miércoles, 19 de diciembre de 2012

La poésie comme moyen d'émancipation de la femme arabo-musulmane



LA POÉSIE COMME MOYEN PRIVILÉGIÉ
D’EXPRESSION ET D’ÉMANCIPATION DE LA FEMME
ARABO-MUSULMANE DES ORIGINES À NOS JOURS

       De tout temps, la poésie fut pour l’homme et la femme  arabo-musulmans une forme supérieure du langage. Naturellement, cela fit aussi de “la poésie un moyen d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours”. En ce sens, Sigrid Hunke énonce: “Comme autrefois, et sans que personne y trouve à redire, les poétesses [arabo-musulmanes] continuent de rivaliser avec les poètes (…). Quand on veut parler, au sens littéral, d’un peuple de poètes, il faut alors parler des Arabes: sans aucun doute des Arabes [pré-slamiques] du dernier siècle, avant la proclamation de l’Islam et peut-être tout aussi valablement des Arabes [musulmans] d’Andalousie. Chez eux, la poésie est en quelque sorte une forme supérieure du langage [v.d’expression et d’émancipation].” – “Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident”, Paris, Ed. Albin Michel, 1963, pp.309, 346.

       Quant aux thèmes traités par la poésie des femmes arabo-musulmanes, poétesses ou non, il faut encore noter avec S. Hunke: “Les thèmes de cette poésie lyrique [v.de la femme arabo-musulmane] sont infinis, comme l’âme humaine. Ils expriment tous les sentiments: afflictions, désespoir fou, haine violente, et la douce mélancolie aussi bien que l’amour heureux et triomphant.” – Op.cit., p.354. Du fait, on traitera dans cette tribune libre poétique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours de: I) La poésie érotico-mondaine de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, II) La poésie mystico-éducative de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, III) La poésie lyrico-politique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours.

        I- La poésie érotico-mondaine comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

        Pour montrer le rôle de la poésie comme moyen rivilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, Abdelaziz Benabdellah, membre de l’Académie du Royaume du Maroc, énumère des exemples de poétesses ayant trait à divers domaines du vécu, en spécifiant: “Dans les autres domaines de l’esprit et de l’art [que ceux des sciences religieuses], les exemples abondent. Nous ne citerons qu’Asmâ [al-Amiriyya, 1129-1162] qui composa un poème, en l’honneur de l’Almohade Abdel Moumen [poésie lyrico-politique]; Taqia, auteur d’épopées et d’oeuvres inspirées de Baccus [poésie érotique]; la célèbre poétesse de Silves [Portugal]; qui soutint de délicates controverses  avec ses contemporains, et qui, dans une qacida [un poème], se plaignit à l’Almohade Al Mansour, des autorités administratives de Silves [poésie mondaine] …” – “La promotion de la femme sous l’égide de l’Islam”, www.oumma.com, p.3. Sur ce thème de la poésie érotico-mondaine de la femme arabo-musulmane, abordons successivement:

        I.1- La poésie érotique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

       En vérité, l’adoption de la poésie érotique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours doit son apparition à des pléades de femmes, poétesses ou non, qui par leurs voix ou leurs salons littéraires s’étaient imposées, avant et après l’avènement de l’Islam. En témoigne cet aperçu d’A. Benabdellah:

       “En musique et en lyrisme [v.en poésie], les femmes artistes [v.poétesses] ne se comptent pas. Des centaines de chanteuses, d’entre-elles, avaient suscité, dans toutes les capitales d’Orient et d’Andalousie, l’admiration de tout le monde (…). Des salons littéraires furent organisés, dès le début [de l’Islam], en Arabie et ailleurs, sous les auspices de dames élégantes, telle Soukeina [Bent al-Hussein] petite fille d’Ali [600-661], le gendre du Prophète [570-632]. Ces salons qui groupaient, autour de certaines de femmes lettrés [v.de poétesses], les plus grands poètes de l’époque, constituaient de véritables centres de rayonnement culturel, qui propageaient, en même temps que le sens du raffinement social, le goût littéraire et le talent artistique.” – Op.cit., p.4. Ainsi verra-t-on par exemple ici:

       a- Al-Khansâ (575-664), “Le refus de vieillards prétendants”:

       La poésie érotique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane remonte avec Al-Khanasâ tant à l’époque pré-islamique qu’au de l’Islam même. Ce que constate Abderrahim Lamchichi en indiquant: “Si aujourd’hui, on ne retient que l’extrême rigueur des moeurs, la perpétuation d’un ordre androcentré, d’une attitude excessivement moralisatrice, voire sexiste, ou encore l’oppression imposée aux femmes par des courants et des Etats néofondamentalistes (des Talibans aux Wahhabites), on ne saurait oublier l’autre visage de l’Islam: l’érotisme d’une partie non négligeable de sa littérature et de sa poésie, sa légitimation du plaisir et du désir, le raffinement et la liberté avec lesquels le sujet de la sexualité fut abondamment abordé.” – “Eros et sacré: Sociétés, religion et éthique sexuelle”, www.confluences.ifrane.com, p.1.

     Ainsi est-il de la poétesse arabo-musulmane Al-Khansâ pré et anté-islamique [575-665]. “Al-khansâ, pseudonyme de Mme Tumader fille d’Amr Ibn Charîd al-Sulami. Le [vieux] chevalier des Hawazanides, Duraïd Ibn al-Semma la vit [un jour] en train de nourir un chameau et fut aussitôt épris de sa beauté. Il la salua en ces vers:
       «Saluez Tumader et levez-vous compagnons/  Mettez-vous debout, certes  étant debout vous m’anoblissez.». Puis, il alla demander sa main à son père (…). Mais il l’entendit lui répondre: Père, me vois-tu délaisser mes propres cousins sublimes comme des lances pour épouser le vieux chef des Juchumides, voué à la mort d’un jour au lendemain? Puis, elle entonna ces vers: «M’obligerais-tu, Ô folie, à épouser le vieux Duraïd!!/ Alors que j’avais refusé [depuis peu] le cheikh des Badrides.»” – “Al Adab wa al-Nusus 6”, Casablanca, Ed. M. Ar-Rachad, 1971, pp.291-292.

         b- Ouallada (XIe siècle), “L’amour courtois”:

          Par ailleurs, A. Lamchichi rappelle le droit  révolutionnaire d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane dans les textes canoniques de l’Islam. “En particulier, écrit-il, le Coran et le Prophète recommandent aux Musulmans le respect exigeant de la femme, de sa dignité et de son autonome [son émancipation]. C’est ainsi qu’il a été amené à lui garantir des droits (témoignage [son droit d’expression], héritage, divorce, délibérations [ses droits politiques]), et en particulier, à codifier sévèrement la polygamie, ce qui a représenté pour les moeurs de l’époque [sa vie mondaine] un immense progrès et une incroyable révolution.” – Op.cit., p.2.

         Sous l’égide de cette libéralité sociale envers la femme arabo-musulmane, des poétesses de toutes les conditions se sont illustrées, telle la princesse cordobèse Ouallada. Mohamed El Fassi et alii la campent comme suit: “Ce fut Ouallada fille du Calife Al-Mustakfi, [début du XIe siècle] (…), une lettrée et une poétesse au style concis et à la poésie combattive (…). Elle eut un salon littéraire où se rencontraient les lettrés et les gens d’esprit de Cordoue. Elle fut pleine d’audace à exprimer son amour de la liberté. Le poète Ibn Zaïdun s’y rendait. Celle-ci lui envoya un jour ces vers érotiques pour l’y convier courtoisement:

       «Tu attends la nuit pour me rendre visite/ Certes je vois que la nuit est plus apte à garder le secret// Or, j’ai pour toi ce que si la lune en avait elle s’éclipserait/ Le soleil n’oserait se lever le jour ni la lune paraître la nuit »” – Dr. Hasan Mujîb al-Misrî, “Al-Adab al arabî wa al-Turkî”, le Caire, Ed. M. Nahda al-Misriyya, 1962, pp.506-507.

       c-  Ummu al-‘Alâ al-Hijâriyya (du XIe siècle):

        En outre, la poésie érotique comme moyen d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane se manifeste aussi chez la poétesse andalouse Ummu Al-‘Alâ. “La poétesse Ummu Al-‘Alâ al-hijâriyya [la guadalajarienne] (…), du XIe siècle, dénote Abdelhadi Tazi, est une sapho [arabo-musulmane] novatrice de très forte personnalité. De sa poésie [érotique] citons:

         «Tout ce qui émane de vous est bien/ De votre élévation s’illustre le temps// L’oeil sollicite votre physionomie/ De votre évocation l’oreille se  délecte// Qui vit sans vous  son âge/  Dans l’attente de ses espoirs est déçu».” – “Al Mar’atu fî Târîkh al-Gharbi al Islâmî” (La Femme dans l’Histoire de l’Occident musulman), Casablanca, Ed. Fenec, 1992, pp.131-132.

       d- Mahrî Khâtûn (XIIe siècle) “L’amour tyranique”:

       A propos de l’érotisme dans la poésie comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, il faudra mentionner à cet égard, selon A. Benabdellah, à la fois la femme turque, maghrébine, etc.: “Chaque capitale avait son salon: à Bagdad, celui d’El Fadl [d’Ummu] au IXe siècle, à Grenade, celui de Nezhoun et de Ouallada XIe siècle.” – Op.cit., p.4. Ce fut le cas de la poétesse turque Mahrî Khâtûn. “Mahrî Khâtûn du XIIe siècle, écrit H.M. Al-Misrî, se rendait au salon littéraire d’Ahmed ba-Yazîd, gouverneur de Dalmatie, pour veiller, controverser et intervenir dans les arts littéraires [v. la poésie] comme elle tint une correspondance avec une poétesse turque du nom de Zaïneb. Mais, elle ne n’eut pas sa place prépondérante dans la littérature turque par la qualité de sa poésie, mais elle dut sa réputation  à la force de son amour [courtois]. Elle avait le coeur palpitant d’amour et l’âme pleine de désir pour l’amant [Alexandre ou Ugli]. En témoigne sa poésie érotique sur l’amour tyranique:

      «Que puis-je faire!/ Impatient est mon pauvre coeur, éloigné un instant de l’amant (…)/ Je suis celle qui fait courir son nom sur ma langue/ Tandis qu’il ne se rappelle jamais le mien (…),/ Je disais Ô médecin de l’âme guérissez-moi,/ Mon mal est devenu insupportable,/ Il me dit la mort gratuite des amants c’est mes us et coutumes (…),/ Même si nous mourrions Ô Mahrî,/ Nous ne pourrions cesser d’aimer les gens de beauté,/ Point de survie pour nous sans amant,/ Et cela malgré les racontars.».” – Op.cit., pp.44-45.

        e- Amatu (la Concubine d’) Al-Aziz Al-hasîniyya (milieu du XIIIe siècle), “Reproche galant”:

       Dans le cadre de cette poésie érotique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, rappelons la poétesse “Amatu (la Concubine d’) Al-Aziz” de Ceuta (Maroc). Le Pr. A. Benabdellah l’évoque parmi d’autres ainsi: “Hafsâ Errakounia, une des célèbres poétesses à l’époque [milieu du XIIIe siècle], fut la préceptrice du Harem d’Al Mansour [1184-1199] (…). Il y eut d’autres figures, moins brillantes telles Warqâ, la poétesse de Fez, Amat Al Aziz, poétesse de Ceuta [Maroc], Oum Al Alâ, originaire de Fez, qui dirigea une école coranique à Grenade…” – Op.cit., p.5. Or selon A. Tazi: “Al Maqirrî fit sa biographie [d’Amatu Al-Aziz] d’après Al Hâfiz abî Al Khattâb Ibn Dihiyâ (m. 1250) dans son livre «Al Mutrib fî Achâri al Maghrib» [L’Agrément dans les poésies du Maroc]. Il y dit: «La soeur de de mon aïeul, la noble hasîniyya, me chantonna [des vers érotiques] comme à elle-même»:

      «Vos clins d’oeil nous blessent aux entrailles/  Et votre oeillade vous blesse aux joues// Blessure pour blessure prenez celle-ci pour celle-là/ Qu’est-ce qui a nécessité la blessure du refus?»” – “La Femme dans l’Histoire du Maroc musulman”, Op.cit., p.132. C’est aussi le cas dans la poésie mondaine de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours.

        I.2- La poésie mondaine comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

        Par ailleurs, la poésie mondaine comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours prend forme, selon A. Lamchichi, dans l’imaginaire amoureux des textes profanes de la culture arabo-musulmane, tant avant qu’après l’avènement de l’Islam. “A côté des textes canoniques et du parcours prophétique, signale-t-il, il existe, dans la culture arabo-musulmane, un imaginaire amoureux d’une fabuleuse richesse. Un tel imaginaire s’était épanoui évidemment avant l’Islam, y compris chez les Arabes bédoins (…). Les moralistes établirent notamment une distinction nette entre l’union licite (nikâh) et l’union illicite (zinâ), interdit qui repose fondamentalement – compte tenu des moeurs de l’époque [v.la vie mondaine] – sur le respect dû à la dignité de la femme et sur son égalité avec l’homme.

        Mais à côté de cette éthique, a toujours existé une littérature libre et une poésie amoureuse [mondaine]. En particulier - comme le rappelle fort opportunément Jamel Eddine Bencheikh -, les notions de raffinement, d’amour courtois (dharf) contribuèrent à penser et à fonder de nouvelles formes de sociabilités et un art d’exister, qui touchent aux rapports   à soi et à autrui, au maniement du langage, à la définition des attitudes. C’est dans ce cadre que se développe très tôt un courant de poésie amoureuse  [mondaine], illustré notamment par l’oeuvre d’un Ibn al-Ahnaf (m. en 808) et de plusieurs poètes [et poétesses] andalous. – “Eros et sacré…”, Op.cit., p.3. D’où à titre d’exemple la poésie mondaine de:

       a- Ulaiyya fille du Calife abbasside Al-Mahdi (746-785), “L’amant Rachâ sur Zaïneb”:

       Et comme le précise si bien A. Lamchichi, la poésie érotique comme expression et émancipation de la femme arabo-musulmane, des origines à nos jours, diffère d’un pays, d’une époque, d’une classe sociale à l’autre. “D’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, d’une classe sociale à l’autre, souligne-t-il, le statut de la femme, ses droits et son mode de vie varient considérablement. En outre, loin d’être un tout compact et uniforme, les sociétés musulmanes – comme toutes les sociétés du monde – sont composées d’individus attachés à la vie, à la liberté, au plaisir et à l’amour [v.la poésie mondaine].” – Op.cit., p.1. Pour sa part, M. H. M. Al Misrî remarque à propos d’Ulaiyya, fille du Calife abbasside Al-Mahdi, son audace à défier l’interdit du harem masculin de son temps.

        “Il y eut parmi les chercheurs qui justifiaient son audace [de Ulaiyya] par le système éducatif que lui choisit son père le calife Al-Mahdi. Il fut pour l’émancipation de la femme, partant de ce qu’il vit de la domination de sa mère sur son père  Al-Mansur [754-775] à qui elle imposa par écrit devant témoins de ne pas lui adjoindre de co-épouse, ni de concubine (…). En Ulaiyya, il y eut une ferme audace à divulguer ce qu’on préfère taire. Il arriva qu’un jeune esclave de Jaffer Ibn Musa al-Hadi racontât qu’elle alla en pélerinage au temps d’[Haroun] Al-Rachid [763-809]. A son retour, elle passa quelques jours à Ternabade [site de plaisance]. La nouvelle pravint à Al-Rachid [qui le lui eut interdit] et il en fut vivement irrité. Elle en dit en ces vers:

       «Quelle faute ai-je commise quelle faute/ Quelle faute sans la crainte de Dieu// De mon séjour à Tabernade un jour/ Suivi d’une nuit sans breuvage// Puis j’en ai pris tôt un remède total/ Apte à charmer un ascète indolent et à le rajeunir// Un café où tu verrais par ignorance/ Un agrément dissipant tout souci.»” – Op.cit., pp.426-427.

      b- Ibnatu (la fille d’) Ibni al-Sukkân (XIIe siècle), “La coquette et le corbeau”:
       Tout au plus, la poésie mondaine comme moyen privilégié d’expression et d'émancipation de la femme arabo-muslmane est parfois tel un jeu de société libérale, encouru dans le salon littéraire d’une poétesse, comme c’est le cas ici  d’Ibnatu Ibni al-Sukkân (XIIe siècle). “La femme arabe, restitue  A. Benabdellah, sut profiter de l’esprit libéral du législateur musulman. Dès les premières décennies de l’ère hégirienne, elle put s’imposer, par sa large et efficace participation, à côté de l’homme, dans la vie culturelle [v. la poésie mondaine] et sociale de la communauté musulmane.” – “La promotion de la femme”, Op.cit., p.2. En citant Ibnatu Ibni al-Sukkân, A. Tazi remarque: “Ce fut une poétesse de Malaga… Ibrahim Ibn Abd al-Kâder Ibn Chanïa en évoqua en disant: «Nous étions en compagnie de la vieille poétesse , connue sous le nom d’Ibnatu Ibni al-Sukkân lorsqu’un corbeau survola le coteau près de nous. Nous lui demandâmes de le décrire. Elle en dit spontanément:

         Un corbeau passa près de nous/ Caressant la face du coteau// Je lui dis sois le bienvenu/ Ô couleur des cheveux de ma jeunesse [v.mondaine].» ” – Op.cit., 129.

        c- Fatnat Khânim (m. en 1780), “Le secret d’un regard galant ”:

        Cependant, le privilège de la poésie mondaine comme expression et émancipation de la femme arabo-musulmane se matérialise chez la poétesse turque Fatnat Khânim (m. en 1780), en tant qu’échappatoire mondaine riante, facétieuse et ironique contre une vie conjugale médicocre et malheureuse [avec Darwich Efendi]. C’est en fait une revendication implicite du sort valorisant réservé à ses semblables par la société musulmane originelle. “C’est aux Arabes – dit Gustave le Bon, (dans la Civilisation des Arabes, p.428-436), cité par A. Benabdellah, que les habitants de l’Europe empruntèrent, avec les lois de la chevalerie, le respect galant [mondain]des femmes qu’imposaient ces lois, l’Islamisme a relevé la condition de la femme, et nous pouvons ajouter que, c’est ici, la première religion qui l’ai relevée…; toutes les législations antiques ont montré la même dureté pour les femmes…; la situation légale de la femme mariée, telle qu’elle est réglé par le Coran et ses commentateurs, est bien plus avantageuse que celle de la femme européenne.” – “La promotion de la femme…”Op.cit., p.1.

       Aussi voit-on dans ce sens l’exemple parodique de la poésie mondaine de Fatnat Khânim. “Mais Fatnat Khânim (m. 1780), mentionne H.M. Al-Misrî, fut, de l’avis de Gibb [A History of Ottoman Poetry, London, 1905, p.150] la plus grande poétesse de la littérature turque ancienne. Pour trouver une semblable, il faudrait remonter le temps jusqu’à l’époque moderne où les conditions sociales permettent à la femme turque d’exprimer son talent littéraire (…). Le trait saillant de sa biographie est qu’elle ne fut guère heureuse  dans sa vie conjugale [avec Darwich Afendi]. Ce qui influa profondément sur son être psychique et engendra chez elle une forte tendance à la facétie, à l’humour et à l’ironie [comme ce fut le cas de ses facéties publiques avec le poète turc Hichmet]. On pourrait citer de sa poésie mondaine:

         «Son regard avait un souvenir secret que je retrouvai dans mon coeur,/ Comme si l’antre des lions se fit antre d’antilopes que je vis./ Ô mon coeur ce regard et ces sourcils pareils à l’Arc de Rustum et au Sabre de Chahraman./ Je faillis mourir de ton éloignement./ Puis mon âme me revint en me rappelant ton baiser./ Mais la plaie de mon coeur au printemps de ton vif amour,/ Une fois rose primevère une autre, ou fleur  pourpre./ Qu’y a-t-il d’étonnant Ô Fatnat qu’un amas de perles émane de tes cailloux, / Alors que tu as décelé un trésor secret dans ton encrier.    » - Op.cit., pp.55-56. De la sorte, se trouve parfois combiné poésie érotique et poésie mondaine comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours. Or, qu’en est alors de la poésie mystico-éducative?

       II- La poésie mystico-éducative de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

       Et pourtant, la poésie mystico-éducative de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours concrétise une forme d’existence concurrente à celle des hommes dans ce domaine. “La poésie mystique, en particulier, considère A. Lamchichi, va se nourrir de cette inspiration [érotico-mondaine] profane originelle. Elle est dédié à l’Être non présent. Vers Lui s’élève notre âme, abandonnant le corps, dans un désir brûlant de se fondre dans Son essence supérieure. On retrouve, à propos de cette ivresse, l’utilisation par les mystiques [v.les poétesses] d’odes bachiques profanes, dont le lexique et les symboles sont utilsés par un Al-Hallâj [858-922], supplicié en 922, l’ascète Ibn Al-Fârid (m. en 1240)… ” – Op.cit., p.3. Cela  nous conduit alors à voir successivement la poésie mystique et la poésie éducative des femmes arabo-musulmanes des origines à nos jours.

        II.1- La poésie mystique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

         Toutefois, pour comprendre la poésie mystique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation  de la femme arabo-musulmane  des origines à nos jours, il faut se rappeler avec S. Hunke l’essence d’une telle pratique cultuelle. “Il ne s’agit nullement là d’un ornement poétique, imaginé pour servir de parure à la galanterie de caractère artificiel, mais bien au contraire d’un sentiment profond et authentique, d’une soumission aussi véridique que la soumission devant Dieu. L’attitude de celui qui aime vis-à-vis de l’être aimé est de la même essence que celle de l’homme vis-à-vis de Dieu.” – “Le Soleil d’Allah…”, Op.cit., p.364. Ainsi est-il de:

       a- Râbi‘â Al-Adawiyya (IXe siècle), “L’amour divin”:

       Concernant la poésie mystique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation  de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, on pourrait citer le cas des poétesses ayant rivalisé avec les hommes, et même les avoir surpassés, dans ce domaine. Ce fut le cas de Râbi‘â Al-Adawiyya (IXe siècle). H. M. Al-Misrî en dit:
      
       “Pendant que nous explicitons le lien entre l’ascétisme et le soufisme, il est préférable d’évoquer une ascète pratiquante soufie, du IIe siècle de l’Hégire [IXe siècle apr.J.-C.], ce fut Râbi‘â Al-Adawiyya, car elle fut la première à transposer l’ascétisme dans le soufisme et, ses propos sur l’ascétisme fut le brandon qui guida les soufis à sa suite, comme ils se firent guider par sa voie dans l’adoration et le connaissance. Avant de cerner sa biographie, mentionnons la divergence des chroniqueurs inhérente à son identité. Il l’ont confondue avec Râbi‘â Al-Basriyya [de Bassora], Râbi‘â Al-Châmiyya [de Syrie], du IXe siècle.

       On ajouterait à ces deux Râbi‘â une troisième, connue sous le nom de Râbi‘â bint Ka‘b. Elle  est mentionné dans les livres de littérature persane comme la contemporaine de Roki, le premier grand poète persan du IVe siècle de l’Hégire [XIe siècle] (…). Mais ce fut à Râbi‘â Al-Adawiyya que revint le mérite de la fondation de l’école soufie dans l’Islam, comme elle fixa les bases sur lesquelles  s’étaient fondé ses successeurs car elle fut considérée comme la pionnière de l’amour divin (…). Dans une de ses plus célèbres poésies [mystiques], elle dit:
         «J’éprouve pour Toi deux amours un amour érotique/ Et un amour auquel Tu es apte// Pour ce qui est de l’amour érotique/ C’est la préoccupation de Ton évocation au lieu d’autrui// Quant à ce dont Tu es apte/ C’est Ta dissipation des voiles pour que je Te voie// Nulle louange en ceci ni cela ne m’appartient/ Mais louange à Toi en ceci et en cela.»” – Op.cit., pp.264-265. Or, dans ce rôle de pionnière celle-ci rejoint:

       b- Maïmûna Al-Sawdâ (la Noire, IXe siècle), “Le coeurs des initiées et des voyants:

        De la même manière, la poésie mystique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation  de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, s’incarne dans vocables chez une autre poétesse pionnière Maïmûna Al-Sawdâ (la Noire, IXe siècle).“Ces traits de l’amour divin, observe S. Hunke, ont donné à la poésie lyrique arabe sacrée [mystique] des Arabes [v. les poétesses] un visage qui souvent ressemble à s’y méprendre à celui de leur poésie lyrique amoureuse [érotique profane]. On les trouve déjà dans les témoignages les plus anciens que les arabes païens [pré-islamiques] aient consacrés à l’amour profane [platonique].” – Op.cit., Ibid.  En ce qui concerne Maïmûna Al-Sawdâ, H. M. Al-Misrî note: “Parmi les illuminés et les mystiques, il y avait des femmes ascètes comme Cha‘wâna, Rihâna et Maïmûna Al-Sawdâ. Celle-ci avait une poésie qui force l’attention et mérite d’être citée, non par sa qualité mais pour les vocables qu’elle y mentionnait et qu’avait utilisés le soufisme par  la suite (…). De plus, cela nous fit voir sans doute que la tendance  soufie apparut dans la poésie [mystique] du IIe siècle de l’Hégire [IXe siècle]. Maïmûna Al-Sawdâ en déclama:

      «Les coeurs des initiés ont des yeux/ Qui voient ce que ne voient pas les voyants// Et des langues qui prient en secret/ Ce qui échappent aux nobles écrivants// Et des ailes qui volent sans plumes/ Vers le royaume du Dieu de l’Univers// Servons-nous des coupes de pure sincérité/ Et désaltérons-nous aux coupes des initiés.»” – Op.cit., pp.263-264. Il en va de même de la poésie éducative de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours.

       II.2- La poésie éducative de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

         Mais à travers la poésie éducative comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, il est possible de rappeler avec A. Benabdellah le rôle tenu dans ce domaine entre autres par celle-ci, des origines à nos jours. “A toute époque, la femme musulmane, explique-t-il, a donné la preuve de son efficience intellectuelle (…). La mort d’Oum El Khaïr, grande spécialiste des traditions prophétiques, marqua – d’après Ibn El Imad – le déclin de cette science pour longtemps. Les conférences d’Ouneïda réunissaient cinq cents auditeurs des deux sexes (…). D’autres se sont spécialisées dans diverses branches des sciences religieuses et littéraires [v. poésie éducative]; telles: (…) Aïcha de Jérusalem (traditionaliste et pédagogue), (…) Fatima, fille de Jamal Ed-Dine Eddimachqi, qui obtint des licences d’enseignement de la plupart des docteurs du VIIe siècle hégirien, en Syrie, au Hijaz et en Perse (…); Fatima Qamirizân, qui assura, au Xe siècle, la direction  de deux grands Instituts, Bent Essaïgh, professeur de médecine à l’Institut Mansouriah d’Egypte…” – Op.cit., p.3. Mais la répercussion de ce rôle dans la poésie éducative se retrouve notamment chez:
        a- Hafsâ Al-Rakûniyya (XIIe siècle), “Le feuillet présent du calife”:

       De la poésie éducative comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, on pourrait citer  par exemple le cas de la célèbre poétesse marocaine Hafsâ Al-Rakûniyya (XIIe siècle), préceptrice des Dames du Calife almohade Al-Mansûr (1184-1199). “Sous les Almohades, signale A. Benabdellah, Ou Hani, fille du Cadi Ibn Atia, donnait des cours, rédigea des ouvrages dans les diverses branches des sciences religieuses (…). Hafsâ Al-Rakunia, une célèbre poétesse à l’époque, fut préceptrice du harem d’Al Mansur…” – Op.cit., p.5. “La biographie de la dame Hafsâ bint Al-Hâj Al-Rakunia, indique A. Tazi, fut citée dans plus d’une référence… C’était une poétesse et lettrée, connue pour sa beauté, sa noblesse et sa fortune. Elle fut la préceptrice des femmes de la maison d’Al Mansur à Marrakech. Elle fut évoquée par Al Mallahi dans son Histoire, qui en cita ces vers qu’elle improvisa devant le prince des croyants Abd Al Moumen Ibn Ali (m. en 1163):

       «Ô maître des hommes Ô celui dont/ Les gens espèrent l’assistance// Fais-moi présent d’un feuillet/ Qui sera à jamais une fierté// Où ta main droite écrira [poésie éducative]/ (Louange à Dieu seul et unique).»” – Op.cit., p.137.

       b- Aljâriyya (la concubine) Al-Hilâliyya (XIVe siècle), “L’éducation  d’un fils”:

      En parlant de la poésie éducative comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, S. Hunke écrit: “D’éminents légistes [arabo-musulmans] souhaitent que des femmes exercent les fonctions de juge. On voit alors des femmes juristes donner des conférences publiques dans les mosquées et interpréter des lois (…). Comme autrefois, et sans que personne y trouve à redire, les poétesses continuent de rivaliser avec les poètes [v. poésie éducative].” – Op.cit., p.309. “Les Marocains et les Tunisiens, constate A. Tazi, se transmettaient en particulier les chroniques de cette dame [Aljâriyya Al-Hilâliyya, XIVe siècle] au sujet de laquelle on racontait un ensemble de légende et récitaient d’elle des poèmes qui auraient rempli des volumes s’ils avaient été rassemblés. Hasan Hosnî Abd Al Wahâb en cita de mémoire ces vers où elle s’adressait à son fils:

         «Il n’y a nul bien en l’enfant s’il grandit/ En étant trop dormeur et nonchalant// S’il trouble l’est, l’ouest et les gens// Et s’il rompt entre les cols ses musettes// Ou il meurt et la mort s’en repose/ Ou il s’en va tel un faucon les serres pleines.»” – A. Tazi, Op.cit., p.135.

         De la poésie érotico-mondaine, à la poésie mystico-éducative comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, on en arrive ainsi à la poésie lyrico-politique.

       III) La poésie lyrico-politique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

        Néanmoins, la poésie lyrico-politique de la femme arabo-musulmane  se démarque par sa vivacité et sa large audience des origines à nos jours. A. Lamchichi en souligne l’impact historique en réitérant: “Ainsi qu’on l’a dit précédemment, la femme [arabo-musulmane] est omniprésente dans la vie du Prophète; il lui confie ses pensées, ses tourments, ses projets, voire les déploiements mêmes de ses prédications – ce fut le cas en particulier pour la «Mère de Musulmans»: Khadija (m. en 619). Du temps du Prophète et de ses Compagnons, les femmes jouaient un rôle – social, spirituel et politique [v.poésie lyrico-politique] – considérable; nombre d’entre elles assistaient par exemple, aux assemblées délibératives des Musulmans, y compris du vivant du Prophète;   ce fut une  période de grande tolérance entre hommes et femmes, et de mixité, y compris dans les lieux du culte.” – Op.cit., p.3. Ainsi verrons-nous à la fois la poésie lyrique et la poésie politique comme moyens privilégiés d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours.

        III.1- La poésie lyrique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

        Conjointement au courant de la poésie sacrée arabo-muslmane, S. Hunke parle du courant de la poésie lyrique arabe en précisant: “Ces traits de l’amour divin ont donné à la poésie lyrique sacrée des Arabes un visage qui souvent ressemble à s’y méprendre à celui de leur poésie lyrique amoureuse (…). Cette forme spécifiquement arabe de l’amour spiritualisée s’exprime dans l’amour humble et soumis que le poète du désert Djamil [645-704] porte à la charmante Boutheina.” – Op.cit., p.364. De la poésie lyrique des femmes illustres arabo-musulmanes,  citons notamment:

        a- Fâtima al-Zahrâ (606-633), la fille du Prophète, que la bénidiction et la paix de Dieu soient sur Lui, “Elégie à la mort du Sceau des Prophètes”:

       Pour spécifier les thèmes spécifiques de la poésie lyrique arabe,  S. Hunke indique: “Les thèmes de cette poésie lyrique sont infinis, comme l’âme humaine. Ils expriment tous les sentiments: afflictions [poésie lyrico-funèbre], désespoir fou, haine violente, et la douce mélancolie aussi bien que l’amour heureux.” – Op.cit., p.354. Le Dr. H.M. Al-Misrî rapporte au sujet d’une “Elégie sur la mort du Prophète”, prononcée par sa fille Fâtima Al-Zahrâ, que Dieu soit satisfait d’Elle, en ces termes: “Lorsque le Prophète, que la bénidiction et la paix de Dieu soient sur Lui, mourut, sa fille Fâtima le pleura en prononçant cette élégie:

        «L’horizon des cieux devient poussiéreux et se met en boule/ Le soleil du jour et s’obscurcissent les deux midis// La Terre après le Prophète devient mélancolique/ De désolation pour Lui parcourue de frissons// Que Le pleure l’Orient des pays et leur Occident/ Et que Le pleurent les Mudarides et chaque Yamanite// Ô Sceau des Prophètes à la sincérité bénie/ Que le Révélateur du Coran Te bénisse.»” – Op.cit., p.81.

       b- Al-Khansâ (575-664), “Elégie sur son frère Sakhr”:

        En fait, Al-Khansâ fut une figure emblématique de la poésie lyrique par ses élégies poignantes consacrées, durant sa vie aux meurtres de ses deux frères Moawiyya et surtout Sakhr, pour sa noblesse chevaleresque, sa bravoure et sa générosité exemplaire. Elle fit aussi l’apologie du Prophète qui l’apprécia en lui disant: “Oh, Khunnâs! En la désignant de sa main.”. Elle se convertit à l’Islam et vit avec fièrté ses quatre fils mourir en martyr musulmans à la bataille d’Al-Qâdisiyya. Elle s’écria en apprenant la nouvelle: “Louange à Allah qui m’honora de leur mort, et j’espère de mon Dieu qu’il me réunira avec eux au sein de sa miséricorde.” – “Al Adabu wa al-Nusûs 5”, pp.292-293. Elle composa au sujet de la mort de Sakhr:

       «Est-ce un fétu dans l’oeil? Ou le défaut d’un oeil  éborgné/ Ou pleures-tu le gîte désert de ses habitants?// Comme si mon oeil lorsque son souvenir me revient/ Un flot s’écoulant sur les joues abondant// Pleurant Sakhr d’une larme toute éprise/ Séparée de lui par de récents voiles de terre// Khunnâs pleure Sakhr tant qu’elle est moite/ Lui faisant écho étant désséchée// Khunnâs pleure Sakhr et mieux lui vaudrait/ Si le sort la fait douter, car il est préjudicieux.» - Op.cit., p.297. Mais, ce thème se confirme davantage dans la poésie politique.

       III.2- La poésie politique de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours:

       Certes, la poésie politique a, des origines à nos jours, servi de moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane. Ce rôle de la poésie politique chez la femme arabo-musulmane est rappelé judicieusement  par A. Benabdellah dans cette remarque: “Quant à la femme maghrébine, elle a, de son côté, joué un rôle des plus importants, dans la vie sociale, littéraire, économique, militaire et politique [v. aussi poésie politique] du Maroc, à l’instar de sa soeur orientale et andalouse (…). La princesse Hosna fut la conseillère politique de son époux Moulay Idriss, sultan du Maroc. De même, Zaïneb, épouse du premier Almoravide Yûssef Ibn Tachfîne, célèbre par sa beauté et la profondeur de ses vues politiques et administratives, ainsi que Tamima fille de Tachfine et Qamar, épouse du prince Ali Ibn Yûssef, pionnières du libéralisme féminin qui sera une des justifications de la campagne puritaniste, menée par le premier Almohade qui se leva contre le régime almoravide. A la même époque, Hawwa El Masûfiyya donnait des conférences littéraires et sa soeur récitait par coeur des recueils de poésie [v.politique].” – Op.cit., p.4. Il s’en suit les exemples illustres que voici:
         a- Hafsâ Al-Rakûniyya (XIIe siècle), “Elégie au mnistre grenadin Abu Ja’far Ibn Saïd”:

         En effet, la poésie politique comme moyen privilégié d’expression d’émancipation de la femme arabo-musulmane fut aussi au devant de la scène des intrigues amoureuses et assassinats politiques des Etats de taïfa, comme en témoigne cette élégie d’Hafsâ bint Al-Haj Al-Rakûniyya (XIIe siècle) dédiée au ministre grenadin Abu Ja’far Ibn Saïd, poète et ministre assassiné, sous le règne d’Abû Saïd ‘Uthmân, fils du Calife almohade Abd Al-Mûmen (1129-1162). Or, son drame est résumé, dans “Itinéraire culturel des Almoravides et des Almohades”, comme suit: “Elle [Hafsâ bint Al-Haj Al-Rakûniyya] est belle, cultivée et libre. Marocaine d’origine, grenadine de naissance et d’éducation, elle mena une existence princière grâce à une pension royale accordée par le Calife almohade Abdelmoumen. Elle finit ses jours au palais de Marrakech, appelée par Yaqoub Al-Mansour qui lui confia l’éducation  des Dames de la Cour. Elle fut passionnément heureuse et dramatiquement malheureuse. Son amour pour Abu Ja’far Ibn Saïd, poète et ministre grenadin, est fameux. Sa relation professionnelle avec Abû ‘Uthmân, fils du calife Abdelmoumen et prince de Grenade, fut à l’origine d’un drame qui coûta la vie à l’amant Ibn Saïd.” – Op.cit., p.42. Elle dédie à sa mémoire:

       «On m’a menacée parce que j’avais pris le deuil pour un ami/ qu’on m’avait fait perdre par le fer…/ En quelque pays qu’elle se trouve, que les nuages arrosent sa tombe/ Aussi généreusement que ses mains étaient généreuses!» - Extraits traduits par Di Giacomo, Op.cit., Ibid.

      b- Asmâ Al-‘Âmiriyya (XIIe siècle), “Pour une exemption d’impôt”:

       D’ailleurs dans le cadre de la poésie politique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane, on pourrait en souligner le caractère revendicatif et participatif à la gestion des droits civiques et de la chose publique. A ce sujet, A. Tazi évoque notamment: “Sous les Alaouites, le mouvement féministe fut inauguré par Khnatha [bent Bakkar], épouse de Moulay Ismaël [XVIIe siècle], devenue «savante», d’après l’auteur du Jaïch (p.105); conseillère très écoutée de son époux, et plus tard de son fils le prince Moulay Abellah, elle promulguait, elle-même, des dahirs et des règlements administratifs.” – “La promotion de la femme”, Op.cit., p.5. Mais en ce qui concerne la poétesse Asmâ Al-‘Âmiriyya (XIIe siècle), A. Tazi écrit: “Asmâ Al-‘Âmiriyya, cette Sévillane, fut une poétesse bienheureuse, qui adressa au calife Abd Al-Moumen qui unifia les territoires du Maghreb et de l’Andalousie (524-558/ 1129-1162), une épître relatant son ascendance améride, et lui demandant d’exempter du «inzâl» sa maison (l’impôt sur l’hospitalité) et l’hypthèque sur ses finances, en la terminant par un poème, dont les vers suivants:

       «Nous connûmes la victoire et la conquête éclatante/ Grâce à notre seigneur le Prince des Croyants// Si le propos portait sur les grandeurs/ Je verrais votre propos s’étendre pour longtemps.” – Op.cit., p.132.

       c- Nasarahâ Allâh Al-Raguîbiyya (1975), “C’est le tour du Sahara  libéré”:

        A la façon des militants politiques dans les médias au XXe siècle, la poésie politique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours, on voit Nasarahâ Allâh Al-Raguîbiyya (1975) prendre position en faveur du retour du Sahara marocain à la mère-patrie. Cela nous rappelle singulièrement le rôle politique de Lalla Aïcha, dite [Al-Saïda] Al Horra pour la défense du Nord du Maroc contre l’envahisseur portugais au XVIe siècle. 
  
      “Sous les Wattassides, rapporte A. Benabdellah, Lalla Aïcha, dite Al Horra [1495-1565], reçut dès l’enfance, une éducation très soignée et dut parler couramment le castillan; elle épousa l’allié de son père [le sultan  Moulay Ahmed al-Wattasi] contre les Portugais, Ali Al Mandri, le restaurateur de Tétouan où elle trouva le milieu andalou lettré [v. poésie politique] et raffiné auquel elle était habituée. Elle s’initia aux intrigues de la politique, gouverna la ville, en exerçant une autorité souveraine; la lutte contre l’envahisseur fut son principal souci; à cet effet, elle avait de nombreux vaisseaux, toujours occupés à pirater, sur les côtes espagnoles (…). Même activité débordante de la femme saâdienne, tant dans le domaine intellectuel [v.poétique], que dans les domaines social et politique.” – Op.cit., p.5.

       De nos jours, cela nous fait penser à la femme marocaine sahraouie, telle Nasarahâ Allâh Al-Raguîbiyya. “Cette dame poétesse sahraouie de la ville de Laâyoune, cite A. Tazi, fait de la poésie dans sa langue hassanie à propos des événements que vivait le Sahara [marocain en 1975]. Ce dont elle dit:

         «Ce n’est ni réfutation ni  plainte/ Le Sahara [marocain] c’est son retour// Si Dieu vivant et glorieux le veut/ Il est inévitable que son drapeau s’y est hissé!».” -  Op.cit., p.148.

          d- Meïma bent El Boukhari Sbaï (née en 1952), “L’incontestable marocanité du Sahara”:

       En 1994, parut un recueil de la poétesse marocaine sahraouie  Meïma bent El Boukhari Sbaï, sous le titre: “Le roi dont nous connaissons l’ascendance et l’alliance”, traduit en français de la langue hassani par Lahcen ben Omar et préfacé par Mohamed Fadel Sidi Haïba, animateur de l’émission “De la culture populaire”, à la Radio Marocaine de Laâyoune. C’est aussi le cas d’un exemple de la poésie politique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane. Or, Meïma bent El Boukhari Sbaï est née en 1952, au Sahara marocain. Elle appartient à la tribu des Ouled ben Sbaâ, s’intéresse aux traditions hassanies et surtout à la poésie. Elle vit actuellement à Laâyoune, au Sud du Maroc. De sa ferveur poétique patriotique, voyons:

    «Quels grâces et bienfaits!/ Ô, peuple du Sahara!/ Quelle grâce que Hassan vous ait étreints,/ Et ralliés à vos frères marocains!// Protégés et bien aimés,/ Hassan vous a grâciés,/ Par l’allégeance,/ En sujet fidèles sous ses auspices.// Rentrez donc! Vous qui demeurez encore/ Là-bas,/ Endurant sauvageries et tortures,/ Loin de la patrie qui vous chérit,/ Où la vie vous attend,/ A côté du Roi/ Altiers et sublimes!!» - Op.cit., p.19.

        En conclusion, que ce soit la poésie érotico-mondaine, mystico-éducative ou lyrico-politique, il s’avère que, des origines à nos jours, la poésie fut un moyen privilégié d’expression et d’émancipation de la femme arabo-musulmane. “Mais, objecte A. Benabdellah, la doctrine de Mohammed ne tarda pas à sombrer dans une grave stagnation, sous l’effet des interprétations fallacieuses de quelques esprits dogmatiques, ridiculement formalistes (…). Des esprits éclairés n’avaient pas hésité, alors, à réagir rigoureusement dès le XVIe siècle (…). Des appels à la réforme (…) prêchaient le retour au libéralisme social [vis-à-vis de la femme arabo-musulmane], instauré par l’Islam, dont les vrais principes commençaient, alors, à s’estomper.”- Op.cit., p.2. La preuve en est le florilège poétique comme moyen privilégié d’expression et d’émancipation  de la femme arabo-musulmane des origines à nos jours exploré plus haut.

                                                                   Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED

    
      


      


      
         

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