essentielle, Ed. ACR, 2003







Mohammed-Saâd Zemmouri
     Né en 1958, à Tanger, Mohammed-Saâd Zemmouri, titulaire d’un doctorat de 3ème cycle en littérature et civilisation française, à l’université d’Aix-en-Provence, en France, et d’un doctorat d’Etat en littérature maghrébine francophone et comparée, à la Faculté des lettres de Tétouan, de l’université Abdelmalek Essaâdi, est un universitaire et écrivain marocain francophone. Il y enseigne la même spécialité, depuis 1985. Il a été vice-doyen de la même Faculté (1998- 2004). Membre du Comité scientifique international chargé de l’élaboration du Dictionnaire sur les mythes, figures et personnages des littératures francophones du Maghreb (2007), parrainé par l’écrivain Nabile Farès. Il est l’auteur de : Présence Berbère Et Nostalgie Païenne (2000), Histoire de ma vie par Emily Keene, avec Sidi Mohamed ELYamlahi (2001), La passion de l’altérité chez l’écrivain Nabile Farès (2005), L'islam et l’Occident : dialogue nécessaire (2009), etc.
Nabile Farès écrit des textes inclassables
    Ecrivain algérien de langue française, Nabile Farès écrit des textes inclassables qui sortent du cadre des genres littéraires traditionnels et dans lesquels le travail sur l’écriture atteint des limites extrêmes. Cette écriture chaotique, éclatée, circulaire, qui s’apparente au délire participe d’une démarche qui rappelle le courant du nouveau roman où ce qui importe ce n’est plus une intrigue mais le travail sur les mots et les procédés langagiers. Mais les aspects formels si importants chez cet écrivain en rapport avec le fond et donc la signification de son œuvre n’éclipsent pas la dimension idéologique (la vison du monde et de l’homme, l’éthique). Du point de vue idéologique, ces textes s’inscrivent dans une contre-culture qui va à l’encontre de la culture dominante et officielle.     
    D’ascendance berbère, il se définit par cette appartenance et refuse d’admettre que l’identité et la culture natives et authentiques de l’Algérie (du Maghreb) sont exclusivement arabes et islamiques comme le défendent la classe dirigeante, ses clercs, ses idéologues et ses intellectuels.
   Cependant si la part de l’idéologie est importante dans les textes de Farès - qui demeure comme beaucoup d’écrivains du Maghreb un poète-citoyen - il convient aussi de souligner aussi leur signification éthique et leur portée humaine et universelle. L’écrivain poursuit dans son œuvre, qui est le lieu de la subjectivité, un questionnement sur l’homme -à travers le questionnement sur soi et les autres- au moyen de l’écriture et de l’imaginaire. A travers la création littéraire, il paraît préoccupé par la recherche du sens et fait de son œuvre un espace où s’expriment des valeurs.
    Cette conception du texte littéraire nous sert d’hypothèse de lecture des œuvres de Farès où, aussi bien à travers l’imaginaire que le discours d’idées, l’auteur défend une vision de l’homme, des rapports humains et des valeurs qu’il désire faire prévaloir. _L’œuvre de Farès est le lieu des paradoxes. Son écriture est celle de la subjectivité et tourne souvent autour de la recherche, la construction et l’affirmation du moi ; mais elle est en même temps un appel de l’autre, une ouverture sur l’autre, voire une passion de l’altérité. Dans nul autre texte maghrébin, à notre connaissance, on ne trouve une expression aussi forte de la conception non seulement de l’idée que Je est un Autre (Rimbaud) mais que l’Autre est un Je. Ce qui nous renvoie à l’équation que posaient Ch. Baudelaire et V. Hugo. Le premier en s’adressant à l’« hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère », le second en s’écriant « insensé qui
crois que je ne suis pas toi ! ».
    Ce qui retiendra notre attention et fera l’objet de notre analyse, c’est la position singulière de cet écrivain devant la dialectique de l’identité et de l’altérité et plus particulièrement sur le désir de l’autre ou le désir d’être l’autre comme voie pour faire prévaloir la reconnaissance d’autrui.

La passion de l’altérité chez l’écrivain Nabile Farès, Ethiopiques, numéro 75, Littérature, philosophie et art ,2ème semestre, 2005.










Sidi Mohamed El Yamlahi Ouazzani

    Sidi Mohamed El Yamlahi Ouazzani, Né, en 1956, à Tanger, où il fait ses étude primaires et secondaires (1969-1976 de la fcullté des Lettres de Tétouan, il obtient une licence en sciences juridiquesde de l’universite Sidi Mohamed Ben Abdallah, à Fes (1978), un licence en Langue et Littérature françaises(1982), un DEA en mythologie contemporaine et un doctorat en sémiologie littéraire (1985), et un doctorat d'Etat (1994). C’est un écrivain marocain francophone, professeur et ex-doyen de la fac des Lettres de tétouan. Il est l’auteur de : Bachir Skiredj, Biographie d’un rire (1997), Le Temps des mythes, roman (2004), Histoire de la vie d'Emily Keene la Chérifa d'Ouazzane (2009), Tanger, la Trahison (2012), etc.
Tanger, la sirène
   Tanger, les jambes croisées, un caftan tout blanc replié sur les genoux, caresse de ses douces mains le sable fin et doré de sa grande baie. Ses doigts fins couronnés d’alliances romantiques plongent dans l’arène humide, font un long mouvement de cercle et finissent par dessiner un admirable collier d’ombre sur le tapis étincelant de lumières. Un spectacle sublime sous un ciel bordé de rimes. Son sourire envoûtant ensorcelle les milliers de vagues qui viennent successivement se prosterner à ses pieds, allégeance solennelle, éternelle, fidélité séculaire que n’érode ni le vent d’Est, ni les charmes de l’Ouest. Son long regard obscur, pénétrant, fixe sans sourciller un éclatant soleil moucheté d’azur dont les chauds et insolents rayons peignent la lisse et touffue chevelure verte qui pend, qui se couche littéralement sur le versant nord de la mythique et impressionnante montagne. Tous ceux qui connaissent Tanger savent que son pouls s’accélère toujours à l’approche d’un bateau chargé d’amour, un bateau de croisière transportant les amoureux du monde en quête de consolation, d’idylles merveilleuses, un paquebot de pâquerettes souriantes pressées d’éclore sur le front lumineux de la déesse du détroit, une embarcation passionnée, chargée de rêveurs qui se dirigent droit vers le coeur.    
     Un soupir, une poitrine qui se gonfle, et voici Tanger qui se lève avec son sourire radieux, sa longue robe sertie de diamants, sa ceinture aux mille carats, sa couronne de cèdres et d’eucalyptus, avec son maquillage bariolé de drapeaux, un teint sensationnel, irrationnel, sensuel. Avec ses mots de bienvenue mielleux, sulfureux, gravés solennellement sur sa langue multicolore, elle s’apprête à accueillir le nouveau venu, cet étranger éperdu,  […] pour la voir de près, elle, la belle et redoutable Tanger, Tanger, la sirène, Tanger l’amante, la menthe nageant dans une théière brûlante, sans cesse dansant sur la braise attisée par des souffleurs d’amour, de rêves...
Tanger, la Trahison, Ed. Tanger-Expo, 2012
Abdelouahid Bennani
     Abdelouahid Bennani né à Tanger, Maroc, en 1958, est un écrivain et poète marocain franco-hispanophone. Après des études primaires et secondaires dans sa ville natale, il est affecté à Errachidia, à sa sortie du centre pédagogique régional, en 1982, comme professeur collégien de français. Il écrit la langue de Molière à l'instar de Driss Chraibi, Tahar Ben Jelloun, Abdellatif Laabi, marqué particulièrement de leurs ouvrages. Il collabore aux journaux : Servir et L'Eclaireur, dirigés par Mustapha Ouadrassi (1975-1982), s'occupe d’activités culturelles et de critique littéraire durant ses sept ans, sans penchant pour la politique. Il oublie : Derrière les murs de la Kasbah (2007), La rumeur du silence (2008), Il traduit de l’espagnol en français de Mohamed Sibari : De Larache au ciel et La Rose de Chaouen (2007), etc.
Préface, les Mille et Une Nuits
    Les Mille et Une Nuits, l'orgueil de la littérature arabe et le chef-d'œuvre pour toutes les autres depuis bien des siècles, continue à inspirer les nouveaux écrivains comme il a inspiré les plus anciens. L'Arioste, Boccace, Hoffman, Kipling, Selma Lagerlof, Karen Blisxen... ne s'en sont pas privés. Raymond Matabosch non plus. Il en a puisé le style poétique, fantastique et merveilleux. Ses personnages portent le Haik, le voile, le turban ou le tarbouche comme les porteraient Ali, Isaac ou Raymond.
    Tous les ingrédients, tous les arômes du conte sont présents et il ne manque ni prince, ni fée, ni mendiant pour caricaturer le monde réel afin de nous offrir l'évasion que nous ne trouvons que dans le rêve. Des contes anonymes arabes, berbères, soufis. D'autres inspirés et adaptés d'Al Qalyubi et de Ibn Quatayba.
     Raymond Matabosch le conteur est si différent de Raymond Matabosch le poète. Si ses « Chemins de Solitude », ouvrage que j'ai eu la joie et l'honneur de préfacer, sont de longs chemins qui serpentent les plus hautes des montagnes, les plus actifs des volcans, les tremblements les plus dévastateurs, les menaces les plus probables dans l'immédiat, ses Contes, Fables et Légendes au Pays du Couchant lointain, eux, nous mènent aux pays lointains dont rêvent tous les hommes, nous portent sur les ailes de l'imagination dans la cour d'Errachid, exorcisent nos fantasmes les plus profonds, les plus enfouis, les plus beaux de nos fantasmes.
   L'ouvrage compte une vingtaine de fables et de contes où les animaux prennent l'apparence des hommes, où le vice et la vertu se livrent de durs combats et où le lecteur, retrouvant son enfance passée, s'identifie avec tel ou tel personnage, selon son bon vouloir. […]
     Nos habitudes, us et coutumes sont si bien illustrés par Raymond Matabosch qu'ils dépassent Voltaire en personne qui n'a rapporté, lui, qu'une pâle image des marocains du dix septième siècle dans son conte philosophique Candide, où ils n'étaient que des vulgaires pirates ayant attaqué le navire de la fille du Pape et massacré tout l'équipage.
    Je prédis un grand succès à cet ouvrage digne des grands conteurs qui ont su tenir en haleine toutes les civilisations du monde en leur inculquant le savoir faire et le savoir être par les abondants moralités, symboles et philosophies.

Préface aux Contes, fables & légendes au Pays du Couchant lointain, de Raymond Matabosch, Ed. Stock, 2011




















Mokhtar Chaoui
     Né le 26 décembre 1964, à Tanger, Mokhtar Chaoui, docteur d’Etat en lettres (2000), actuellement enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres de Tétouan, appartient à la nouvelle génération d'écrivains francophones tangérois qui critiquent haut et fort les maux et travers de leur société. Il est l’auteur de : Refermez la nuit, poésie (2007) et de romans controversés : Permettez-moi, Madame, vous répudier (2006), A mes amours tordues (2009), Les Chrysanthèmes du désert, nouvelles (2014), Le silence blanc, fiction (2014), Les trémolos de l'amour, nouvelles et textes courts (2015), etc.
Chez Sidi-Lalla

     C’est comme ça tous les jours d’Allah entre Baba et Mama. C’est Baba qui ferme la bouche le premier. Mama continue de grogner toute seule. Elle a en plus les chèvres avec qui parler. Les chèvres et nam-Ham sont ses vrais enfants. Daba, elle n’a personne. Elle a moi et c’est tout. Elle ne me parle jamais à moi. C’est comme si je n’étais pas son enfant. Des fois d’Allah, je voudrais devenir une chèvre pour que Mama me parle, pour que Mama me caresse comme elle faisait avec les chèvres, comme elle faisait avec Ham-Ham. […]
      Chez Sidi-Lalla, je ne sais plus comment je dois parler. Avec Baba-Mama je parlais marocain. Avec Sidi-Lalla, je parle un chwiya marocain et un chwiya français. C’est Lalla qui m’oblige à parler français. Ils vont rendre ma langue folle ces grands. Sûr de certain que ma langue va devenir folle et moi aussi. Sidi-Lalla sont venus me chercher dans mon douar il y a plus de trois mois. C’est SSi Haddou qui les a amenés. Baba-Mama ont dima un garçon ou une fille à vendre. Comme il a fait les autres fois avec mes soeurs, SSi Haddou est venu chez nous avec Sidi-Lalla et il m’a achetée. Chaque fois qu’il vient chez Baba-Mama avec des Sidi-Lalla, c’est pour acheter un enfant. […]
     En quittant le Mirador, seule la hantise de se suicider s’était précipitée dans le vide, s’était écrasée contre le récif et emportée par les flots. Michel, lui, s’en était débarrassé à
tout jamais. Désormais, il vivrait pour Ramsès. 

Le silence blanc. Ed. Salina, 2011










Bouthaïna Azami
    Bouthaïna Azami est née en 1964, à Tanger. Elle y fait ses premières études.  En 1982, elle s’installe, à Genève où elle fait des études en sciences de l’éducation et lettres, avant d’y enseigner la littérature française. En 2010, elle s’établit à Casablanca. Elle est l’auteure de romans dont : La Mémoire des temps (1998), Etreintes (2000), Le Cénacle des solitudes (2002) et Fiction d’un deuil (2004). Son dernier livre, Au café des faits divers (2013), a reçu le Prix Gutenberg 2013. Elle collabore avec des artistes, peintres et galeries d’art, et est l’auteure d’une monographie sur Saâd Ben Cheffaj, publiée par l’Atelier 21.
     Je ne sais pas mon âge

     Je ne sais pas mon âge, aujourd'hui moins que jamais, regarde mon visage, illisible, à présent, mes traits, égarés sous les travers du temps qui ne trouve même plus place dans ma chair évidée, tourne, ne sait plus où se frayer chemin, balbutie maintenant les promesses fourchues d'un destin qui halète dans mon souffle dans mon sein, agonise sur mon corps, cherche à tromper sa fm espère séduire la mort en creusant d'autres lits mais je sens que je flanche, que je vais lui céder tant je suis vieille, vois, tant la course des vents a érodé ma chair et s'il n'y avait ce soleil qu'on maudit chaque jour pour la pâleur des blés, le cassant de nos herbes, délavées et nos bêtes... 
  Qu'importe... Je l'ai longtemps inventé ou chaque jour, plutôt, me le réinventait, chaque minute, chaque instant, le plus petit rien le moindre incident, le vol d'un oiseau, un nid, une brindille, une colonie de fourmis allant, j'allais dire clopin-clopant, et je m'agenouillais pour les observer, le nez dans la terre, jouant à deviner ce qu'elles portaient, remettant sur leur route celles qui s'égaraient, essayant parfois, sans succès, de soulager d'un doigt le poids des ambitieuses qui peinaient, vacillaient sous des charges trop lourdes, perdaient leur butin, s'affolaient, insistaient, réendossaient enfin tant bien que mal leur bien...
 
Le Cénacle des solitudes, Ed. L’Harmattan, 2002








François Vergne

   Né en 1965, à Paris, François Vergne, est l’auteur de trois romans parus chez Gallimard, Seine-Saint-Denis (2001), Vie Nouvelle (2005) et La Piscine naturelle (2007), Tanger fac-similé (2011), Majnouna (2012), etc. Il vit actuellement à Tanger, au Maroc, comme professeur de français.


Et c’est alors qu’il décida de partir

     Il habitait la plus hautes de trois tours qui suploment la gare d’Austerlitz, et de là-haut, de tout là-haut au dernier étage où il habitait, il pouvait voir les trains lentement serpenter sur les voies et les aiguillages avant qu’ils viennent se ranger sous les marquises le long des rails. […]
     On avait commencé à se moquer se lui l’année passée au collège, et à présent c’est la rentrée, et les garçons étaient de plus en plus cruels : tous les jours, on lui volait son goûter. Et sa mère, elle était comme lui ou ce n’est pas elle qui l’avait fait ? Et son père ? il ne faisait rien pour le corriger ? Il était fier de lui ? Il n’avait jamais pensé à se débarrasser de lui ? El ils l’encerlaient et, l’entraînant aux toilettes, ils le déshabillaient presque entièrement à lui donner des coups, juste assez pour qu’il ait mal sans que cela lui laisse des marques, et même pendant les cours ils faisaient circuler des mots où ils le menaçaient – il n’avait plus rien à faire ici, il devait changer de collège, il ne voyait pas que tout le monde lui veut du mal ? que personne ne l’aimait ? et s’il ouvrait sa bouche pour parler, il verrait ce qui l’attendait -, et il était le dernier à sortir de la classe […], et il restait longtemps à traîner dans les couloirs […], avant de franchir la porte principale et de se retrouver en sécurité parmi la foule du soir qui emplissait les trottoirs. […]
     Il faisait nuit quand il rentrait le soir. Sa mère pleurait dans la cuisine en préparant le repas. Son père qui travaillait de plus en plus loin, s’absentait souvent et il ne le voyait jamais. Ses frères regardaient la télévision en faisant leurs devoirs sur la table du salon et ne lui jetaient même pas un coup d’œil […].
    Et puis un jour, il s’aperçut que des poils avaient commencé à pousser au bas de ses jambes. […] Et c’est alors qu’il décida de partir.

Tanger fac-similé, Ed. Bec en l’air, 20011
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Rachid Mimouni

   Né, en 1945, à Boudouaou, en Algérie, d’une famille pauvre, et mort, le 12 février 1995, à Tanger, au Maroc, Rachid Mimouni est un écrivain francophone algérien, maroco-tangérois d’adoption. Il a étudié à Alger et à Montréal. Il devient professeur à l’école de commerce d’Alger (1970). Il publie des romans satiriques contre le régime postcolonial de son pays et le colonialisme dont : Le printemps n’en sera que plus beau (1978), Le fleuve détourné (1982), L’honneur de la tribu, ombéza (1990), Une peine à vivre (1991). Inquiet de la montée de l’intégrisme religieux, il le dénonce dans : De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, essai (1992). Censuré, il s’installe avec sa famille à Tanger, au Maroc, en 1993. Il travaille à la radio Medi 1, dont il tire son livre : Chroniques de Tanger (1995), et meurt la même année d’une hépatite, âgé de quarante-neuf ans.

Le carrosse redevenait citrouille
   Après avoir surmonté un mouvement de répulsion, Kader se força à contempler le visage du cadavre qu'on lui découvrait.
   — Vous le reconnaissez ? demanda le policier.
   Kader se contenta de hausser les épaules. Le corps était dans un tel état qu'il ne pouvait affirmer que c'était celui de son frère.
   — Venez avec moi, j'ai besoin de votre déclaration signée.
   Leïla l'attendait à la sortie du commissariat.
   — Alors ? C'est lui ?
   — Je ne suis sûr de rien et je ne sais comment tu as pu te montrer aussi catégorique.
   — Le teint de la peau, les cheveux, la taille...
   — Peut-être.
   — En six mois, c'est le dixième mort non identifié qu'on me présente. C'est celui qui lui ressemble le plus.
   — Tu connais mieux que moi le corps de ton mari.
    Kader redressa la tête pour offrir ses joues à la bruine. Il n'éprouvait nulle envie de rentrer chez sa belle-sœur pour épuiser la soirée en un morne et silencieux tête-à-tête.
    — J'ai envie de marcher un peu. Je serai là pour le dîner.
    Il se mit à longer la Seine sans idée préconçue. Il erra longtemps avant de déboucher sur le parvis du Centre Beaubourg, peuplé de sa faune très singulière. […] Au moment de gagner la sortie, il fut vivement hélé. Il eut à peine le temps de se retourner qu'il se retrouva étouffé dans les bras de l'escogriffe qui avait fait vibrer l'estrade et la salle par son poids et ses répliques à la Scapin. […]
   — Tu te souviens de moi ? demanda le géant en desserrant enfin son étreinte.
   — Bien sûr, bien sûr, lui certifia Kader, heureux de pouvoir enfin respirer de nouveau, tout en fouillant vainement dans sa mémoire.
   — Comment as-tu trouvé le spectacle ?
   — Excellent, affirma Kader avec aplomb.
   — Tu vis en France, maintenant ?
   — Non, je ne suis là que pour quelques jours.
   — Si tu n'as rien à faire de ta soirée, viens dîner avec nous. […]
 La salle fut bruyamment investie et plusieurs tables mises bout à bout. Kader occupa la seule chaise restée libre et se retrouva assis face à une grosse femme qui ne cessait de crier à Viva Nicaragua ?! […]
    La jeune fille assise à la gauche de Kader ne put s'empêcher de pouffer de rire avant de lui murmurer :
   — Ghislaine est une chic fille. Pourquoi tu lui cherches des crosses ?
   — Elle m'emmerde.
   — Tu n'es pas obligé de l'écouter. […]
   Kader ne s'en montra guère affligé. Il décida de rentrer, estimant que sa belle-sœur devait être couchée à cette heure tardive.
    — Où est la station de métro la plus proche ?
    — Je m'appelle Louisa. Suis-moi, j'y vais aussi. Tu viens d’Alger ?
    — Oui. […]
    Il fixa les grands yeux de Louisa, qu'un sentiment de regret commençait à troubler.
    — A la réflexion, dit-il, je crois que je saurai trouver tout seul la bouche de métro. […]
    Ils se retrouvèrent à la table d'un café.
    — Désolée pour tout à l'heure, lâcha Louisa. […]
    — Dans quel hôpital travailles-tu ?
    — A Mustapha.
    — Alors à bientôt.
    Kader n'eut pas le temps d'esquisser un geste d'adieu.    
  Elle avait déjà disparu. Il eut l'impression que minuit venait de sonner et que le carrosse redevenait citrouille.

La Malédiction, Ed. Stock, 1993



































(B)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À LARACHE
                                            1945-1954












Abdeslam Sarie

 Né en 1945, à Larache, Abdeslam Sarie est syndicaliste et écrivain francophone belgo-marocain. Après une scolarité à Tanger, il devient instituteur durant trois ans, avant de quitter le Maroc pour la Belgique. Il poursuit ses études à l’Institut supérieur de culture ouvrière et à la Faculté ouverte de politique économique et sociale. Il est responsable national de la section arabe de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), durant 25 ans. Engagé associatif, en Belgique, pour les droits et la culture des migrants, il milite dans de nombreuses associations. Après sa retraite, il s’active pour le Club Ibn Batouta - Belgique, pour l’association Hiwar et tient une revue de presse hebdomadaire pour le site communautaire Dounia.
www.dmk-online.org   
Les 12 travaux d’Hercule
     Tanger est une ville du nord du Maroc. Porte obligée d’entrée et de sortie entre l’Europe et l’Afrique. Elle est le chef-lieu de la région de Tanger-Tétouan et de la préfecture de Tanger-Asilah. Tanger, Tingis, Tanja, métropole cosmopolite a été surnommée « ville des étrangers» suite aux nombreuses colonisations (Phéniciens, Arabes, Portugais, Anglais, Français et Espagnols). Actuellement, la reconversion de la ville et plus particulièrement son port constituent une occasion unique pour réaménager et remodeler la ville.
     Depuis ma tendre enfance je me suis senti comme un vrai Tangérois bien que je sois né à Larache. Pour moi, les vrais Tangérois sont ceux qui aiment et chérissent la ville mystique, mystérieuse, charmante et envoûteuse et non ceux qui y habitent et n’ont aucun respect pour la ville où ils résident. Tanger est une ville millénaire, tolérante, multiethnique, multiculturelle, multireligieuse et accueillante. Depuis toujours, tous les habitants de Tanger coexistaient pacifiquement, vivaient ensemble dans la tolérance et le respect mutuel. Un vrai melting-pot. Et c’est vraiment ce qu’était Tanger au moment et à l’époque que je l’ai quitté et c’est vraiment pourquoi je l’aime toujours. […]
    Depuis 2014, Tanger s’est transformée en chantier. Avec le nouveau Wali et la volonté de fer du roi Md VI Tanger est en train de devenir une vraie métropole (2013-2017). Sa reconversion vise à positionner la ville de Tanger en tant que destination phare du tourisme de plaisance et de croisière à l’échelle de la Méditerranée. Bref Tanger bouge ! Le port s’ouvre complètement sur la ville et lui offre ses meilleurs espaces et atouts pour ériger des équipements culturels, des places publiques, des espaces de commerce et d’animation ainsi qu’un pôle résidentiel et bureau. Le site sera desservi par un système de téléphérique qui permettra une liaison directe entre le centre de la ville, la marina, le nouveau port de pêche et la Kasbah. Il permettra des visites panoramiques sur la baie, le port et la médina.    
     Une restauration en cours de la muraille de la médina et de la Kasbah. 1ère tranche des travaux de restauration afférente à la jonction Port – Médina, s’étendant de Dar Elbaroud à Dar Elhajoui. Équipements culturels et un musée sur une superficie de 15.000 m². Un palais des congrès d’une capacité de 1.500 places. Un multiplexe cinématographique d’une surface de 7.000 m². Espaces publics 30 Hectares dont un parc et 4 grandes places allant de 2 à 8 hectares. […]
      Ceci étant dit, c’est vraiment énorme, le programme de la reconversion de la ville de Tanger est fantastique, rénovateur et réformateur, surtout très ambitieux. La métropole sera tournée irrémédiablement vers l’avenir. Une meilleure qualité de la vie, de l’environnement social, de l’environnement économique, de l’environnement sportif, cultuel, culturel et artistique. Le patrimoine et les atouts de Tanger d’antan seront optimisés et mieux valorisés qu’auparavant.
Dounia news : Revue de presse hebdomadaire
www.akhbardounia.wordpress.com 

Farida Diouri
    Farida Diouri, née en 1953, à Larache, et décédée le 8 août 2004, est une écrivaine marocaine. Elle est la fille de l’écrivain, feu Driss Diouri, traducteur et poète hispanophone. Elle y poursuit ses études à l'Institut espagnol. Puis, elle rejoint le lycée Descartes de Rabat où elle obtient son bac français. Elle fait des études d'économie à la faculté de droit. En 1993, elle devient cadre d’une chaîne hôtelière américaine, tout en écrivant pour devenir rédactrice en chef à la revue de l’UFM « AICHA », journaliste du quotidien l’Opinion, «l’Echo Touristique ». En 1993, Elle publie son premier roman « Vivre dans la dignité ou mourir », prix Grand Atlas, de l’Ambassade de France au Maroc, (1993), Dans tes yeux la flamme infernale (2000), L'ange de la misère (2002).  
Une belle-mère qui la détestait

    La pluie noyait les maisons ocre de la ville de Marrakech et un froid glacial engourdissait les corps à peine éveillés du long rêve de la nuit. Il neigeait sur les montagnes avoisinantes de l’Atlas, et la ville, vêtue d’un long manteau de mélancolie, pleurait des larmes de tristesse, sous un ciel bas, menaçant, prêt à faire éclater sa colère.
      L’eau montait inexorablement et emplissait les rues désertes. Une humidité moite pénétrait les maisons, trop sèches en été quand les rayons du soleil incendient la Cité du sud. En cette journée pluvieuse et sombre, il fallait quelque temps pour apercevoir ce qui rendait Marrakech différente des autres villes du Maroc.
      L’aube naissante qui caressait la cité aux " Sept saints" éclait spontanément par vagues successives illuminant les minarets roses et la médina, dédale de ruelles mystérieuses.
      Kenza prépare ses valises pour aller à Tétouan, chez une cousine de son père, Amal. Elle vient d’obtenir son baccalauréat et une bourse d’études pour la faculté de droit. Kenza est enfin heureuse. Pour la première fois de sa vie, elle est libre, libre de vivre pleinement une existence paisible, libre de saisir tous les bonheurs terrestres. Elle est décidée à donner un nouveau sens à sa vie, à oublier le passé. Un pâle soleil tente de réchauffer l’horizon, bravant la fureur des nuages noirs, gorgés.
      Car depuis ce départ de sa pauvre maman, il y a dix-sept ans, Kenza vit un calvaire quotidien. Laura, espagnole de nationalité et catholique de religion, avait dû quitter le domicile conjugal, contre sa volonté, répudiée, humiliée et blessée dans son corps et son âme, malgré tout l’amour et tendresse qu’elle éprouvait pour le seul homme de sa vie.
       Son seul crime, une belle-mère qui la détestait et voulait à tout prix voir son fils marié à sa nièce, Maria, la fille de son fère aîné, une adolescente de treize ans élevée à la campagne, qu’elle considérait comme sa propre fille et comptait façonner à son image.
      Kenza a un an au moment du drame. Sa nouvelle maman a le visage d’un ange et l’âme d’un démon.  […] Toute petite, l’enfant est enfermé dans une solitude intolérable. Comme une ombre irréelle au crépuscule, Kenza encaissent vaillamment les injustices, les coups du sort, les privations. Sans comprendre son père, un être si doux, tellement bon et généreux se laisse manipuler par une femme analphabète, cupide et méchante, une campagnarde qui n’hésite pas à l’agresser, à la faire pleurer.
      Comment ces deux êtres si différents peuvent-ils vivre ensemble ? s’interroge l’enfant perplexe. Leur vie est faite de soupçons, de doutes continuels, d’une haine palpable qui se répercute sur toute la famille.

Dans tes yeux, la famme infernale, Ed. L’Harmatan, 2015












Mohamed Larbi Bouharrate
   Mohamed Larbi Bouharrate est né en 1954, à Larache, au Maroc, titulaire de plusieurs diplômes de Langue et de littérature françaises, d’une agrégation, d’anglais, d’espagnol, et de néerlandais, il enseigne pendant plusieurs années à Bruxelles, avant d’aller aux Pays-Bas, où il pousuit sa carrière d’enseignant. Il publie : Je suis nous poésie (1978), Les batailles de l'eau : pour un bien commun de l'humanité, essai (2003), Des jours et des nuits, poésie (2006), et Contes au féminin, à paraître (2016), etc.

Ton réveil mon délire

Larache
Ma ville/ténèbres
Enceinte rouillée annulant le jour
Ombre éclipsée
J’épingle ma blessure sur ton front
Je dépose ma plainte dans tes yeux
Et j’allume tes paupières
Regarde mon CORPS à même l’asphalte
J’ai mal dans notre thébaïde
Dans le vide/suicide
De nos regards
J’ai mal dans notre sommeil homicide
Dans le mutisme translucide
De nos mémoires
Larache
Vertige du jour dans l´abysse
Rêve buccal au-delà du délire
Stèle défiant le soleil
C’est pour quand le REVEIL ???

Je suis nous, recueil, Ed. Cremades, 1978

































(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À KSAR EL KEBIR
1945-1968











Mohamed Mesbahi

     Mohamed Mesbahi, né en 1945, à Ksar El Kébir, Maroc, est un écrivain marocain franco-hispano-arabophone. Après des études en Lettres et Sciences Humaines, à Rabat il obtient un Diplôme de Licencié en Philosophie puis un Doctorat d’Etat en cette même Université. Il a été durant de nombreuses années Responsable de l’UFR : Espaces de la dans la Civilisation Arabo-islamique. Il est membre entre autres du Bureau National de l’Association marocaine de Philosophie et de la Société Internationale pour l’Etude de la Philosophie Médiévale. Il participe comme membre du comité rédaction de revues d’Histoire et de Philosophie marocaines, algériennes et espagnoles, telles que : Madarat Falsafia (Rabat), Al-hiwar al-fikrii (Constantine) Anaquel d’estudios arabes (Madrid). Il est l’auteur de : Problématique de l’intellect chez Ibn Rushd (1988), Significations et apories (1996), L’autre aspect d’Averroès (2002).

Peut-on séparer quelqu'un de son pays ?

     J'ignorais que, de l'horizon, surgiraient un jour des hommes qui n'auraient qu'un désir : nous déposséder de notre terre.      […] 
    Peut-on séparer quelqu'un de son pays, du lieu de son enfance et des moments essentiels qu'il y a vécus ? Aucune terre, dans son coeur, ne peut remplacer celle-ci, même s'il peut se passionner pour d'autres lieux. La terre natale reste la terre natale. Rien ne peut la détrôner ou faire, d'une simple décision, comme si elle n'avait jamais existé. Se peut-il que je ne la revoie plus ? Se peut-il qu'elle continue d'être comme elle est, lorsque je ne pourrai plus voir le jour se lever sur ses plaines ? Je vieillirai loin de cette terre que je n'ai jamais songé quitter, me disais-je, craignant que ce pays change en mon absence. Car il allait forcément changer. […] Quel tribunal peut condamner à une telle peine ? Quelle faute ai-je commise pour me voir infliger, par des hommes, un tel châtiment ? […]
      D'autres aussi, […], ont osé exprimer leur désaccord et dénoncer au grand jour cette vilenie. Ils auraient pu craindre pour leur vie, mais ils ont choisi de dénoncer ce qui était une honte pour la France. Le pays de la Révolution française semblait avoir oublié qu'il s'était battu pour que le genre humain, sans exclusive, triomphe partout dans le monde. […]
     J'aimais à l'entendre dire qu'aucune vérité n'était supérieure à une autre. C'était un homme juste et bon qui n'imposait jamais à personne ni son avis ni sa façon de voir les choses ou de vivre. Les hommes sont égaux, n'avait-il de cesse de répéter, et leurs vérités, pour différentes qu'elles sont, se valent. Chaque homme se doit, disait-il, de vivre comme il l'entend et non comme on voudrait qu'il vive. […]

Abd el-Kader : "Non à la colonisation", Ed. Actes Sud Junior, 2011


Mohamed Brinett Jaméi
      Né en 1953, à Ksar El Kébir, au Maroc, Mohamed Brinett Jaméi y poursuit ses études primaires et secondaires jusqu’au bac. Il fait carrière, dans l'aviation. Actuellement aujourd'hui ex-aviateur, il continue ses études universitaires en littérature française. Il écrit des poésies en arabe classique, dialecte marocain, et en français en Alexandrin et vers libre. Il est l’auteur de : Noir etr bleu (2015), L'Espoir de la montagne entre Le silence et l'oubli, roman (2015), etc.

La montagne majestueuse
    La nature a des doigts angéliques émerveillants. Profitant de son architecture géologique, elle a réalisé dans cette région pré-rifaine occidentale ce qu’aucune langue normale ou un simple esprit ne peuvent facilement raconter ou décrire. Ainsi s’il vous arrive de réussir un jour à vous percher sur cette montagne au nord, aussi loin, là-bas de l’autre côté de la rive de Oued Loukkos, où se niche douar «Khandak al Hamra»: (ruisseau rouge), et qu’à partir de là, vous planiez votre regard contemplateur sur ce que Dieu a créé de si grand et d’aussi beau ; vous verriez en face une montagne moyenne majestueuse qui offre tout son flanc à l’orient et au silence matinal dont les rayons dorés caressent chaque jour les milliers d’oliviers, de figuiers, d’abricotiers, de vignes, de grenadiers et même de roseaux qui parsemaient les champs de blé, d’orge, de mais, de fèves, de petits pois et de pois-chiches. Une montagne avec une arrête dorsale aplatie par l’usure des temps ; qui prend naissance à partir de la rive sud de oued Loukkos, et qui remonte courbée vers le sud-est, pareille à un vieillard en arc sur son bâton, accablé par le farseau des âges.
   Cette arête s’élève jusqu’à l’altitude de cent quatre vingt quatre mètres où il y a sur un plateau des vestiges d’anciennes habitations connues de leur surnom «Al Hrer » : (constructions démolies). Autrefois habitées par les « M’ghanens » venus des hautes tribus « Lakhmasses » annexant la ville de Chefchaouène. Aujourd’hui il n’en reste que des traces émiettées au profit de l’élargissement de petits enclos en superficies agricoles un peu plus larges. A six cents mètres de distance d’Al Hrer et à deux cents quatre vingt quinze mètres d’altitude vous pourriez trouver un étroit plateau large d’une trentaine de mètres « Essmiâa » […]. Essmiâa est un lieu sacré populaire par « Rawda » : (petite enceinte en pierres étroite et sans toit) où Moulay Abdessalame Ben M’chiche a laissé sa trace. Le lieu est confondu avec le point géodésique balisé d’une pancarte métallique des deux cent quatre vingt quinze mètres d’altitude par les topographes colonisateurs français.    « Rawda » ou « Khaloua » : (lieu isolé pour la solitude et pour la prière) marquait bien selon les récits de nos ascendants son passage par là lors de l’un de ses pèlerinages. Il s’y fut arrêté quand il arriva du fond du sud du pays ; du Sahara même ; des tribus des Béni-Arousse de Sakiate el Hamra comme on disait. Et ce fut là à Essmiâa qu’il se fut reposé sous le grand arbre. Et qu’il y eut prié pour un bien bout de temps. Il y eut laissé sa      « Baraka » : (bénédiction), que les gens venaient encore chercher. Les filles pour avoir de nouveaux prétendants. Les femmes stériles pour devenir fécondes. D’autres pour avoir beaucoup d’enfants. Et les hommes eux ; pour avoir surtout des garçons qui deviendraient peut être dans l’avenir des           « Fkihs » : (maitres de coran) illustres, ou au moins d’humbles      « Tolbas » : (disciples en apprentissage du coran). Car Moulay Abdessalame fut un grand Imam.

L’espoir de la montagne entre le silence et l’oubi, Ed. Edilivre, 2015

















Mohamed Saïd Raïhani

     Mohamed Saïd Raïhani, est né le 23 décembre 1968, à Ksar el Kébir, au Maroc. Il y fait ses études primaires, et va à Tétouan, suivre ses études universitaires en littérature anglaise. Il se passionne pour les arts plastiques, faute d’accéder à l'école des Beaux-Arts, située à 130 kilomètres, à l’âge de quinze ans, il opte pour la littérature. Il tente d'écrire son autobiographie en française dans les années lycée. Puis, il met à écrire des pièces de théâtre en anglais, alors épris de George Bernard Shaw. Il était fasciné par les écrits d'Ernest Hemingway. Il publie Amoureux (1991), Sésame, ouvre-toi ! (1994), En attendant le lever du jour, nouvelles ( 2003), Saison de la migration vers tous les lieux, nouvelles (2006), Les Trois Clefs : Une anthologie de la nouvelle marocaine contemporaine (2006-2008), L’ennemi du soleil, le clown qui s’avéra monstre, roman, (2012), Non à la violence, nouvelles (2014), Cinquante micro-nouvelles : Liberté, micronouvelles ( 2015).

L’Oiseau de joie

   La date d'aujourd'hui sur le calendrier accroché au mur est encadrée en rouge. Est-ce un jour de fête ?
   J'ai découvert récemment que la perception que j’ai des dates des fêtes est de plus en plus terne. Je les oublie beaucoup et je ne m’en rappelle que par hasard en me promenant sur le boulevard où les lumières saisonnières clignotent misérablement sur les visages de la clientèle des cafés ombragés par des drapeaux bien usés et des banderoles dont la plupart des lettres gribouillées se sont essuyées.
    Ce sont les mêmes manifestations des mêmes fêtes qui se répètent à l’infini.    
    Cependant, dans mon enfance, je me rappelle que je n’ignorais pas les dates des fêtes autant que je ne le fais à présent. Je ne laissais aucune chance aux banderoles de me surprendre. Je ne dormais même pas la veille de la fête : Je restais éveillé devant l'horloge, à attendre l’avènement rayonnant de la fête pour mettre mes nouveaux vêtements et puis louer une bicyclette pour joindre mes camarades dans leurs courses à vélo vers l’infini. je ne me rappelle pas comment le sommeil et le rêve m’emportaient loin de l’horloge et m’habillaient de mon plus beau pull-over tout en y inscrivant les plus douces des expressions et que mes camarades, trouvaient du plaisir à répéter en bégayant : "Comme un oiseau"
    Leur joie m'envahit. Je cours. Je vole. Comme un oiseau. J’étends mes petits bras pour voler, en imitant, dans mes songes, l’oiseau dans le ciel volant de ses propres ailes, je l’imite. Il vole et je le suis sauf que mes camarades à chaque fois sabotaient les tentatives de décollage ; ils se ruaient pour me dévorer les aisselles et s’amusaient simultanément de mon fou rire et de mes coups de pieds qu’ils prenaient à tort et à travers et que je leur donnais pour me débarrasser d'eux avant que l'oiseau de fête n’apparaisse dans l'horizon lointain attirant tous les enfants qui chantent leur joie de le revoir et dansent leur identification à son état :
   Danse, danse, Amoureux
   Je te donnerai ce que tu veux
   L'oiseau descendait jusqu’au niveau des maisons inclinées les unes contre les autres. Plus nous chantions, plus il dansait. Au moindre arrêt, l’oiseau volait dans le ciel lointain mais il retournait encore et encore chaque fois que le chant et la danse recommençaient en secouant ses ailes pour répondre à nos chansons et nos acclamations :
    Danse, danse, Amoureux
    Je te donnerai ce que tu veux
    L'oiseau venait nous voir le matin de chaque fête. Il volait dans le ciel en attendant que nous sortions l’accueillir pour célébrer ensemble la fête en dansant et en chantant... mais, au fil du temps, l'oiseau a disparu :
    Probablement, parce que les personnes ici ont vieilli,
    Probablement, parce que les oiseaux de joie n'existent plus. Probablement, encore, parce que l'histoire dans son origine n’était qu’une simple illusion perpétuée par des enfants innocents…
  Maintenant, je tourne les pages du calendrier, humectées par le suintement des lieux, à la recherche de futurs jours fériés et de futures dates en rouge.
   Je tourne les pages, l’une après l'autre.
   Encore et encore...
   Rien.
   Aujourd'hui, alors, c’était la dernière fête.

Recours au poème, Ed. Poésie & Monde poétique, 2014













(D)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TÉTOUAN
1947-1963











Omar Azziman

   Omar Azziman, né le 17 octobre 1947, à Tétouan, est un écrivain franco-hispano-arabophone, avocat, universitaire diplomate et conseiller royal marocain (2011). Il fait ses études supérieures à Rabat, à Nice et à Paris. Il est en 1972, professeur à la faculté de Droit de Rabat et dans des établissements nationaux et étrangers. En 1993-1995, il est ministre délégué chargé des Droits de l'Homme dans les gouvernements Lamrani  et Filali. En 2002, il est président du Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH). En 1996, il est responsable de la Chaire de l’Unesco, pour l'enseignement, la formation et la recherche en matière des Droits de l'homme, à l'Université Mohamed V, membre de l'Académie du Royaume du Maroc, avocat-conseil, expert-consultant d’organismes nationaux/ internationaux, cofondateur et président d’ONG, dont l’OMDH. En 2004, il est ambassadeur du Maroc à Madrid, président de la (CCR), en 2010 et en 2013 président du Conseil supérieur de l’enseignement et auteur d’ouvrages, dont : Droit civil, droit des obligations (1996), etc.


Le droit commercial

     Le droit commercial est la branche de droit privé relative au commerce. Il correspond aux règles applicables aux opérations juridiques accomplies par les commerçants, soit entre eux, soit avec leurs clients. Généralement ces règles sont applicables pour leurs rapports d’affaires.
    L’article 6 du code de commerce précise que la qualité de commerçant s’acquiert par l’exercice habituel et professionnel de certaines activités énumérées par le même article.
    La formule légale signifie que la qualité de commerçant est subordonnée à l’exercice d’une activité commerciale : d’une part à titre professionnel, d’autre part à titre personnel, c'est-àdire au nom et pour le compte de l’intéressé.
     Les commerçants sont les acteurs principaux de la vie des affaires, le législateur a du depuis toujours protégé leurs droits en imposant une réglementation propre à ces derniers.
    Citons par exemple, qu’en matière civile la preuve est soumise à certain formalisme tandis qu’en droit commercial la preuve est libre, il est permis aux commerçants de faire admettre leur comptabilité comme moyen de preuve.
    Aussi les commerçants ont droit de pouvoir déroger par une stipulation contractuelle aux règles de compétence territoriale des tribunaux, ils sont élus dans les chambres de commerce, Ils peuvent en outre insérer dans leurs contrats une clause compromissoire.
    Le législateur a crée des procédures spécifiques qui sont propres aux commerçants à savoir, le redressement et la liquidation judiciaire.
    Les commerçants bénéficient de plusieurs autres droits qui sont organisés dans une structure appelée « fonds de commerce » ce dernier constitue le bien le plus important dans leurs patrimoine.
    On va traiter tout d’abord les droits des commerçants qui on une relation inséparable avec le fonds de commerce avant de s’intéresser aux droits de la propriété industrielle.

Droit civil, Droit des obligations, le contrat, Ed. Le fennec. 1996




















Mhamed Benaboud

   Né le 23 juin 1950, à Tétouan, au Maroc, M'hammad Benaboud est un écrivain marocain franco-hspano-anglo-arabophone. Il étudie au collège américain de Tanger et à l’Université San Diego, aux Etats-Unis, et obtient un B.A en science politique Il obtient son Ph.D à l’Unversité d’Edinburgh, à Scotland, U.K. (1978) et un doctorat sur L’histoire politique et sociale de Séville sous les Abbadides,   (prix du Ministère de la culture marocain, 1983. Il est professeur d’histoire à l’Université Mohamed V, à Rabat (1978-1989), puis à la fac des lettres de Tétouan, Université Abdelmalek Essaadi. Il publie des ouvrages et des articles dans des revues, à Liverpool, Tunis, Rabat, Aix-en-Provence.  Il est membre d’associations dont l’UEM, professeur invité aux universités de Madrid, Chicago, Tokyo, Lahore, Lima et coordonne un groupe d’études maroco-andalouses sur le nord du Maroc et certains aspects d’orientalisme. Il préside l’ONG Tétouan–Asmir (1996-2000), publiant divers livres et un CD-ROM Tétouan patrimoine de l’humanité.


Le développement des faubourgs morisques

     Quelque 10 000 Morisques s’installèrent à Tétouan et peut-être 40 000 dans la région. La population totale atteignit au milieu du siècle le chiffre, important pour l’époque, de 22 à 26 000 habitants. Il allait rester à peu près constant jusqu’à l’explosion démographique du xxe siècle. Cet apport entraîna l’extension de la ville dont la surface quadrupla pour atteindre la taille de la ville fortifiée actuelle. La topographie du site contraignit à construire des nouveaux quartiers à l’ouest et à l’est de la ville originelle (l’actuelle al-Blad).   
    Un des deux faubourgs de l’ouest, al-Uyun, était connu à l’époque sous le nom de Ribad al-Andalus ou quartier andalou. L’autre, le Tranqat, porte un nom inhabituel, probablement d’origine espagnole castillane. Le plan du quartier, en partie octogonal, indique aussi que les Morisques de la Renaissance espagnole introduisirent le concept du plan urbain idéal, en parfait contraste avec la croissance...

Tétouan, ville andalouse marocaine, Ed. CNRS, 2001












Mohamed El Jerroudi

    Poète, artiste peintre et critique d’art, Mohamed El jerroudi est né en 1950, à Béni Sidel, au Maroc (RIF). Il séjourne actuellement à Tétouan. Professeur de français, de 1972 à 2010. Il mène une vie très active, dès 1976, dans le domaine des arts plastiques et littéraires (conférences, écrits et poèmes dans la presse marocaine,...). Poète marocain de langue française, il publia un premier recueil, au Maroc, Le silence décrit (1998), à Paris, Cœurs absents (2011), Mémoire des temps futurs (2015). Poète atypique, sans nulle obédience scolastique, épris de liberté, et d’universalité de l’humain, il se situe par-delà les particularismes aigüs qui endeuillent le monde.


Au bord de la méditerranée

Je suis né
Au bord de la méditerranée
Chez nous tout le monde est né ici
Quand je regarde les vagues
 Je me demande comment étaient mes ancêtres
                                 ….
De l’autre côté d’un rocher millénaire je suis allé voir
un vieux pêcheur
Lui qui sait comment parler aux vagues
Je l’ai salué à haute voix
Lui m’a répondu en se recueillant en silence
                                  ….
Puis il a commencé à énumérer les noms de mes ancêtres
Tu es le fils d’Adam et Êve
Puis tu as voyagé dans l’arche de Noé
 Tu as sans doute débarqué à Athènes ou au Liban
 Peut-être es-tu phénicien car tu vis maintenant à Tanger
Tu as confessé à l’Islam et tu as vécu à Cordoue plus
De huit siècles
Aujourd’hui tu vis au début d’un siècle où chaque
mosquée a sa religion
Je sais que tu cherches ton dieu
N’écoutes jamais ce qu’en disent les savants marchands
de prières
Crois en ton dieu vis tes rêves sois toi-même
Regarde cette lumière qui te vient de partout
Et ne fais jamais marche arrière.

Mémoire des temps futurs, poésies, Ed. du Sygne, 2015









Boussif Ouasti
    Boussif Ouasti, né en 1951, à Oujda, est un écrivain marocain francophone. Il est professeur à la faculté des ettres de Tétouan. Il est l’auteur de : Tétouan de Dello ou La Fille Grenade vue par un voyageur français au seuil du Xxe siècle (1996), La Rihla d'Ibn Battuta Voyageur écrivain marocain (2006), Une Ambassade Marocaine Chez Louis-Philippe Rihlah Al-Faqih Assaffar Ila Bariz 1845-1846 (2001). Il est lauréat du prix de la traduction Ibn Khaldoun-Senghor décerné, au Cercos-Maroc (2008), pour «La raison politique en islam, hier et aujourd’hui» de Mohamed Abed al-Jabri (2007).
Assaffâr apprécie l’hospitalité française

    En revanche, l’amassade marocaine était prise en charge par le gouvernement français dès la ville de Tétouan. Caillé avance que la dépense s’était élevée à 450 francs par jour, soit 14 francs par personne ce qui, selon lui était considérable. Assaffâr qui semble apprécier l’hospitalité française, comme d’ailleurs ses prédécesseurs sensibles à des marques de politesse et de bienveillance de leurs hôtes, déplorent la nourriture qui n’était pas halâl (licite en matière religieuse) bien sûr et l’incommodité des ustensiles de toilettes destinées aux ablutions. Il déclare même que le moment le plus ennuyeux pour était le moment du repas à cause de la nourriture et de la méconnaissance de la langue française. Cela dit, il ne faudrait jamais croire sur parole les écrivains qui sont des faux monnayeurs au sens gidien du terme. Assaffâr avance aussi que l’ambassade sortait rarement pour préserver sa dignité, or la presse de l’époque montre avec de l’iconographie à l’appui que le richissime Ach’âch a été l’un des Bachdûr les plus mondains et qu’il a profité de son séjour en France pour effectuer de multiples visites. […]
   Assaffâr décrit, mais de manière rapide, laudience royale ; il évoque l’échange d’allocutions entre l’ambassadeur marocain et Louis-Philippe, d’où il ressort que la France souhaite maintenir ses liens d’amitié et de voisinage.
      Au-delà des contraintes du genre codifiées de la Rihla d’ambassade destinée au monarque, les propos à la fois allusifs et frondeurs manifestent le sentiment plus ou moins froissé de l‘auteur, membre d’une commission venue en France après la défaite d’Isly pour confirmer, nous l’avons déjà signalé, les traités de paix signés entre les deux pays.

Ambassade marocaine chez Louis-Philippe, Ed. Méditerra, 2001





Ahmed Lamihi
    Né, le 29 octobre, 1956, à Oulad Abbou, près de Settat, Ahmed Lamihi y étudie, jusqu’au bac. Il part préparer un doctorat en sciences de l’éducation à l’université Paris 8. Il est professeur à l’ENS, Université Abdelmalek Essaadi, de Tétouan. Il publie en France et au Maroc : La pédagogie expérimentale : Maria Montessori et Ovide Decroly (1993), Les Cahiers de l’ENS de Tétouan, magazine (1993-1995), De Freinet à la pédagogie institutionnelle ou l’Ecole de Gennevillers (1994), Les pédagogies auogestionnaires (1995), Freinet et l’Ecole moderne (1997), L’éducation constitunionnelle (2008), Institution et implication (2002), Pédagogie et implication (1998), Dossiers pédagogiques, revue (1998-2005), Les pédagogies institutionnelles : théories et pratiques de l’école (2014), Il prépare : L’itinéraire, une autobiographie (2015), un roman, en 2016, etc. Il est à la tête du Laboratoire Marocain de Recherche en Sciences de l’Education (LAMARESE) de l’UAE, à Tétouan.

L’inachèvement permanent de l’homme

     En effet, demander à Georges Lapassade (1924-2010) d’écrire son autobiographie, c’est oublier que cet homme a souvent développé des sentiments très négatifs par rapport aux passions de son passé. C’est oublier aussi que cet infatigable chercheur a toujours vécu dans l’ici et maintenant : « L’exercice autobiographique, m’a-t-il dit, me gêne en son principe même, je n’en vois pas l’intérêt, alors que je peux me passionner pour d’autres autobiographes ».
      Fidèle à sa théorie de « l’inachèvement permanent de l’homme », tout ce qu’il dit, tout ce qu’il écrit, il le remet aussitôt en cause, le considérant déjà comme quelque chose d’inachevé.
      J’en veux pour preuve ces entretiens mêmes : réalisés pour la première fois en mai 1994, en plusieurs versions, nous avons dû travailler encore une fois, durant la première moitié de l’été 1997, à ce que Lapassade se plaisait à appeler, comme toujours, une « avant dernière version » ! […]
      Les entretiens que nous publions ici, tant par leur contenu thématique que par la forme d’un dialogue qui se construit continuellement dans un climat d’incertitude et d’inachèvement, sont l’expression vivante de cette recherche institutionnelle.
   
Introduction à : George Lapassade, ou la pédagogie de linachèvement, Entretiens, Ed. des Dossiers pédagogiques, 2013




Najib Bendaoud
     Né, le 13 juillet 1963, à Tétouan, au Maroc, Najib Bendaoud est un écrivain et poète marocain francophone. Il y fait ses études primaires et secondaires. Il prépare une thèse de psychologie 3e cycle, à l’université de Toulouse 2, en France (1984). Il devient enseignant-chercheur à l’ENS de Tétouan et publie des recueils de poésies dont : Les beaux mots, récit (2009), Les seins pénible (2010), Gitane (2011), Mon ami le printemps (2012), Hanan (2013), etc.

En route pour Assilah

Hier peut-être,
C’était un beau soir,
Un brin magique d’espoir,
Une portion de blanc dans mon noir...
Ou peut-être avant-hier,
Une belle terre féerique
Est venue loger mon air
Tendrement : tendresse est son nom,
Un rendez-vous aléatoire !
Hier, elle est apparue dans mon voyage
Au long d’un parcours sans rivages.
Le ciel, elle, et mon café léger et noir
En silence se sont racontés des choses,
Des gens murmuraient, au fond,
Mon éventuel désespoir ;
De grosses voitures incertaines
Et de moins grosses confuses,
Attendaient le départ de son départ.
La mer, le vent et tout Assilah
- La ville de mes amours fous,
Croyaient en son mystère :
Serait-elle cette hôtesse de mes lieux
Ou cette autre de mes cieux ?

Hanan, Ed. Epingle à nourrice, 2013





























(E)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À OUAZZANE
1887-1955











Saïd Guennoun
   Saïd Guennoun, né en 1887, à Ouled-Aïssa en Kabylie, et mort en 1940, à Meknès, est un écrivain romancier francophone, et officier des Affaires Indigènes d’origine algérienne. Il est l’aueur de romans et de monographies sur la pacification des tribus au Moyen-Atlas marocain. D’une famille dont les terres ont été confisquées, il fait des études bilingues, en 1871, il obtient un brevet supérieur en français et un diplôme de la médersa. En 1902, il s’engage dans le régiment des tirailleurs algériens. En 1912, il est sous-lieutenant, à Khénifra à l’assaut des troupes françaises à El-Hehri. Naturalisé français, en 1916, il devient capitaine. Après la Grande Guerre, il revient décoré au Maroc, en 1920. Il est le premier officier à pénétrer à El-Kebab, en 1926. Il est muté pour indiscipline à un poste au nord, près d’Ouazzane. Il publie : Dujiouchs et rodeurs (1929), Montagne berbère, essai sur Aït Oumalou, prix de l’Académie française (1930), La voix des monts, roman (1934), etc. Commandant des Affaires Indigènes, il meurt en 1940, à Meknès. 


Les désertions successives des spahis
   En quelques jours, un escadron de spahis, particulièrement atteint par le mal, perdit par les désertions successives, plus de la moitié de son effectif. Des petits postes entiers partaient chaque matin avec leurs fusils et leurs cartouches après avoir assassiné leurs brigadiers français ou algériens qui refusaient de les suivre en dissidence. On dut désarmer ce qui restait encore de l’unité et confier les chevaux à des tirailleurs algériens volontaires, chargés désormais du service de vedettes. […]
   Engagée de force – parmi des centaines d’autres- à servir de porteuse et de cuisinière auprès des colonies militaires françaises, qui pénétraient jadis progressivement dans le territoire montagnard, une femme des Ayt Ayyach Ounzegmir lançait cette complainte :

usiġ aġrum d waman
aġulġ d asrdun itttaqen s uggadi
usiġ tamnt usiġ isufar
usiġ i wrumiy taggwatt
g usmmid giġ udad n ari
ar akkaġ allaf i wrumi y ad inġ winu
J’ai porté force pain et de l’eau
Je suis réduite à une mule, je me nourris du bâton
J’ai porté du miel et encore des épices
J’ai porté le baluchon lourd du Roumi
Dans le froid, je suis le mouflon des montagnes
Et j’ai nourri le Roumi qui donne la mort à mes proches.

La montagne berbère, Ed. Omnia, 1933




Abderrahmane Laghzali 
   Abderrahmane Laghzali, né à Ouezzane en 1955, professeur de français à Mohammedia, a publié un recueil de nouvelles « Au cœur de la nuit », dans « Côté Maroc », dans Tel Quel, Agora, Al Bayane et Libération. Il est traducteur d’auteurs palestiniens (Mahmoud Shukair, Gassane Kanafani), du Syrien Zakari Tamer et lauréat du prix de la nouvelle « Auteur Inaperçu du Maghreb ». Il est aussi l’auteur : En dépit des épines, poésie (2014), etc.

Tard la nuit

    Un soir au milieu de la nuit, mon stylo s’est arrêté d’écrire. Je l’ai jeté violemment sur le bureau. J’ai pris un livre et je suis allé au lit. En ôtant d’un geste fébrile, mes chaussettes que j’avais gardées à cause d’un froid hivernal rigoureux, j’entendis cet appel : « Soupirant, amoureux fidèle, je me livrerai » J’étais seul à la maison. Seul, avec moi-même, dans une chambre située dans un coin écartant d’elle tous les bruits de la rue. Toutes les portes à la maison étaient fermées. Toutes les fenêtres aussi. Les habitants de l’appartement voisin, bien qu’ils soient nombreux, ne font jamais de bruit ni le jour ni la nuit. La pluie était torrentielle, et les rues désertes. J’ai tendu l’oreille, je l’ai collée à la porte, bien des minutes…
     Au milieu de la pièce, à proximité de la table sur laquelle j’allais poser mes lunettes, une chaleur intérieure m’envahit. Mes oreilles bourdonnaient, ma langue séchait, mon front suait, mais, mes mains devenaient froides ! Je grelotais. Subitement, je vis comme un éclair passer, et sui partis en même temps que lui. C’était un long et lointain voyage dans les labyrinthes de l’histoire, mon histoire, notre histoire… Des sensations en désordre, des images me parvenaient de quelque part en moi. […]
    Je m’assis au bureau, et, involontairement, je fermai les yeux très forts. Aussitôt, le bourdonnement revint et cette fois-ci, ce que j’entendis était exhortant, beau comme un poème, majestueux comme la mer. « Courage ! dit solennellement la voix mélodieuse. Je suis l’ennemie du silence duquel tu cherches à guérir, ce silence qui t’étrangle et que moi, je déchire. Je suis celle qui t’habite, qui te hante mon bohémien ; celle sans laquelle tu ne peux plus rien. Mon pouvoir est la purification. Mon pouvoir est la libération. Je suis euphorie et douleur. Vos joies, vos rêves, vos malheurs, vos cris, et vos pleurs je les nomme. Je t’affranchis du réel et je le transforme…Ébauche, tâtonne, et trompe-toi. Aie confiance en ton moi dont les racines ne peuvent être que dans le soi. Veuille, ose, endure. Le chemin est long et dur. Crois et
persévère, assume et ôte les barrières.
    - Et nous, ajoute une voix douce et consolante, nous sommes les serviteurs de celle qui te captive et te libère, de l’irrésistible par qui tu apprends à résister… Si tu nous cherches sans nous trouver, ne t’irrite pas. Sache que tantôt nous venons vite, tantôt, nous mettons du temps. Patience.

Au coeur de la nuit, nouvelles, Ed. El Moutaki Printer, 1999










(II)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
AXE AL HOCEIMA-TAOUNATE-
TAZA- CHAOUEN
1858-1980























(A)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À AL HOCEIMA
1950-1957












Mhamed Lachkar
    Mhamed Lachkar est né le 17 mai 1950 à Alhoceima où il a poursuivi ses études primaires et secondaires qu'il achève à Tétouan. En 1970, il va à la faculté de médecine de Rabat et s'engage militant de la gauche radicale dans l'UNEM. En 1973, il est arrêté et détenu plusieurs mois dans divers centres dont Derb Moulay Chrif et Courbis. En 1980, il est médecin chirurgien, à l'hôpital public puis dans sa propre clinique privée. Il est actif dans la vie civile et associative. En 1995, il crée l'ONG Asasha, qu’il dirige toujours. Il est membre actif de nombre de réseaux associatifs internationaux. Il publie régulièrement des articles d'opinion et d'analyse sur son blog de Mediaprt.fr. Il est marié, a trois enfants et deux petits enfants. Il publie : Courbis : Mon chemin vers la vérité et le pardon, récit carcéral (2011), etc.
C’était au cours d’une nuit de Ramadan
C’était au cours d’une nuit de Ramadan (octobre 1973) que j’avais pu apercevoir de ma cellule le Dr Khattabi sortant de la porte des toilettes. Je ne le connaissais pas physiquement, mais l’aspect particulier de ce détenu n’allait pas me laisser indifférent. C’était plutôt sa tenue blanche et correcte (un polo et un pantalon) qui allait attirer l’attention de tout le monde. […] Plus tard au Courbis, des jeunes du groupe de Bni Ahmed de la même  cellule voisine à la nôtre, racontent que les gardes lui réservaient un traitement particulier. Il était très respecté et avait même droit à un livre du Coran. Il passait tout son temps à lire. […]
    La dernière fois que je l’avais vu, c’était en avril 2006, dans son lit de malade à l’hôpital militaire Mohamed V de Rabat. Physiquement il était affaibli et malgré son âge avancé, près de 80 ans, il continuait à transmettre, par ses paroles et ses gestes, les mêmes depuis toujours, le même espoir qu’il avait toujours nourrit, de voir un jour le Maroc changer et devenir un pays où il est digne de vivre.
     Mais j’ai vu aussi ce jour-là en lui, un homme courageux, sûr de lui et sûr qu’il allait s’en sortir. Il m’avait promis que dès qu’il se rétablira, il viendra s’installer une fois pour toute à Alhoceima à côté de nous. […] Quand il venait dans le Rif, c’était surtout pour passer au maximum deux ou trois jours. Alors il […] tenait à passer les dernières années de sa vie au bord de la mer dans le calme et la quiétude pour écrire ses mémoires.
Mon chemin vers la vérité et le pardon, Ed. Edilivre, 2011
Abdelkader Lamgari
   Né en 1955, à Alhoceima, retraité, Abdelkader Lamgari est un écrivain et poète francophone marocain. Il a travaillé, à l’usine Sucrafor (Zaio) et à la fonderie de plomb de Zellija (Oued el Heimer). Il a quitté l’école tout jeune pour devenir ouvrier, durant huit ans, avant de reprendre ses études en allant en France. Il devient professeur de français dans les centres de formation professionnels, à Al Hoceima. Il est l’auteur : Éloge de l’errance, poésie (2008), Chronique d’un village oublié, Oued-el-heimer, roman (2014), etc.
Je voudrais larguer les amarres

Je voudrais larguer les amarres
et rompre avec les chaînes,
les certitudes,
les déceptions accumulées,
les révoltes vite assagies,
les victoires trop vite déclarées,
une mémoire déjà usée...
Je voudrais rompre avec le
mensonge et la corruption
érigés en institution,
rejeter les a-priori,
les peut-être,
les axiomes établis,
les miettes des jours arides,
détruire les châteaux d’illusions trop longtemps nourries,
rompre avec les fers,
n’attendre désormais plus rien,
abandonner jusqu’aux rêves mesquins,
rejeter l’encre et la plume.
Servent-elles encore à quelque chose ?
Ne plus penser.
Ne plus écrire.

Éloge de l’errance, poésie, Ed. Edilivre, 2008

























(B)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TAOUNATE
1959-1980













Bouchta Es-Sette

    Bouchta Es-Sette, né le 12 juillet 1959, à Taounate (Maroc), écrivain marocain, professeur de littérature française à la faculté des Lettres de Meknès (Maroc), membre de l’association Les Amis de Valentin Bru (France), de l’équipe “Esprit nouveau en poésie Apollinaire Queneau” Sorbonne Nouvelle, il a publié des articles sur internet et, actuellement, une étude littéraire «Esthétique de la contrainte littéraire» à la faculté des Lettres de Meknès. Il publie : Si tard après minuit, roman (2007), etc.

L’argent ne ment pas

    L’argent est sincère, l’homme est hypocrite. Celui-ci extériorise facilement l’ensemble de ses désirs ; quand il a besoin de quoi que ce soit, il trouve les moyens d’exprimer ces désirs, même les non naturels font l’objet d’une expression aussi aisée. L’homme dit en effet son besoin de liberté, son besoin d’égalité et de justice. Il dit aussi son besoin de manger, de boire et de faire l’amour. Pour se réaliser, il adhère à des associations et partis politiques, participe à des manifestations, à des organisations et à toute autre activité susceptible de concrétiser ce vers quoi il tend. Comme il peut dire son désir de ce qu’il appelle la démocratie, des droits de l’homme, de l’égalité entre l’homme et la femme et de moult autres envies qui chatouillent ses appétits. Il affiche avec grande solennité ses préférences pour toutes les vertus qui emplissent le creuset dont s’alimentent les humains quels que soient leur âge, sexe, religion, couleur, ethnie et pays. Qui de nous ne rêve pas d’une société où règne l’égalité, la liberté, la fraternité, la sincérité, l’amour, le respect des autres… Qui peut cacher son admiration pour toutes ces vertus ? Vu sous cette perspective, l’être humain passe pour une entité sociable avec laquelle il est facile de cohabiter. Si tel était réellement le cas, l’homme serait fidèle à lui-même, fidèle aux multiples images et idéaux dont il cherche à se couvrir.
    Hélas, l’homme qui, en fait, fait partie d’un ensemble naturel complexe est si imprévisible qu’il a souvent tendance, pour exprimer ces désirs cités, à dire ceci et à faire cela, à penser ceci et cela tout à la fois, à adopter en définitive des attitudes paradoxales, voire répréhensibles. Aussi est-on en droit de se demander pourquoi tant de paradoxes et d’amalgames. Ne serait-ce pas parce que l’homme ne cherche pas à satisfaire uniquement ses besoins naturels, et qu’il tend à s’en imposer d’autres plus compliqués et foncièrement artificiels ? Ses démarches paradoxales rendent ces interrogations légitimes : l’homme est-il fait pour mentir ? Le mensonge est-il une propriété inhérente à sa nature ? Tout de lui concourt à soutenir ce postulat. Qu’on en juge par cette merveilleuse science qu’il a découverte et qu’il a eu l’audace d’appeler « science politique » au lieu de lui donner une dénomination plus adéquate et qui serait « l’art de la duperie ». C’est une discipline que le temps a rendue indispensable, un art basé sur la supercherie et qui a pour vertu la possibilité de tout réaliser sans forcément passer par les voies de la légalité et/ou de la légitimité…
Le jeudi 2 février 2012
























Mohamed Ezzouak
     Mohamed Ezzouak est né, en 1980, à Douar Taounate. En 2002, il quitte le Maroc, à l'âge de deux ans, et vit aujourd'hui, dans le 13ème arrondissement, près de la Bibliothèque François Mittérand, à Paris. Il est informaticien et webmaster de yabiladi.com. Il est le rédacteur en chef du journal en ligne la "Gâchette du Maroc". Il l’a lancé, en 2002, en tant que journal satirique sur le site indiqué, d'où on peut le télécharger. Il y publie des articles humoristiques où, les "Zmagris", mitraillent satiriquement tous les journaux qui font des articles bidon, au Maroc.

www.yabiladi.com      
Maroc 2010 ?
    Une année s'achève, une autre voit le jour. Pour le compte à rebours a commencé. Plus que cinq années avant la date fatidique de 2010. Cette année porteuse de tant d'espoir constitue le but ultime de la vision Maroc 2010, un vaste programme visant à faire entrer notre pays dans le 3ème millénaire... avec 10 années de retard.
    C'est pour cette raison que nous avons choisi de répartir ce numéro de La Gâchette en deux avec la première consacrée à divers éléments qui ont fait l'actualité du mois de Décembre. De nombreux articles traitent des médias au Maroc qui pour le mois dernier ont encore fait fort : plagiat, propagande, ou information bidon.
    La deuxième partie quelque peu originale nous projette en Janvier 2010. Votre magazine, toujours vivant, sort son numéro de Janvier après plus de 5 ans d'existence et vous informe sur ce Maroc de 2010 présent dans l'imaginaire de millions de marocains.
     Nous profitons de cet edito pour vous adresser au nom de toute l'équipe de La Gâchette du Maroc, pour vous adresser nos meilleurs vœux pour 2005 avec un peu de retard comme d'habitude. Un retard qui vient tout simplement du fait que nous sommes toujours à l'heure, mais à l'heure marocaine.
                                                                               Bouchta Jebli
La Gâchette du Maroc, Janvier 2005, http://www.yabiladi. com

















(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TAZA
1959-1980                                                                                         













Noureddine Bousfïha

    Noureddine Bousfïha, né en 1948, à Taza, au Maroc, est enseignant et chercheur, membre de l'ADELF, est un écrivain et poète marocain francophone Il fait étudie au Maroc, puis à l’École des Hautes Études et Sciences Sociales, à Paris, et y obtient un doctorat en sociologie, sémiologie des arts et des littératures (1982). Il enseigne la poésie à la Fac des lettres de Marrakech et y dirige le département de Langue et littérature françaises. Il publie : Safari au sud d'une mémoire (1980), Les Fables du doute (1984), Poésie arabe et lumière, anthologie (1990), Juste avant l'oubli, poésie (1990), Versants retrouvés (1995), Veillées d’âmes de Kamel Zebdi (2009), et des articles dans des revues de poésie à Dijon, Toulouse, Cadiz, Bari, Columbus, et un essai sur la poésie de Mohamed Khaïr-Eddine.

 
   
      Dans ces journées de tristesse, j’ai essayé de retrouver un peu de vie intérieure en lisant ou en relisant quelques poèmes.
    J’ai retrouvé sur mes étagères deux petits fascicules de poètes marocains. Et les feuilleter m’a permis de me souvenir que le Maroc est à la fois UN et PLURIEL.
   En effet, les poèmes de Kamel ZBDI, fils de la bourgeoisie r’batie, ancien diplomate, poète de cour pour certains, peintre, artiste jusqu’au bout des mots, orfèvre de la langue française, ne procure pas les mêmes émotions que les textes de Abdellah ZRIKA, fils du quartier populaire casablancais de Ben M’Sik, ancien prisonnier politique,   violeur de la langue arabe traditionnelle, qu’il   torture avec l’art consommé de celui qui a été torturé lui-même par la vie.
     La lecture de poèmes de Kamal ZEBDI, nous plonge dans un monde magique, bien loin de la réalité quotidienne. Un monde subtil, fin, où les thèmes récurrents sont la beauté, l’amour, l’homme. Pour Nouredine Bousfiha, préfacier du recueil « VEILEES D’AMES » (Slatkine, Genève, 1988), Kamel ZEBDI « nous offrira dans ces poèmes qui ont la puissance des vents incontrôlables, la fragilité d’une lèvre vierge qui balbutie les serments qui lient à jamais l’homme épris de liberté à la mer et à toute l’éternité ». […]
D’abord, Kamel ZEBDI, disparu en 1997 :
Menace sur la création

 Prends garde à la douceur des mots
Le miel savoureux
A ses rancoeurs
Le velours génétique ses flamboyances
Ses indécences
Son déclin.
Pour une poignée de menthe fraîche
(À une captive)
Libertés dont les joyeux blessés
Ruissellent sur un front baisé
Détresses profondes qui végètent
Sur les parois de pierres sourdes
Les printemps succèdent aux printemps
Sans t’apporter leur sourire.

Préface de Nouredine Bousfiha, au recueil poétique de Kamel Zebdi, Veillées d’âmes, Ed. Slatkine, 1988
















Aïcha Mekki

    Née en 1952, à Taza, et morte en 1992, à Casablanca, Aïcha Mekki, de son vrai nom Rkia Fethi, était une journaliste marocaine spécialisée, depuis 1969, dans la rubrique « chronique judicaire », consacrée aux droits des femmes violentées, dans le quotidien national marocain L’OPINION. Plus tard, sa famille émigre, dans les bidonvilles des Carrières centrales, à Casablanca. L’école, représentait tout son rêve. Adolescente, elle assiste à la violence subie par sa mère, de son mari, alcoolique. Après le secondaire, elle arrête ses études, pour travailler, être autonome en se livrant à l’écriture ! Abdeljalil Lahjomri publie un livre à sa mémoire : PLeure Aïcha tes chroniques égarées (2001).

Un prix Aïcha Mekki
     Mais elle commence par diffuser des spots publicitaires à l’antenne de la radio et de la télévision marocaine, quand un jour elle croise le chemin d’une mère analphabète qui lui demande de l’accompagner au tribunal pour assister au procès de son fils. La prenant pour une journaliste, un jeune homme lui tend une lettre, dans l’espoir quelle en fasse bon usage pour les laissés pour compte :
     « ….Dix ans de cellule, dix ans d’une malédiction héritée de mille et une choses, pourriture d’un siècle nucléaire, c’est toi ma condamnation : Une société des mots-cratiques…
     Salut ! Amateur de paroles vitreuses. Vous êtes le maître. Me revoilà, sauf votre respect, Monsieur le juge, me revoilà, je souffre.»
     Cette lettre, eut l’effet de déclic pour Rqia, elle quitte le monde de la publicité et malgré son manque de diplôme décroche le poste de journaliste à « L’Opinion », et devient ainsi Aïcha Mekki.
      Elle fait des procès judiciaires sa spécialité, et devient la confidente des drogués, des prostituées, des alcooliques, des handicapés, des malades mentaux, des sans abri, des femmes battues, des petites bonnes maltraitées, bref des marginaux de tous genres !
     Parallèlement aux procès judiciaires, Aïcha Mekki mène des enquêtes, Elle a ainsi abordé l’inceste, la prostitution, le viol collectif, la sorcellerie, la drogue, les enfants martyrisés, les petites bonnes exploitées et martyrisées, les femmes battues, l’alcoolisme, à l’époque où le métier de journaliste était « masculin » et où les femmes s’intéressaient plus à des sujets « mignons » qu’aux sujets « glauques »… […]
     Aujourd’hui, l’histoire n’a pas ASSEZ retenu son nom ni son combat, mais il y a bien un prix Aïcha Mekki qui est institué pour recomposer les meilleures chroniques judiciaires du royaume.

  Pleure Aïcha, tes chroniques égarées, par Abdeljalil Lahjomri, préface d’Abderrahman Slaoui, Ed. Malika, 2001

Omar Seddiki

   Né en 1960, à Taza, au Maroc, Omar Seddiki est un écrivain, romancier, poète et artiste peintre et cadre administratif marocain, franco-arabophone. Titulaire d’un Bac littéraire et d’une licence en sciences politiques, de la faculté de droit de Fès (1993), il publie en arabe : L’amoureuse (2007), Ahlam (2012), Mémoire à cœur ouvert, roman (2014). Intéresse par l’histoire, il participe à un séminaire, tenu à Paris, sur : la muséologie et l’animation culturelle (2005), et dirige un musée d’histoire. Il mène des actions socioculturelles : expositions de peinture, conférences, colloques, salon du livre et publications. Il publie en français : Maux croisés, Mémoire partagée, roman (2015), etc.


Les circonstances de ma naissance

     Dans la plupart du temps, maman s’arrêtait à ce niveau-là, afin d’essuyer ses larmes. Mais, elle n’avait jamais oublié de rappeler cette longue introduction et d’évoquer avec regret tous ces souvenirs poignants, chaque fois qu’elle voulait relater les circonstances de ma naissance. Un joyeux événement qu’elle fait coïncider avec de vagues repères temporaires. C’était un fait réel au Rif, les gens ne possédaient pas encore de livret familial ; j’entendais souvent les femmes dire :
     – « Non, ma fille est née quelques mois après la guerre d’octobre, par contre ton fils a vu le jour juste avant la saison du labour... Donc, elle est la plus jeune... » !
En réalité, chacune avait un but précis ou une visée derrière la tête : en général, un jeune homme ne peut pas se marier avec une femme plus âgée que lui ! C’est la tradition.
    Maman me disait par exemple, que je suis né un certain lundi soir correspondant au quatorzième jour du mois sacré de Ramadan, pendant que papa se trouvait à l’Est... C’est ainsi que les rifains nommait le pays voisin, l’Algérie. […]
    Maman était bienheureuse de son bébé masculin survenu suite à la naissance de ses quatre sœurs classées l’une après l’autre, telle une série de casseroles importées. Personnellement, je n’en connais que les deux encore vivantes malgré tant de peines. Quant aux autres, personne ne se souvient d’elles et aucun membre de la famille ne m’a parlé de leur brève existence, alors qu’on m’avait toujours parlé de notre vieux chat «Minoch», et de notre chien « Assass» mort noyé dans un puits.
     Mes deux sœurs m’avaient relaté tant d’amusantes histoires à propos de ces deux fidèles «amis» de la famille, que je désignais tous les chats et tous les chiens respectivement Minoch et Assass. Maman souriait quand je lui disais que j’ai vu trois petits Minoch sur le toit !
Effectivement, toute la maison attendait avec impatience la naissance d’un bébé de sexe masculin qui pourrait dissiper enfin, cette «malchance» de ne voir naître que des filles au sein de notre famille durant d’interminables années. «La malheureuse a dû accoucher de quatre filles successives, avant d’avoir ce garçon...! », disaient nos voisines. Aussi l’ignorance de quelques maris de la campagne responsabilisait-elle cruellement toute femme qui n’enfantait que des filles :
    – « Encore une de plus, hurlaient-ils. Alors mange-la, moi j’en ai marre...» !

Maux croisés, Mémoire partagée, Ed. Edilivre, 2015
































(D)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À CHAOUEN
                                             1858- 1959











Charles Eugène de Foucauld
     Charles Eugène de Foucauld de Pontbriand, né le 15 septembre 1858 à Strasbourg (France) et mort le 1er décembre 1916 dans le Sahara algérien, est un officier de l'armée française devenu explorateur et géographe, puis religieux catholique, ermite et linguiste. Il a été béatifié le 13 novembre 2005. Il parcourt le Maroc, déguisé en juif (1883-1884). Et réussit même à pénétrer dans Chaouen, cité sacrée coupée du monde et interdite au non musulmans sous peine d’être exécuté. Rentré en France, il en rend compte rapporte dans son livre : Reconnaissance du Maroc (1888). En 1916, il est assassiné, à Tamanrasset, au Sahara algérien, par les Snoussis.
www.books.google.fr 
Un itinéraire elevé à la boussole
     «Tout mon itinéraire a été relevé à la boussole et au baromètre. En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres carrés caché dans le creux de la main gauche ; d’un crayon long de deux centimètres qui ne quittait pas l’autre main, je consignais ce que le chemin présentait de remarquable, ce qu’on voyait à droite et à gauche, je notais les changements de direction, accompagnés de visées à la boussole, les accidents de terrain, avec la hauteur barométrique, l’heure et la minute de chaque observation, les arrêts, les degrés de vitesse de la marche, etc. (…)
    Jamais personne ne s’en aperçût, même dans les caravanes les plus nombreuses ; je prenais la précaution de marcher en avant ou en arrière de mes compagnons afin que, l’ampleur de mes vêtements aidant, ils ne distinguassent point le léger mouvement de mes mains. (…) La description et le levé de l’itinéraire emplissaient ainsi un certain nombre de petits cahiers ; dès que j’arrivais en un village où je puisse avoir une chambre à part, je les complétais et je les recopiais sur des calepins qui formaient mon journal de voyage.
   Je consacrais mes nuits à cette occupation ; le jour on était sans cesse entouré de Juifs : écrire longuement devant eux leur eût inspiré des soupçons. La nuit ramenait la solitude et le travail. »
  Reconnaissance du Maroc (1883-1884), Ed. Les Introuvables,         1888





Mohamed Cherif
   Né le 5 mars 1959, à Talamboute, près de Chaouen, Mohamed Cherif, est professeur chercheur et écrivain franco-hispano-arabophone en historiographie andalouse sous les Almohades à la faculté des lettres de l’Université Abdelmalek Essaadi de Tétouan.  Il est l’auteur nombreux articles et ouvrages dont en français : Notes sur les activités commerciales de Gênes à Ceuta aux XIIe et XIIIe siècles (19993), Ceuta dans les écrits récents (1994), L’importance de Ceuta dans le réseau du commerce méditerranéen : XIIe-XIIIe siècles (1999), Ceuta aux époques almohades et mérinides (2000),  en arabe : Ceuta Musulmane (1996), la traduction du français en arabe de : La vérité sur le protectorat franco-espagnol : L’épopée d’Abdlkhaleq Torrès, de Jean Wolf (2003), etc.  
Ceuta comme tous les ports
   Comme tous les ports, Ceuta se trouvait à la croisée des chemins de terre et d’eau. Vers l’intérieur, l’itinéraire le plus fréquenté était celui de Ceuta- Fès (ou Fès – Ceuta) en passant par Tanger, Azila, Basra et Qurt. Au XIè et XIIè siècles, la liaison de l’intérieur avec le littoral méditerranéen se précise : le premier itinéraire était doublé par une deuxième qui partait directement de Ceuta à Fès via Zağğan ? (Ouazzan ?) sans passer par Azila. Al Idrīssī assigne une durée de sept journées à la première route et de huit journées à la seconde. C’est par ces deux itinéraires que passait l’essentiel de la production de Mrarrakech, Fès et l’intérieur du Maroc vers Ceuta et la côte méditerranéenne en général.
     Ainsi, Ceuta jouait le rôle de débouché principal de la région intérieure, riche et industrieuse. C’était le principal débouché d’autnt plus que les autres ports méditerranéens tels qu Badis, Ghassassa, Meillia ou Mezama - n’ont jamais pu atteindre – vu leur position géographique – l’importance de Ceuta est contrebalancée par son attraction commerciale devenue très traditionnelle. […] L’importance de l’axe Fès-Ceuta ne semble pas avoir diminué malgré la forte concurrence de l’axe Fès-Tlemcen via Taza.
    En revanche, il connaîtra une certaine diminution de son rôle au fur et à mesure de l’accroissement du nombre de routes vers le littoral atlantique et d’importance que prendra cette façade à partir de l’époque Almohade, et surtout la zone comprise entre Salé etSafi (Fadala, Anfa, Mazagan). Ce changement n’affecta pratiquement pas la vie commerciale de Ceuta. Ses navires et ses marchands étaient habitués depuis longtemps à aller chercher leurs marchandises sur les côtes atlantiques avec lesquelles ils avaient instauré es relations commerciales de bonne heure.
L’importance de Ceuta dans le réseau du commerce méditerranéen : XIIe-XIIIe siècles, in Revue de la Faculté des Lettres Tétouan, N°5-1991













(III)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
AXE MELILLIA-NADOR-
OUJDA-JERADA-TAOURIRT
1882-1994

















(A)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À MELILLIA
1932-1969














Fernando Arrabal
   Né le 11 août 1932, à Melilla, au nord du Maroc, avant la guerre civile, Fernando Arrabal est un écrivain franco-hispanophone, fils d’un condamné à mort, au début de la guerre, puis aux travaux forcés à perpétuité. Le 4 novembre 1941, il fuit et disparaît à jamais. Cela a marqué à vie son œuvre, d’où : Viva la muerte-Baal Babylone (1979) et travaille à Tolosa à l’Institut du Papier. Il écrit ses premières pièces dramatiques. En 1951, il réussit son bac, à Valence et publie, en 1952 : Le toit, Le Char de foin, La blessure incurable, etc. En 1953, tuberculeux, il publie Le tricycle. En 1955, il est boursier, à Paris, et hospitalisé à Bouffemont. Il se marie, en 1958, avec Luce Moreau, traductrice de son oeuvre en français. En 1959, il va aux Etats-Unis, boursier de la fondation Ford. En 1963, il voyage, à Sydney, en Australie. En 1966, il s’installe, à Paris. De retour en Espagne, 1967, il est arrêté pour dédicace contre le régime. En 1968, il publie ses pièces de théâtre, etc. Il est traduit, dans nombre de langues, et est l’un des auteurs francophones les plus traduits en Europe.


Ils m'ont dit qu'il fallait aimer la patrie

    Papa est mort. Peut-être cela vaut-il mieux pour tous. Il aurait été une lourde charge. D'ailleurs il a été puni à cause de ses péchés ; n'oublie pas que même Dieu punit les coupables ; dans l'histoire sainte il dit : "Je châtierai Baal à Babylone."
     Mais, il faut que tu le saches, je n'ai rien, moi, à me reprocher. Je n'ai vécu que pour vous. J'ai toujours été trop bonne. […]
     Mon père, qui était un "rouge", était né à Cordoue, en 1903. Sa vie, jusqu'à sa disparition, fut l'une des plus douloureuses que je connaisse. Je me plais à penser que j'ai les mêmes idées artistiques et politiques que lui. Et comme lui je chante l'émotion tremblante, les miroirs nageant dans la mer, et le délire. […]
    Ils m'ont dit qu'il fallait aimer la patrie, qu'il fallait se sacrifier pour elle, qu'il fallait être fier de ses héros, qu'il fallait respecter l'ordre du pays, qu'il fallait dénoncer les traitres, qu'il fallait haïr les ennemis. Toi aussi tu me l'as dit. Quand je leur ai posé une question ils m'ont répondu. Puis je n'ai plus posé de questions.

 Viva la muerte-Baal Babylone, Ed. 10-18, 1979







Mimoun Charqi
    Natif de Melilla, en 1956, Mimoun Charqi est l'auteur de plusieurs livres de droit et d'histoire. Major de sa promotion, en une formation de base en sciences politiques, il soutient, en 1986, une thèse de doctorat d'Etat en droit, avec mention très honorable. Il devient ensuite professeur de droit, dans plusieurs grandes écoles de management, dont l'E.N.A, ainsi qu'à la faculté de droit de Rabat Agdal, tout en poursuivant une carrière bancaire. Il est l’auteur de : Le recouvrement de créances au Maroc (2012), Droit du micro-crédit (2012),

Le recouvrement de créance privée et publique
      Le recouvrement de deniers ou de créances est un problème auxquel peuvent se retrouver confrontées autant les entités publiques, agissant en vertu des prérogatives de la puissance publique, que les entreprises privées, notamment les banques et les établiessements de crédits, voire les particuliers,… Pour le recouvrement des deniers publiques, outre les dispositions du droit commun, le législateur a prévu un Code spécial qui met à la disposition de l’administration fiscale, dela Trésorerie Générale du Royaume et de certains établissements publics des privilèges et des prérogatives pour le recouvrement selon une procédure ad hoc.
    Les établissements de crédit, les sociétés de financement, les entreprises privées, ainsi que les particuliers, quant à eux, n’ont d’autres voies que celles du droit commun. C’est ainsi qu’en matière de recouvrement de créance, il faut ditinguer selon le caractère privé ou public, et selon les procédures prévues par le législateur.

Le recouvrement de créances, au Maroc, Ed. Collection Banque & Entreprise, 2012


















Fauzaya Talhaoui

   Fauzaya Talhaoui, née le 1er novembre 1969, à Melillia, vit à Anvers en Belgique. Cette polyglotte, diplômée en droit de l’Université d’Anvers, a été élue Sénatrice (2011), chargée des affaires économique et sociales et des relations internationales. Elle a été membre de la Fondation du roi Baudouin (2001-2007). En 2009, elle a fondé l’Institut d’études marocaines et méditeranéennes (IMaMS), où elle continue à assumer des activités de recherche. Elle a organisé plusieurs conférences et rencontres internationales sur la place de la diaspora maocaine en Belgique et sur l’islam en Europe. Elle est l’auteure de plusieurs publications sur les questions cultuelles, de genre - dont la Moudawana - et de droits des migrants.


Les polémiques autour de l’euthanasie

   Certaines questions d’éthique médicale déclenchent depuis des années des débats sociaux passionnés. Les polémiques autour de l’euthanasie et de l’avortement en sont probablement les exemples les plus connus mais certainement pas les seuls. Au fil des années, toutes sortes d’individus, de groupes et d’instances ont développé leurs opinions sur certaines questions de bioéthique et après bien des débats sociaux, sectoriels et politiques, on est parvenu, dans certains domaines, à un nouveau consensus sur le plan légal et à une nouvelle pratique médicale. Ce consensus est à l’origine de la loi relative à l’euthanasie adoptée en 2002.
   Mais l'élaboration d'une loi ne signifie pas pour autant la fin de tout débat ou de toute discussion. Bien au contraire. Ainsi, le regard différent que certaines minorités ethnoculturelles peuvent porter sur l’euthanasie ou l’approche qu’en ont certaines conceptions philosophiques et religions a rarement fait l’objet d’une analyse approfondie.
    C’est pour cette raison que Le 11 juin 2012 en collaboration avec la sénatrice Marleen Temmerman j’ai organisé un colloque sur ce thème. Nous avons essayé de voir quel regard certaines communautés portent sur l'euthanasie et quelles sont les différentes attentes ou les différents besoins de certaines religions et conceptions philosophiques. Quelle est, par exemple, l’opinion des érudits musulmans à propos de l’euthanasie ?
    Dans quelle direction les libres penseurs veulent-ils orienter la législation ? Comment les milieux catholiques jugent-ils aujourd'hui l'euthanasie ? Quelle est la pratique des communautés juives en matière d’euthanasie ? Autant de questions qui restent souvent sans réponse.
    L'objectif du colloque n'était cependant pas tant de mettre sur pied un dialogue interreligieux, mais plutôt d'amorcer un dialogue parlementaire permettant de jeter les bases du futur travail législatif.

L’Euthanasie dans les diverses religions et conceptions philosophiques, Ed. Fauzaya Talhaoui, 2013












(B)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À NADOR
1954-1960












Issa Aït Belize

    Né en 1954, dans la région Nador, Issa Aït Belize, écrivain maroco-belge francophone, vit à Liège. Il est l’auteur, il y a quelques années, d'une Chronique du pou vert (2001), qualifié par Salim Jay dans son Dictionnaire des écrivains marocains d'un des romans «les plus ambitieux que l'on doive à un auteur marocain de langue française vivant en Europe». Il a publié en Nounja, à la folie(2003), avril  (2005), une trilogie comprenant : Le fils du péché : Racines et Epines (2005), Le fils du péché (2006), Calendes maghrebines : Le fils du péché  (20008), Echo et Narcisse un amour impossible (2012), Noces sarrazines (2015), etc.
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Une enveloppe fermée
   À la veille de l'aube où Soliman m'avait tiré du lit pour m'avertir de l'arrestation des Mouhammad, alors que nous venions, heureusement d'ailleurs, de terminer les examens de fin d'année, Hayat s'approcha de moi pour me prêter Les Mille et Une Nuits, l'odyssée orientale par excellence, anonyme et merveilleuse, (j’avais lu, bien des années auparavant, une ancienne version du livre achetée au souk pour quelques dirhams, chez un de ces bouquinistes qui vendaient des grimoires et autres images populaires à la naïveté déconcertante. Mais qui peut prétendre avoir tout lu, tant les versions sont multiformes ?! J'acceptai le volume, une version écourtée d'al-Boulaq qui faisait autorité. Je le fourrai dans mon cartable tout en la remerciant de son attention.
   Le soir, avant de m'endormir, je l'ouvris et y découvris avec surprise une enveloppe fermée. Elle m'était adressée, et mon nom était calligraphié en lettres coufiques tracées au vernis à ongles écarlate. J'admirai le trait et ouvris avec une précaution infinie cette lettre que je me mis à lire avec une certaine appréhension : tu me trouveras peut-être hardie, mais je crois que je t'aime. Je n'arrête pas de regarder ta feuille calligraphiée et de penser à toi. C'est bientôt les vacances, et je ne sais comment je pourrai attendre le mois d'octobre avant de te revoir... Et c'était signé : Celle que tu sais !
     La prudence était en effet de rigueur : aucune fille dotée d'un sou de jugeote n'aurait pris le risque d'apposer son nom au bas d'un tel billet, surtout si elle s'avançait, solitaire et sans filet, pour clamer sa passion. Dans notre société maghrébine, nos parents ne pouvaient en aucune façon tolérer, et encore moins encourager, nos amours, fussent-elles platoniques et adolescentes. Mais même l'oiseleur, malgré ses filets, pièges et ruses, ne maîtrisait les coeurs qui s'éveillent à cet âge pour chanter des mélodies jusque-là inconnues. Bien entendu, des mots cannelle et poivre se murmuraient, un regard alangui ou de braise s'envolait dans les airs, mille lettres parfumées ou imbibées de larmes s'échangeaient sous cape. Sortis ce soleil impitoyable, beaucoup de jeunes de mon époque se consumaient sans la moindre économie. Pour ma part, je les trouvais niais et inconséquents. Je me disais, comme si j'avais déjà atteint le pinacle de la sagesse et du détachement, que moi, en tout cas, je ne verserais jamais dans cette mièvrerie idiote.

Noces sarrazines, Ed. Luce Wilquin, 2006




















Halima Ben-Haddou
     Née le 6 mars 1954, à Oran, Halima Ben-Haddou est une écrivaine marocaine francophone, de parents marocains rifains. À 11 ans, elle est atteinte de paraplégie, diagnostiquée en poliomyélite. Cela l'empêchant d'aller en classe, elle cesse ses études. La lecture devient son seul refuge. Elle suit ses parents au Maroc, à Oujda, puis à Monte Arruit, près de Nador, où elle écrit Aïcha la rebelle (1973). En 1982, édité par Jeune Afrique, il devient un best-seller, surtout au Maroc. Mariée en 1985, elle vit aujourd'hui à Paris, en continuant d’écrire. Elle pratique le dessin. Elle publie son second roman : L'orgueil du père (2010), etc.
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C’est encore une fille

    La pièce principale, la jeune fille étendue sur un matelas de laine, gémit à intervalles réguliers. Elle affronte dans l’indifférence de la sage-femme les ultimes douleurs de l’accouchement. Après tout, pourquoi s’agite ? Ce n’est qu’une naissance. La longue robe de la jeune femme enceinte relevée sur son ventre et elle pétrit ce tas d’étoffe entre ses mains, puis elle ouvre les bras en croix et crie. Sa mère, assise dans un coin de la chambre la regarde sans bouger, égrenant un chapelet.
    La sage-femme retrousse ses manches et fait un signe de la tête à son assistante qui vient appliquer ses genoux contre le dos de la femme enceinte et la tire de toutes ses forces vers elle. La femme s’accroche à elle comme aux branchesd’un arbre et agippe ses vêtements. La sage-femme passe ses mains épaissessur le ventre en travail, demande qu’on chauffe l’eau et que tout le monde quitte la pièce à l’exception de la mère qui, came et résignée, attend, occupée à ses prières psalmodiées.
   La jeune femme écarte les cuisses et pousses de toutes ses forces, en silence, sans respirer, puis reprend haleine en criant et retombe sur le matelas, sa t^été battant de droite à gauche.
    - Courage encore Fatima, posse ! crie la sage qui voit apparaître une petite tête humide. Elle recule et essaie de maintenir les jambes de la jeune femme qui lui échappent.
    Toute la famille était mobilisée pour que l’enfant ne souffre pas trop.ce serait une grande fête si c’était un garçon ! Le grand’père s’était occupé du mouton, le sacrifice, au septième jour, après la naissance, pour accéder au prénom de l’enfant. Le père, lui, priait pour que ce soit un garçon. Il s’occuperait plus tard des provisions d’huile, de sacs de farine, depains de sucre et se chargerait de tout le reste.     
    Pour l’instant, il se consacrait à la prière, les yeux fermés, les dents serrées. Mon Dieu faites que ce soit un garçon !
Le visage de Fatima se crispe, ellehurle de toutes ses forces. La sage-femme se met genoux. L’assistante tire vers elle. La mère prie à haute voix. Soudain, le jeune femme ne bouge plus, elle paraît mote, blanche comme la glace et sans souffle. Entre ses jambes, une boule e chair crie.
    Une lumière douce règne dans la maison. Les deux filles aînées jouent dans la cour ouverte sur le ciel.
Les mains tremblantes, la sage-femme coupe le cordon, fait un nœud se mord les lèvres et dit :
   - C’est encore une fille.
L’orgueil du père, Ed. L’Harmattan, 2010
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Abderrahmane Aisati

     Né en 1960, à Midar (Nador) Abderrahmane Aisati, enseignant à l’université de Tilburg. il fait ses études au Maroc jusqu’en 1989, et obtient un D.E.S. en phonologie amazighe et soutient un doctorat (1996) à l’université de Nimègue (Pays-Bas) sur l’érosion linguistique de l’arabe marocain chez les enfants de la deuxième génération. Il écrit sur la situation sociolinguistique des Marocains aux Pays-Bas et la politique linguistique au Maroc. Il s’int éresse aussi à la culture de la lecture au Maroc, l’acculturation des enfants marocains issus de l’immigration, ainsi qu’à l’identité marocaine dans un contexte de globalisation. Il collabore avec l’université Mohamed V, et y codirige des thèses en langue maternelle et langue académique. Il est membre du conseil administratif de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), jusqu’en 2012.  


Des enseignants arabophones mal disposés
à enseigner l’amazigh

   Après avoir réalisé que les minorités ethniques ne sont pas un phénomene temporaire, les Pays-Bas ont commencé à penser et à formuler des lois pour l’integration de ces minorités au sein de la société néerlandaise. En 1985, une loi fut adoptée, précisant l’aide financière aux écoles avec concentration d’immigrés (l’école recoit pour chaque élève issu de l’immigration un poids de 1,9, ça veut dire presque le double de ce qu’un enfant issu des couches priviligiées autochtones reçoit (Richters, 1998). Avec ces moyens financiers, l’école peut donc se payer des enseignants de l’ELCO, mais elle n’est pas obligée de le faire. Plus tard, des inspections montreront que ces moyens financiers ont étés utilisés pour maintenir le batiment de l’école, ou pour ce procurer du matétriel qui n’avance en rien la position des élèves issues des minorités ethniques.
    En 1983 fut conclu un accord bilateral entre le Maroc et les Pay-Bas, spéciafiant que les autoritées néerlandaises se chargeraient du payement des enseignants, tandis que le Maroc s’occuperait du recrutement de ces enseignants. Il est à souligner ici qu’apparamment les deux tiers des enseignants sont arabophones, donc mal disposés à enseigner l’amazigh, à moins qu’ils aient une formation et dans langue et dans la didactique de l’enseignement de cette langue. Il n y a pas à notre conniassance d’enquête publiée qui pourrait confirmer cette remarque.
     Dans cet accord culturel, l’ELCO s’exerce dans la langue arabe, langue officielle du pays d’origine. Ce choix, peu surprenant, peut être justifié par le désir de la communauté marocaine qui est d’abord musulmane, et qui veut –dans sa majorité- rester en liaison avec la langue du Coran. Une autre raison est le fait que l’arabe peut servir dans la plus part des régions du pays comme langue de communication (géneralement on n’oublie de distinguer entre les differentes variantes de l’arabe). Des enquêtes entre les parents d’élèves montrent que la majorité voudrait que leurs enfants apprennent l’arabe à l’école (voir plus bas).
    Le choix de l’arabe dans l’ELCO a rencontré plusieurs problèmes et reste l’enseignement de langue qui souffre le plus de mauvais résultats. Une raison qui nous paraît importante à cet égard est le fait que la majorité d’enfants d’immigrés sont d’origine amazighe. Il se trouve donc face à une troisième langue dés un âge précoce. Le fait d’insisiter que l’arabe est langue d’origine ne fait que semer la confusion entre les élèves mais aussi entre le personnel de l’école qui ne cesse pas de se demander pourquoi ces enfants ont tellement de problèmes à apprendre leur langue propre?! Une approche plus réalistique aurait pu bénéficier les élèves. Il fallait définir l’arabe comme troisième langue pour les berbereophones, et comme langue relativement plus accessible pour les enfants arabophones, au moins au niveau du lexique. D’autres facteurs comme la durée des cours (deux heures et demi à l’interieur de l’école et deux heures et demi à l’extérieur) ont été soulignés (voir Saidi 2001 pour plus de détails). La constatation de Driessen (1990) concernant le niveau d’arabe chez les enfants marocains le conduit à conclure que leur niveau est si bas en arabe standard qu’il vaudrait mieux concentrer les efforts sur un enseignement oral.

 «L’amazigh et l’enseignement des langues minoritaires aux Pays-Bas», in Les actes du colloque amazigh :   «Education et langues maternelles : l’exemple de l’amazigh », Casablanca, le mardi 17 juin 2003













(C)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À OUJDA
1931-1994










    Née en 1931, à Oujda, au Maroc, Yvette Katan, ou Yvette Katan Bensamoun, d’origine française, est une écrivaine, universitaire marocaine francophone. Agrégée d’histoire et de géographie, elle s’installe en France, et devient maître de conférences, à l’Université Paris I, Ponthéon- Sorbonne, spécialisée d’histoire de la ville d’Oujda, du Maroc et du Maghreb. Elle est l’auteure de : Paris et la Région  Île – de – France (1992), Oujda, Une Ville Frontière du Maroc (1907-1956)- Musulmans, Juifs Et Chrétiens En Milieu Colonial (2000), Le Maghreb – De l’Empire Ottoman à la Fin de la Décolonisation Française (2007), etc.
Les colons parisiens en Algérie

    On peut se poser à nouveau le problème de savoir si envoyant des Parisiens seulement (seul le dix-septième convoi deux cents gardes républicains lyonnais), le gouvernement provisoire avait fait, du point de vue de colonisation, un choix si déplorable ? Ce colon parisien était-il le pire qui puisse arriver en Algérie pour assurer le succès de ces colonies agricoles crées à grands frais par l’État ? Assurément, a-t-on dit, car ce citadin était tout à fait inapte à son nouveau rôle. Or, nous avons vu que souvent ce colon, de par son origine provinciale, avait une expérience de l’agriculture. Expérience que la     Commission avait cherché à détecter comme l’indiquent les mentions explicites du registre su IVe arrondissement de Paris.
    Par ailleurs, l’exigence de certificats de bonnes mœurs et les professions laissent apparître que loin d’avoir encourager le départ des gens sans métier, d’ »agités, ouvriers en barricades», la Commission semble avoir favorisé les hommes qui avaient un contact avec la terre, et aussi ceux qui avaient qualification professionnelle précise, ouvriers dans la force de l’âge qu’on pouvait supposer courageux au travail. Or, c’est bien cette ardeur à l’ouvrage qui transparît dans les premier rapports des directeurs de villages, ceux-là mêmes, qui par la suite incrimineront les colons trop indépendants, trop républcains à leur goût.    
     D’ailleurs, il nous a été donné de confronter le rapport officiel rédigé par Louis Reybaud après l’enquête de 1849 dans les colonies agricoles, avec un rapport confidentiel du même auteur, évidemment plus objectif. Celui-ci rejette la responsabilité de l’échec (à cette date) des villages agricoles, non sur les colons […], mais sur les directeurs des colonies […].
    Ils apportaient ainsi la preuve que l’échec (ou semi-échec car les colonies prospérèrent par la suite) était imputable non aux Parisiens mais aux difficultés inhérentes à toute colonisation naissante.

Les colons de 1848 en Algérie : mythes et réalité, in Revue d’histoire moderne et contemporaine, Tome 31.
Mohamed Amri

   Né en 1940, à Oujda, Mohamed Amri part travailler en France en 1964. Ancien ouvrier de l’usine Renault-Billancourt, dans la région parisienne, il s’est consacré à la défense des droits des travailleurs et des immigrés, à travers son activité syndicale. Ex-président et membre du conseil d’administration de l’Association des anciens de Billancourt, ATRIS, il milite pour faire entendre la voix ouvrière dans les négociations pour la reconversion de Renault-Billancourt. Il a participé à la collecte de témoignages, parus dans l’ouvrage : Les hommes de Renault-Billancourt, Mémoire ouvrière de l’île Seguin 1930- 1992 (2004), sous la direction d’Emile Temime et Jacqueline Costa-Lascoux.

Renaut-Billancourt sur l’île Seguin

   Fin mars 2004, les pelleteuses ont commencé à éventrer l’usine Renault de Bologne-Billancoourt. Les coups de boutoir contre son armature métallique et la valse des camions qui chargent les gravats au cœur de l’île Seguin soulignent davantage encore sa singulière allure d’usine paquebot industriel immobilisé depuis 1930 au milieu de la Seine. Sur les berges, des badauds armés d’appareils photos ou de caméscopes observent la destruction lente et méthodique de ce qu’ils appellent pudiquement un "parimoine important". Un artiste a installé son chevalet et sa toile de peinture. Sous ses yeux, les barges ne transportent plus des voitures flambant neuf de la marque au losange, mais les déblais des structures ratatinées de l’usine. Le spectacle a quelque chose de surréaliste, fort différent du foudroyage soudain d’immeubles de banlieue, même si l’on retrouve là des entreprises qui dynamitent les barres des cités, au 4000 de la Courneuve ou ailleurs. C’est que la "forteresse ouvrière", même vidée de toute vie humaine depuis plus de dix ans, semble coriace, comme si elle refusait obstinément de rendre l’âme. […]
   La presse écrite et audiovisuelle a bien évoqué de multiples projets culturels et architecturaux, séduisantes esquisses infographiques à l’appui, mais seul l’homme d’affaires François Pinault est certain d’installer une fondation d’art contemporain sur une partie de l’île Seguin. Pour le reste, les revirements successifs proquent le doute, et certains craignent sa transformation en "Fort Boyard pour yuppies". Dans un virulent réquistoire intitulé "Boulogne assassine Billancourt", publié à la "une" du journal Le Monde, le 6 mars 1999, l’architecte Jean Nouvel s’en prend déjà à "l’idéologie verte", de ceux qui en préconisant la disparition complète de l’usine, font table rase de ce haut lieu de la mémoire ouvrière.

Les hommes de Renault-Billancourt, Mémoire ouvrière de l’île Seguin 1930- 1992, Ed. Autrement, 2004

Mohammed Allal Sinaceur
    Mohamed Allal Sinaceur, né en 1941, à Oujda, et mort le 8 juin 2010, à Rabat, est un philosophe, écrivain franco-arabophone et politicien marocain. D’une famille d'intellectuels militants et de notables, il alterne l'école coranique le matin et l'école française le soir. Il étudie au Lycée Moulay Youssef, de Rabat, et est l’un des fondateurs de l'UNFP (1959), actuel l'USFP (1973). Agrégé de philosophie, il publie nombre d’ouvrages sur la philosophie, les sciences humaines, la pensée islamique et devient directeur de la division de la philosophie et des sciences humaines à l'Unesco (1975-1987). Il est membre de l'Académie du Royaume du Maroc. Il est ministre des Affaires culturelles (1992-1995), et auteur de :  avec Richard Dedekind de : Analytica Publié avec Continuité et nombres irrationnels : Que sont-ils et à quoi servent-ils ? (1979), Penser avec Aristote , études (1992), avec Pierre Aubenque de : Aristote aujourd'hui (1992), de La Mosquée Hassan II (1996),  Cours de philosophie positive, avec Auguste Comte (1998), etc.
L’humanisme de Mohamed Arkoun
Le terme adab dérive de da’b : modèle, coutume ; il est post-islamique. Il désigne ici la «culture» du IVème/Xème siècle. Il eut des acceptations différentes au cours de l’histoire, du début de l’Islam à nos jours ; cf. l’article de adab» de l’encyclopédie de l’Islam, dû à F.Gabriell. […] La controverse sur l’adab : un «humanisme», mais insuffisamment vulgarisateur (cf. Pellat, in Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’Islam, Paris, 1957, p.84, et R. Arnaldez, ibid., p.156) ou incapable d’élaborer une pensée inspirée par les progrès réalisés, etc, n’a pas de sens : elle s’appuie sur des notions extérieures à la pensée arabe. Qui, en Occident, a connu le besoin d’établir la philosophie sur des principes éprouvés ailleurs avant Descartes ? Ou présenté une théorie
de la vulgarisation avant le positivisme ?
    (…) Mais en tout cela une idée est moins en quête de son expression actuelle que de sa meilleure version ancienne.  On explicite par un déjà-dit. Ce que l’on constate et ce que l’on voit recule devant ce qui s’est transmis ; il s’y immerge, fût-il complètement neuf.  Tout récit projette un scénario,
toute scène a son modèle ancien.
    Mais ce recours à l’ancien n’est rien moins que soumission, consentement aveugle, délaissement pour le rêve qui amplifie, embellit ou altère comme ce pouvait être le cas du temps des collecteurs et des transmetteurs de récits bédouins.  Il n’est ni respect arbitraire ni déférence obstinée. La tradition est réappropriée, comme la philosophie grecque, comme l’héritage persan, car « le poids intellectuel des textes reçus » aiguillait la pensée sur la voie de ses questions, de ses audaces, de ses inquiétudes (p. 216) ; car l’adab du IVème siècle avait ses traditions d’irrévérance, de contestation, ses traditions du défi, de la révolte et du nouveau. Il se développe dans une société menacée en son organisation, ébranlée dans son idéologie, soucieuse de substituer à l’unité religieuse perdue une unité de raison et de convention. Voilà d’abord pourquoi l’on use des traditions avec liberté, que l’on en donne des interprétations malicieuses, qu’un Tawhidi ose insinuer que les jouissances sensuelles des élus ne sont que paradisiaque ennui !
    Voilà pourquoi, ensuite, non seulement le présent ne perd pas ses droits mais est promu à une catégorie de pensée sous l’espèce de l’évidence, du témoignage oculaire, de l’expérience ; du regard et de la vue non seulement comme métaphores de la lumière et de l’éblouissement opposés aux ténèbres, mais comme symbole du visible et de ses priorités, comme moyen d’information privilégié (p. 210 et s.). Voilà pourquoi, enfin, l’autre source du savoir paraît être la logique, apanage de l’élite (p. 182, 188), au-dessus des contingences du Temps (p.219), de l’arbitraire des sectes, des hérésies, des écoles juridiques, de tous doctrinaires et
 multiples déités (p.230).

L’humanisme arabe de Mohamed Arkoun, in Critique, n°298 Mars 1972





Abderrahmane Zenati

      Né en 1943, à Oujda, Abderrahmane Zenati est un écrivain, poète francophone et peintre, issu d’un milieu pauvre, orphelin de père à 5 ans, il est placé par sa mère, comme apprenti chez un artisan cruel et malveillant qu’il fuit pour la rue. En 1955, à cause des conditions difficiles de sa vie, dans les rues d’Oujda, il se retrouve, sur un lit d’hôpital, atteint de tuberculose. Là, éveillé à la vie par amour du savoir, il se met à dessiner sur des bouts de papier qu’il ramasse, à apprende à lire et à écrire. En 1961, avec l’aide de son médecin Sauvaget, il est employé comme aide soignant public. Il écrit des romans, dont : Les cigognes reviendront-elles à Oujda ? (1994), Goût de cendre(2009), Adieux Oujda ma bienaimée (2011) etc. Il a été décoré par SM Mohamed VI, en 2009.

Les enfants de la rue
    Nous n’étions que de petits enfants et le destin avait condamné chacun de nous à vivre dans la rue livré à lui-même.
   Nous vivions misérablement dans la nature comme les herbes folles qui croissent à leur fantaisie. Nous avions grandi en toute liberté, sans jamais connaître la contrainte d’un parent ou d’un maître d’école… Fort de l’impunité que nous conférait notre liberté et notre ignorance, nous nous amusions, avec d’autres gamins, à chiner les nombreux fous du quartier, les chiens et les chats. Nous le faisions par jeu, parfois cruellement, mais toujours sans véritable méchanceté.
      Je me revois portant une longue chemise rapiécée, un pantalon sale, en loques et une vieille veste trop large. J’avais toujours sur la tête un chapeau de paille dont le large bord roulé me retombait sur les yeux.
      Mes pieds aux ongles déchiquetés, aux talons fendillés, se posaient douloureusement, l’un après l’autre sur la terre pleine de cailloux pointus, sur des ronces et des épines…
      Comme des centaines d’autres enfants, Khoubi, Jab’Allah, Tchita et moi, vivions de n’importe quoi. Nous couchions tard, dans la rue, à la belle étoile et nous vidons le lieu aux aurores pour faire les poubelles, afin de dénicher quelque nourriture, pour survivre.
      Nous hantions les terrains vagues, les dépotoirs publics, les vergers et les champs de vignes. Nous pénétrions parfois frauduleusement dans des maisons et des fermes. On s’amusait à chasser les gerboises, les chauves-souris, les caméléons et les lézards. Nous disputions, par tous les temps, notre nourriture aux chiens errants et aux chats de gouttières. Nous chassions, à mains nues, les serpents venimeux et les scorpions hideux. Dans notre vie misérable, les enfants de riches se moquaient de nos mines tragiques, austères et nous évitaient comme si nous avions la lèpre. Les adultes détournaient leur regard ou faisaient semblant ne pas nous voir. Ce fut une bien grise enfance que la notre. Notre rire évoquait le râle de ceux qu’on torture. Notre sourire avait l’air désolé des cicatrices. Nous étions repoussés, abominés, maudits, sans issue, sans avenir.   
    Nous n’étions pas heureux du tout. Certains jours, nous regrettions même d’être venus au monde…

Mémoire de la fourmi, récit autobiographique, Ed. Persée, 2011


























Brick Oussaïd
   Brick Oussaïd, né en 1949, à Sidi Lahcen, de la tribu berbère Ouled Amar, près de d’Oujda, est un écrivain marocain francophone. Après ses études primaires et secondaires, au Maroc, il a quitté ses terres pour faire ses études supérieures, en France, où il obtient un diplôme d’ingénieur de l'Institut polytechnique de Grenoble (1977). Il est l’auteur de : Les Coquelicots de l'Oriental, récit autobiographique (1988), traduit en anglais sous le titre : Mountains Forgotten : the Story of a Moroccan Berber Family (1989), etc.
Il fallait vivre
    Juin ramenait la canicule torride, invivable. Je composai sans conviction et attendis les résultats, sans espoir. Je reçus les félicitations de l’Administration, l’éloge du lycée et une foule de prix comme jadis au collège. Mais les applaudissements de l’assistance ne purent ni m’arracher à ma tristesse ni soulager ma rancune.
     Nous quittâmes le lycée. Je retournai à Jerrada pour travailler. Il fallait vivre, gagner son pain, lutter encore. Mon professeur de physique, originaire de Belgique, s’appelait Madame Henneighen. Connaissant mes problèmes, elle me tendit la main. Je lui avouai que je haïssais mon pays, que je voulais partir, partir, m’éloigner. Ce n’étais pas mon pays, c’étais celui des nantis, de ceux qui avaient les moyens de le découvrir, d’y savourer la joie de vivre. Pour moi, mon pays était synonyme de misère, d’ignorance, de mort lente.
    Mon pays me rappelait l’indifférence du fonctionnaire, la peur de l’autorité, la hantise de la faim, le supplice des nuits à la belle étoile. Il me rappelait l’injustice, l’humiliation, la souffrance, la mort prématurée de ma mère.
Elle me ramena chez elle, me servit un jus d’oranges, bon, frais. C’était la première fois que je buvais un jus de fruits dans le pays des orangers !
- Vous allez faire une demande pour faire des études en France, me dit-elle.
Elle écrivit pour moi une lettre, m’expliqua où signer, comment faire ; elle me donna de l’espoir. Elle n’était pas d’ici, elle était belge.
     Ça y était ! J’étais accepté ! Mais je ne pouvais pas encore partir, je n’avais pas de passeport. Alors je pris un congé et courus supplier pour réunir les nombreux papiers nécessaires pour constituer un dossier.
J’attendis un mois mais n’avais toujours pas de passeport : mon dossier était perdu ! Ah non ! Je sortis les justificatifs, les récépissés. A la préfecture la queue était longue ; beaucoup, comme moi, voulaient aussi partir.
    Trois semaines encore, le dossier était reconstitué mais le passeport n’arrivait pas. Je quittais le travail, dormant dans les terrains vagues, forçant les portes et importunant les illustres fonctionnaires. A chaque fois j’étais repoussé, ignoré et bientôt la hantise de rater la porte de sortie devint une obsession.
    Chafi, encore lui, vint m’aider. Il supplia pour moi, assiégea les bureaux, utilisa tout son pouvoir. Je lui dis que j’avais envoyé un télégramme à un ministère pour demander assistance, alors il sourit, puis changea de sujet.
    J’étais paumé, naïf, j’appartenais à un monde qui vivait selon d’autres principes. Je devenais un étranger dans ma cité, je ne comprenais pas la valeur des choses. J’étais un rescapé déchiqueté, foulé aux pieds dans un monde d’hyènes. Sans argent, je dérangeais, j’aurais dû crever, disparaître.
Les Coquelicots de l’Oriental, Ed. Maspéro, 1988












Aberrahman Tenkoul
    Né en 1953, à Oujda, Aberrahman Tenkoul, docteur de 3ème cycle de l’université d’Aix-en-Provence, et docteur d’Etat ès lettres de l’université Paris 8, est un universitaire marocain spécialiste de la littérature marocaine et écrivain marocain francophone. Il est, depuis décembre 2010, président de l’université Ibn Tofaïl de Kénitra, Il a publié de nombre d’articles sur la littérature marocaine de langue française et arabe. Il est l’auteur de : Littérature marocaine d’écriture française - Essai d'analyse sémiotique (1985), etc.

Au seuil de l'acte poétique


     La poésie est mémoire du langage et de l'Histoire. Les Arabes disent qu'elle est leur diwan : on peut y lire leur passé, leurs gloires et leurs déboires. La poésie marocaine de langue française veut cependant aller au-delà de cette fonction d'inscription du vécu collectif et de l'espace identitaire. De texte en texte, elle cherche à faire émerger du réel une vision de soi et de l'autre totalement transformée par le jeu déroutant qu'elle opère sur le signe et sa trace, la parole et le silence, le dit et le non-dit... C'est qu'elle est conçue par la plupart des poètes d'aujourd'hui comme une aventure risquée au seuil de l'exil et de l'interdit, une mise en péril des langages institués.
    Que dit cette poésie évoluant en marge des feux de la rampe, presque oubliée par les cercles de consécration ? Elle chante les blessures d'un peuple qui refuse l'amnésie et la servitude. Ce peuple est muselé mais son corps tatoué parle comme un livre ouvert entre ciel et terre, inaccessible à toute censure. Ses phrases tombent l'une après l'autre et s'incrustent sous forme de marques indélébiles en tous lieux de la terre natale. Le verbe du poète s'enroule dans ces traces et leur donne forme et réalité, se dresse en rébellion et installe le blasphème au coeur du sacré.  […] L'histoire de cette poésie est d'ailleurs pleinement significative à cet égard : elle témoigne à la fois du douloureux combat que mènent les poètes marocains pour la prise de la parole, et de leur quête inlassable d'une écriture de l'écart.

La littérature maghrébine de langue française, Ed. Edicef-Aupelf, 1996.













Patrick Cintas
     Patrick Cintas, alias Matorral, né, le 2 janvier 1954, à Oujda, au Maroc, est un, est un Franco-espagnol-marocain, écrivain musicien, artiste plastique et éditeur franco-hispanophone. Il est aussi compositeur et artiste plastique. Directeur de la Revue d'art et de littérature, musique, il contribue à diffuser la littérature francophone et hispanique. Comme éditeur, il dirige les Éditions du Chasseur abstrait. Il est l’auteur entre autres de : Ode à Cézanne, poème (1988), Gisèle, théâtre (2007), Vieja (2007), Cosmogonies, essai sur le roman (2007), Anaïs K., roman, trilogie (2008), Mon siège de Robbe-Grillet, discours (2008), Dix milliards de cités pour rien, roman (2009), N, roman (2015), etc.
Les Vermort
    Il fallait sans cesse lui expliquer, comme s’il ne saisissait pas le sens profond de ce qu’il souhait lui donner à penser. Les soirs où ils ne recevaient pas (ils reevaient trois fois par semaine, le dimanche étant réservé à sa famille, elle avait un nombre incalculable «de « membres »), ils ne s’atardaient pas longtemps dans le salon atenant à la salle à manger ; ils venaient de partager un repas équilibré pour la nuit, ils étaient épuisés par le silence que le télépoint ne réussissait pas à troubler ; ils avaient un peu parlé des jours à venir ; elle tenait à un projet dont elle ne comprenait pas la finalité. Comme il ne dormait pas s’il avait absorbé trop de protéines, elle avait longuement calculé les valeurs énergétiques sur un abaque découpé dans un magazine.  Il regardait sans s’approcher. Il ne tenait pas à entrer dans les raisons suffisantes de ces algoritmes. Les quatre soirées où ils ne recevaient pas ne se suivaient pas et il lui faisait remarquer qu’elles se ressemblaient étrangement.
    Elle ne répondait pas à cette question mais ne pouvait s’empêcher de la chercher dans les conversations qui animaient la maison trois fois par semaine. L’une de ces soirées était définitivement, depuis de longues années déjà, consacrée au Vermort chez qui on allait rarement malgré d’insistantes invitations qui en conséquence se faisaient plus rares. Les Vermort, néanmoins, demeuraient fidèles à la soirée du mardi. Ils arrivaient à huit heures et repartaient à minuit passé. Quatre heures perdues avec un esprit certes brillant et une beauté indéniable ne justifiaient pas l’insomnie qui le terrassait ensuite à la porte du sommeil et au pied de la femme avec laquelle il avait, un jour, choisi de vivre. Les Vermort l’ennuyaient à ce point. Leur départ de conversation était considérable, peut-être les trois quarts du temps qu’ils demeuraient avec eux, ces mardis soirs.

Anaïs K. I-II, Ed. Le chasseur abstrait, 2008


Fouad Laroui
   Fouad Laroui, né le 12 août 1958, à Oujda, est un écrivain maroco-néerlandais francophone. Il vit à Amsterdam. Après une enfance joyeuse et riche en enseignements à El Jadida, il étudie au lycée Lyautey à Casablanca, il intègre l'École nationale des ponts et chaussées (ENPC) en France, dont il sort ingénieur. Après son poste de directeur à l’usine de phosphates à Khouribga, au Maroc, il va, quelques années, au Royaume-Uni, pour un séjour à Cambridge et à York. Lauréat d’un doctorat en sciences économiques, il vit à Amsterdam et y enseigne l'économétrie, les sciences de l'environnement à l'université libre d'Amsterdam. Il publie : Les Dents du topographe , prix Albert-Camus (1996),  De quel amour blessé, prix Radio-Beur FM (1998), Méfiez-vous des parachutistes (1999), Le Maboul, nouvelles (2000), La Fin tragique de Philomène Tralala ( 2003), Une année chez les Français, prix de l'Algue d'Or (2010),  La Vieille Dame du riad ( 2011), Les Tribulations du dernier Sijilmassi  (2014),  L’Oued et le Consul, nouvelles (2015), etc.
Au-dessus de la mer d’Andaman

    Un jour, alors qu’il se trouvait à trente mille pieds d’altitude, Adam Sijilmassi se posa soudain cette question : — Qu’est-ce que je fais ici ? Ce n’est pas qu’il volait de ses propres ailes, comme un oiseau : il était en fait rencogné dans le siège 9A d’un avion de ligne peint aux couleurs de la Lufthansa. Il venait de se poser la question (« Qu’est-ce que je fais ici ? ») et il en examinait maintenant les tenants et les aboutissants. Il s’assura par un coup d’œil circulaire que per-sonne ne l’observait car il ne pouvait méditer à sonaise que s’il était seul dans son coin, ignoré de tous, sans importance collective. […]
    Le Boeing, c’était autre chose. Neuf cents kilo-mètres par heure… Pourquoi cette hâte, grands dieux ? À travers le hublot, l’univers se signalait par la couleur bleue, lacérée parfois de blanc trans-lucide, mais aurait-il été niellé de mauve ou d’or que cela n’aurait pas changé grand-chose, car ce n’était pas la nature qui était en jeu mais plutôt l’histoire des hommes, la distribution de l’espèce à travers la planète. […] Une boule d’angoisse se forma dans son ventre, quelques gouttes de sueur apparurent sur son front, sa main droite fut prise d’un tremblement incontrôlable.
     — Qu’est-ce que je fais ici ?
      Comme en écho, une autre phrase résonna dans son crâne :
      — Tu vis la vie d’un autre.
      Il jeta de nouveau un regard circulaire dans la cabine de l’avion. Partout, des hommes d’affaires penchés sur des revues, des rapports, des écrans… Il lui apparut qu’ils lui ressemblaient tous, qu’ils portaient le même costume sombre, la même che-mise blanche, la même cravate. Sans doute pouvait-on lire dans leurs yeux les mêmes préoccupations, les mêmes chiffres…
    — Est-ce cela que je suis ?
    Il pensa à son grand-père, le hadj Maati, digne vieillard assis, immobile, dans le patio de sa demeure, qui occupait ses jours et consumait ses nuits à compulser traités composés mille ans plus d’augustes tôt à Bagdad ou en Andalousie, des trésors dont les lettres tracées en coufique ou ennaskhî révé-laient du monde autre chose que les prix du bitume ou de l’acide – ou le compte en banque de l’acheteur indien.  

Les tribulations du dernier Sijilmassi, Ed. Julliard en 2008


                                






Jean Molla
     Jean Molla, né le 28 décembre 1958, à Oujda, au Maroc, est un auteur français de livres pour la jeunesse.  Après des études de lettres et de tourisme à Tours et à Poitiers. Passionné de lecture, il se met à écrire, à l'âge de 10 ans, mais il ne publie ses œuvres qu'en 2000. Il est enseignant de français au collège P. de Ronsard, zone d'éducation prioritaire, de Poitiers, cité où Il réside désormais. Il est l’auteur de : Comptines à dormir debout, roman (2000), Copie conforme (2001), Coupable idéal (2002), Sobibor (2003), Que justice soit faite (2004), Le grand secret de Tim (2005), Le jardin des sortilèges (2006),  La Revanche de l'ombre rouge (2007), prix des Incorruptibles (2009), Le puits des âmes perdues (2008), Le parfum du ruban vert (2009), Amour en cage, nouvelles (2010), etc.   
J'avais toujours faim

   J'avais toujours faim. C'était la seule réponse que j'avais su trouver pour apaiser ma peur de devenir une femme.
Un jour, j'ai découvert dans mon miroir le reflet d'une fille trop grosse à mon goût. J'ai décidé de reprendre mes rênes en main. Je me suis privée de tout ce que j’aimais : sucreries, gâteaux, chocolat, pain, charcuterie, fromage. J'ai entrepris un régime sauvage et désordonné. Comme je déjeunais à la cantine, il m’était aisé d'échapper au contrôle de mes parents.
    Je ne tolérais désormais que les crudités, les légumes verts, les fruits, traquant les calories, les bannisant sans pitié dans mon assiette. Le soir, je boudais le dîner, prétextant d'abondants goûters.  J'ai maigri. Beaucoup. Très vite. Trop peut-être.
     J'étais constamment fatiguée, facilement irritable.
Mon régime à tourner à la catastrophe. Ma perte de poids excessive et brutale avait proviqué l'apparition de vergetures sur ma peau. J'étais désepérée. Je ne supportais plus mon corps, je me trouvais laide, détestable. J'aurai voulu mourir. Je me suis mise à manger comme quatre, alignant crise de boulimie sur crise de boulimie. Je ne contrôlais plus rien. J'ai de nouveau grossi. J'avais honte de
moi. [...]
   Cette situation a duré deux ans, et puis, vers le milieu de mon année de seconde, j'ai rencontré Julien. Le coup de foudre. Moi pour lui, lui pour moi. Mon ciel était devenu bleu. Il me plaisait, m'attendrissait, me faisait rire. Dans ses yeux, je me voyais exister.    Enfin j'étais jolie ; j'avais oublié mes kilos superflus.  Un beau jour d'avril, un an après notre rencontre, je lui ai demandé, par barvade, comment il me trouvait vraiment. Depuis quelques jours, j'étais perturbée, fragilisée par un je-ne-sais-quoi dont j'ignorais la cause.
    J'avais peur des paroles que Julien allait prononcer mais c'était plus fort que moi, il fallait que je sache. Mon ami m'a dit qu'il m'aimait et qu'il me trouvait belle. J'ai insisté. Je voulais qu'il soit sincère, le plus exactement sincère. Alors, il a ajouté, en hésitant un peu - je me souviens de chacun de ses mots :
    - Tu es peut-être un peu ronde... Je l'ai haï.

Sobibor, Ed. Gallimard 2003














Karim Nasseri

    Né en 1969, à Oujda, au Maroc, Karim Nasseri est un écrivain marocain francophone. En 1989, il quitte son pays pour à Paris, où il obtient un DEUG en physique chimie. Il s'y installe et travaille pour un musée. Il est l’auteur de : Chronique d’un enfant du hammam (1998), Noces et funérailles (2001), Des Nouvelles du Maroc (1999), Le marin
de Mogador (2006), etc.

www.bibliomonde.com  

Saad voulait en finir avec sa femme

   Les voisins commencèrent à allumer leurs lumières et à se pencher qui de sa fenêtre qui de son balcon pour assister au massacre. Saad voulait en finir avec sa femme. Il était décidé à la tuer. Il était complètement saoul mais arrivait encore à tenir sur ses pieds. «C’est ce soir que je sauve mon honneur », criait-il. « J’ai trop fermé l’oeil. Je n’en peux plus de courber le dos et de laisser passer les tempêtes. Ce soir je fais face à tous les défis.» Et traînant sa femme par terre comme un vieux chiffon, Sâad de continuer : « Tu n’es qu’une pute à rabais. Une traînée. Une bâtarde à deux sous. Tu n’as jamais su fermer ta fente. Le premier venu se soulage sur ton bas-ventre. ».
    Il commença à lui cogner la tête contre le mur, à lui arracher des touffes de cheveux et à lui donner des coups de pieds sur les reins et le visage. Pendant ce temps, les voisins, contemplaient le beau travail de l’ivrogne sans broncher. J’avais beau boucher mes oreilles avec du coton et mettre l’oreiller sur ma tête, les gémissements, de plus en plus sourds, de la pauvre Najat me fondaient le coeur. Quand, finalement, maman Zoubida décida d’appeler la police, une voix grave, de quelqu’un qu’on venait de réveiller d’un sommeil profond, lui répondit que la police ne se déplace que si la victime est ensanglantée. […]
    L’aube n’avait pas encore pointé son nez quand maman Zoubida mit sa djellaba terne, son fichu blanc et ses sandales en caoutchouc. Tout en me versant un reste de café froid, la tenancière me somma de me dépêcher : « Avale ton café pour m’accompagner. Je dois faire une course importante dans un faubourg pauvre et lointain. Tu mets tes vieux vêtements et ces bottes usées. Nous ne devons pas attirer l’attention des habitants de Ben Msîk. Il faudrait passer inaperçus. Ils n’aiment pas les intrus. »
Nous prîmes deux bus, un taxi puis nous marchâmes presque une heure pour atteindre un gigantesque campement de logis de fortune. […] Des jeunes garçons désœuvrés assis sur des cartons et fumant des joints ou sirotant du thé dans des verres ébréchés nous dévisagèrent de la tête au pied. […] Je pris la main de maman Zoubida, la serra très fort et baissai la tête. La tenancière, elle, avançait avec assurance comme dans un terrain connu.

Le marin de Mogador, Ed. Le Manuscrit, 2006 

Khalid EL Morabethi
Khalid El Morabethi, né le 10 juillet 1994, à Oujda, au Maroc. En 2006, il se met à écrire, à l’âge de 12 ans. Après le bac, il poursuit ses études à la Faculté de Lettres Mohamed Ier, à Oujda, en langue et littérature françaises. Il est l’auteur de : Juste que…, recueil de poésie (2013). Il a reçu, la même année, le prix spécial Coup de cœur, au concours d’écriture Geand prix du Jour et de la Nuit (2013).


Oublier

Il a oublié
Que ses yeux étaient bleus,
Le ciel aussi,
La mer,
Il a oublié le sourire de sa grand-mère,
Et ses histoires qui le faisaient dormir.
Il a oublié,
Que la pluie le faisait réfléchir,
Que la pluie avait toujours un effet étrange sur lui.
Aujourd’hui,
Il fêtait ses soixante-dix-neuf ans,
Il a oublié ce vieil amour qui dormait à ses côtés, depuis longtemps,
Cette chambre, ce lit,
Cette maison,
La joie, le bonheur,
Son petit jardin,
La balançoire fixée a une grosse branche et les fleurs,
Il a oublié ses réussites, ses combats, ses pertes, ses espoirs,
Et ses blessures.
Ouvrant les yeux, il aperçut d’autres yeux aux murs,
Ils le fixaient,
En entendant les tic-tac des secondes,
Il a oublié qu’ils attendent,
Qu’attendent-ils ?
Oublier.

Le juste que ..., recueil, Ed. Persée, 2013






 

















 (D)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À JERADA
1928-1951













Anne-Marie Marcelli
    Née, en 1928, à Jerada, au Maroc, Anne-Marie Marcelli est une poétesse et écrivaine franco-marocaine, pieds-noirs, de mère espagnolel, et de père corse. Elle écrit, âgée de neuf ans. Après un bac littéraire, et deux ans de classe préparatoire en lettres classiques, elle étudie la philosophie à l’Université de Bourgogne et obtient sa maîtrise sur les pratiques magiques, un D.E.A. sur les représentations de la mort chez les Bantous. Mariée à l’écrivain congolais Daniel Biyaoula, elle reçoit le prix de la Littérature d’Afrique Noire pour L’Impasse, poésie (1997) et suit la genèse des romanciers centreafricains : Alain Mabanckou, Jean Bofane, etc. Elle enseigne la philosophie en Bourgogne, puis à Paris. Elle fait aimer la poésie aux gens de Bobigny, et mobilise leur créativité. Elle est conseil littéraire aux Editions Tanawa Convergence, et écrit : Si Noire Rivière, poésie (2008), Une mouche dans le champagne (2010), et deux romans : Le chanteur silencieu, et La fille qui ne voulait pas pleurer, à paraître, etc.
Je vis
« Je vis
 Que les pierres
 Même les pierres
 Se froisseraient comme du papier  ...
 Et nous sommes
 Moins que pierre » (...)
« Ecoutons
 Les murmures étouffés
 De la source du verbe
 Qui tremblent dans nos os » (...)
 « Faisons la paix
 Avec le temps
 Silence
 Prière ».

Prémonitoirespoèmes, Ed. Menaibuc, 2015















Ali Tizilkad
    Ali Tizilkad, né en 1951, à Jerada, Maroc, est écrivain, journaliste et raducteur marocain franco-arabophone. Il est enseignant, traducteur des œuvres d’Abdellatf Laabi et de Jean Genet. Il a dirigé des rédactions pour de l’agence marocaine de presse. La MAP, à Paris, des magazines Citadine et Médina et du quotidien Aujourd’hui le Maroc. Il a exercé comme consultant et expert en médias, pour la HACA. Il est l’auteur de : «la Colline de Papier», prix Grand Atlas (2007), et cotraducteur de : L'allégresse du temps - Poèmes à Wallâda, traduction en français (2012), etc.
La rue

    La rue a de tous temps été clémente et miséricordieuse pour moi. Du moins depuis qu’elle a fait son intrusion dans mon univers. Cette intrusion, je l’ai vécue d’abord comme une agression. Mais on se trompe souvent dans ce genre de premières impressions.
    Avant la rue, n’existaient pour moi que de grands espaces illimités, que seules mes peurs et mes angoisses personnelles, parfois infondées et souvent illusoires pouvaient restreindre. L’ogre, le noir, la vipère tapie dans un recoin, et quelques autres animaux plus ou moins fantastiques dont on n’a, en fait, jamais vu un seul spécimen, font partie de ma mythologie personnelle. Les adultes n’étaient pas avares de détails sur leurs supposées rencontres avec ces fauves, ces créatures fantastiques ; récits saupoudrés d’un zeste d’imaginaire et d’affabulation.
    La première scène, lovée depuis toujours dans un recoin de ma mémoire, avec deux ou trois détails d’une netteté troublante, même plus d’un demi-siècle plus tard, constitue comme une sorte de délivrance.
   Une tempête de poussière âcre soulève sur son passage de gigantesques flammèches de poudre de charbon au-dessus des monticules et terrils, parsemant le paysage, au fond de cette Cuvette noire de Jérada, véritable camp retranché en dehors du temps et de l’humain.
Sous la tente en lambeaux dont les rebords sont relevés pour cause de chaleur étouffante, même si l’on était déjà en plein automne, des ombres de personnages s’échinent à clore un drame dont les laves avaient éclaboussé, quelques jours plus tôt, l’environnement alentour : la séparation est presque convenue et il ne reste plus que quelques détails de forme et de convenances à régler, dont moi.
    Quelques années plus tard - trois ou quatre selon mes estimations -, de retour dans la Cuvette noire, et éveillé petit à petit aux jeux de la mémoire et de son ravaudage, je me mis à ramasser des bribes, ici et là, comme pour en faire un viatique de fortune ou une besace pleine de : «Ah voilà pourquoi !».
   La scène est insoutenable.  Mohamed, mon père, revenant du carreau de la mine, après sa journée en premier poste, rejoignait le douar aux dernières lueurs du soleil couchant. Les tentes des familles des mineurs, pauvres hères descendus de leurs montagnes et plateaux ou venus de leurs lointaines plaines inhospitalières, plantées côte à côte et pêle-mêle, commençaient à confondre leurs aspérités et contours pour se fondre progressivement dans l’antre de la nuit toute proche. Hlima El Yaznasnia, ma grand’mère paternelle, aux gestes soigneux, au port et à l’élégance troublants, debout, là-bas au fond de la tente, son espace intime, entamait les prémices, longues et quelque peu empesés, de sa prière d’Al Maghrib.
La colline de papier, Ed. Tizi, 2007
www.minculture.gov.ma 


























(E)
LES ÉCRIVAINS FRANCOPHONES
AU NORD DU MAROC
NATIFS ET RÉSIDENTS
À TAOURIRT
1882-1944










Paul Gusdorf

    Paul Gusdorf, né en 1882, en Allemagne. Né d’une famille juive, installé en France, depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, il s'est engagé durant la guerre, dans la Légion Étrangère, dès août 1914, pour obtenir la nationalité française. Il épouse Marthe, une allemande, à Bordeaux, le 16 septembre 1908, dont il a eu trois enfants. Il est affecté au 1er Étranger, et envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir, début décembre 1914, pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylo lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables postes administratifs. Il s'embarque, début janvier 1915, pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... Il est le père de Georges Gusdorf, le futur philodophe (1912-2000). Il est l’auteur des lettres en voyées à sa femme Marrthe (1914-1918), dont :  
 

D e Taourirt à Oujda

    Madame P. Gusdorf 22 rue du Chalet 22 Caudéran

    Gebla, près Bou Ladjeraf, le 13-9-15

    Ma chérie,

   J’ai tes lettres des 4 et 5 courants et te confirme mes 2 cartes d’ici, envoyées par un muletier à Bou Ladjeraf, puisqu’il n’y avait pas encore de boîte à Gebla. Nous sommes toujours très primitivement installés et couchons - comme des sardines en boîte - sous la guitoune. Il paraît cependant que les marabouts arriveront demain ; peut-être aurons-nous même des paillasses ou des lits au courant de cette année !
    En ce qui concerne la situation géographique, Gebla est situé à environ 4 km de Bou Ladjeraf qui est la dernière station avant Taza sur la ligne Oujda-Taza. Voici les principaux postes situés sur cette ligne : Oujda, El Gun, Taourirt, Debdon, Guercif, M’Conn, Oued Aghbal, Bou Ladjeraf et Taza. La ligne sera conduite jusqu’à Fez qui est à environ 100 km à l’Ouest de Taza. J’ai laissé de côté des stations ou postes de peu d’importance et ajoute que le train met 1 jour pour aller de Taza à Guercif, 1 deuxième de Guercif à Taourirt et un 3° de Taourirt à Oujda.
    Le nouveau poste de Gebla que nous construisons en ce moment aura probablement, le camp 4° au début ; Bou Ladjeraf sera supprimé, du moins le camp 5°. Il ne restera que la gare, en forme de blockhaus - comme toutes les gares des petits postes - où l’on laissera 1 section 6°. Gebla est situé sur une crête à l’endroit où se trouvait autrefois un grand village marocain, détruit il y a 16 mois lors de la prise de Taza par notre artillerie. Les pierres et briques des maisons en ruine nous servent maintenant à construire les murs & tranchées ainsi que les divers baraquements. Mais le pays en face - non soumis - est encore inconnu.
     Il y a quelques jours nous avons vu derrière les mamelons - nous faisions corvée de bois - une ville au moins aussi grande que Taza, car elle a 5 mosquées et appartient, paraît-il, aux Rhiatas, tribu non soumise. Ces Messieurs nous ont du reste attaqués dès notre arrivée ici, c.à.d. le premier jour, revenant ensuite la nuit et le lendemain. Ils ont été cependant repoussés par l’Artillerie qui disperse tous les jours leurs rassemblements. Avant-hier, dans la nuit, ils avaient allumé de grands feux sur les crêtes et on voyait distinctement des hommes autour du brasier. Une batterie de 75 ouvrit aussitôt le feu et le 2° obus tomba juste au milieu ! Il est probable que s’ils continuent leurs attaques, on va bombarder un de ces 4 matins leur ville avec les 5 mosquées.
     Les autres tribus soumises viennent déjà vendre leur bétail, des volailles, oeufs, raisins, noix etc. Une de ces tribus, qui nous aide à chaque occasion, est campée à 2 km de nous avec des troupeaux énormes, formant des ronds très réguliers avec leurs tentes, ronds dans lesquels ils enferment le bétail pendant la nuit.
     La colonne Derigoin reste avec nous jusqu’au 17, jour où nous pourrons nous installer en-dedans de l’enceinte fortifiée. D’après les bruits qui courent, nous ne resterions ici que 2 à 3 mois au plus, pour descendre ensuite à l’arrière, peut-être à Guercif, le dernier poste où il y a quelques maisons européennes. Mais on ne peut pas trop se fier à ces bruits. La nourriture, exécrable au début, s’est améliorée quelque peu maintenant. On nous donne depuis 3 jours - oh miracle - 2 quarts de vin par jour. Mais nous avons énormément de travail et vivons comme des sauvages. […]
      Depuis avant-hier le bruit court que l’Allemagne a fait une proposition de paix et qu’on négocie déjà ferme à Washington. L’Allemagne rendrait tous les pays envahis et l’Alsace, l’Italie aurait Trente, mais l’Allemagne demanderait la Courlande et le Maroc. Cette proposition, si elle est vraie, indiquerait tout de même une lassitude de l’Allemagne et le désir d’en finir avant le désastre. Ce serait le premier pas qui coûte le plus cher et qui laisserait prévoir de nouvelles concessions indispensables ! […]

                    Paul

Lettres du Légionnaire Paul Gusdorf à son épouse Marthe 1914-1918, Ed. Anne-Lise Volmer, 2015

www.lettresdepaulgusdorf14-18.blogspot.com   








Abdelaziz Meziane Belfkih

    Né en 1944, à Taourirt, près d'Oujda, et mort le 9 mai 2010, à Rabat des suites d'un cancer, Abdelaziz Meziane Belfkih est un écrivain francophone et homme politique marocain, ingénieur en génie civil de l'École nationale des ponts et chaussées de Paris (1974), et de l'Institut national des sciences appliquées de Lyon (1978). Revenu au Maroc, il est directeur de l'inspection générale au ministère de l'Equipement et de la Promotion nationale (1980), directeur des routes et de la circulation routière (1983), secrétaire général du ministère des Travaux Publics, de la Formation professionnelle et de la Formation des cadres (1992), ministre de l'Agriculture (1995), ministre des Travaux Publics de la Formation professionnelle et de la Formation des cadres (1997), ministre de l'Agriculture de l'Equipement et de l'Environnement, conseiller royal (1998), président la Commission spéciale éducation-formation (COSEF), nommé par feu SM Hassan II d’élaborer une Charte nationale de l'Education et de la Formation. Il est décoré de l’Ouissam du Trône de l'Ordre de Chevalier.
www.wikipedia.org  
"L'agenda 21", un programme d'action concret

    Cette rencontre a lieu à un moment où la Communauté Internationale s'apprête à fêter la "Journée mondiale de l’envirronnement". Elle coïncide avec le premier anniversaire d'un événement mondial et historique, à savoir le Sommet de la Planète Terre ou Conférence des Nations Unies pour l'Environnement et le Développement, tenu à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992.
    En effet, la Communauté Internationale se devait de relever le défi de la conciliation entre le nécessaire développement économique et social, et les Indispensables protections de l'environnement, et gestion durable des ressources naturelles. Ce défi est d'autant plus difficile à relever que le monde fait face à de profondes mutations et à des changements spectaculaires sur les plans : politique,
économique et social. Il fait face également à la dégradation grandissante de certains écosystèmes et certaines ressources naturelles vitales et aux problèmes
alarmants de la pauvreté et du sous-développement.
     La déclaration solennelle de Rio, qui est une sorte de "Charte de laTerre", et le Plan d'action pour le 21ème siècle, dit "agenda 21", adoptés l'année dernière, constituent des instruments importants pour gagner l'enjeu d'un développement durable et équitable. […]  
    Le Maroc qui a pris une part active aux travaux de la Conférence de Rio, se rallie à l'engagement international de faire de "l'agenda 21" un programme d'action concret, et d'agir pour renforcer les bases d'un développement durable.

Extrait de son allocution, alors ministre, in la Journée d’Information Agriculture-Environnement, le 5 juin 1993.

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