jueves, 9 de agosto de 2012

ABDELKEBIR KHATIBI IDENTITE ET DIFFERENCE : OU L'AMAZIGHITE UNIVERSELLE

ABDELKÉBIR KHATIBI IDENTITÉ ET DIFFÉRENCE : OU
L’AMAZIGHITÉ D’UNE PENSÉE UNIVERSELLE

     "Voici un roman autobiographique, lit-on sur la quatrième de couverture de  «La mémoire tatouée » de feu Abdelkébir Khatibi (1938-2009). (…) L’identité et la différence des cultures sont dévoilées dans la violence même de l’écriture" – Ed. Denoël,1971. Décédé le 16 mars 2009, à l’âge de 71 ans, l’écrivain marocain, de renom le plus prolifique, est vu dans son rapport avec son ethnie marocaine par Roland Barthes (1915-1980), en ces termes: "L’originalité de Khatibi, au sein de sa propre ethnie, est donc éclatante : sa voix est absolument singulière, et par là - même absolument solitaire. Car ce qu’il propose, paradoxalement, c’est de retrouver en même temps l’identité et la différence : une identité telle, d’un métal si pur, si incandescent, qu’elle oblige quiconque à la lire comme une différence." – "Ce que je dois à Khatibi", Rabat, « Pro - Culture », n°12, p.7. Il suffit pour s’en rendre compte, d’observer à notre sens, sa vision de l’amazighité d’une pensée universelle, tel que l’évoque, son entretien avec Nadia Ziane, du journal marocain « Libération », en 2008, en affirmant :

      "Ma solitude suppose qu’il y a des idées qui se préparent et qui vont éclore quand elles seront mûres. Je donnerai un exemple sur ma vision de l’amazighité que j’ai intégrée dans une idée de pensée universelle." – "J’observe à distance mes propres productions, mais sans les momifier", www.mazagan.com, p.1. Ainsi abordera-t-on en guise d’hommage réflexif à l’auteur de «La mémoire tatouée » (Denoël, 1971)  et du « Maghreb pluriel » (Denoël, 1983), la question de " l’identité et la différence : l’amazighité d’une pensée universelle", en explorant :

        I- L’identité et la différence de l’amazighe et de l’arabe dialectal enseignables en vue d’une pluralité culturelle de la société marocaine chez A. khatibi.
       
      II- L’identité et la différence d’une amazighité rationnelle ancrée dans la  pluralité de la culture populaire marocaine chez A. khatibi.

    III-  L’identité et la différence de l’amazighité partagée entre la pluralité du français, de l’arabe et de l’universel chez A. Khatibi.
     
     I- L’identité et la différence de l’amazigh et de l’arabe dialectal enseignables en vue d’une pluralité culturelle de la société marocaine chez A. khatibi :

     Dans son roman autobiographique, «La mémoire tatouée », A. Khatibi évoque l’enseignabilité exclue de l’amazigh et de l’arabe dialectal du temps de sa prime scolarité à l’école franco - musulmane, en indiquant : "Mon père m’envoya à l’école franco - musulmane en 1945. Ce fut le cousin kiffeur qui s’en chargea (…). A l’école, un enseignement laïc, imposé à ma religion [l’Islam]; je devins triglotte, lisant le français sans le parler, jouant avec quelques bribes de l’arabe écrit, et parlant le dialecte [arabe dialectal] comme quotidien. Où, dans ce chassé-croisé, la cohérence et la continuité ?" (p.54). D’où notamment :
 
       1- La revendication de l’identité et de la différence par l’enseignement de l’amazigh et de l’arabe dialectal chez A. Khatibi :

        En  1989, A. Khatibi pourfend, dans un entretien avec I. C. Tcheho, cette anomalie de la non enseignabilité de l’amazigh et l’arabe dialectal marocain en y précisant : "De la même manière, dans le cas des langues par exemple, le berbère est important, mais il n’est pas enseigné, ce qui est anormal. Il faudrait qu’il ait sa place aussi. L’arabe dialectal n’est pas pris en charge [v. enseigné] à l’Université, sauf dans certains départements. C’est une langue vivante, mais n’est pas considérée comme production de culture. Il y a une scission entre l’oral et l’écrit alors que ce qui est souhaité, c’est la prise en charge de tout cela. Voilà ce que je voudrais dire : cette pluralité existe, mais elle n’est pas prise en charge." – "Quelques aspects de la pluralité chez Abdelkébir Khatibi", www.refer.sn, p.2.

      Cette situation à l’époque coloniale était en fait source de dissensions politiques et de conflits tribaux et ethniques arabo - berbères, au sein de l’école, comme le rapporte le narrateur, dans « La mémoire tatouée » : "Au collège, il y avait une mosaïque de tribus voisines, nommons les visages pâles et fourbus, ceux de la ville à vendre (Essaouira), je les connaissais par cœur, cœur tranquille de ce côté, mais l’œil, le clin d’œil ; l’autre tribu à onomatopées sèches, les Berbères qui se passaient des énigmes énervantes, devant mon nez, gestes de haut en bas, musique de la chèvre ; et derrière ces tribus, les fils innombrables du caïdat du Sud [marocain], il en venait chaque année, non point pour les études, simplement là pour donner un coup de main à la tribu, la protéger en cas d’insurrection imprévue. Ces paquets de nouveaux venus se donnaient la main, bloquant les couloirs. Nous arrivions du Nord, façon de parler, parce que le Nord se déplace, on est toujours le nord d’un nord et d’un sud (…). Notre groupe s’organisait pour la défense et la bagarre, je transmettais l’ordre, je me blottissait." (p.72). Une image de l’amazighité conflictuelle de l’identité et de la différence, à l’ère coloniale.

        2- L’identité et la différence de l’amazighité et la mise en cause des mythes de l’identité aveugle et de l’identité sauvage chez A. Khatibi :

        Aberrahman Tenkoul parle à cet égard de l’identité et la différence de l’amazighité et en cause par Khatibi, des mythes de l’identité aveugle, et de l’identité sauvage, inscrits dans les discours officiels, exclusif des composantes pluriculturelles de l’être marocain et maghrébin en expliquant : "Car l’être maghrébin n’est pas unique, il est plonge ses racines dans l’histoire de civilisations multiples : paganisme, judéité, berbérité…Or toutes ces composantes restent de nos jours refoulées par les discours officiels qui cherchent à tout prix à maintenir une unité absolue, cultivant dans cet esprit le mythe de l’identité aveugle (…). C’est ce qui permet de soutenir que « Le livre du sang » [Gallimard, 1979] est à la fois langage et méta - langage, en ce sens qu’il élabore sa propre réflexion sur le patrimoine culturel. A la place de l’identité sauvage, il nous invite à méditer sur une « pensée autre » [plurielle et universelle]…" - « Littérature Marocaine d’Expression Française », Ed. Afrique Orient, 1985, p.143.

         Pour preuve, A. Tenkoul relève les références de l’amazighité à l’identité et la différence pluri - culturelles dans « Le livre du sang » en remarquant : "Le texte erre ainsi d’une mémoire à l’autre, d’un espace à un autre, d’une culture à l’autre : berbère, juive, gréco - latine, arabo - musulmane." (Ibid, p.144). Quant à la pluralité culturelle de l’amazighité, A. Khatibi l’inscrit dans la dualité juridique nationale, arabo - berbéro - islamique de base, et coloniale imposée ou importée de l’identité et de la différence : "C’est une double loi : notre propre loi, arabo - berbéro - islamique de base et la loi de l’autre, c’est-à-dire, en particulier, de la colonisation, de la langue, la loi coloniale telle qu’elle a été soit imposée, soit importée. C’est en ce sens que nous vivons une double loi (…). Que ce soit les Africains, du Nord au Sud, ils sont confrontés à ce problème de dialogisme, de double logique [identité et différence]." – "Quelques aspects de la pluralité…", Op.cit., p.3.

    II- L’identité et la différence d’une amazighité rationnelle ancrée dans la pluralité de la culture populaire marocaine chez A. khatibi :

       L’identité et la différence d’une amazighité rationnelle ancrée dans la  pluralité de la culture populaire marocaine est explicitée par A. khatibi comme suit : "Il faut être attentif aux signes qui nous interpellent dans notre quotidien. C’est ainsi que j’ai pu aborder l’amazighité, non de façon réactive, mais rationnelle. Je me suis intéressé au tapis, loin des visions folkloriques, en y découvrant des signaux permettant une analyse du patrimoine et du matrimoine." – " J’observe à distance…", Op.cit., ibid. C’est aussi ce que stigmatise, sous la colonisation, le narrateur de « La mémoire tatouée » :

    "On connaît l’imagination coloniale : juxtaposer, compartimenter, militariser, découper la ville [El Jadida] en zones ethniques, ensabler [enterrer] la culture du peuple dominé. En découvrant son dépaysement [son identité et sa différence], ce peuple errera, hagard, dans l’espace brisé de son histoire. Et il n’y a de plus atroce que la déchirure de la mémoire. Mais déchirure commune au colonisé et au colonial, puisque la médina résistait par son dédale." (p.46). En d’autre termes, Khatibi se situe à l’antipode des intellectuels nationaux hostile à la pluralité de la culture populaire marocaine. Omar Bendriss en dévoile l’irrationalité  de ce paradoxe ainsi :

       "Les intellectuels nationaux, imbus d’une culture classique (…) considèrent, non sans dédain, que les arts populaires sont ‘primitifs’ ; quant à l’intelligentsia ‘éclairée’, elle les tient pour une manifestation de sous - culture (…) qui nous entraînerait irrémédiablement à l’irrationalité et à la régression. Une conception juste [rationnelle] de l’édification de la culture (…) se doit de promouvoir la culture populaire (…), dans sa diversité linguistique (arabe moderne, dialectal, et tamazight) et esthétique (littérature orale et écrite, arts populaires, etc.) ce qui présuppose le dépassement de son utilisation actuelle sous la forme de folklore - marchandise." – "A propos de « Langage et cultures populaires au Maroc de A. Boukous», Rabat, in « Traces », Février 1979, p.76. C’est à ce prix seulement que l’amazighité rationnelle s’ancrerait, à l’exemple de Khatibi, dans une pensée universelle de la culture populaire marocaine.

      III-  L’identité et la différence de l’amazighité partagée entre la pluralité du français, de l’arabe et de l’universel chez A. Khatibi :

      En évoquant l’identité et la différence de l’amazighité partagée entre la pluralité du français, de l’arabe et de l’universel, A. Khatibi réfère à son rapport biographique, à sa naissance le jour de l’Aïd- el - Kébir (origine de son prénom), au Livre sacré (v. § : ‘Le sacrifice d’Abraham’, dans « le Coran ») ainsi qu’à l’écriture en arabe et en français. "Je suis né, relate- t- il, le jour d’une fête sacrée, la fête de l’Aïd- el - Kébir, d’où mon prénom (…). Donc, c’était donné en quelque sorte par le sacré (…), j’ai un rapport au sacré  (le sacrifice d’Abraham), au Livre. C’est en ce sens que je dis que la notion de livre est donnée d’emblée dans ma naissance, si j’avais à être radical parce qu’il s’agit des racines. La question du travail sur le livre s’est développée après, à partir de deux langues [arabe et français]. J’ai écrit mes premiers poèmes en arabe, au début (…). J’ai repris de manière très soutenue l’écriture [en français] à partir de 1969, après une expérience politique et d’enseignement." - Quelques aspects de la pluralité…", Op.cit., p.1.

    Par ailleurs, se concrétisent ici une amazighité (identité et différence), partagée entre la pluralité de l’arabe, du français et de l’universel chez A. Khatibi, issue d’une pluralité maghrébine et d’une africanité universelle. "La pluralité, confie-t-il au journaliste, I. C. Tcheho, est dans le concept d’Afrique, d’Afrique du Nord, du Maghreb, du Maroc. La pluralité, c’est ce qui constitue la structure réelle de toute société : pluralité des structures sociales, pluralité des valeurs culturelles, pluralité des langues [amazighité partagée], etc. ; c’est donc un des paradigme de la réalité (…). Bien sûr ! Les questions sur l’Afrique et à partir de l’Afrique sont des questions tout à fait africaines et qui touchent en même temps à l’universalité [v. l’amazighité et l’universel]." – Ibid., p.2. On retrouve d’ailleurs trace de cette vision de l’amazighité partagée entre les composantes plurilingues marocaines, africaines et universelles, dans                   « La mémoire tatouée » de Khatibi, où l’auteur – narrateur se remémore avec ironie :

       "La guerre d’Algérie déchirait par-ci, par-là, [à la Maison du Maroc, à Paris] Ecrivain sans dossier, je discutais avec passion culture nationale [l’amazighité, etc.], identité ou pas [différence], révolution et Islam, et comme chaque groupe français avait son Arabe [v. son Maghrébin] de service, on écoutait d’interminables confessions. L’Arabe de service disait : « Je suis un trait d’union entre l’Occident et l’Orient, le christianisme et l’Islam, l’Afrique et l’Asie » [v. amazighité et pensée universelle], et que sais-je encore ! J’en voyais qui mendiaient l’image de leur identité [v. différence] dans les kiosques à journaux, agglutinés à la moindre rature de reconnaissance [v. identité]. « Allez, disait le pharisien, insultez-vous dans notre langue [le français], on vous sera gré de la manier si bien. »" (pp.128-129).

        Pour conclure, on ne saurait mieux dire à propos : d’"Abdelkébir Khatibi, l’identité et la différence : ou l’amazighité d’une pensée universelle", que ce que celui - ci lui-même avait dit en ce sens : "Je donnerai un exemple sur ma vision de l’amazighité que j’ai intégrée dans une idée de pensée plurielle. En fait tout ce que refoule la société demande à être réfléchi. Il en est de même pour le Code de la famille, la culture populaire… Je m’intéresse à la question de savoir comment les sociétés deviennent universelles et les lieux de passage et de réticence. Je m’oppose aux pseudo - intellectuels qui diabolisent la différence et la condamnent." – "J’observe à distance mes propres productions, mais sans les momifier", Op.cit., pp.1-2.

                                                   Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED
     
     

       

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