sábado, 13 de julio de 2013

Pte Anthologies des poètes français ayant vécu au XXe Siècle



Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED








PETITE ANTHOLOGIE
DES POÈTES FRANÇAIS AYANT
  VÉCU AU XXe SIÈCLE 


       





Tétouan
2013




PRÉFACE
    Siècle des grandes espérances de la modernité, siècles des grandes mutations, siècles des grandes crises de croissances et des innovations et des fulgurantes découvertes technologiques de l’humanité, le XXe siècle fut aussi le siècle des grands maux planétaires telles que  les indépassables iniquités et inégalités entre les hommes et nations dont les inconséquences n’avaient cessé de marquer  et de compromettre le destin du globe  au-delà même de sa prophétie finissante.
   Pour en tirer leçon, nous nous proposons ici de nous mettre à l’écoute de la voix des mages de la muse française dans une petite anthologie des poètes français ayant vécu au début, au milieu et la fin de ce siècle de guerres et de paix, d’idéologies et de religions avivées, de nucléaire et satellites espions, de crises monétaires et de catastrophes climatiques larvaires, de courses folles aux armements et de vétos de superpuissances contradictoires, de recours à la force par intérêt et d’avivements de discriminations et d’intolérance en dépit la décolonisation et du droit international mis en exergue à la SDN et de l’ONU pour la préservation de la paix et de la justice dans le monde.
    Nous l’intitulons «Petite anthologie des poète français ayant au XXe siècle», incluant les poètes et poétesses ayant vécu, à cheval entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle, dits du de début du siècle, ceux du milieu du XXe siècle, et ceux de la fin de ce même siècle, ayant bercé de leurs chants et de leurs rêves idylliques les hommes dans leurs pays et dans le reste du monde. Leurs textes en furent témoins, par-delà les aspects esthétiques et les points de vue sectaires, doctrinaires, pour rendre à l’homme une authentique image de son espèce et du destin commun qui l’attend de par ses faits et gestes historiquement tributaires.
    Concernant l’anthologie comme genre Michel Muret dit  : «L’anthologie est un genre constitutif de la tradition poétique. Sous des appellations diverses (anthologie Parnasse, florilège, album, recueil) elle a joué un rôle décisif dans la diffusion et la transmission écrites des corpus (…) ; son nom l’associe à une définition de la rhétorique de la poésie, et sa structure entretien un rapport étroit et même nécessaire avec le poème court.»[1]   
    Le  choix chronologique d’un seul texte par auteur,  qui a présidé à ce florilège, participe tant de la tradition que de l’usage courant de l’audience de ces poètes que leurs renommées par-delà l’hexagone métropolitain de la francophonie, que du monde francophone lui-même, dans leurs manuels à multiples facettes. Espérons que bons et utiles usages en seront faits et que sapience et plaisirs y seront trouvés par les lecteurs et lectrices de tous horizons, aspirant au bonheur rêvé de notre humanité aujourd’hui si éprouvée.
                                                                             L’auteur
          
                                               


















(1)
POÈTES FRANÇAIS AYANT VÉCU
AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE :

Guillaume Apollinaire
Paul-Jean Toulet
Anna de Noailles
Henri de Régnier
Francis Jammes









José-Marie de Heredia
(1842-1905)

    Disciple et ami de Leconte de Lisle, José-Marie de Heredia publia des sonnets, dans un recueil, au bout de trente ans,  «Les trophées». Ses vers sont parfois piquants ou ironiques.

La victoire d’Annibal à Cannes

   Un des consuls tué, l’autre fuit vers Linterne
Ou Venuse. L’Aufide a débordé, trop plein
De morts et d’armes. La foudre au Capitolin
Tombe, le bronze sue et le ciel rouge est terne.

En vain le Grand Pontife a fait un lectisterne
Et consulté deux fois l’oracle sibyllin ;
D’un long sanglot l’aïeul, la veuve, l’orphelin
Emplissent Rome en deuil que la terreur consterne.

Et chaque soir la foule allait aux aqueducs,
Plèbe, esclaves, enfants, femmes, vieillards caducs
Et tout ce que vomit Subure et l’ergastule ;

Tous anxieux de voir surgir, au dos vermeil
Des monts Sabins où luit l’œil sanglant du soleil.
Le chef borgne monté sur l’éléphant gétule.

                         «Les Trophées» (Edit. A. Lemerre)
Jean Moréas
(1856-1910)

    Dans le «Manifeste» qui déclenche le mouvement symboliste (Le Figaro, 17 septembre 1886), Jean Moréas précise : la poésie ne sera ni discours, ni description, mais cherchera à vêtir l’idée d’une forme sensible qui ne serait pas son but à elle-même, car le caractère essentiel de l’art symbolique, précurseur d’un art futur, consiste à ne jamais aller jusqu’à la conception de l’idée en soi’.

La rose que j’aimais

Les roses que j’aimais s’effeuillent chaque jour ;
Toutes saisons n’est pas aux blondes pousses neuves ;
Le zéphyr a soufflé trop longtemps ; c’est le tour
Du cruel aquilon qui condense les fleuves.

Vous faut-il, Allégresse, enfler ainsi la voix,
Et ne savez-vous point que c’est grande folie,
Quand vous venez sans cause agacer sous mes doigts
Une corde vouée à la Mélancolie ?
                           

Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;
Ou c’est d’un esprit sot ou c’est d’une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C’est d’un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s’agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c’est beaucoup et c’est l’ombre d’un rêve.

                                «Stances» (Edit. Mercure de France)





















Guillaume Apollinaire
(1880-1918)

   C’est le poète de la tristesse, du pathétique, du charme et de l’ironie, de la sentimentalité et de la bizarrerie du  symbole allusif par excellence.

Le Chef du Signe

     Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne
     Partant j’aime les fruits je déteste les fleurs
     Je regrette chacun des baisers que je donne
     Tel un noyer gaulé dut au vent ses douleurs
   
     Mon Automne éternel ô ma saison mentale
     Les mains des amantes d’antan jonchent le sol
     Une épouse me suit c’est mon ombre fatale
     Les colombes ce soir prennent leur dernier vol

                                       «Alcools» (Ed. Gallimard)                                






Paul-Jean Toulet
(1867-1920)

     Maître reconnu des poètes dits «fantaisistes», il renouvela la tradition du «poème de circonstance», d’une brièveté souvent elliptique participant de publications communes, dont les limites assez distinctes des simples chansonniers, mais au demeurant insaisissables. Il fait preuve de liberté spirituelle, de sentimentalité et d’ironie, en vue de donner au monde des aspects imprévus.

Fô a dit…

« Ce tapis que nous tissons comme
        Un ver dans son linceul
Dont on ne voit que l’envers seul
         C’est le destin de l’homme

Mais peut-être qu’à d’autres yeux
         L’autre côté déploie
Le rêve et les fleurs et la joie
         D’un destin merveilleux. »

Fô, que l’or noir des tisanes
         Enivre, ou bien ses vers,
Chante et s’en va tout de travers
         Entre deux courtisanes.

                          * **
Dans la rue-Des-Deux-Décadis
          Brillait en devanture
Un citron plus beau que nature
          Ou même au paradis

Et tel qu’en mûrissait la terre
          Où mes premiers printemps
Ombrageaient leurs jours inconstants
           Sous ton arbre, ô Cythère.

Dans la rue-Des-Deux-Décadis
           Passa dans sa voiture
Une dame aux yeux d’aventure
          Le long des murs verdis.

                                  «Les Contrerimes» (Edit. Gallimard)
                          








Anna de Noailles
(1876-1933)

    D’obédience symboliste, Anna de Noailles recherche l’effet médité à celui de l’élan lyrique pur. Elle incline comme ses contemporaines féminines à l’effusion directe et au commentaire personnel de l’existence. Elle se veut sans école, chante de façon naturelle ses impressions, ses inquiétudes, et ses espérances face au monde contemporain.

 Les vivants se sont tus

Les vivants se sont tus, mais les morts m’ont parlé ;
Leur silence infini m’enseigne le durable.
Loin du cœur des humains, vaniteux et troublé,
J’ai bâti ma maison pensive sur le sable.

- Votre sommeil, ô morts déçus et sérieux,
Me jette, les yeux clos, un long regard farouche ;
Le vent de la parole emplit encore ma bouche,
L’univers fugitif s’insère dans mes yeux.
 
Morts austères, légers, vous ne sauriez prétendre
A toujours occuper, par vos muets soupirs,
La race des vivants, qui cherchent à se défendre
Contre le temps, qu’on voit déjà se rétrécir ;

Mais mon cœur, chaque soir, vient contempler vos cendres,
Je ressemble au passé et vous à l’avenir.
On ne possède bien que ce qu’on peut attendre :
Je suis morte déjà, puisque je dois mourir…

                     «Les Vivants et les Morts» (Edit. Calmann-Lévy)



















Henri Régnier
(1864-1936)

    Henri Régnier  est un grand poète à l’art imprégné de symbolisme, mais qui a su rester néanmoins très personnel. Ses vers sont parfois remplis d’une tristesse grave et résignée, ou délicats, maniérés et pleins d’une certaine forme de volupté.

Un petit roseau m’a suffi

            Un petit roseau m’a suffi
            Pour faire frémir l’herbe haute
            Et tout le pré
            Et les doux saules
            Et le ruisseau qui chante aussi ;
            Un petit roseau ma’ suffi
            Faire chanter la forêt.

            Ceux qui passent l’ont entendu
            Au fond du soir, en leurs pensées,
            Dans le silence et dans le vent,
            Clair ou perdu
            Proche ou lointain…
            Ceux qui passent en leurs pensées
            En écoutant, au fond d’eux-mêmes,
            L’entendront encore et l’entendent
            Toujours qui chante.
              Il m’a suffi
              De ce petit roseau cueilli
              A la fontaine où vint l’amour
              Mirer, un jour,
              Sa face grave
              Et qui pleurait,
              Pour faire pleurer ceux qui passent
              Et trembler l’herbe et frémir l’eau ;
              Et j’ai, du souffle d’un roseau,
              Fait chanter toute la forêt.

                          «Les jeux rustiques et divins »
                            (Edit. Mercure de France)


              











Francis Jammes
(1868-1938)

      Henri Jammes est un poète d’une âme ardente et rêveuse et calme. Il avait volontairement assumé sa vocation poétique loin de Paris, le fond provincial d’une œuvre très personnelle. Ce fut l’affirmation du Naturisme. La simplicité d’un art poétique en constitue à elle seule l’effet. Son anticonformisme a marqué l’avant-garde de 1914, pour laquelle il finit, à partir de 1921, par prendre la figure d’un patriarche. Sa poésie a traité tous les thèmes du lyrisme intime, allant  jusqu’à l’animisme.

Il y a une armoire

       Il y a une armoire à peine luisante
       Qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
       Qui entendu la voix de mon grand-père,
       Qui a entendu la voix de mon père.
       A ces souvenirs l’armoire est fidèle.
       On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
       car je cause avec elle.

       Il y a aussi un coucou en bois.
       Je ne sis pourquoi il n’a plus de voix.
       Je ne veux pas le lui demander.
       Peut-être bien qu’elle est cassée,
       La voix qui était dans son ressort,
        Tout bonnement comme celle des morts.
           
        Il y a aussi un vieux buffet
        Qui sent la cire, la confiture,
        La viande, le pain et les poires mûres.
        C’est un serviteur fidèle sui sait
        Qu’il ne doit rien nous voler.

        Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
        Qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
        Et je souris que l’on me pense seul vivant
        Quand un visiteur me dit en entrant :
        Comment allez-vous, Monsieur Jammes ?

 «De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir»
(Edit. Mercure de France)

  














                                                                             
(2)
POÈTES FRANÇAIS AYANT VÉCU
AU MILIEU DU XXe SIÈCLE :

Max Jacob
Paul Valéry
Robert Desnos
Joë Bousquet
René-Guy Cadou
Charles Maurras
Paul Eluard
Paul Claudel
Paul Fort
Jules Supervielle
Pierre Reverdy
Blaise Cendrars
Jean Cocteau
Jacques Audiberti
André Breton
Marie Noël


Max Jacob
(1876-1944)

     La poésie chez Max Jacob est une saisie, au hasard de la rencontre, des mots et des images. Il était obsédé par l’idée de la mort, idée à laquelle il fait face par la fantaisie, l’humour et l’ardeur du mysticisme. Il était à la quête des instants poétiques qui passent, imprégnés parfois de cynisme bon enfant et d’insolite.  

                                                       
Poète et ténor

                Pète et ténor
                L’oriflamme au nord
                Je chante la mort.

                Poète tambour
                Natif de Calliour
                Je chante l’amour.

                Poète et marin
                Versez-moi du vin
                Versez ! Versez ! Je divulgue
                Le secret  des algues.

                 Poète et chrétien
                 Le Christ est mon bien
                 Je ne dis plus rien.

                     «Le laboratoire central, 1921»
                    (Edit. Au Sans-pareil)
               

















Paul Valéry
(1871-1945)

     En France, sa notoriété faite, œuvres de circonstances à l’appui,  Paul Valéry devient, comme il se dit, « une espèce de poète d’Etat», ou même uns sorte de héros intellectuel. Il fut un compagnon de Mallarmé à l’écoute de ses profondeurs, mais qui maîtrise ses intuitions jusqu’à leur donner la forme du vers le plus classique. Sa poésie est hermétique et musicale. Ses vers, obscurs en apparence, cessent de l’être à les décrypter, par la méthode inverse servant à décrypter les moyens du langage articulé, c'est-à-dire les éternels lieux communs : cris, larmes, caresses, baisers, soupirs, exercice de l’intellect humain.

                                           Blonde abeille

Quelle, et si fine, et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille,
Je n’ai, sur ma tendre corbeille,
Jeté qu’un songe de dentelle.

Pique du sein la gourde belle
Sur qui l’amour meurt ou sommeille,
Qu’un peut de moi-même vermeille
Vienne à la chair ronde et rebelle !

J’ai grand besoin d’un prompt tourment :
Un mal vif et bien terminé
Vaut mieux qu’un supplice dormant !

Sois donc mon sens illuminé
Par cette infime alerte d’or
Sans qui l’amour meurt ou s’endort !

                                                 (Edit. N.R.F., Gallimard)



















Robert Desnos
(1900-1945)

     Après avoir pris part au mouvement dadaïste, il s’associe au surréalisme, en véritable génie de l’automatisme verbal. Et de l’improvisation poétique appuyée sur le rêve. Mais, dès 1926, il affirme son originalité à l’égard du système surréaliste. Spécialiste du compte rendu du rêve, il se fait le collectionneur de ses propres rêves. Mais il suit à la trace la «surréalité», par une conjonction de l’insolite et du spontané, du naturel et du surnaturel. Ses textes imbriquent l’humour, les images du rêve et de la réalité.  

A la poste

        A la poste d’hier tu télégraphieras
        Que nous sommes bien morts avec les hirondelles.
        Facteur triste facteur cercueil sous ton bras
        Va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’aile.

        La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras
        Quelques tibias marquent le pôle et les marelles
        Pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
        Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles !

        C’est ce soir que je meurs ma chère Tombe-Issoire.
        Ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
        De la machinerie étrange du bonjour :
        Adieu ! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
         Ma Folie-Méricourt ma silencieuse intruse.
         Boussole à flèche torse annonce le retour.

                   «C’est les bottes de sept lieues cette phrase :  
                            «Je me vois», 1926 (Edit. Gallimard)
    


















Joë Bousquet
(1897-1950)

     Joë Bousquet fut l’un des grands poètes de la vie et du silence intérieurs. Sa poésie constitue une gamme des états spirituels d’un être, vu sa paralysie physique chronique due à se blessure à la guerre, à la fois présent au monde et absent de lui. Il est à la fois moderne et anachronique par son accent tragique, son goût du mystère et l’harmonie musicale de ses vers.

Il fait jour

           Il fait jour ton regard exilé de ta face
           Ne trouvent pas tes yeux en s’entourant de toi
           Mais un double miroir clos sur un autre espace
           Dont l’astre le plus haut s’est éteint dans ta voix.

           Sur un corps qui s’argente au croissant des marées
           Le jour mûrit l’oubli d’un pôle immaculé
           Et mouille à tes longs cils une étoile expirée
           De l’arc-en-ciel qui draine aux racines des blés.

           Les jours que leur odeur endort sous tes flancs roses
           Se cueillent dans tes yeux qui s’ouvrent sans te voir.

           L’ombre cache un passeur d’absences embaumées
           Elle perd sur tes mains le jour qui fut tes yeux
            Et comme au creux d’un lis sa blancheur consumée
            Abîme au fil des soirs un ciel trop grand pour eux.

                                               «L’esprit de la parole»
                                                    (Edit. Gallimard)


      


















René-Guy Cadou
(1920-1951)

     René-Guy Cadou s’inscrit dans la lignée de la résurrection poétique française, celle des tentatives nouvelles de l’humanisme et de la poésie d’espoir, manifestée notamment, depuis 1945,  par l’ «Ecole de Rochefort».
                                              
Dans la demeure d’une poète

Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt.

Il suffit qu’une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d’abeilles
Et l’odeur du pain frais des cerisiers fleuris.

Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu’une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs taciturnes
La légèreté d’un arbre dans le matin.  

                    «Les biens de ce monde»
                                                   (Edit. Seghers)
Charles Maurras
(1868-1952)

      Le poète Charles Maurras a été rejeté dans l’ombre par son activité politique. Une partie essentielle de son œuvre littéraire, sa poésie, a été résolument tenue à l’écart du public soit par modestie, soit par pudeur d’une intime part de sa vie, soit par sa très haute considération de la poésie elle-même. Ses poèmes reflètent cette ombrageuse pudeur de sa personne et le culte qu’il voue à la tradition dont il s’est nourri dans ses vers, caractérisés par une ample et grave allure donnant une profonde et sincère résonance à une voix qui est la sienne propre.

Par les grand’routes

                       Par les grand’routes en lacets
                       Qui serpentent sous nos étoiles,
                       Le vent de mer qui frémissait
                       Tendit mon cœur comme une étoile.

                       Et, coup d’aile supérieur
                       Dans la solitude farouche
                       Du sombre flot cueillant la fleur
                       Ou la pressant jusqu’à ma bouche,

                       Comme il mettait en mouvement
                       Depuis la cendre des ancêtres
                         Jusqu’au brasier du firmament
                         Toutes les sources de mon être,

                         La vie entière m’apparut,
                         Sa dureté, son amertume
                         Et, quelque lieu qu’on ait couru,
                         Cette douceur qui la parfume :

                         Enfant trop vif, adolescent
                         Que les disgrâces endurcirent,
                         A mon automne enfin je sens
                         Cette douceur qui me déchire.

                         Presque à la veille d’être au port
                         Où s’apaise le cœur des hommes
                         Je ne crois plus les pauvres morts
                         Mieux partagés que nous ne sommes :

                         Mais je ne mène à ce tombeau
                         Regret, désir, ni même envie
                         Et j’y renverse le flambeau
                         D’une espérance inassouvie.

                                   «Inscriptions»
                                                   (Edit. Librairie de France)


Paul Eluard
(1895-1952)

     Paul Eluard est le poète de la perception et de la vie immédiate, ou qui tend à l’embrasser privilégiant l’inspiration et la ferveur humaine. En plein surréalisme, il ne cesse d’être fidèle à la tradition faisant de l’amour et du lyrisme son thème poétique par excellence. Images, mots, rythmes y concourent pour célébrer l’évidence d’un paradis d’amour idyllique.

     Je fête l’essentiel

        Je fête l’essentiel  je fête ta présence
        Rien n’est passé la vie a des feuilles nouvelles
        Les plus jeunes ruisseaux sortent dans l’herbe fraîche

        Et comme nous aimons la chaleur il fait chaud
        Les fruits abusent du soleil les couleurs brûlent
        Puis l’automne courtise ardemment l’hiver vierge

        L’homme ne mûrit pas il vieillit ses enfants
        Ont le temps de vieillir avant qu’il ne soit mort
        Et les enfants de ses enfants il les fait rire

        Toi première et dernière tu n’as pas vieilli
        Et pour illuminer mon amour et ma vie
        Tu conserves ton cœur de belle femme nue.
      «Le lit, la table – A celle qui répète ce que je dis, VII»
                             (Edit. Les Trois Collines, Genève)























Paul Claudel
(1868-1955)

       L’œuvre poétique de Paul Cladel se caractérise par sa diversité et son unité de structure, de rythme et de ton. Il y manifeste l’enthousiasme de sa communion avec le monde et Dieu par son lyrisme, l’expression de son expérience humaine.  Chez lui la poésie est d’abord réception de l’Esprit, un acte d’interrogation. C’est que l’interprétation poétique de l’homme et du monde passe, selon lui, par l’intime communion entre le visible et l’invisible qui leur confère réalité et signification.  

Contre les idoles

     Soyez béni, mon Dieu, qui m’avez délivré des idoles.
          Et qui faites que je n’adore que Vous seul, et non   point Osiris,
         Ou la Justice, ou le Progrès, ou la Vérité, ou la Divinité, ou l’Humanité, ou les Lois de la nature, ou l’Art, ou la Beauté,
          Et n’avez permis d’exister à toutes ces choses qui ,e sont pas, ou le Vide laissé par votre absence.
          Comme le sauvage qui se bâtit une pirogue et de cette planche en trop fabrique Apollon,
          Ainsi tous ces parleurs de paroles de surplus de leurs adjectifs se sont fait des monstres sans substance,
          Plus creux que Moloch, mangeurs de petits enfants, plus cruels et plus hideux que Moloch.
          Ils ont un son et un point de voix, un et il n’y a point de personne,
          Et l’esprit immonde est là, qui remplit les lieux déserts et toutes les choses vacantes.
          Seigneur vous m’avez délivré des livres et des Idées, des Idoles et leurs prêtres,
         Et vous n’avez point permis qu’Israël serve sous le joug des Efféminés.
         Je sais que vous n’êtes point le dieu des morts, mais des vivants.
         Je n’honorerai point les fantômes et les poupées, ni Diane, ni le Devoir, ni la Liberté et le bœuf Apis.
        Et vos «génies», et vos «héros» vos grands hommes et vos surhommes, la même horreur de tous ces défigurés.
        Car je ne suis pas libre entre les morts,
        Et j’existe parmi les choses qui sont et je les contrains à m’avoir indispensable,
         Et je ne désire supérieur à rien, mais un homme juste,
         Juste comme vous êtes parfait, juste et vivant parmi les autres esprits réels.
         Que m’importent vos fables ! Laissez-moi seulement aller à la fenêtre et ouvrir la nuit et éclater à mes yeux en un chiffre simultané
         L’innombrable comme autant de zéros après le 1 coefficient de ma nécessité !

                     «Cinq Grandes Odes, III» (Edit. Gallimard)
Paul Fort
(1872-1960)

    Dès, sa prime jeunesse, Paul Fort fut un fervent adepte du symbolisme militant. Son service à la poésie fut constant, ce qui lui valut le titre de «Prince des poètes», en 1912.  Son œuvre poétique, faite de la longue suite des «Ballades françaises», inaugurées en 1896, lui valut autant de succès que d’influence. Elle contribua alors à modifier même la notion de poème. Ses ballades furent une inépuisable revue des provinces, des villes, de Paris et des belles images historiques, tel un bel exemple de lyrisme, de mouvement et de rythme, augurant d’une caractéristique  du vers-librisme.  

Louis XI

     Louis XI, gagne-petit, le t’aime, curieux homme. Cher marchand de marrons, que tu sus bien tirer les marrons de Bourgogne ! Tu faisais le gentil, tu bordais ton chaperon de médailles de cuivre et d’images de plomb – on te croyait bien occupé à des patenôtres, soudain tu te baissais, étendant tes longs bras, et tout doucettement, sans froisser tes mitaines, tu chipais un marron, puis un, puis un, puis un, sous les mitaines du cousin.
     Mais si, par aventure, ses gros poings s’abattirent sur ton dos, ton dos maigre,  tu pouffais de rire et lui rendais son bien que tu lui avais pris. N’y avait plus  que les coques, les marrons étaient vides. Ta gentille industrie te valut de grands biens !
  
       Ainsi, moi, bon trouvère, quoique penseur nabot, je grappille  ciel et terre, provinces de mon cerveau, sous les mains du Seigneur, toute lumière. Je dérobe à ses doigts les roses de l’aurore, les bagues de l’orage et les lys des nuits claires ; et j’ai de petites images fort idéales sous mon chapeau.

     Chiper menu mais sûr, doux Louis XI, ô rare homme ! Que Dieu bon politique, ô rare entre les Louis, t’ait en sa bénie garde et que – comme, jadis, ton lévrier chéri sous tes grègues, tu jugeais de douceur, ayant bonne chaleur, - tu sois, sur ses poulaines d’or au paradis, saint petit roi couchant, son plus chaud conseilleur.

   Et, pour t’avoir levé contre mes professeurs, avoir suivi ta loi si toute de candeur, quand ce sera mon jour, que ce sera mon tour, tire la robe à Dieu : qu’il me place d’amour (1898).

                                                 «Ballades françaises»
                             (Edit. Flammarion)
Jules Supervielle
(1884-1960)

      Jules Supervielle était le poète qui se cherchait un repère fixe pour son besoin irrépressible de mettre au clair son expérience et son angoisse de l’absence, par une communication secrète. Il sera toute sa vie à la recherche de la vraie réalité, à travers les mots, les rythmes, les images, les souvenirs, par-delà leur caractère instantané et éphémère. Il reste ainsi fidèle à une poésie simple et spontanée, malgré les influences du symbolisme, avec un sens aigu des mystères du Temps et de la Mort, des visions et des rêves, des fantômes, ou des sensations qui peuplent le vide apparent d’une absence universelle, d’une réalité nommée Dieu.
                                           
   Dans un champ de ciel

                                        J’avais un cheval
                                        Dans un champ de ciel
                                          Et je m’enfonçais
                                        Dans le jour ardent.
                                        Rien ne m’arrêtait
                                        J’allais sans savoir.
                                        C’était un navire
                                        Plutôt qu’un cheval,
                                        Comme on n’en voit pas,
                                        Tête de coursier,
                                        Robe de délire
                                        Un vent qui hennit
                                        En se répandant.
                                        Je montais toujours
                                        Et faisais des signes :
                                        «Suivez mon chemin,
                                         Vous pouvez venir,
                                         Mes meilleurs amis,
                                         La route est sereine,
                                         Le ciel est ouvert.
                                         Mais qui parle ainsi?
                                         Je me perds de vue
                                         Dans cette altitude,
                                         Me distinguez-vous?
                                         Je suis celui qui
                                         Parlais tout à l’heure,
                                         Suis-je encore celui
                                         Qui parle à présent,
                                         Vous-mêmes, amis,
                                         Êtes-vous les mêmes?
                                         L’un efface l’autre
                                         Et change en montant.»

                                                  «Ciel et Terre, 1942»
                             (Edit. Gallimard)


Pierre Reverdy
(1889-1960)

    Pierre Reverdy a le goût de la solitude, non pas par vocation religieuse, bien qu’il ait dit avoir choisi Dieu librement. Il a fréquenté les milieux littéraires et artistiques d’avant-garde, il est considéré comme le plus secret et le plus solitaire des poètes de sa génération. Mais cela ne l’a pas conduit au néant et au désespoir. Il utilise les éléments de la nature et les pulsions de sa sensibilité pour créer un sentiment de la réalité et, ainsi la poésie était pour lui  une planche de salut. La poésie est aussi pour lui le fruit d’un débat intérieur d’une soif d’absolu et du sentiment face à un univers plein de menaces.

Sur la pointe des pieds

        Il n’y a plus rien qui reste
                 Entre mes dix doigts
        Une ombre qui s’efface
                 Au centre
                 Un bruit de pas
        Il faut étouffer la voix qui monte trop
        Celle qui gémissait et qui ne mourait pas
        Celle qui allait plus vite
        C’est vous arrêtiez ce magnifique élan
                  L’espoir et mon orgueil
                        Qui passait dans le vent
        Les feuilles sont tombées
                    Pendant que les oiseaux comptaient
                                   Les gouttes d’eau
      Les lampes s’éteignaient derrière les rideaux
      Il ne faut pas aller trop vite
      Crainte de tout casser en faisant trop de bruit

                                     «Sources du vent, 1947»
                                       (Edit. des Trois Collines) 

       













Blaise Cendrars
(1887-1961)

     La poésie de Blaise Cendrars s’inspire parfois de sa vie d’aventure réelle et spirituelle. Sa mysticité est aussi la raison d’être de sa poésie. En marge du surréalisme, humour, mystification, quête de la révélation du secret, de la tendresse, lyrisme du cœur ou des sens, la diversité des registres, l’abandon à soi, constituent  la profondeur et la richesse de ses poèmes.
   
Îles

       Îles
       Îles
       Îles où l’on ne prendra jamais terre
       Îles où l’on ne descendra jamais
       Îles couverte de végétations
       Îles tapies comme des jaguars
       Îles muettes
       Îles immobiles
       Îles inoubliables et sans nom
       Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
       Bien aller jusqu’à vous

                            «Feuilles de route» (Edit. Gallimard)

                     
Jean Cocteau
(1869-1963)

     Jean Cocteau est l’écrivain qui  s’est voué à l’exercice poétique, à la vie intérieure et à l’exercice du pouvoir magique de la parole. Il est aussi le poète du paradoxe, à la fois masque et révélation. Le poème reste pour lui lr royaume de prédilection du sortilège. Non loin des surréalistes, il se veut être une sorte de médium du mystère, de la métamorphose du monde, de la communication magique avec les morts, de la découverte de l’invisible.

Derrière l’arbre à songe

            Rendez-vous derrière l’arbre à songe ;
            Encore faut-il savoir auquel aller,
            Souvent on embrouille les anges
            Victime du mancenillier…
           
            Nous qui savons ce que ce geste attire :
            Quitter le bal et les buveurs de vin,
            A bonne distance des tirs,
            Nous ne dormirons pas en vain.

            Dormons sous un prétexte quelconque,
            Par exemple : voler en rêve ;
            Et mettons-nous en forme de quinconce,
            Pour surprendre le rendez-vous.

            C’est le sommeil qui fait ta poésie,
            Jeune fille avec un seul grand bras paresseux ;
            Déjà le rêve t’a saisie
            Et plus rien d’autre ne t’intéresse.
 
                                                 «Opéra» (Edit. Stock)
               















Jacques Audiberti
(1899-1965)

    Poète ayant apporté le plus de souffle et de sonorité à la poésie, Jacques Audiberti est aussi l’homme lucide à la fois musicien, théologien, et politicien. Il se voue à assumer la conscience du monde dont il fit passer dans ses vers les masses, les puissances et les rythmes. Il les charge de lyrisme éloquent, d’airs de complaintes, d’angoisse et d’humour cocasse.
                                         Ce petit qu’on fusille

                      Ce petit qu’il faut qu’on fusille
                      On le mena devant la croix
                      Cigarettes, blancheurs de fille,
                      Il tira, de sa poche, trois.

                      Une, il la mit à son esgourde,
                      l’autre à sa lèvre, et puis, en l’air,
                      il jette son chapeau qui tourne
                      comme le soleil du désert.

                      La troisième, soit une sainte,
                      Sur le calvaire il la perdit.
                      C’est elle qui poussa la plainte
                      Puisque les hommes n’ont rien dit.
            «Des tonnes de semences» (Edit. N.R.F., Gallimard)

André Breton
(1896-1966)

     André Breton, après ses expériences de la guerre, fait partie du cercle de Guillaume Apollinaire. Il devient le chef et le théoricien du groupe surréaliste et affirme l’irréductible indépendance de la poésie à l’égard de tout contrôle extérieur, y compris marxiste. Il vise à une transformation radicale de l’homme et du monde et y voit aussi le principe de la vraie poésie, qui est la libération inconditionnelle des produits de la vie psychique, grâce au caractère spontané de l’automatisme verbo-visuel, dont l’écriture automatique de la poésie comme moyen d’accès à la surréalité.   

Tournesol

La voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l’été
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux
Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respiré la marraine de Dieu
Les torpeurs se déployaient comme la buée
Au chien qui fume
Où venait d’entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d’eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l’ambassadrice du Salpêtre
Où de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre s’agenouilla sur le Pont-au-Change
Rue Git-le-Cœur les timbres n’étaient plus les mêmes
Les promesses de nuit étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une femme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu’on sait qu’on sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette femme ont l’air de nager
Et dans l’amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet d’aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux des cendres
Un soir près de la statue d’Etienne Marcel
M’a jeté un coup d’œil d’intelligence
André Breton a-t-il dit passe

                                       «Clair de terre» (Edit. Gallimard)  
Marie Noël
(1883-1967)

      Marie Noël incarne à la fois la poésie populaire et religieuse avec ce qu’elle a de nos jours de plus familier et de plus touchant. Ses poèmes ressemblent plus à des chansons qu’à des poèmes. Elle leur confère le  caractère des chants les plus humbles et y livre tout son cœur et s’en réjouit et en réjouit autrui avec un grand enchantement.

Le vent sur le toit

      Le vent sur le toit vient de rencontrer
      Dessus, un oiseau que l’azur apporte.
      Qui vole ?... Le ciel a poussé la porte,
      La porte a chanté, un Ange est entré.

      …Je ne l’ai pas vu, mais en s’en allant,
      - J’étais sur le pas ému de la porte –
      Il a laissé choir dans mon cœur tremblant
      Un grain murmurant du Verbe qu’il porte.

      …Ah ! comment un mot sortira-t-il bien
       De moi que voilà qui suis peu savante ?
       Mais le Saint-Esprit – je suis sa servante –
       S’il veut qu’il me naisse y mettra du sien…
                                           «Le Rosaire» (Edit. Stock)
    









(3)
POÈTES FRANÇAIS AYANT VÉCU
À LA FIN DU XXe SIÈCLE :

Saint-John Perse
Patrice de La Tour du Pin
Pierre-Jean Jouve
Jacques Prévert
Louis Aragon
Pierre Emmanuel
Francis Ponge
René Char
Philippe Soupault




Saint-John Perse
(1897-1975)

       Le poète Saint-John Perse fait appel dans ses poèmes aux mythes exotiques ou fantastiques pour transcrire d’immenses visions d’un secret intérieur. Il tente de tenir dans son langage d’images et de rythmes le pari d’une expression aristocratique du secret incommensurable de son aventure intérieure. Les thèmes du voyage, de l’inconnu, du témoignage spirituel, du mystère constituent l’objet de sa poésie inséparable de l’exotique, du familier, tels un parcours intérieur où se  rejoignent les mots et les rêves, le  rythme et l’image, comme repères de la réalité cachée.
        
Le poète a témoigné

     Telle est l’instance extrême où le Poète a témoigné.
    En ce point extrême de l’attente, que nul ne songe à  regagner les chambres.
     «Enchantement du jour à sa naissance…. Le vin nouveau n’est plus vrai, le lin nouveau n’est plus frais…
      « Quel est ce goût d’airelle sur ma lèvre d’étranger, qui m’est chose nouvelle et m’est chose étrangère ?
      A moins qu’il ne se hâte en perdra place mon poème… Et vous aviez si peu de temps pour naître à cet instant…».
      (Ainsi quand l’Officiant s’avance pour les cérémonies de l’aube, guidé de marche en marche et assisté de toutes parts contre le doute, - la tête glabre et les mains nues et jusqu’à l’ongle sans défaut, - c’est un très prompt message qu’omet au premiers feux du jour la feuille aromatique de son être.)
      Et le Poète aussi est avec nous, sur la chaussée des hommes de son temps.
      Allant le train de notre temps, allant le train de ce grand vent.
      Son occupation parmi nous : mise en clair des messages. Et la réponse en lui donnée par l’illumination du cœur.
      Non point l’écrit, mais la chose même. Prise en son vif et dans son tout.
      Conservation non des copies, mais des originaux. Et l’écriture du poète suit le procès-verbal.

                                                  «Vents, 6» (Ed. Gallimard)










Patrice de La Tour du Pin
(1911-1976)

    Adepte de la solitude et de la communion avec la nature, Patrice de La Tour du Pin est le poète de l’expérience mystique, de la sincérité spirituelle, de l’itinéraire religieux et humain, qui partant de la Nature et de l’Homme aboutit à la prière par le jeu mystique. C’est dans une poésie, fondée sur le mystère, la permanence des images de l’Homme et de la Nature, les pouvoirs symboliques du langage, le thème mystique de la quête, le dialogue avec lui-même, la Nature et Dieu que l’homme risque de jouer le pari de sa signification et de son salut.

Le trois plus grands jeux du monde

Je vous promets des jeux, les trois plus grands du monde,
A comprendre d’abord, et peut-être à gagner,
A pousser si avant dans leurs règles premières
Que vous en resterez pour toujours prisonniers.
Ah ! la terreur me défigure, vous rend blêmes !
Mais que sera-ce au bout du Jeu de l’Homme devant lui-même
Quand vous reconnaîtrez la touche du néant
Surtout ce que la joie et l’espérance fondent
- Si je ne suis qu’un perpétuel éclatement !

Et sera au bout du Jeu de l’Homme devant le Monde,
Dans ce vide étranger, cet autre insaisissable
Que parcourent des temps, des nuits de création
Dont on ne peut saisir que l’évaporation
La brusque fin dans la seule zone habitable
Pour nous de l’Univers…
Et que sera-ce au bout du Jeu de l’Homme devant Dieu?
Petits contemplatifs, rendez ce qui déborde,
Allez dans le concert où la Grâce s’accorde
Et cet hiver extrême, où seul le Creux
Demeure…
                    Alors j’aurais vécu mon existence,
Si naïve est ma foi, ne perdez pas confiance.
Vous aurez d’autres jeux à courir, les plus libres,
Comme ceux d’enfants et des dauphins,
Toutes les tragédies, tous les mythes possibles
Que rencontre un adolescent sur son destin
- Et celui d’épuiser les choses et les rêves,
De mêler sa croissance aux croissances des sèves,
De prendre dans sa voix la musique du ciel
Et de la terre – en gagnant pas à pas le mystère
D’être homme, l’honneur d’être homme…
                                                                           Et l’Eternel…

                                      «La Genèse» (Edit. Gallimard)


Pierre-Jean Jouve
(1887-1976)


     Après des influences symbolistes, Pierre-Jean finit par trouver sa voie personnelle de poète sensible au drame : Mort, Résurrection, Apocalypse, Jugement dernier, Christ, Antéchrist, la Nuit,  l’Amour et la connaissance du monde comme thèmes de et réalités que devrait assumer la poésie pour occuper l’absence du Monde, liés dans la nature au Sang, à la sueur, à l’Orage et à l’Arbre. Ainsi est-il considéré comme le grand restaurateur contemporain de la poésie visionnaire.

Je vois

         Je vois
         Les morts ressortant des ombres de leurs ombres
         Renaissant de leur matière furieuse et noire
         Où sèche ainsi la poussière du vent
        Avec des yeux reparus dans les trous augustes
        Se lever balanciers perpendiculaires
        Dépouiller lentement une rigueur du temps ;
        Je les vois chercher toute la poitrine ardente
        De la trompette ouvragée par le vent.

        Je vois
        Le tableau de la justice ancien et tous ses ors
       Et titubant dans le réveil se rétablir
       Les ors originels ! Morts vrais, morts claironnés,
       Morts changés en colère, effondrez, rendez morts
       Les œuvres déclinant, les monstres enfantés
       Par l’homme douloureux et qui fut le dernier,
       Morts énormes que l’on croyait remis en forme
       Dans la matrice de la terre.

      Morts purifiés dans la matière intense de la gloire,
      Qu’il en sorte et qu’il en sorte encor, des morts enfantés
      Soulevant notre terre comme des taupes rutilantes
      Qu’ils naissent ! Comme ils sont forts, de chairs armés !
      Le renouveau des chairs verdies et des os muets
      En lourdes grappes de raisin sensuel et larmes
      En élasticité prodigieuse de charme,
      Qu’ils naissent ! Comme ils sont forts de chairs armés.

                                                           «Gloire»
                                                 (Edit. Fontaine, Alger)







Jacques Prévert
(1900-1977)

     Ayant quelque peu adopté leur sensibilité des surréalistes souvent anarchisante et leur attachement suggère la liberté dans la réalité quotidienne, Jacques Prévert retient et enregistre verbalement tout ce qui renferme, un charme hétéroclite,  parmi les choses, les êtres et les gens. Sa poésie est volontairement visuelle, avec un soupçon de halo magique, de parole riche de sensibilité,  de liberté rythmique, de rêves et d’humour souvent sarcastiques. 

Le contrôleur

Allons
Pressons
Allons allons
Voyons pressons
Il y a trop de voyageurs
Trop de voyageurs
Pressons pressons
Il y en a qui font la queue
Il y en a partout
Beaucoup
Le long du débarcadère
Ou bien dans les couloirs du ventre de leur mère
Allons allons pressons
Pressons sur la gâchette
Il faut bien que tout le monde vive
Alors tuez-vous un peu
Allons allons
Voyons
Soyons sérieux
Laissez la place
Vous savez bien que vous ne pouvez pas rester là
Trop longtemps
Il faut qu’il y en ait pour tout le monde
Un petit tour on vous l’a dit
Un petit tour du monde
Un petit tour dans le monde
Un petit tour et on s’en va
Allons allons
Pressons pressons
Soyez polis
Ne poussez pas.

                                       «Paroles » (Edit. Gallimard)






Louis Aragon 
(1897-1982)

      Louis Aragon s’est associé ay mouvement surréaliste où il voyait surtout un moyen de libération et une révolution positive, un élan plutôt qu’un système ou une doctrine. Sa poésie s’est caractérisée par une aisance verbale prononcée, un exercice du lyrisme teinté parfois de caprice et d’humour qui glorifie librement les charmes, les métamorphoses de la nature, des êtres et des choses du monde qui l’entoure.

Le printemps opéra Mir            acles

 Vous que le printemps opéra
Miracles ponctuez ma stance
Mon esprit épris du départ
Dans un rayon soudain se perd
Perpétué par la cadence

La Seine au soleil d’Avril danse
Comme Cécile au premier bal
Ou plutôt roule des pépites
Vers les ponts de pierre ou les cribles
Charme sûr La ville est le Val

Les quais gais comme en carnaval
Vont au-devant de la lumière
Elle visite les palais
Surgis selon ses jeux ou lois
Moi je l’honore à ma manière

La seule école buissonnière
Et non Silène m’enseigna
Cette ivresse couleurs de lèvres
Et les roses du jour aux vitres
Comme des filles d’Opéra

                                                «Feu de joie, 1917-1919»
                                                     (Edit. Au Sans Pareil)














Pierre Emmanuel 
(1916-1984)

     Pierre Emmanuel est l’un des grands poète de la Résistance et partisan de la poésie prophétique qui avait son essor lors de la grande Guerre. Quelques grands mythes prophétiques ont été redécouverts au contact de cette actualité, tels que les mythes d’Orphée, de Sodome et de Babel. Chez lui, la poésie visionnaire est aussi une forme d’action en rendant compte en termes d’éternité de l’événement, du drame de la confusion tragique de la grandeur et de la vanité  humaines.

Pitié pour nous Seigneur

  Pitié pour nous Seigneur Tes derniers Seigneurs survivants
  car Tu nous as donné ces morts en héritage
  nous sommes devenus les pères de nos morts.
  Pitié pour nous Seigneur pitoyables marâtres
  qui avons engendré ces hommes dans la Mort :
  et nous voici séparés d’eux par leur cadavre
  eux qui sont déjà morts et fondés en Ta nuit.
  Notre obscure journée s’éblouit de leur nuit
  notre chair se révulse au contact de leur ombre
  nous n’avons point assez de nuit pour nous terrer
  nous sommes nus jusqu’à la moelle dans leur gloire
  et nos mots tombent en poussière en leur pensée
  nous sommes devenus étrangers à nous-mêmes
   de grands vents soufflent qui nous chassent de la chair

   nous tremblons de mourir et nous tremblons de vivre
   nous sommes pour toujours en deçà de la Mort.
 
                                     «Jour de Colère» (Edit. Seghers)    




















Francis Ponge 
(1899-1988)

     Ne se prétendant pas poète, Francis Ponge a souvent dit qu’il ne se voulait pas poète. Dans «Proèmes» comme dans «Le Parti Pris des choses», il use  à la fois du poème et de la prose. Sa poésie surprend par sa singularité. Elle suppose des habitudes de lecture ouverte sur l’univers du poète, celui des poètes du XXe siècle. Le langage, chez Ponge, est analogique, mais l’analogie pour lui est surtout un moyen de faire apparaître la différence. L’attention du poète, selon lui, à l’objet ajoute quelque chose à l’homme, change la morale, change tout.  Par cette dialectique, le poète nous semble plus profondément fidèle à l’humanisme.

L’HUÎTRE

      L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
      A l’intérieur l’on trouve tout le monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en-dessus s’affaissent sur les cieux d’en-dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
     Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner.

                                                    «Le parti pris des choses»
                                                             (Edit. Gallimard)

















René Char 
(1907-1988)

    René Char, c’est le poète des mots alignés, des métaphores libres en couplets, des maximes innombrables et grandiloquentes. Quelque peu surréaliste, scientiste, existentialiste, il opte pour la solitude pour se mettre à l’abri des écoles, des idoles et des maîtres. La poésie de Char est exigeante et réservée à une élite qui a connu Lautréamont, Breton et Reverdy… Elle appelle à suivre le poète dans ses preuves et ses traces : une forme, un vers, un titre, une image... C’est une poésie du contact du poète avec le monde. Y abondent dialogues, apostrophes, dédicaces, conseils confidences, témoignant de la présence du poète.

JE, TU, NOUS
           - JE :
 « Je ne désire plus que tu me sois ouvert… »
 « Je te découvrirais à ceux que j’aime… »
 « Je marchais parmi les bosses d’une terre écurie… »
 « Je n’ai plus de fièvre ce matin… »
             - Tu :
 « Attends encore que je vienne… »
« Enfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux… »
« Toi qui ameutes et qui passes entre l’épanouie et le voltigeur… »
« Qu’as-tu à te balancer sans fin… »
             - Nous :
« Nous nous sommes soudain trop rapprochés… »
« Notre amitié est le nuage blanc préféré du soleil… »
« Plus jamais nous ne serons rapatriés… »

                                   «Les Matinaux» (Edit. Gallimard)




















Philippe Soupault
(1897-1990)

    Aiment passionnément les fleurs, les arbres et les mauvaises herbes, Philippe Soupault est un poète  d’un esprit de grande révolte rêvant de voyage et d’indépendance. Cobaye involontaire d’un vaccin contre la typhoïde dont plusieurs de ses camarades mobilisés durant la guerre 1914 en meurent, il est hospitalisé pendant de longs mois. Il se passionne pour la poésie d’Apollinaire, comme lui en convalescence à l’hôpital. Son premier poème en est né. Envoyé à Apollinaire, celui-ci le publie. Il y évoque l’expérience interminable de l’hôpital.

     Depuis des heures

     Depuis des heures le soleil ne se levait pas
     une lampe faible et les seize lits rangés la routine
     mais pas seulement la routine l’esclavage
     Quelques éclairs réguliers
     Couchés sur mon lit j’écoutais la joie des autres esclaves
     et le bruit de leurs chaînes
     Ils passent se raidissent et chantent…

      Il fut le premier médecin qui vint près de moi
      HOPITAL AUXILAIRE 172
      Des regards une toux la routine
      mais pas seulement la routine l’esclavage
      chaque jour un chant très doux
      livres vous m’écoutiez
      Il fut le deuxième médecin
      Il écouta ma respiration et battre mon cœur
      Ses cheveux sont noirs et gris

      Au son du gramophone les jours passèrent et dansèrent
      la routine
      mais seulement la routine l’esclavage
      je sortis pour aller vivre…

                                  «Poèmes et Poésies, Aquarium, 1917 »
                                                       (Edit. Grasset)   















INDICES BILIOGRAPHIQUES

Arland, Marcel : «Anthologie de la poésie française», Paris, 
             Ed. Stock, 1942.
Benamou, Michel : «Pour une nouvelle pédagogie du texte
              littéraire», Paris, Ed. Hachette/ Larousse, 1971.
Des Granges, Ch.-M. : «Morceaux choisis des auteurs  
             français», Paris Ed. Hatier, 1938. 
Lagarde, André & Michard, Laurent : «XXe SIÈCLE», Paris,   
             Ed. Bordas, 1966.
Muret, Michel : «Les anthologies de la poésie française
             d’André Gide et Marcel Arland», www.fabula.org .
Ponge, Francis : «Le parti pris des choses», Paris, Ed.   
             Gallimard, 1967.
Prévert, Jacques : «Paroles», Paris, Ed. Gallimard, 1972.
Stalloni, Yves et alii : « Poètes contemporains», in «L’Ecole
            des lettres», Paris, N°14 – 15 mai 1978.  
Thoorens, Léon : «Panorama des littératures 7», Paris, Ed.      
             Marabout Université, 1969.







TABLE DES MATIÈRES

Préface                                                                                          2

1- Poètes français ayant vécu au début du XXe Siècle :     4

José-Marie de Heredia                                                               5
Jean Moréas                                                                                 6
Guillaume Apollinaire                                                                8
Paul-Jean Toulet                                                                          9
Anna de Noailles                                                                       11
Henri Régnier                                                                             13
Francis Jammes                                                                         15

2- Poètes français ayant vécu au milieu du XXe
 Siècle :                                                                                        17

Max Jacob                                                                                  18
Paul Valéry                                                                                 20
Robert Desnos                                                                           22
Joë Bousquet                                                                             24
René-Guy Cadou                                                                       26
Charles Maurras                                                                        27
Paul Eluard                                                                                 29
Paul Claudel                                                                               31
Paul Fort                                                                                     33
Jules Supervielle                                                                       35
Pierre Reverdy                                                                          37
Blaise Cendrars                                                                        39
Jean Cocteau                                                                            40
Jacques Audiberti                                                                    42
André Breton                                                                           43
Marie Noël                                                                               45

3- Poètes français ayant vécu à la fin du XXe
 Siècle :                                                                                      46

Saint-John Perse                                                                      47
Patrice de La Tour du Pin                                                       49
Pierre-Jean Jouve                                                                    51
Jacques Prévert                                                                       53
Louis Aragon                                                                            55
Pierre Emmanuel                                                                    57
Francis Ponge                                                                           59
René Char                                                                                  61
Philippe Soupault                                                                    63





[1] Murat, Michel : «Les anthologies de la poésie française
d’André Gide et Marcel Arland», www.fabula.org . Voir aussi indices bibliographique à la fin de ce volume.

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