domingo, 30 de septiembre de 2012

La dualité du système éducatif du soufisme et du pouvoir almohade




La dualité des systèmes éducatifs du soufisme et du
pouvoir almohade dans “At-tasawufu wa As-Sultatu bi Al- Maghribi al Muwahidî ” (Le Soufisme et le Pouvoir au Maroc almohade) du Dr. Mohamed Cherif

         La création des systèmes éducatifs et des écoles dans l’histoire de l’Islam  ne date pas de l’époque almohade et du soufisme dans le monde en général et au Maroc en particulier, comme pourrait le laisser supposer le livre d’At-tasawufu wa As-Sultatu bi Al-Maghribi Al-Muwahidî: Musâhamatun fî dirâsati thunâïyyati al hukmi wa ad-dîni fî annasaqi al-maghribiyyi al-wasît (Le Soufisme et le Pouvoir au Maroc almohade: Une contribution à l’étude de la dualité du pouvoir et de la religion dans le système marocain médiéval) du Dr. Mohamed Cherif, professeur à la Fac des Lettres de Tétouan/ Maroc – Rabat, Imp. Topress, 2004, Inº 15x21, 104 p. Certes, la première initiative de l’histoire de l’Islam remonte à l’exemple du Prophète Mohamed qui, après la premère victoire islamique de Badr (en l’an 2H/ 624 ap. J.C.), avait instauré comme rançon pour la libération de tout prisonnier de guerre païen, nécessiteux, sachant lire et écrire, l’alphabétisation. de dix enfants musulmans, au sein de la Mosquée Prophétique de Médine. C’est ainsi que Sigrid Hunke distingue la part privée et la part étatique, parfois politiquement  antagonistes, pour la création des écoles dans les pays musulmans (dont ici le Maroc).
          “La lutte que, pour se gagner les faveurs du peuple, se livrent l’opposition (les sectes soufistes, entre autres) et les partis gouvernementaux (ici les Almohades au Maroc) provoque un considérable relèvement du niveau d’instruction de l’ensemble de la population. Dès le Xe   siècle, les partis de gauche (les ribâtât/ sanctuaires des sectes soufies) prennent l’initiative. Afin de rendre plus efficace leur propagande contre les orthodoxes (les juristes de l’Etat), ils inscrivent à leur programme l’instruction générale des masses (les disciples et les sympathisants). Ils organisent des écoles […] analogues à nos lycées modernes ou plutôt à nos collèges anglais (en Europe moderne). Il va de soi que l’enseignement y est gratuit. Alors pour faire contrepoids à la propagande adverse (des sectes), l’Etat saisit aussitôt la balle au bond (l’enseignement étatique). C’est ainsi que dans toutes les grandes villes de nouveaux collèges voient le jour.” – Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Paris, Ed. Albin Michel, 1963, p.242.
          C’est aussi une problématique profonde repérable dans cet ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat d’Etat de l’auteur sur le thème: “Dirâsatu wa tahqîq «Al- Mustafâd fî Manâqibi Al-‘Ubbâd bi Madînati Fâs wa mâ ylîhâ mina Al-bilâd» li Abî Abdillah Mohammad At-Tamîmî Al-Fâsî” (Etude philologique de la «Quintessence de l’hagiographie des adorateurs dans la ville de Fès et des  pays dépendants de son allégeance » de Abû Mohamed Abdellah Tamîmî El Fassî), ayant encore trait à un thème d’actualité: “La dualité du pouvoir et de la religion dans le système (éducatif) marocain médiéval” - Op.cit., p.5.
         Quant à l’axe thématique repéré dans cette lecture rétrospective réflexive, portant sur: “la dualité des systèmes éducatifs du soufisme et du pouvoir dans le Maroc almohade” que nous explicitons dans cet ouvrage socio-politique et historique très suggestif, il a pour problématique l’enjeu d’un antagonisme socio-éducatif que résume ce passage du Taqdîm (“la Présentation”)  de son auteur en ces termes: “Ce qui attire l’attention, c’est que  l’opposition politico-religieuse (notamment des écoles soufies) contre les Almohades et la doctrine almohade (écoles étatiques ou pro-étatiques soufies almohades) se teinta, durant les septième et huitième siècles de l’H./ douzième et treizième siècles, ap. J.C., de cette coloration soufie. Elle eut pour leaders des individus (des chikhs/ maîtres/ leaders/ saints) qui n’étaient pas des fuqahas (des juristes orthodoxes musulmans) professionnels, mais des soufis qui avaient passé l’essentiel de leur vie dans les campagnes, les montagnes et les ribâtât (les sanctuaires/ les écoles soufies).” – Op.cit., p.4.
          Certes, le Fiihris Al-Mawdûaât (la “Table des Matières des Thèmes”) reflète parfaitement les composantes de cette problématique historique dialectiquement antagoniste et de son axe thématique: “la dualité du système éducatif du soufisme et du pouvoir almohade”, développés très sommairement, mais assez explicitement au sein de cette étude historique à la fois heuristique et épistémlogifique du Pr. M. Cherif. D’un point global, trois phases historiques principales constituent l’évolution polico-religieuse ondulatoire des rapports de force de cette  dualité socio-éducative et politique du soufisme et du pouvoir almohade. Elles pourraient être représentées   comme suit:
           1) La phase d’alliance transitoire des systèmes éducatifs des écoles du soufisme (ribâtât soufis) et des écoles étatiques (mosquées/ ribâtât) du pouvoir almohade, dans: “Thème premier: A propos des racines du soufisme marocain”, pp.7-17 et “Thème deux: La pratique soufie d’Ibn Toumert selon l’historiographie almohade, pp.19-28;
           2) La phase de contrôle, de «scrutation»  et de lutte ouverte entre les systèmes éducatifs des écoles soufies (subversives) et des écoles étatiques du pouvoir almohade, dans: Thème trois: “Le temps d’Abdelmoumen Ibn Ali: une politique répressive et méfiante à l’égard des soufis”, pp.29-40;
           3) La phase de la politique d’ouverture, de récupération, de polarisation,  de “domestication” et d’intégration dans “les cercles officiels”  des systèmes éducatifs des écoles soufies (subversives) et des écoles étatiques du pouvoir almohade (de l’Etat), dans: “Thèmes quatre: Abu Yacûb Yûsuf: une rigueur tendant vers la flexibilité envers les soufis”, pp.41-52, “Thème cinq: Abu Yûsuf Yacûb Al Mansûr: une politique de polarisation des soufis et une tentative d’officialisation de la pratique soufie”, pp.53-73 et “Thème six: Le soufisme au cours de la dissolution almohade: la structuration des sectes soufies”, pp.75-90.    
          C’est ce que résume justement la fin de cette recherche encore embryonnaire d’histoire politique socio-éducative nationale du Pr. M. Cherif dont l’insoluble problématique polico-éducative rejoint étonnamment les préoccupations socio-éducatives du Maroc et du monde modernes, tel que le révèle ce passage de ce brillant fascicule de recherche académique: “Les ondulations de la politique (des écoles étatiques et pro-étatiques soufies) des Almohades envers eux (les soufis et leurs écoles privées: les ribâtât) était de rythmes divers, à tel point qu’elle passa par des phases à la fois divergentes et interférentes, allant de l’alliance transitoire au contrôle, à  «la scrutation» et à la lutte ouverte en passant par une politique d’ouverture, de récupération, de polarisation, de «domestication» et d’intégration dans «les cercles officiels», etc.” – At-Tasazufu wa As-Sultatu, Op.cit., p.90.
          Chronologiquement, les trois phases historiques principales de cette “dualité des systèmes éducatifs du soufisme et du pouvoir almohade” (au Maroc médiéval) trouve son image mélo-dramatique, voire purement tragiques, dans les exemples tant biographiques qu’historiographiques auxquels se réfère méthodiquement le Pr. Cherif, faisant singulièrement écho aux problèmes  politico-religieux et éducatifs à l’ère de la mondialisation post-moderne. C’est ce qu’évoquent respectivement les extraits de ce  livre relatifs à chaque phase historique de cette dualité politico-éducative que voici:
           1) La phase d’alliance des systèmes éducatifs des écoles privées du soufisme et des écoles étatiques du pouvoir almohade:
          On y relève concernant l’adhésion transitoire de l’école toumertienne almohade à l’école  soufisme marocain, notamment:
         “Pendant qu’Al Baïdaq – en tant que témoin occulaire – évoquait le déplacement d’Ibn Toumert vers les régions de Mellala après son expulsion de Bougie (en Algérie), Ibn Qattan (hisoriographe de la cour almohade, 7e s.de l’H./ 13e s. ap. J.C.)   prétendit qu’il sortit vers un ribât (un sanctuaire) hors de celle-ci (Bougie) et à proximité d’elle , appelé «Ribât Mellala» (sanctuaire/ école), où résidaient des ascètes. Et là, des étudiants et des sâlihûn (hommes vertueux/ saints hommes) remplirent son assistance. Dans le même contexte, Ibn Qattan consacra un chapitre entier pour parler des karâmât (des miracles) attribués à l’imâm (chef spirituel) des Almohades.” – Op.cit., p.23.
        Cette réduction de la dualité éducative du soufisme et du pouvoir almohade (l’Etat naissant) à une identité doctrinale unique visait surtout l’élimination de l’ennemi commun, l’orthodoxie des fuqahas du pouvoir almoravide (l’Etat décadent) comme dans cet extrait:
        “Certes, les Almohades (le système éducatif des écoles étatiques: les ribâtât almohades) et les soufis (le système éducatif des écoles privées: les ribâtât soufis) étaient au moment de la prédication toumertienne des alliés transitoires  dans leur lutte contre l’adversaire commun, représenté par les fuqahas (les juristes orthodoxes) almoravides.Ainsi, les successeurs d’Ibn Toumert n’avaient qu’à faire en sorte d’éviter l’affrontement avec le courant soufi et d’épargner tout heurt avec ses leaders, bien plus d’agir pour les gagner aux côtés de la prédication almohade, ou du moins les neutraliser.” – Op.cit., p.90. Du fait, la dualité des systèmes éducatifs soufi et almohade se réduite, dans cette phase, à une pure identité  des écoles publiques (almohades) et privées (soufies) dans le cadre d’une politique d’alliance doctrinale transitoire.
            2) La phase de divergence et de lutte ouverte entre les systèmes éducatifs des écoles soufies et des écoles du pouvoir almohade (l’Etat établi):                
         En effet, les révoltes de certains ribâtât (écoles soufies) survenues contre le jeune Etat almohade du calife Abdeloumen Ibn Ali met en cause sa légitimité doctrinale et ouvre la voie à la répression sanglante almohade contre ces derniers, comme dans ces extraits de ce livre :
            “Le contrôle officiel des activités de certains soufis célèbres (enseignant aux ribâtât/ sanctuaires ou écoles privées), adopté dans un cadre répressif global, fut utilisé par le calife almohade pour écarter les dissidences politiques et les révoltes qui suivirent la prise de Marrakech, la capitale des Almoravides, , et la révolte d’Ibn Hûd (au  Ribât de Massa /  école soufie). La répression atteignit son paroxisme avec ce qu’on appela l’opération sanguinaire de «l’aveu» qui fut entreprise par Abelmûmen, en 544 de l’H./ 1149-1150 ap.J.C., pour éradiquer les opposants et les éléments suspectés dans leur allégeance dans différentes tribus soumises aux Almohades.” – Op.cit., p.33.
          D’un point de vue biographique, le Pr. Cherif  remarque le passage de chikhs (maîtres du soufisme) traqués par l’Etat almohade à l’activité éducative clandestine dans les ribâtât (écoles), déjà désertés par eux, comme dans:
          “La peur du châtiment almohade poussa certains soufis à garder la clandestinité de leurs activités. On en citait comme preuve la situation du chikh (maître soufi) Abî Mahdî wîn As-Salâmata Ibn Gildîs (M. vers 560 de l’H./ 1164 ap.JC). Il revisitait le Ribât de Chaker  (école soufie, du bord de l’Oued Tansift). – Op.cit., pp.38, 49. Répression d’Etat et résistance soufie parfois clandestine caractérisent cette seconde phase de divergeance et mésalliance sanglante de la dualité des sysèmes éducatifs des écoles soufies et du système éducatif des écoles du pouvoir almohade, une fois en place.
        3) La phase de récupération, d’ouverture et de tentatives d’officialisation  de la dualité des systèmes éducatif des écoles du soufisme et du pouvoir almohade se profile en toute clarté à travers l’évolution  tactique de la stratégie de l’Etat almohade qui  se ramène  enfin  à trois mesures adoptées par Yacûb Al Mansûr (590-595 de l’H./ 1184-1199 ap. J.C.), à savoir :
          A- La création d’un système éducatif officiel d’écoles étatiques, à l’échelon national, financées exclusivement par les deniers publics, comme le relate M. Cherif dans ce passage du livre:
         “Il est notoire que la première tentative d’officialiser l’enseignement et d’en faire un cadre pour orienter les options culturelles et scientifiques du pouvoir (l’Etat) almohade fut l’oeuvre du calife Yacûb Al-Mansûr. Parmi les mesures adoptées par ce calife, se trouvaient l’établissement des écoles, l’allocation des budgets de la trésorerie publique pour couvrir leurs frais  et leurs exigences pédagogiques et organisationnels.” – At-Tasawufu wa As-Sultatu, Op.cit., pp.59-60.
           B- La tentative du pouvoir almohade d’officialiser l’enseignement de la doctrine soufie  échouera à long terme face à  la création d’écoles privées   par les sympathisants du soufisme contestataire réprimé:
       Et c’est l’échec de la dualité socio-éducative du pouvoir almohade,  dans:
        “Il est significative que la tentative des Almohades (l’Etat) d’officialiser l’enseignement de la doctrine soufie (des ribâtât / sanctures) fut un échec à long terme, puisqu’elle ne tarda pas à pousser certains sympathisants avec les soufis à fonder une école privée où le soufisme fut à la tête des disciplines  enseignées.On réfère ici à l’école d’Abi Al-Hasan Alî Ach-Chârî As-Sabtî (649 de l’H/ 1251 ap. J.C.) qu’il bâtit dans la ville de Sabta (Ceuta) en 635 de l’H./ 1238 ap. J.C.” – Op.cit., p.65.
           C- La création par le pouvoir (l’Etat) almohade avec l’aide d’Al- Qajâïri (Chikh soufi, M. en 627 de l’H./ 1230 ap.JC)  d’une secte officielle   pro-étatique:
        Le pouvoir almohade utilise ainsi sa secte officielle pour se donner un appui populaire, comme l’évoque M. Cherif dans ce passage:
       “Si la question concernait effectivement une secte organisée (le système d’une école soufie pro-étatique) par le pouvoir almohade dans le but de polariser les soufis et d’effriter les réseaux contestataires,  ce fut aux efforts de l’initiative mérinide ultérieure de domestiquer le courant soufi marocain (le système éducatif  des écoles soufies/ ribâtât privés). Il est donc possible de supposer que les califes almohades avaient compté sur lui (Chikh Al-Qajâïrî ) pour créer une secte, organisée, contrôlée directement par l’Etat, car elle pourrait lui procurer une part de l’appui populaire dont jouissaient les autres groupes soufis qui n’étaient pas satellitisées au pouvoir almohade. ” – Op.cit., pp.83-84.  
       En conclusion, les trois phases historiques principales ( d’alliance, de répression, de récupération ) et les trois mesures politiques (étatique, privée et pro-étatique) de cette insoluble “dualité des systèmes éducatifs du soufisme et du pouvoir almohade”, cernée dans At-Tasawufu wa As-Sultatu bi Al-Maghribi al Muwahidî du Dr. M. Cherif, s’est soldée par un échec historique. Ce sera au pouvoir (l’Etat) mérinide et  ses médersas (écoles publiques) de réduire cette dualité en domestiquant les écoles du soufisme marocain.  Aussi  pourrait-on opiner avec Sigrid Hunke: “Il en va tout  autrement (de l’école élitiste chrétienne médiévale) dans les pays musulmans. L’Etat arabe (musulman), ayant tout intérêt à ce que parmi ses sujets «les vaches soient bien gardées» (à l’école), prend bientôt l’instruction publique en main (contre les écoles privées). Les enfants de toute condition fréquentent les écoles primaires, ceci moyennant une somme fort modique. Mieux encore, depuis que l’Etat paie les professeurs, ceux-ci doivent instruire gratuitement les indigents.” – Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Op.cit., p.242.
                                            Dr. SOSSE ALAOUI MOHAMMED              

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